70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 28 mars 2024

Louise Jallu joue


Tous les trois ans la bandonéoniste Louise Jallu fait un pas de géant. En 2018 elle avait vingt-quatre ans et j'avais salué son premier disque, Francesita comme j'avais été impressionné par son passage sur scène. Son interprétation de Piazzolla 2021 entérinait le fait que la virtuosité peut être au service de l'émotion avec une voix résolument personnelle. Même si toujours tango, le troisième album révèle une compositrice s'affranchissant du genre sans le renier pour autant. Les arrangements cosignés avec le compositeur Bernard Cavanna y sont évidemment pour beaucoup. Les musiciens qui l'accompagnent participent à cette orchestration inventive. On retrouve ainsi le violoniste Mathias Lévy, le pianiste et claviériste Grégoire Letouvet, le contrebassiste Alexandre Perrot, auxquels se joignent Karsten Hochapfel à la guitare électrique et Ariel Tessier à la batterie. Les références à la musique classique offrent une liberté incroyable à Louise Jallu qui embrasse Robert Schumann, Alban Berg, Arnold Schönberg, Maurice Ravel, Claude Debussy, comme les violonistes Fritz Kreisler et Gaetano Pugnani. Sur Toi qui as besoin d'eau, d'après Les sabots d'Hélène, chanté par Cali avec sa fille Coco-Grace Caliciuri au violoncelle, je suis particulièrement sensible à la voix de Georges Brassens qui raconte comment "le monde dans lequel on est ne [lui] convenant pas tout à fait, [il se] crée un monde parallèle dans lequel [il fait] à peu près ce qu'[il veut]..." Je crois m'entendre, comme j'apprécie toujours les ambiances naturalistes de Gino Favotti qui resituent la musique dans un univers à la fois quotidien et fictionnel. On retrouve d'ailleurs les sirènes du premier disque sans savoir si c'est une métaphore, un souvenir ou une annonce. Mais c'est fondamentalement dans la composition que se révèle la beauté de ce troisième opus discographique, un arc-en-ciel flamboyant qui donne envie de le remettre sur la platine aussitôt terminé.

→ Louise Jallu, Jeu, CD Klarthe, 15€
Podcast du Studio 104 de la Maison de la Radio & de la Musique, dans le cadre des concerts Jazz sur le vif d'Arnaud Merlin, le 9 mars dernier
→ Concert de sortie du disque le 6 juin au Bal Blomet

mercredi 27 mars 2024

Le problème a plus de trois corps


La première question est réglée, je n'ai pas lu Le Problème à trois corps, le roman à succès de Liu Cixin. Des amis que j'interroge l'ont adoré. Par contre, je suis écartelé entre la série Netflix et la bande dessinée supervisée par l'auteur. La première est produite par David Benioff et D. B. Weiss à qui l'on doit Game of Thrones, et Alexander Woo qui avait travaillé entre autres sur True Blood. J'aurais aimer jeter un œil à la précédente adaptation en série d'une équipe chinoise, trente épisodes dirigés par Yáng Lěi et Vincent Yang, mais elle semble inaccessible. Du côté américain sont prévues trois saisons, et le premier tome de la bande dessinée sera suivi par quatre autres.


Si les deux récits peuvent paraître éloignés l'un de l'autre, c'est le mérite des adaptations personnalisées, l'impression générale est la même. L'approche est laborieuse, le scénario plutôt rébarbatif. Caché sous une narration alambiquée, des personnages aux émotions individualisées tels que les films catastrophe hollywoodiens ont l'habitude de les présenter, cela peut se résumer simplement à la guerre des mondes ou à celle des étoiles. Le seul élément un peu original réside dans la secte mystique des traitres à l'humanité qui pense que les aliens seront forcément meilleurs qu'eux, voire aptes à régler le chaos qui règne sur notre planète. Agrémenté d'un graphisme seyant, la bande dessinée diffuse un parfum ésotérique qui disparaît au gré des épisodes de la première saison télévisée. J'avais commencé par le roman graphique, je pense y revenir après avoir regardé la série, même si je m'y perds.
Quitte à me coltiner une série je préfère le très réussi D'argent et de sang de Xavier Giannoli sur l'arnaque à la taxe carbone avec Vincent Lindon, Tout va bien qui n'a rien de sinistre, bien au contraire, malgré le sujet, le satirique The Regime dirigé par Stephen Frears caricaturant Ceauşescu, Ioulia Tymochenko et Poutine avec Kate Winslet, Matthias Schoenaerts et Guillaume Gallienne, ou encore Tokyo Vice qui explique comment fonctionne la société japonaise au travers d'une histoire de yakuzas, la fantaisie brutale de The Gentlemen de Guy Ritchie, la critique du racisme social anti-anglais en Australie dans Ten Pound Poms, ou Shōgun qui a le mérite de faire parler les comédiens dans les langues idoines. J'évoque évidemment les plus récentes, du moins celles dont je me souviens là, avant de prendre le train pour Nantes !

mardi 26 mars 2024

Sarajevo Suite : disparition d'Abdulah Sidran


Le poète bosniaque Abdulah Sidran est mort samedi dernier à l'âge de 79 ans.
Après les films que j'avais réalisés à Sarajevo pendant le Siège en 1993 dans le cadre de Sarajevo: a street under siege, dont Le sniper, j'avais commis deux ans plus tard avec Corinne Léonet un disque non-benefit au profit de la reconstruction de la Bibliothèque de la ville martyre. L'un comme l'autre avaient eu un succès considérable. Pour unifier les pièces du CD Sarajevo Suite auxquelles participèrent les musiciens Lindsay Cooper, Henri Texier, Dee Dee Bridgewater, le Quatuor Balanescu, Willem Breuker, Louis Sclavis, Pierre Charial, Mike et Kate Westbrook, Linda Sharrock, Wolfgang Puschnig, Un Drame Musical Instantané, Phil Minton, Bruno Chevillon, Chris Biscoe, Noël Akchoté, Sébastien Texier, Bojan Z, Tony Rabeson, Thomas Bloch, Gérard Siracusa, Michèle Buirette, Bernard Vitet et moi-même, Dean Brodrick, Brian Abrahams, Carol Robinson, Michel Godard, Emil Krsitof, Lorre Lynn Trytten, Richard Hayon, j'avais choisi les poèmes d'Abdulah Sidran comme fil conducteur. Il y dit d'ailleurs lui-même Slijepac Pjeva Svome Gradu quand ce ne sont pas Jane Birkin, Bulle Ogier ou André Dussollier qui s'y collent merveilleusement. Sur scène Claude Piéplu assumait leurs rôles à tous les trois !
Avant la guerre, le poète avait été le scénariste d'Emir Kusturica pour Te souviens-tu de Dolly Bell ? et Papa est en voyage d'affaires. Il avait ensuite coécrit celui du film Le Cercle parfait d'Ademir Kenović pour lequel Bernard Vitet et moi avions écrit la musique, mais qui fut remplacée brutalement par un jeu de pouvoir financier qui avait disparu pendant le Siège, période paradoxale où les habitants ne parlaient que philosophie et poésie. J'y avais rencontré ce qu'il y avait de plus terrible et de plus beau dans l'humanité. Abdulah a rejoint Corinne, Lindsay, Willem, Linda, Claude, Bernard et tant d'autres.

The Peacock, hommage à Zoltán Kodály


Ce n'est pas facile pour des Hongrois de rendre hommage à l'un de leurs plus célèbres compositeurs en alternant certaines de ses œuvres chorales et des pièces originales composées par des membres du big band de jazz dirigé par Kornél Fekete-Kovács, le Modern Art Orchestra, surtout lorsqu'on sait que leur héros national, Zoltán Kodály, n'appréciait pas vraiment le jazz ! Une vingtaine de musiciens donc, dont le trompettiste Gábor Subicz, les saxophonistes-flûtistes János Ávéd et Kristóf Bacsó, le tromboniste Gábor Cseke et le chef et trompettiste lui-même ont composé des pièces qui répondent à un grand chœur de près de cinquante interprètes, le Kodály Choir dirigé par Zoltán Kocsis-Holper. Ajoutez les voix de Kriszta Pocsai et Milán Szakonyi et vous aurez une vision de cet ensemble qui danse sur des œufs peints. Ce n'est pas facile parce que Zoltán Kodály est une figure de proue de l’ethnomusicologie et de l’éducation musicale hongroises. Il a donc fallu autant de courage que d'humilité pour alterner les pièces chorales du compositeur de Háry János et des instrumentaux d'un jazz plutôt classique. S'il s'agit souvent d'alterner les deux, les instrumentistes et les chanteurs se retrouvent de temps en temps, le chœur élargissant l'espace orchestral par ses harmonies célestes. On sent pourtant bien qu'il y a deux temps, deux époques, deux quartiers, deux manières d'envisager la musique, même si l'alternance fonctionne très bien. C'est d'ailleurs de plus en plus courant, à l'instar des merveilleux programmes de Patkop, la violoniste Patricia Kopatchinskaïa. Pour des publics non œcuméniques, cela tient de l'initiation, rôle pédagogique qu'endossent quelques musiciens qui n'ont aucune frontière. La démarche ne peut que me plaire.

→ Modern Art Orchestra & Kodály Choir, The Peacock - Tribute to Zoltán Kodály, 2CD BMC, dist. Socadisc

lundi 25 mars 2024

Unknown Winter pour guitare, sax ténor et trompette


Le nouveau disque composé par Hasse Poulsen porte aussi les noms du sax ténor Fredrik Lundin, un autre Danois, et du trompettiste polonais Tomasz Dąbrowski. Cet Unknown Winter est un pont entre les pièces libres du guitariste et ses chansons. Pas de voix ici, mais la guitare classique, ou éventuellement une guitare-mandole à l'archet, confèrent au trio une sonorité de musique de chambre. On oscille entre l'apaisement souvent et parfois l'énervement, pas les nôtres, mais de la musique. Retenue, faite de solos, duos, trios, toujours ensemble, elle plane au-dessus de vastes plaines enneigées, réchauffée par un feu apprivoisé. Comme un citron givré. qui fait chaud au cœur parce qu'il rappelle de vieilles histoires. Ou bien un choral instrumental moderne.

→ Hasse Poulsen - Fredrik Lundin – Tomasz Dąbrowski, Unknown Winter, CD BMC enregistré à Budapest, dist. Socadisc

samedi 23 mars 2024

La Sourde des oreilles jusqu'aux yeux


Je terminais mon article du 27 septembre 2021 sur le spectacle Concerto contre piano et orchestre par "si La Sourde (c'est le nom de cet orchestre incroyable) passe près de chez vous, ne le ratez pas !". Ils sont de retour au Théâtre de L'Athénée jusqu'au 29 mars. Alors vous savez ce qu'il vous reste à faire !

Comment faire vivre un orchestre d'une vingtaine de protagonistes sans subventions ? Comment assurer des salaires décents et préserver l'extraordinaire enthousiasme de tous les musiciens ? Quelle structure culturelle y verra l'opportunité de présenter un spectacle exceptionnel qui enchante aussi bien les petits que les grands ? Ces questions peuvent sembler bizarres sous la plume numérique d'un compositeur, mais je me souviens encore une fois de Jean Cocteau dans l'impossibilité de se comprendre avec un producteur. Celui-ci voulait parler art quand le poète ne pensait qu'à l'argent qu'il lui fallait pour mener à bien son projet. Pendant six ans j'ai fait exister le grand orchestre du Drame en réduisant le nombre de répétitions pour ne pas exploiter les musiciens au détriment de la qualité du jeu. J'admire d'autant plus la qualité de celui de La Sourde. Ils et elles sont seize sur scène, tous et toutes excellents interprètes, tous et toutes d'une extrême bienveillance les uns pour les autres, et donc pour l'ambitieuse prouesse de jouer un Concerto contre piano et orchestre de Carl Philipp Emmanuel Bach, deuxième fils survivant de Jean-Sébastien, en étendant sa douzaine de minutes initiales à un spectacle contemporain qui explose l'espace scénique et rend intemporelle la musique en en réveillant le millésime.


Ils s'y sont mis à quatre pour écrire ce nouveau spectacle. Avant l'été j'avais adoré la reprise au Théâtre de l'Aquarium à Vincennes de la pièce Le Crocodile trompeur / Didon et Enée de Samuel Achache et Jeanne Candel. Si Achache est un brillant metteur en scène qui interroge chaque fois l'espace scénique et les mouvements qui s'y déploient, on le trouve ausi à la trompette dans cet orchestre de solistes qui font corps. Antonin-Tri Hoang, ici au saxophone alto et à la clarinette basse, avait collaboré avec lui pour Chewing Gum Silence et Original d'après une copie perdue. La pianiste Ève Risser, qui forme duo avec Hoang entre autres dans Grand Bazar, participait d'ailleurs à ce dernier. Quant au clarinettiste Florent Hubert, il avait déjà collaboré avec Achache et Candel pour de nombreuses pièces de théâtre. La musique est histoire d'amitié, de partage tout au moins, et le reste de l'orchestre n'échappe pas à ces retrouvailles heureuses autour d'un projet ambitieux qui sonne si léger tant il coule de source.


La source est baroque, musique du XVIIIe siècle d'un compositeur admiré par Haydn, Mozart et Beethoven. Source encore, l'introduction parlée du percussionniste Thibault Perriard devant le rideau de fer qui s'interroge sur la musique et ce qui la meut, comme je le fais, certes avec moins d'humour, au début de cet article. Et puis les cordes entrent en scène, violons (Marie Salvat, Boris Lamerand), violes de gambe (Étienne Floutier, Pauline Chiama), violoncelles (Gulrim Choï, Myrtille Hetzel), archiluth (Thibaut Roussel), contrebasses (Matthieu Bloch, Youen Cadiou), augmenté du cor naturel (Nicolas Chedmail). Je vole à l'irremplaçable Jeff Humbert l'apparition de la pianiste, de dos, derrière la petite porte qui s'ouvre dans le rideau de fer doré. Le Théâtre de l'Athénée est évidemment rouge et or, typique d'une salle à l'italienne, avec ses cariatides et sa coupole en faux ciel, restes de l'Eden-Théâtre. Depuis une loge située derrière nous qui sommes à la corbeille, Jeff capte discrètement les mouvements de l'orchestre avec son téléobjectif. L'amateur, biologiste de profession, donne à entendre ce que les professionnels ne voient plus, comme les journalistes dont l'absence est souvent comblée par les blogueurs. Mais les belles photos en couleurs sont de Joseph Banderet. Tout au long du spectacle, Perriard tient le rôle du clown musicien. C'était mon préféré lorsque, enfant, j'allais au cirque. Il monte et démonte, mime et soutient. Ève Risser, soliste du concerto, ne se prive pas de ses préparations magiques qui transforment le piano en gamelan et percussion. Soudain, ses camarades accourent, virevoltent et lui prêtent mains fortes sur le clavier. Le concerto, pourtant joué dans l'ordre de ses trois mouvements, est déstructuré par des digressions délicatement amenées. Les cuivres s'y mettent, trompettes (Olivier Laisney, Samuel Achache), clarinettes et saxophones (Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert), flûte (Anne-Emmanuelle Davy) et le cor qu'on entend bien pour une fois qu'il ne participe pas simplement au timbre...


D'un mouvement à l'autre, l'orchestre se déploie sur scène de tant de façons que l'on se demande pourquoi les scénographies sont habituellement si pauvres quand il s'agit de placer les musiciens. Ils jouent assis, ils jouent debout, ils se déplacent et tout fait sens. Une fugue arbitraire (clin d'œil à Papa Bach ?), un menuet, oui mais aussi une sortie aylerienne de sax alto, un chorus de trompette, des illusions d'optique sonore s'insèrent dans les mouvements "bis" où la musique ancienne retrouve une nouvelle jeunesse. L'art n'a pas d'âge. Les lumières de César Godefroy et les uniformes de Pauline Kieffer participent à cet étrange ballet de musiciens qui nous entraîne loin des conventions tant théâtrales que musicales. Comme souvent j'ai cherché des cousinages : Kagel (à la récré) évidemment, Berio (son Orfeo de Monteverdi enregistré à France Musique, jamais retrouvé), le Winterreise de Schubert par Hans Zender ou la version arrangée par René Lussier et Vincent Gagnon, les dérapages d'Uri Caine... Alors, si La Sourde (c'est le nom de cet orchestre incroyable) passe près de chez vous, ne le ratez pas !

→ Concerto contre piano et orchestre de Samuel Achache, Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert et Eve Risser avec l'Orchestre La Sourde

vendredi 22 mars 2024

À la découverte du patrimoine méconnu d'Île-de-France - Épisode 1


Répondre à des projets de commande me fait me sentir utile. Je suis reconnaissant à Sonia Cruchon de m'avoir recommandé pour la sonorisation des dix épisodes de la web-série À la découverte du patrimoine méconnu d'Île-de-France réalisés par la DRAC. Passé le petit jingle récurrent, ce sera chaque fois différent. Édifices insolites, objets mobiliers singuliers, monuments méconnus, mon design sonore accompagnera la narration portée par la voix off de Sonia (et de temps en temps Nicolas Le Du) et l'animation de Morgane Bouard.
Le premier épisode, mis en ligne hier, raconte la Maison Fournaise, ginguette-hôtel située sur l'île de Chatou dans les Yvelines. Fréquentée par les impressionnistes et nombreux artistes à la fin du 19e siècle, Auguste Renoir y a peint le célèbre Déjeuner des canotiers. Le petit film, qui ne dure que 3 minutes 38, me donne très envie d'y aller faire un tour. Au piano, composition inspirée par Gabriel Fauré, j'ai simplement ajouté le son des pages que l'on tourne et quelques ambiances : campagne des bords de Seine, locomotive à vapeur, hôtes du restaurant. J'attends avec curiosité les prochains épisodes.

Étonnant Patrimoine ! - #1 La Maison Fournaise

jeudi 21 mars 2024

Dialectique et rhétorique en azulejos


Homme du collectif, tant professionnellement que domestiquement, j'ai toujours été un fervent adepte de la dialectique. Le solo m'ennuie. De mon point de vue la composition instantanée à plusieurs, appelée souvent improvisation, se rapproche d'une discussion où tout le monde parle en même temps en tentant de s'écouter les uns les autres sans perdre de vue le résultat d'ensemble. Le deuxième quatuor de Charles Ives, écrit entre 1907 et 1913, en est aussi un bon exemple : les quatre musiciens discutent, argumentent (politiquement !), se chamaillent, se serrent la main, se taisent, enfin ils grimpent ensemble en haut de la montagne pour admirer le firmament ! La contradiction oblige à préciser ses idées, à les remettre en question. Ce doit être mon héritage talmudique ! La dialectique peut même casser des briques si j'en juge par le film de René Vienet de 1972 et s'exprimer en azulejos comme dans le jardin du Palais Fronteira à Lisbonne.


Ce n'est pas une raison pour éviter la rhétorique. Il faut bien convaincre, et aller au bout de sa démonstration peut être nécessaire. J'adore faire des conférences, par exemple sur la rapport du son et des images. Ayant admiré des Américains vivre leur passage en chaire comme un spectacle, j'avais adopté cette attitude passionnelle pour réveiller mon auditoire et faire passer les idées qui m'étaient chères. Écrire mes articles tient évidemment souvent de la rhétorique alors que jouer de la musique avec d'autres fait prendre des chemins sérendipitaires auxquels on ne pouvait s'attendre.


La rhétorique accepte la mauvaise foi. La dialectique exige que la raison prévale. Lorsque je travaillais quotidiennement avec Francis Gorgé et Bernard Vitet au sein d'Un Drame Musical Instantané (respectivement pendant 18 et 35 ans !) nous avions parfois des points de vue extrêmement différents, voire antagonistes. Cela pouvait même devenir très houleux, des portes claquèrent, mais nous tombions toujours d'accord à la fin de la journée. Nos egos importaient peu. Le projet nous guidait. Le "id" (ça en latin). Les trois sujets s'effaçaient devant l'objet. La meilleure idée emportait le morceau. C'est ce qui me plaît lorsque je travaille en équipe ou lorsque je mixe, pourtant seul, les séances d'enregistrement collectives. Je privilégie alors le meilleur de chacun/e d'entre nous. Cette complémentarité me plaît aussi lorsque je réalise des films. J'ai toujours considéré la musique et le cinéma comme des sports d'équipe, contrairement à l'écriture ou la peinture. Le même sentiment m'habite dans les ébats amoureux. Je fais l'analogie avec le couple parce que j'ai parlé de sport d'équipe alors que les matchs n'ont jamais été ma tasse de thé ! Lorsque je joue avec d'autres je suis autant préoccupé de mettre à l'aise mes partenaires que d'être juste dans mon propos. Cette considération se rapporte aux adverbes de la première phrase de ce petit article, car je compare toujours notre manière de nous comporter en société comme au sein du cercle familial.

N.B: Les trois photographies montrent des faïences peintes de la terrasse du Palais Fronteira, successivement Didactique, Rhétorique et Musique.

mercredi 20 mars 2024

Lionel Martin & Sangoma Everett s'adressent au monde


Letter To The World, rien que ça ! C'est qu'il y a de quoi. Lionel Martin & Sangoma Everett enfoncent le clou. Bien profond, avec l'urgence que leur confèrent les circonstances et la sagesse des anciens. Les références de leur nouveau disque sont nombreuses. Cela vient du choix du répertoire évidemment, même si le saxophoniste lyonnais et le batteur américain assument leurs racines bluesy avec la distance de leurs propres sentiments, favorisant de nouveaux rameaux. Leur Who Knows de Jimi Hendrix a en effet quelque chose du Band of Gypsys et Afro Blue de Mongo Santamaria a forcément un parfum coltranien. Il y a cinq ans ils enregistraient déjà Revisiting Afrique, mais sans les voix. Celle de Sangoma Everett, qui fut chanteur de soul avec The 35th Street Gang, ou celle de Sophia Companion sur un poème d'Emily Dickinson qui donne son titre à l'album. Si le passé est assumé, du poème à Polo qui est parti et force Sangoma à parler aux murs à Ni dieu ni maître, hommage de Lionel à Jean-Louis, son beau-père, l'espoir habite le futur avec No Guns ou À la recherche du temps futur qu'il a composés.


L'anarchie, une rage de vivre, souffle à nouveau depuis qu'il a rempilé avec Fanxoa, le chanteur des Béruriers Noirs, et qu'est déjà annoncé un second vinyle de No Suicide Act, un autre duo, punk rock cette fois, mixé par Disque Noir. Violence des paroles contre la violence du monde. Fanxoa n'y va pas de main morte. À La nuit noire répond Manifeste No Suicide. Sur les uns comme sur les autres, Lionel commande des machines, en nuages ou caillasses, contrepoint pluriel de son saxophone, lyrique et généreux.

→ Lionel Martin & Sangoma Everett, Letter To The World, LP Ouch!, 24€ (9€ numérique, 8€ handmade CD), sortie le 5 avril 2024
No Suicide Act, LP Ouch!, 18€ (7€ numérique)

mardi 19 mars 2024

Printemps précoce


Mes Corètes du Japon sont toujours les premières à sortir à l'approche du printemps, mais cette année elles sont particulièrement précoces et bien portantes. Celles-ci appartiennent à la variété à fleurs doubles Kerria japonica Pleniflora ressemblant à des pompons. À mon entrée dans les lieux il y a vingt-cinq ans, Didier m'en avait offert une bouture lorsqu'il habitait Saint-Denis. Les primevères et les cyclamens (les miens sont d'un vermillon profond, quasiment pourpre) ont également déjà fleuri tandis que les hellebores ou roses de Noël nous gratifient toujours de leur présence. On peut dire aussi que ça commence à bourgeonner, et les merles ont repris leur parade matinale. Ils s'y mettent avant cinq heures du matin, mais une demi-heure plus tard ils sont probablement repartis se coucher. Moi aussi, parfois.
Je dors trois heures et demie et j'ai beaucoup de mal à me rendormir. Je descends travailler une heure et je tente ensuite de retrouver le sommeil, mais cela marche de moins en moins bien. Quatre heures quinze me suffisent pour ne pas ressentir de fatigue dans la journée. Sinon je pique du nez en milieu d'après-midi avec une mini sieste à la clef. Il y a des années que je n'ai pas dormi huit heures. Récemment les rêves ont refait surface. C'est bon signe. Comme le printemps. Et toujours cette référence au roman de Christiane Rochefort, encore heureux qu'on va vers l'été.

lundi 18 mars 2024

CODEX sur Bad Alchemy #123


Article de Rigobert Dittmann traduit de l'allemand tant bien que mal par mes soins !
Après le violoniste Mathias Lévy dans Apéro Labo 1, la suite intitulée Codex (digital) accueillera le 18 février au studio GRRR MAËLLE DESBROSSES à l'alto, voix, appeaux & percussions, qui, elle-même membre des trios Suzanne et Ignatius et tête pensante de Maëlle et les Garçons, a joué et enregistré "Les Démons Familiers" de Lévy. On retrouve également FANNY METEIER au tuba et à la voix, la partenaire de Desbrosses dans le duo Météore ; elle avait déjà réalisé "Raves" avec JJB sur la base des 'Oblique Strategies'. JJB a rédigé son portrait pour Citizen Jazz dans le cadre de la Journée Internationale des Femmes et suggéré des tableaux de Paul Klee, Kandinsky ou des Delaunay comme partitions idéales pour son tuba. Mais ici, c'est le "Codex Seraphinianus" qui sert de base, l'encyclopédie de choses imaginaires de l'artiste, illustrateur et designer romain Luigi Serafini, publiée en 1981 et saluée comme "le livre le plus étrange du monde". Ce mélange détonnant du manuscrit de Voynich, de Bosch, de Borges et des Monty Python est un assemblage parfait pour alimenter et défier l'imagination. Ainsi, dans une spontanéité improthéâtrale, les trois musiciens se sont essayés à mettre en musique l'étonnant et l'incompréhensible d’après 7 illustrations choisies par le public - un véhicule-mouche qui se désagrège, un étrange jeu d'amour et de crocodiles, une écriture énigmatique, des poissons-robinet, des fleurs imaginaires, un numéro de cirque fantastique, des œufs surréalistes. Le fait que JJB ait pour cela élargi sa panoplie de jouets - clavier, Enner, Terra et Tenori-on - Le fait que l'artiste ait prêté une arbalète en laiton et plexiglas à Desbrosses, ajoutant flûte, criquet, triangle, chuchoteur, trompette à anche ne doit pas étonner. Même si l'image et le son restent droits dans leurs bottes, la recherche d'analogies sonores par des gestes, pincements, tintements, pinceaux et même en utilisant la bouche, donne à cette peinture électroacoustique de ce dimanche, à ce soundscaping miraculeux, un attrait ludique et une note extra curieuse. Le fait que JJB admire des femmes comme la compositrice Gloria Coates (1933-2023), mais surtout Hector Berlioz en tant que lien entre Rameau et Varèse, est plus qu'une simple note en bas de page. Il déclare même que ses poèmes symphoniques, ses symphonies à programme et surtout son mélologue "Lélio ou Le retour à la vie" (une mosaïque d'autocitations et un traité autofictionnel qui a révolutionné l'histoire de la musique) sont les précurseurs de sa 'musique à propos'. Et j'ai l'impression que la définition d'A.C. Danto de l'art comme 'rêves éveillés' et son 'aboutness' comme 'à-propos-de' sont sortis d'un des œufs de Serafini.

Le punk et le rock alternatif en bande dessinée


J'ai dévoré la nouvelle bande dessinée d'Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog, Vivre libre ou mourir. À grand renfort d'entretiens avec celles et ceux qui ont vécu ces années révolutionnaires, de 1981 à 1989, les auteurs réussissent à me faire comprendre un mouvement qui m'avait échappé alors. Mieux, ils me révèlent enfin pourquoi Un Drame Musical Instantané se retrouvait sur des disques de compilation avec des groupes qui nous semblaient très éloignés de nos préoccupations musicales, comme chez V.I.S.A. pour qui nous avions enregistré Utopie Standard. Le lien était éminemment politique. À cette époque nous avions délaissé le rock pour le free jazz, la musique classique, la plus contemporaine surtout, le théâtre musical, les ciné-concerts, et une indépendance qui nous évitait toute étiquette. Le Gouëfflec et Moog l'ont remarquablement compris et traité dans leur précédent ouvrage à succès, Underground.
Avoir discuté avec Lionel Martin (Mad Saxx), avec qui j'ai enregistré le vinyle Fictions, m'avait éclairé sur le mouvement punk. Ayant participé à l'aventure de Bérurier Noir, il a même récemment sorti No Suicide Act, un disque en duo avec leur chanteur, François Guillemot dit Fanxoa. Les autres protagonistes des Bérus, Loran, Masto et Laul (ex-Lucrate Milk), Marsu, Florence Duquesne/La Grande Titi, Karine/Mistiti sont aussi présents dans la BD, tout comme Jean-Yves Prieur (Kid Bravo, Kid Loco), Spi (OTH), Rémi Pépin (Guernica), Olivier Tena (Les $heriff), Antoine Chao (Los Carayos, Mano Negra), Didier Wampas, David Dufresne, Catherine Lemaire alias KK (Pervers Polymorphes Inorganisés), Géraldine Doulut (Kochise), etc. On y croise évidemment les disparus, François Hadji-Lazaro (Les Garçons bouchers, Pigalle) et Helno (Négresses vertes).
Les dessins de Moog suivent merveilleusement la narration décousue et recousue de Le Gouëfflec si bien que tout se tient, une histoire palpitante, un rêve de jeunesse, de changer le monde, rageusement, renvoyant sans cesse à l'actualité politique d'alors, tout en assumant le fantasme sex, drugs & rock 'n roll. Ils arrivent à rendre vivant un mouvement qui s'est éteint, mais pourrait toujours renaître sous une forme nouvelle, racontant ce que ces musiciens en herbes folles sont devenus, avec en prime une discographie illustrée de 48 albums... Ce roman graphique, comme on appelle aujourd'hui les bandes dessinées pour "adultes", dresse remarquablement le portrait d'une époque où la jeunesse portait encore de belles utopies, une "jeunesse qui emmerde le Front National", une jeunesse qui prendra toujours le risque de vivre libre ou mourir. C'est à la fois encourageant et cela fait forcément peur. On ne vit qu'une fois, mais rien n'est figé dans le marbre.

→ Arnaud Le Gouëfflec & Nicolas Moog, Vivre libre ou mourir, 176 pages, Éditions Glénat/ Collection 1000 Feuilles , 22,50€

vendredi 15 mars 2024

The Host de Bong Joon-ho


N'étant pas un fan de films d'épouvante, il aura fallu l'humour et la dimension politique pour que The Host m'emballe à sa sortie en 2006. D'une part je suis une petite nature qui ferme les yeux lorsqu'une seringue est montrée à l'écran, d'autre part le film du Coréen Bong Joon-ho ne fait pas vraiment peur. Quant aux films d'épouvante, ils véhiculent souvent une métaphore politique comme chez John Carpenter, et je me souviens des séances de minuit au Napoléon, emmené par mon père, où les spectateurs se rassuraient en fichant un sacré foutoir par leurs quolibets incessants, histoire de camoufler la peur sous une franche et bruyante rigolade. Pour vous flanquer des frissons, il vaut mieux un bon Hitchcock, avec le suspense entretenu lorsqu'on sait avant les protagonistes qui est l'assassin. Si Bong Joon-ho montre très tôt le monstre, il réussit tout de même à vous coller la frousse tant la bête est hideuse. En choisissant une famille de losers très pauvre pour lutter contre elle, il introduit forcément un humour ravageur.


La charge anti-américaine est évidemment déterminante dans ce chef d'œuvre qui n'a rien du genre : de l'agent orange, pesticide utilisé pendant les guerres du Vietnam et Corée, à l'Incident McFarland où un officier américain ordonna de jeter des déchets toxiques dans une rivière parce que les bouteilles s’entassaient, couvertes de poussières, en passant par les prétendues armes de destruction massives irakiennes suggérées par l'absence de virus, sans oublier la critique de l'État coréen qu'incarne probablement le monstre. Même si j'aime beaucoup Snowpiercer (Le Transperceneige), c'est mon film préféré de l'auteur de Memories of Murder, Mother, Okja et Parasite. J'ai fini par craquer pour l'édition limitée avec le storyboard complet traduit en français et anglais de 334 pages, tout cela dans un superbe coffret illustré par Madison Coby. Parmi les innombrables bonus figure la masterclass de Bong Joon Ho au Grand Rex en février 2023...

→ Bong Joon-ho, The Host, Édition Collector 4K et Blu-Ray + Bonus Blu-ray The Jokers, 69,99€

jeudi 14 mars 2024

Lélio, seconde partie de la Symphonie Fantastique


Je suis absolument enchanté d'écouter enfin une autre version de Lélio ou "le retour à la vie" que celle de Pierre Boulez avec Jean-Louis Barrault comme récitant. Il est tout à fait étonnant que cette seconde partie qui fait suite à la Symphonie Fantastique soit relativement méconnue. Hector Berlioz écrit que l’œuvre « doit être entendue immédiatement après la Symphonie Fantastique, dont elle est la fin et le complément. » Ce mélologue ou "monodrame lyrique pour récitant, solistes, chœurs et orchestre" a toujours figuré pour moi les prémisses du théâtre musical moderne. Il anticipe aussi la mode de l'autofiction : la musique sauve le compositeur du suicide après une nouvelle rupture amoureuse ; après l'actrice irlandaise Harriet Smithson qui lui inspire la symphonie et qu'il épousera plus tard, il se fait plaquer par Marie-Félicité-Denise Moke qui se mariera à Camille Pleyel. L'excès d'opium crée ainsi des visions terrifiantes, mais le réveil lui dicte une méditation sur Shakespeare. Le narrateur y incarne Berlioz lui-même, auteur d'un texte rageur réglant ses comptes avec la critique. Il revient sur son œuvre, se citant musicalement, scénographiant l'orchestre hors-champ avant que ne s'ouvre le rideau, allant jusqu'à donner d'astucieux conseils aux exécutants ! S'il emprunte le chœur d'hommes à la cantate La mort de Cléopâtre, la "harpe éolienne" à La mort d'Orphée, on retrouvait déjà dans la Symphonie Fantastique la cantate Herminie, la Scène aux champs et la Marche au supplice présents dans l'opéra inachevé Les francs-juges. Comme une sorte de jubilé moderne il rassemble une mélodie accompagnée au piano, des chœurs, un "chant de bonheur" pour ténor et harpe, une fantaisie avec chœurs et deux pianos à quatre mains ! Son concept de l'idée fixe fonctionne parfaitement avec sa colère. La mise en scène donne son unité à cette mosaïque de pièces musicales. On peut comprendre que Lélio soit rarement représenté comme il le devrait. Ici, peut-être plus qu'ailleurs, l'œuvre apparaît celle d'un visionnaire.
J'ai un grand attachement à Berlioz pour plusieurs raisons. J'entends les poèmes symphoniques ou ses symphonies à programme comme des antécédents à ma "musique à propos". Flûtiste et guitariste, c'est un compositeur quasi autodidacte qui devra produire lui-même ses spectacles, et réinventer l'orchestre en intégrant l'instrumentation et l'orchestration dans la composition (son Traité est un modèle qui révolutionna l'histoire de la musique). Il incarne pour moi le maillon entre Rameau et Varèse.
La version dirigée par Jean Martinon est plus fine que celle de Boulez. Jean Topart en fait moins que Barrault, il est moins exalté, mais j'aime bien les deux, Barrault correspondant bien aux exagérations romantiques de Berlioz.

mercredi 13 mars 2024

Chats perchés


Chacun cherche son chat. Django a choisi le lit du second étage, Oulala le fauteuil du rez-de chaussée. Comme Milkidou occupe (plus ou moins légalement) la cave, il ne reste que le premier étage de libre pour la jeune Lola, deux ans. Les deux "miens" en ont six de plus. C'était le 8 mars l'anniversaire d'Oulala, ça se fête, et je crois me souvenir que Django est du 26 juillet de la même année. Je suis très fier de leur stoïcisme à l'arrivée de la petite chatte qui n'avait encore jamais rencontré d'autres félins, vivant jusque là en appartement. Elle crache un peu, gronde parfois, mais pour l'instant tout le monde se regarde en chats de faïence. Lola en profite pour jouer Madame Récamiaou sur le clavier de mon ARP 2600 sous l'œil effaré de Léon Larive. La vie est à nous ! Il y a forcément un temps d'adaptation. On se fait sursauter au détour d'un chambranle. Et puis il y a le jardin qui révèle ses parfums de printemps précoce, ses bruissements sous la brise, son labyrinthe de branches. La veille des présentations j'avais préparé Django et Oulala en disposant une troisième assiette de croquettes. Il fallait voir leur air ahuri. Je leur ai donc annoncé l'arrivée d'une petite sœur à grand renfort de caresses et de gourmandises. Lola est maline, elle a illico squatté la couette de la chambre, dessus, dessous, cache-cache et câlins. Je vais de l'une à l'autre comme une boule de billard, rebondissant sur les bandes. Heureusement leurs siestes me laissent le temps de faire autre chose de mes journées.

mardi 12 mars 2024

Les ballets quantiques d'Antoine Schmitt


Depuis cet article du 14 mai 2012, et bien avant cela depuis notre collaboration sur Au cirque avec Seurat, Carton, Machiavel, Nabaz'mob, etc., Antoine Schmitt a fait du chemin. À cette heure il est d'ailleurs en vol pour Melbourne. Et son site en atteste. Ses échelles relatives du pixel à l'univers, ses réflexions sociétales, habitent ses créations informatiques. Ce démiurge de l'algorithme a repoussé les limites du petit écran. Il s'expose dorénavant régulièrement...


Est-ce son passé de night-clubber qui entraîne Antoine Schmitt dans la danse ? Son nouveau cantique des quantiques renvoie-t-il à son Christ mourant sans cesse et profane en diable ? Le danseur projeté [...], tronc composé de seulement huit segments, subit un autre martyre de ne pouvoir s'arrêter qu'à l'extinction des feux, rappelant Le Masque de Maupassant filmé par Ophüls et Les chaussons rouges d'Andersen par Michael Powell. Condamné à vivre éternellement sous la loi du code informatique, il danse, il danse selon et contre toute logique. [...] Les créatures comportementales qui sont chair (virtuelle) à Antoine Schmitt se multiplient sur les écrans et se rassemblent comme le Christ articulé de Salvador Dali au Musée de Figueras.


Le même algorithme quantique anime les quatre écrans des Ballets quantiques où les danseurs sont réduits au plus simple appareil, le pixel, avec Le pixel blanc originel de toute l'œuvre de l'artiste projeté en grand à côté d'une photo noir et blanc d'un instantané figé de la chorégraphie. À regarder dans le silence ces mouvements infinis réglés par l'indétermination, on se prend à y deviner des portés lorsque les points s'empilent ou des chassés lorsque leur nombre explose. Antoine Schmitt suggère "des forces invisibles à l’œuvre derrière les systèmes complexes, comme les particules, les peuples, les sociétés". Ses travaux jouent du va-et-vient entre le réel et le virtuel, le concept et sa réalisation imaginaire, l'inconscient de l'individu et les mouvements de masse... Le mystère de la création doit composer avec la trivialité de la moindre interprétation.

lundi 11 mars 2024

Coupez !


Voilà des lustres que je suis à couteaux tirés avec les lames de la cuisine. Lorsque Sacha m'a parlé de son aiguiseur de couteaux professionnel je me suis dit que je n'y couperais pas. Le fusil en métal d'Ikéa a fini par ressembler au crâne de Yul Brynner et je me débrouille comme un manche avec la pierre en oxyde d'aluminium achetée à ChinaTown. Sans vouloir remuer le couteau dans la plaie leur usage demande un réel apprentissage car il s'agit de repousser l'acier. La pierre, indispensable pour les lames japonaises trop dures pour le fusil, s'humidifie grandement et ne doit jamais être lavée.
Dépendre du rémouleur qui passe et repasse dans la rue tous les deux ou trois ans ne me convient pas non plus, d'autant que si je compte le nombre d'émoussés cela coûterait drôlement cher.
Mon camarade fin cuisinier, comme on dit fine lame, m'assure donc qu'avec l'affûteur universel l'affaire est tranchée et que l'objet n'est pas prêt de s'user. Pas non plus de machin électrique inutile. L'expérience se réalise sous le robinet pour que les meules en céramique ne s'échauffent pas, mais il suffirait de mettre de l'eau dans l'affûteur. Je suis donc allé acheter ce merveilleux outil japonais chez Mora, rue Montmartre, et je suis rentré à la maison pour retrouver le fil du rasoir. C'est tout simplement épatant, car faire la cuisine avec des couteaux mal aiguisés est un jeu de massacre qui ne coupera que l'appétit. Lorsque les lames auront retrouvé leur tranchant on évitera évidemment d'y mettre les doigts. Je retrouve le plaisir de l'émincé. C'est bon pour aujourd'hui, coupez !

Article du 10 mai 2012

samedi 9 mars 2024

Apéro Labo : Météore rencontre Birgé (Citizen Jazz)


Jean-Jacques Birgé, Fanny Meteier et Maëlle Desbrosses

Laboratoire musical le plus cool du monde.

Ne prévoyez pas d’aller chez le coiffeur avant un concert d’Apéro Labo chez Jean-Jacques Birgé. Vous risquez d’en sortir ébouriffé. Et oui, parfois la musique passe avant l’allure et les standards trépassent devant tant d’inventivité.

L’invitation ludique et poétique, un brin loufoque indiquait :
« La liberté de l’indépendance pour le plaisir des sens
Concert dans un lieu mythique
Excellentes conditions acoustiques
Délicieuses provisions de bouche
Nos compositions instantanées sont enregistrées en votre présence
Qualité disque »


Tout un programme. Cela n’est pas peu de l’écrire…
Cet évènement qui s’est déroulé par un dimanche endormi de pluie du 18 février dernier, était bien plus qu’un simple programme. Jean-Jacques Birgé recevait en polymathe flegmatique, vêtu d’une combinaison orange tonique, comme tout droit sorti d’une prison où il serait interdit… de ne rien toucher !
Cet homme de l’art, des arts et des sons pleins de surprises, invitait Maëlle Desbrosses à l’alto et Fanny Meteier au tuba. Ce binôme espiègle de musiciennes forme le duo Météore, qui se produira par ailleurs le 2 mai 2024 prochain à l’Atelier du Plateau à Paris.

Le maître mot du maître de maison : « C’est moins que se rencontrer pour jouer que jouer pour se rencontrer ».

Cet Apéro Labo # 2, performance unique et singulière, atypique et follement expérimentale s’est déroulée autour de pages tirées, par quelques mains sollicitées au hasard, du Codex Seraphinianus, un codex écrit vers la fin des années 1970 par Luigi Serafini, auteur de cet ouvrage rédigé en une écriture non déchiffrée et indéchiffrable et illustrée de planches toutes plus fascinantes les unes que les autres.


Les improvisations de ce trio d’un jour se sont ouvertes sur la page des fourmis ailées, puis, une sur planche présentant un étrange jeu d’amour et de crocodile, en passant par des fleurs imaginaires, des œufs surréalistes, des robinets à poissons…

Comment décrire ces images en musique ?
« Ma recherche musicale et ma musique tendent un peu à faire du cinéma pour les aveugles » souffle Jean-Jacques Birgé. On a le plaisir d’assister à une inénarrable envolée de rythmes, de sons et autres onomatopées où toutes sortes d’instruments et d’objets sonores se sont prêtés à une polyphonie, atonale et atemporelle : terra, crécelle, triangle, pomme musicale, hygiaphone, trompette à anche, jusqu’au violon arbalète, instrument hybride et unique… La console de son et les claviers apportent leur rythmes, leur résonances et leur couleurs sous l’oreille avisée et hautement imprévisible de Jean-Jacques Birgé.

L’alto de Maëlle Desbrosses au jeu riche et varié, se laisse même caresser le dos par son archet et chatouiller ses angles. L’embouchure de Fanny Meteier va titiller le pavillon du tuba qui glougloute, soupire, répond, s’afflige, et se laisse explorer de mille façons par la fantaisie de son interprète.

On reste médusé devant leur infatigable curiosité pour les sons et leur exploration. En deux mots, il n’en restera qu’un : encore !

par Vanessa Paparella // Publié le 8 mars 2024

P.-S. : Codex, l'enregistrement du concert sur Bandcamp

vendredi 8 mars 2024

Fanny Meteier, la Marianne 2024 du jazz


J'attendais que Citizen Jazz mette en ligne mon article KUNG FU TUBA sur Fanny Meteier que le magazine en ligne m'a commandé, portrait de la jeune tubiste choisie pour représenter la France lors de cet International Women's Day. Comme il serait indélicat de leur couper l'herbe sous le pied en le reproduisant ici avant eux et que nous sommes le 8 mars, je vous renvoie aux sept autres sites européens qui l'ont traduit. Oui, je sais bien qu'un jour sur 366 pour fêter les femmes (cette année est bissextile), c'est un peu has been (là, pas très bissex). Mon texte est donc aussi en français sur JazzMania (Belgique) et traduit dans six autres langues sur Jazz'halo (Belgique), London Jazz News (Grande-Bretagne), Jazz-Fun (Allemagne), Giornale della musica (Italie), In&Out Jazz (Espagne) et Donos Kulturalny (Pologne). Même chose pour les belles photographies d'Aurore Fouchez ou France Paquay qui l'illustrent... Ainsi ai-je opté pour une autre photo que j'aime beaucoup. JJGFREE l'a prise lors du concert que nous avons partagé avec Fanny, Maëlle Desbrosses et moi-m'aime le 18 février dernier au Studio GRRR. L'album, inspiré par l'ouvrage de Luigi Serafini, s'intitule Codex.
Mais Fanny Meteier n'est pas toute seule ce 8 mars. Dans le cadre de ces Giant Steps : Women to the Fore IWD#2024 elle partage l'affiche avec sept autres musiciennes, chacune sélectionnée par son propre pays : les saxophonistes Alejandra Borzyk, Matylda Gerber, Asha Parkinson, la batteuse Evita Polidoro, la chanteuse Miriam Ast et la contrebassiste Alejandra López.


Lorsque vous pourrez lire mon texte, comme les sept autres, sur Citizen Jazz, il sera probablement accompagné d'un petit article rédigé par Vanessa Paparella, dans le même numéro, concernant le concert qui a donné naissance à l'album Codex ! Mais j'ignore si KUNG FU TUBA sera mis en ligne aujourd'hui, jour commémoratif de la portion congrue accordée à la gente féminine ou lundi, jour de parution de chaque nouveau numéro de l'excellent et incontournable magazine. J'ajoute que le nombre de musiciennes jouant d'absolument tous les instruments possibles et imaginables ne fait qu'augmenter de jour en jour, qu'elles y développent des voix personnelles, que la création artistique s'en porte d'autant mieux et que Citizen Jazz n'a pas attendu ce jour pour les glorifier.

P.S.: À 14h pétantes, Citizen Jazz mettait en ligne le dossier Fanny Meteier ! À commencer, par mon article intitulé KUNG FU TUBA. Mais également le compte-rendu de notre Apéro Labo, concert avec l'album Codex à la clef, et mes parties de campagne avec le CD Pique-nique au labo 3...

jeudi 7 mars 2024

Bernard Vitet trompette dans Jazz magazine


Une photo de Bernard imberbe que je ne connaissais pas illustre l'article de Stéphane Ollivier dans le numéro spécial TROMPETTE de mars 2024 de Jazz Magazine. Il fait partie du chapitre "Hard-bop, avant-garde, évolution & révolution".

Bernard Vitet
1934-2013
Styliste élégant aux phrases magnifiquement équilibrées mais surtout grand aventurier de la musique sous toutes ses formes, Bernard Vitet, en quête toujours de nouveaux espaces et moyens d’expression, aura été de toutes les métamorphoses du jazz français. Abandonnant peu à peu le bebop des clubs pour le free jazz naissant et les séances de requin de studio (Bardot, Gainsbourg) au profit d’artistes plus marginaux (Brigitte Fontaine, Colette Magny), Vitet participera successivement et simultanément aux hybridations du jazz avec la musique contemporaine (avec Parmegiani, Aperghis et pour son propre compte dans son disque culte “La Guêpe”), la musique improvisée la plus radicale (au sein notamment du Unit de Michel Portal), jusqu’à prendre définitivement la tangente en 1976 en créant avec Jean-Jacques Birgé et Francis Gorgé, Un Drame Musical Instantané. Au sein de ce petit laboratoire ludique ce grand inventeur de forme (et d’instruments !) trouva finalement l’espace idéal où donner libre cours à ses plus géniales fantaisies.

3 DISQUES ESSENTIELS
François Tusques Free Jazz IN SITU, 1965
Bernard Vitet : La Guêpe FUTURA, 1971
Un Drame Musical Instantané : Machiavel GRRR, 1998
3 SOLOS CULTES
Trop d’adrénaline nuit Un Drame Musical Instantané : Trop d’adrénaline nuit GRRR, 1977
No No But It May Be Michel Portal Unit : Châteauvallon 1972 EMARCY 2003
Le silence éternel des espaces infinis m’effraie Un Drame Musical Instantané : Mehr Licht GRRR, on line 2012 / Tchak ! à paraître sur Klanggalerie