Articles des 18 juin 2006, 22 septembre 2008, 22 novembre 2011, 13 décembre 2013

Sur le site du photographe Michel Séméniako, je redécouvre ses images nocturnes en couleurs qui me font toujours rêver (ici Surabaya, Indonésie, 1999). Michel y est un fantôme invisible, le temps de pause effaçant sa trace de peintre.
En 1997, j'avais réalisé la partie multimédia du CD-Extra Carton (Birgé-Vitet, GRRR 2021, dossier complet en lien caché ici dévoilé) avec les photographies de Michel, prises de vues nocturnes noir et blanc ou images négociées avec les pensionnaires d'un asile psychiatrique. Nous avions créé de cette façon la pochette de l'album, sorte de photomaton où le modèle fait lui-même sa lumière avec des fibres optiques et choisit le moment où il appuie sur le déclencheur. Trois entretiens réalisés dans la boîte noire figurent également sur le CD-Rom, monologues de Michel, Bernard et moi-même. Et puis, il y a surtout les dix petits théâtres interactifs correspondant aux chansons du disque, une tentative commercialement infructueuse pour rénover la variété française, mais le CD-Rom avait rencontré un gros succès. C'était mon premier CD-Rom d'auteur, Étienne Mineur en était le directeur artistique et Antoine Schmitt le directeur technique, Hyptique le maître d'œuvre. On peut l'acquérir facilement sur le site des Allumés par exemple (compatible Mac OS9 et PC) ou Bandcamp (P.S. : je crains que la partie interactive ne fonctionne plus que sur de vieux systèmes).
Je connais Michel depuis 1975 pour avoir composé la musique de tous ses audiovisuels (diapos) produits alors par la boîte du Parti Communiste, Unicité, avant qu'il ne les quitte et reparte vers la photographie et des choix politiques plus en accord avec sa sensibilité. Dans le Documents de Jean-Luc Godard que je feuilletais hier soir, je le revois encore plus jeune dans le rôle du révisionniste de La chinoise ! Sa compagne, Marie-Jésus Diaz, est aussi photographe, mais être une femme dans le monde hyper macho de la photo n'est pas facile. Marie-Jésus tire souvent ses photos noir et blanc sur des supports inhabituels. J'adorais travailler avec l'un comme l'autre, avec eux deux ensemble aussi. Dans Carton, les paroles de L'ectoplasme sont un hommage à Michel :

Invisible à l'œil nu un photographe approche
Il peint la nuit au flash et à la lampe de poche
Il marche il frôle et cherche en vain son ombre
En exhumant les temples qu'aucun fidèle n'encombre

Cherchez-le dans le noir cherchez-le dans le blanc
Cherchez-le dans le rouge ou dans les faux semblants

Il évoque notre histoire en jouant aux quatre coins
Du globe qui tient de lui son oculaire au point
Marche à côté de ses pompes malgré l'obscurité
Arpente les abcisses gauchit les ordonnées

Cherchez-le dans le noir cherchez-le dans le blanc
Cherchez-le dans le rouge ou dans les faux semblants

Parfois son bras indiscipliné se déchaîne
Les gladiateurs au cirque aussi taguaient l'arène
Partout présent dans ses images au temps pausé
Il tente cependant de se faire oublier

Cherchez-le dans le noir cherchez-le dans le blanc
Cherchez-le dans le rouge ou dans les faux semblants
Si vous le découvrez vous serez impressionnés
Dans ces autoportraits c'est vous que vous verrez


L'ectoplasme chanté par Bernard Vitet

MICHEL SÉMÉNIAKO EXPOSE SES PAYSAGES HUMAINS


Qu'ont donc d'humain les paysages de Michel Séméniako si ce n'est la présence invisible du peintre hantant chaque photographie tandis qu'il promène son pinceau lumineux sur les terrains vagues et les constructions improbables ? Lorsqu'il enclenche son appareil, le temps s'arrête. La pellicule, vivement impressionnée, se fige dans une pause de modèle endormi. Il peut dès lors entrer dans le cadre sans se faire voir et taguer les monuments d'une civilisation qui s'éteint à l'aube du nouveau siècle. Il n'y a que des gars comme lui pour en faire celui des Lumière, coude à coude avec sa compagne, la photographe Marie-Jésus Diaz, qui prend le temps de se battre pour les sans-papiers, entre deux tirages qu'ils réalisent eux-mêmes en numérique. Ce sont des œuvres somptueuses aux couleurs invisibles comme on dirait inouïes, contrastes qui font sens, autant d'énigmes...
La Galerie Le Feuvre, sise 164 rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris, expose les human landscapes de Michel Séméniako. L'accrochage est généreux, les noir et blanc sont en sous-sol, les couleurs explosent dans les trois salles du rez-de-chaussée. Les tirages sont à couper le souffle. Il y en a même quelques uns de très grands, comme celui reproduit ici. J'en ai rêvé la nuit.

SÉMÉNIAKOSCOPIE


En 1997 Valéry Faidherbe participait au CD-Rom Carton que je réalisai à partir du fonds photographique de Michel Séméniako. Faidherbe nous filma, Bernard Vitet, Michel Séméniako et moi-même, dans l'espèce de photomaton inventé par le photographe où chacun pouvait faire sa propre lumière avec un faisceau de fibres optiques. Quatorze ans plus tard il imagine à son tour une machine à faire du Séméniako ! Il lui propose de restituer ainsi son geste de peintre de lumière, mais dans le mouvement. En septembre 2011, il tourne son film, Séméniakoscopie (8 minutes), dans le cadre de la résidence du photographe à Marcoussis.
"En superposant le temps de la réalisation des poses nocturnes, le film donne à voir la construction de l’image qui est l’addition sur une seule photographie de tous les coups de pinceaux lumineux colorés donnés par Michel Séméniako avec sa torche dans l’espace photographié. Il restitue ainsi la magie de cette révélation lumineuse du paysage. La bande-son documentaire restitue la concentration de cette merveilleuse fiction où la lumière réécrit l'histoire ou la géographie. Le vidéaste en profite aussi pour faire quelques expériences de mélange du temps et de l'espace, un grand désordre qui contraste terriblement avec le calme des prises de vues" (2 minutes).
Sur le point de terminer le montage de ce luxueux making of, Faidherbe, à qui j'avais présenté le photographe, effectue une quadrature de ce cercle d'amis en ajoutant quelques accords musicaux et un bout de refrain de la chanson que nous avions composée, nous-mêmes tentés d'exprimer l'étonnante technique du photographe, paradoxalement invisible dans le cadre qu'il habite et construit.

LUCIOLES, LETTRES D'AMOUR DES MOUCHES À FEU


En 2007 Michel Séméniako publiait Lucioles, lettres d’amour des mouches à feu, un travail magique sur ces coléoptères mystérieux dont la parade sexuelle est lumineuse. Si vous voulez tout savoir sur ces bestioles cruelles allez voir le site de Signatures où Séméniako compile quelques textes scientifiques et poétiques. Pour mon anniversaire de l'an passé le photographe de la nuit avait fait encadrer un magnifique tirage qui me parvient seulement aujourd'hui. Je le pose devant la télévision qu'il recouvre totalement, revanche contre ce qui les fit disparaître, comme l'évoquait Pier Paolo Pasolini. L'été dernier j'eus le bonheur de voir deux lucioles au fond du jardin de La Ciotat. Je ne me souviens pas en avoir admirées dans le passé. Peut-être ai-je oublié. J'associais les lucioles au dodo et à la licorne. Sur la photo les étoiles qui leur font miroir perforent le ciel du Piémont. Fasciné, je me colle devant ma nouvelle télé et je ferme les yeux pour m'imprégner de ces deux nuées qui interrogent tant notre humanité que son insignifiance.