70 décembre 2020 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 31 décembre 2020

Swap Thérapie


Pour finir l'année par une note d'humour, ce dont nous avons grandement besoin, Nicolas Le Du met en ligne son dernier court métrage, Swap Thérapie, qu'il a tourné avec Sonia Cruchon. La musique du générique provient d'un enregistrement que j'ai réalisé avec Amandine Casadamont. Je joue la petite mélodie minimaliste du début sur mon Tenori-on et Amandine me rejoint aux platines pour le chaos final maximaliste !


Si leur comédie romantico-loufoque, entièrement réalisée sur leur péniche pendant le premier confinement, vous a plu, vous pouvez enchaîner avec C'est l'intention qui compte qui est du même acabit, sequel filmé quelques mois plus tôt...


Parmi les films de Nicolas Le Du je vous recommande L'homme qui vivait dans une terrine qu'il a réalisé sur son père. Là j'ai composé de la musique japonisante pour coller au sujet de ce moyen métrage très tendre où l'humour tient encore iune place prépondérante. Au début du film on entend mon camarade Sacha Gattino au clavier et la chanteuse danoise Birgitte Lyregaard dans Year of the Rabbit, extrait de notre premier album Sound Castle. On retrouve Birgitte pour le générique de fin dans une seconde improvisation qui convient très bien au film.


J'ai toujours privilégié travailler avec des amis ou avec des personnes qui le deviendront. J'ai rencontré Sonia en 2001 et nous n'avons jamais cessé de collaborer depuis, sur des CD-Roms, des sites Internet, des applications pour tablettes, des films, etc. La retrouver avec Nicolas sur leur péniche amarrée en bord de Marne, c'est chaque fois partir en vacances, prendre un grand bol d'air pur et de verdure, même lorsqu'on travaille d'arrache-pied. C'est également il y a vingt ans que j'ai découvert le travail de designer sonore de Sacha. Devant son excellence, j'ai préféré m'associer avec lui plutôt qu'en faire un concurrent ! Nous sommes immédiatement devenus amis comme lorsque Birgitte est entrée dans le studio en décembre 2010. Tous les trois, nous avons fondé le trio El Strøm dont un CD intitulé Long Time No Sea est sorti en 2017. Voilà. C'est merveilleux de terminer cette année entre amis.
C'est ce que je vais d'ailleurs faire ce soir, cette fois IRL (in real life, en présentiel, comme ils disent maintenant), avec d'autres proches. Pour n'inquiéter personne, je suis allé jusqu'à me faire enfiler un coton-tige dans le nez hier matin. Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour celles et ceux qu'on aime ! Alors j'envoie des baisers à tous mes amis et amies en espérant qu'ils seront délicieusement contagieux.
À l'année prochaine !

mercredi 30 décembre 2020

Du praxinoscope au cellulo


Article du 25 novembre 2007

Du praxinoscope au cellulo retrace un demi-siècle de cinéma d'animation en France de 1892 à 1948. L'ouvrage de 350 pages publié par le Centre National du Cinéma est accompagné d'un dvd où se succèdent 14 films clefs, véritables pépites, parfois extrêmement rares. J'aime beaucoup ce genre d'objets hybrides qui apportent un complément à un bouquin ou qui donne au "disque" une valeur ajoutée par un "livret" incontournable ! Dans ce cas-ci, les deux se complètent admirablement. Jetons donc un coup d'œil au dvd glissé dans un pochette en plastique collée en avant-dernière page...
Pauvre Pierrot étant une pantomime lumineuse de trois ans antérieures à l'invention du cinématographe, l'attraction d'Émile Reynaud présentée au Musée Grévin a été reportée sur pellicule ; il mourra dans la misère, après avoir précipité dans la Seine sa dizaine de "films".
Dans Fantasmagorie les mains d'Émile Cohl apparaissent à l'écran ; ce premier dessin animé de l'histoire date du 17 août 1908.
Segundo de Chomón rappelle Méliès et, la même année, son Sculpteur moderne annonce l'animation en volume.
Le Ballet mécanique de Fernand Léger est le fruit de sa collaboration avec le compositeur George Antheil et Dudley Murphy que lui avait présentés Ezra Pound ! Réalisé le plus souvent à partir de vues réelles, ce montage kaléidoscopique de 1924 est un des grands classiques du cinéma expérimental.
L'idée, chef d'œuvre provoquant de 1932 tenant de Sade et de Walter Ruttmann, sur une musique d'Arthur Honegger avec ondes Martenot, est une merveille en papiers découpés et surimpressions de Berthold Bartosch à partir des gravures de Frans Masereel. Bartosch avait collaboré avec Lotte Reiniger, entre autres sur Les aventures du Prince Ahmed. 1934. L'Histoire sans paroles de Bogdan Zoubowitch est une leçon de géopolitique asiatique à base de poupées tandis que La joie de vivre d'Anthony Gross et Hector Hoppin est un ballet euphorique, autre versant de cette époque menaçante et utopique.
Les Trois thèmes d'Alexandre Alexeïeff et Claire Parker figurent dans la sublime intégrale des inventeurs de l'écran d'épingles parue chez Cinédoc, comme le Barbe-Bleue du marionnettiste René Bertrand souvent attribué à Jean Painlevé (1938) publié par Les Documents Cinématographiques (Jean Painlevé, Compilation n°2) et Le petit soldat de Paul Grimault (1948) qui figurait dans La table tournante avec Jacques Demy en complément du Roi et l'oiseau (Studio Canal).
En 1936, La fortune enchantée du peintre Pierre Charbonnier mêle prises de vue réelles et dessins animés et les bruitages ponctuent musique et chansons. Il assurera nombreux décors de Robert Bresson depuis son premier film (Affaires publiques, deux ans plus tôt) jusqu'à Lancelot du Lac.
Dans Callisto, la petite nymphe de Diane, on retrouve Honegger, ici avec Roland Manuel qui a composé le sprechgesang de l'accompagnement. En 1943, André-Édouard Marty revisite la mythologie grecque dans un style proche de l'art déco.
Pour nous achever avec ce beau cadeau à 29 euros, on ne s'attendait pas à découvrir Anatole fait du camping d'Albert Dubout...
L'ouvrage papier accorde une page à chacun des 105 films de la programmation diffusée à la Cinémathèque Française le mois dernier [2007], ainsi qu'un passionnant abécédaire des plus grands animateurs des débuts de l'animation.

mardi 29 décembre 2020

Submersion


Article du 23 novembre 2007

Depuis que j'écris des chroniques de cd et de dvd dans les journaux ou sur le Net, je me rends mieux compte des difficultés que rencontrent les journalistes qui veulent réaliser correctement leur travail. À commencer déjà par faire le tri.
De nombreux musiciens m'envoient leur disque en pensant que je suis susceptible de les produire, mais ils ne se sont pas donner la peine de se renseigner sur notre label. Je me retrouve souvent avec des albums de variétés, de jazz-rock ou n'importe quoi qui ne me dit rien du tout. Ce sont d'une part des exemplaires qu'ils fichent en l'air, et d'autre part, ils perdent tout crédit en semblant ne pas se soucier de la personne qu'ils sollicitent. Mieux vaut envoyer peu d'exemplaires, mais cibler. Il m'est souvent répondu que le label GRRR est qualifié de "musique nouvelle" dans L'Officiel de la Musique. Cet étiquetage ouvre évidemment la porte à toutes les interprétations.
Le "critique" peut toujours zapper un disque ; c'est plus difficile avec un film. C'est le problème des œuvres d'art qui se jouent dans la durée. Il faut donner du temps au livre tandis qu'un tableau peut s'embrasser d'un coup d'œil. Il est physiquement impossible de tout écouter. Un disque dure une heure, un film une heure trente minimum, un livre plusieurs heures voire quelques jours. Comment s'y prendre ? Si la musique m'accroche, je suis obligé de la réécouter une seconde fois pendant laquelle je prends des notes. Pour un film, j'essaie de réagir à chaud. Mais chaque fois je dois me référer à d'autres œuvres, fouiller dans des bouquins, réécouter un passage, etc. À la fin, il reste à peaufiner le style, ce qui peut exiger plusieurs relectures espacées.
Un journaliste peut recevoir deux cents disques par mois. Certains films que j'ai chroniqués durent plus de quinze heures. Lorsque l'on sait ce qu'est payé un feuillet, il est évidemment très difficile d'en vivre, surtout si l'on espère faire œuvre de sa critique ! C'est aussi une lourde responsabilité, donner des clefs pour comprendre le travail d'un artiste et pousser le lecteur à devenir à son tour auditeur ou spectateur.
En endossant les rôles des professionnels à qui nous avons à faire, nous nous rendons mieux compte de leurs difficultés, de leurs besoins et de leurs responsabilités. À l'Idhec, nous occupions à tour de rôle tous les postes d'une équipe de cinéma. Lorsque je dus remplir une feuille de salaire, tenir une caméra, m'occuper du plan de travail, réaliser un mixage, j'étais déjà passé par là. Musicien, j'entrevois la position du producteur, de son distributeur et du diffuseur qui, en bout de chaîne, fait la loi. Il est important de connaître les marges de bénéfice, les véritables chiffres de vente, les pressions éditoriales, les enjeux économiques ou artistiques qui se jouent en sous-main. Et puis après on oublie vite tout cela, on fait comme on veut, ou comme on peut !

lundi 28 décembre 2020

Autant en emporte le vent


Le vent a soufflé sur les côtes bretonnes. Les vagues suivent avec vingt-quatre heures de retard. Elles viennent se fracasser en gerbes devant la maison qui, heureusement, est orientée à l'est. C'est un paradoxe de l'Île-Tudy, mais l'horizon tourne le dos à l'Amérique...

Article du 18 novembre 2007


Beaucoup ne le savent pas, mais les fumées, pas seulement celles des usines, se répandent d'ouest en est. Une raison suffisante pour que les quartiers populaires soient situés à l'est de la capitale. Il en est ainsi partout, question de vent... Les nantis se retrouvaient à l'ouest. La centrifugeuse spéculatrice a un peu changé le découpage. La pieuvre étendant son emprise sur tous les arrondissements intramuros, les pauvres ont dû déserter le centre pour aller vivre en périphérie, de plus en plus lointaine.
Sans frontière, la pollution ne se cantonne plus à un seul point cardinal. Elle envahit le moindre espace respirable. Nous en savons quelque chose. Il est une heure du matin à la Porte des Lilas et nous arrivons de la rue Ordener à bicyclettes. Jour et nuit, la vapeur d'eau s'échappe des deux immenses cheminées de l'usine d'incinération d'Ivry qui traite ordures et mâchefers. Mais outre du soufre et des poussières, elles rejettent également de la dioxine.
Je m'en étais servi il y a dix ans pour le scractch vidéo Machiavel. J'ai à nouveau capturé l'un des monstres cet après-midi en revenant d'Emmaüs par l'A6. Achab criait : "elle souffle !" Carette et Gabin l'appelaient "la Louison". Ce n'est pas elle, la bête humaine, mais ceux qui l'ont construite, ou plus exactement ce pourquoi on l'a construite.

dimanche 27 décembre 2020

Finistère sud





Trois photographies (sans filtre) du lever du soleil sur l'ïle-Tudy vendredi matin suivies des rochers de Saint-Guénolé le jour suivant.

vendredi 25 décembre 2020

Lors d'un concert de jazz, j'ai vu...


Article du 29 novembre 2007 avec post-scriptum d'actualité

ceux qui hochent la tête, ceux qui boudent, ceux qui ne lâchent pas leur verre, ceux qui jouent avec leurs doigts, ceux qui ont les bras croisés, ceux qui se frictionnent les lèvres, ceux qui n'en perdent pas une bouchée, ceux qui pensent à autre chose, ceux qui prennent des notes, ceux qui en jouent, ceux qui ont les jambes énervées, ceux qui attendent l'entr'acte pour aller boire un coup, ceux qui ne font qu'écouter, ceux qui se tiennent le menton, ceux qui se frottent les yeux, ceux qui les ferment, ceux qui ont oublié d'éteindre leur portable, ceux qui cherchent les toilettes, ceux qui se bousculent au bar, ceux qui s'y accrochent, ceux qui laissent tomber une pantoufle du balcon, ceux que l'on ne reconnaît jamais, ceux qui filment, ceux qui fument, tous ceux qui sont des celles, ceux qui suent, ceux qui mâchonnent, ceux qui se parlent dans le creux de l'oreille, ceux qui n'entendent rien, ceux qui n'attendent plus rien, ceux qui baillent, ceux qui mettent leur main devant leur bouche, ceux qui les ont baladeuses, ceux qui partent à l'entr'acte, ceux qui ne se déparent pas de leur sourire, ceux qui rêvent, ceux qui s'endorment, ceux qui recommencent à vivre, ceux qui regardent ailleurs, ceux qui sont seuls, ceux qui sont plusieurs, ceux qui ne sont pas là pour ça, ceux qui comptent leurs sous, ceux qui arrivent lorsque tout est fini, ceux qui applaudissent, ceux qui rejoignent la nuit.

P.S. du 25 décembre 2020 :
évidemment vous ne pourrez rien voir ni personne aujourd'hui, parce que ceux qui nous gouvernent ont une gestion de la crise incohérente et criminelle. Ils choisissent d'interdire les lieux de spectacle et de culture sous prétexte de risques contagieux, alors que toutes les précautions sont prises. Les artistes vont mourir à petit feu, comme le personnel de restauration et d'autres commerces dits "non essentiels". Pendant ce temps, le couvre-feu oblige les usagers du métro et du RER à s'entasser en début de soirée, épaule contre épaule, au lieu d'étaler les rentrées. Et il faut porter le masque en forêt ou sur la plage. Les effets de bord ou secondaires seront plus meurtriers que le virus. Il y aurait, il y aura des pages à écrire, des procès à intenter, tant l'absurde nous enferme, nous anesthésie, servant sans mal les intérêts financiers de quelques milliardaires. On sait tout cela, me direz-vous. Mais que faisons-nous alors pour y remédier ?

Illustration d'Harvey Kurtzman extraite de Thelonious Violence

jeudi 24 décembre 2020

Rube Goldberg + Hellzapoppin (pour égayer Noël)


Les lois désastreuses que nous concocte notre gouvernement, la dépression, même légère, qui nous déstabilise, l'hiver qui commence, tout cela nécessite un petit coup de pouce, de quoi réactiver nos zygomatiques à la veille des fêtes. Cela ne vous empêche pas de booster vos défenses immunitaires avec de la vitamines D, de la C (j'ai choisi l'acérola), des oligoéléments ou des huiles essentielles à choisir en fonction de chacun/e, etc. Et donc, avant d'évoquer l'inénarrable Hellzapoppin et en référence au premier confinement, je vous livre cette expérience que je découvre seulement maintenant, machine de Rube Goldberg qui a donné le célèbre Der Lauf der Dinge (Le cours des choses) réalisé en 1987 par Peter Fischli et David Weiss.



HELLZAPOPPIN
Article du 16 novembre 2007


Un soir de première dans le sud des États Unis avec feu d'artifices au programme, on raconte qu'à un journaliste qui lui demandait ce qu'il pensait d'Hellzapoppin, Groucho Marx répondit "Hellzapoppin, c'est ça !" en appuyant sur la mise à feu quelques heures avant le lancement prévu. Peu importe que l'histoire soit vraie ou pas, je n'en sais rien, mais Hellzapoppin c'est ça, une sorte de Tex Avery avec acteurs en chair et en os, un immense succès de Broadway s'appuyant sur toutes les ressources du support cinématographique.
Le dvd est enfin sorti en France (Swift, Universal). "Ça se corse (chef lieu Ajaccio)", car nous devons ses sous-titres français à Pierre Dac et Fernand Rauzena qui ont su capter l'humour débridé d'un des films les plus hilarants de l'histoire du cinéma. Ici pas temps de mort, les gags s'enchaînent sans que l'on ait le temps de reprendre son souffle. Je n'ai jamais compris pourquoi le film de H.C. Potter de 1941 n'a jamais joui auprès des historiens du cinéma des mêmes louanges que ceux avec les frères Marx (Nat Perrin, son principal scénariste, a d'ailleurs travaillé, entre autres, sur Duck Soup). Mon père m'ayant fait découvrir ce joyau burlesque de non-sens lorsque j'avais huit ans, je l'ai revu des dizaines de fois sans jamais me lasser et encore aujourd'hui je me remémore chaque scène avec le même émoi et la folie me gagne comme si l'on m'avait soufflé du protoxyde d'azote dans le nez.


La séquence de Lindy Hop échevelée (qui pourrait donner des idées aux amateurs de hip hop), chorégraphiée par Frankie Manning, avec Slim (Gaillard) & Slam (Stewart), Rex Stuart à la trompette et C.C. Johnson aux tambours, montre que ce n'est pas que jeux de mots et comique de situation menés par le duo infernal (Ole) Olsen et (Chic) Johnson. Le loufoque cède aussi à des scènes musicales avec la bombe Martha Raye (Watch the Birdie !). Et Mischa Auer dans le rôle du Prince Pepi reste inoubliable. De toute façon, il est impossible de donner la dimension du comique d'Hellzapoppin sans se caler devant l'écran. Explosif !

Pour les anglophones, le voici dans son intégralité, hélas sans les sous-titres, mais on le trouve sur le Net pour 10€ avec ceux de Pierre Dac



P.S. de 2007 : si vous préférez des gags plus récents ou que vous êtes allergique à tout ce qui vient de l'Ouest, une amie qui apprend le russe m'envoie ce détournement de l'hymne soviétique. Où la phonétique vient en aide aux choristes de l'Armée Rouge. Cela rappelle les détournements des jazzmen, au lendemain de la guerre, francisant les titres originaux américains (J'ai un haricot vert sur le front pour I cover the Waterfront, Dis Popaul pour Deep Purple, Les veines de mon pénis pour Pennies from Heaven, Y tâte du biniou pour It had to be you, Le camembert d’avril pour I remember April, etc.). Évidemment cela n'a pas la "légèreté" d'Hellzapoppin, souvent copié, jamais égalé, l'un des meilleurs remèdes contre la déprime : indispensable et salvateur !

mercredi 23 décembre 2020

Vue d'une chambre de bonne


Article du 15 octobre 2007 et son P.S. du jour

Il n'y a plus de bonnes, rien que des familles d'immigrés, avec ou sans papiers. Ils vivent souvent nombreux dans une petite pièce. On ne sait pas qui est le frère, qui est le père, qui est la tante ou la voisine. Les liens du sang sont élastiques, on peut être cousins à la mode de Bretagne. On dit "mon frère" en parlant à un ami, "ma sœur" à une fille que l'on drague. Mon père me dit un jour que la famille n'est rien, qu'il faut choisir ses proches en fonction de leurs idées et de leurs actes. Dans Mischka, Jean-François Stévenin raconte qu'il y a la famille que l'on a et celle que l'on se choisit. L'une subit le passé, l'autre prépare l'avenir. Sans amour, c'est un concept vide. Le reste concerne les gènes, mais là nous sommes hors du coup, réduits à jouer notre rôle de véhicule, un point c'est tout. Les tests ADN peuvent répondre à une question intime, mais aucune loi ne peut les justifier. Le secret est une bombe à retardement avec laquelle chacun peut jouer au risque d'y perdre son âme. Si l'État s'en mêle en ajoutant des quotas, c'est l'horreur la plus abjecte qui se dévoile. Combien de nègres tiennent dans un wagon à bestiaux ? Combien de Boings pour faire le vide ? (je me référais aux expulsions initiées par Jean-Pierre Chevènement et continuées par la suite) Combien d'envols assassins pour que les voisins se réveillent ? Combien de temps avant que cela soit mon tour ?
Du haut de la chambre de bonne, on peut admirer le Sacré-Cœur, monument élevé pour célébrer la chute de la Commune. Thiers aurait aimé Sarkozy. Au premier plan, un autre siège, celui d'une banque. On continue le pano vers le bas. Hors-champ, Barbès. L'arc-en-ciel des peuples laisse espérer des lendemains colorés qui nous feront peut-être oublier notre époque grise, couleur de l'argent. Comble du goût poulbot, le soleil laisse traîner quelques rayons d'or sur la basilique de merde qui continue de jouer les immaculées. "Ah ça non... Tout de même !" s'exclame Brialy dans Le fantôme de la liberté en déchirant la photo. Si j'avais tourné la tête à gauche, j'aurais vu la Tour Eiffel et mon billet aurait été tout autre.

P.S. d'un autre ton :
car treize ans plus tard j'ai tourné la tête à droite, à l'extrême, quitte à me taper un torticolis. Ce que Sarkozy et Hollande ont essayé, Macron, dauphin de son prédécesseur, ici l'a transformé. À l'étranger, ses collègues, tous liés au monde de la finance, s'y emploient de même. Grâce au virus et sa gestion planétaire, le capitalisme rebat les cartes et se refait une santé. Grâce à la crise, le profit des plus riches approche les 1000 milliards ! Les déficits justifieront la vente des biens de l'État, payés par nos impôts, au privé. Les pauvres vont crever, mais le pouvoir prend des risques, car la famine pointe son nez, et elle a toujours précédé les révolutions, quelles que soient leur couleur. En France les lois votées par les idiots de l'Assemblée Nationale permettront à n'importe quel dictateur de régner sans avoir besoin d'en promouvoir de nouvelles. Pour cette fin d'année, nous avons le choix entre l'anesthésie générale, la dépression et son cortège de suicides ou bien la Résistance. Quelques indécis, qui se sont souvent laissés berner par des élections dites démocratiques, tentent les mélanges. C'est écœurant.
Je préférais le texte de 2007 avec tous ses sous-entendus...

mardi 22 décembre 2020

Schönberg par Huillet et Straub


Article du 17 octobre 2007

Les films de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub se prêtent bien à l'édition DVD. L’intimité sied bien au couple, tant ils paraissent toujours s’adresser à chacun individuellement, à l’endroit même où les questions prennent forment. Personnalités absolument complémentaires, Danièle disparue l’an passé, comment Jean-Marie continuera-t-il son chemin ? [P.S.: à 87 ans Straub réalise toujours !] Lorsque j’étais jeune homme, fraîchement sorti de l'Idhec, je les rencontrais souvent grâce à Jean-André Fieschi, Jaf pour les Straub. J’appréciais leur gouaille à l’accent parigot et leur engagement. Leurs colères étaient à l’image de leur travail, ni dramatiques ni épiques, mais simplement rigoureuses, comme venues d’une longue tradition de résistance.

Les Éditions Montparnasse proposent le premier volume d’une intégrale qui paraîtra à raison de deux coffrets par an. À côté de leurs deux premières œuvres, Machorka-Muff et Non réconciliés (Nicht Versöhnt), voici une magnifique manière de découvrir Arnold Schönberg avec les trois films que Huillet et Straub consacrèrent au compositeur dodécaphoniste viennois. Machorka-Muff est "l’histoire d’un viol (viol d’un pays auquel on a réimposé une armée, alors qu’il était heureux d’en être débarrassé)." Non réconciliés est celle "d’une frustration (frustration - de la violence) – d’un peuple qui a raté sa révolution de 1849, et qui ne s’est pas libéré lui-même du fascisme".

Pour présenter Schönberg, Jean-Marie Straub scande "Danger menaçant, peur, catastrophe". Ce sont les seules notes que le compositeur a laissées pour sa Musique d'accompagnement pour une scène de film. Dans leur Introduction, les cinéastes filment un homme lire une lettre de Schönberg de 1929 à son ami Kandinsky pour s'insurger contre ses positions antisémites et contre le tournant terrible que va prendre l'histoire. Suivent un discours de Brecht de 1935 contre le fascisme, la photo des Communards dans leurs cercueils, un bombardier, un article sur Auschwitz. Pas de film. Juste la musique.

L'orchestre s'accorde d'abord, c'est toujours le seul moment réussi dans un concert classique même lorsque le reste est raté ! Filmé à la Dreyer, D'aujourd'hui à demain est un opéra bouffe où le compositeur cherche à montrer "que ce qui n'est que moderne et à la mode ne vit que d'aujourd'hui à demain." Une femme récupère son mari en suscitant sa jalousie. Sous couvert d’une scène de ménage, Schönberg fait une critique sévère du monde de 1929, l’année de la lettre… Si Danièle Huillet est reconnue comme l'alter ego de Jean-Marie Straub, l'auteur du livret, sous le pseudonyme de Max Blonda, n'est autre que Gertrude Kolisch, seconde femme de Schönberg. Gertrude est le titre du dernier film de Dreyer. Les chefs d'œuvre se croisent, et parfois se rencontrent.


Le plat de Résistance est l’opéra Moïse et Aaron, combat essentiel de l’idée contre l’image, opposant le geste à la parole. Depuis trente ans, la photo des deux barbus trône au milieu des rares bibelots de ma bibliothèque. Si Wozzeck de Berg et Pelléas et Mélisande de Debussy m’ont fait comprendre et apprécier l’opéra, celui de Schönberg est le seul qui m’ait autant fait réfléchir. Les deux actes (le troisième est inachevé) reposent sur une seule série de douze sons et ses variations. L’orchestre dirigé par Michael Gielen est enregistré, mais les chanteurs sont en direct dans les lieux mêmes de l’action. Chef d’œuvre du cinéma, chef d’œuvre de la musique du XXème siècle, Moïse et Aaron est un des rares exemples où le film n’est pas une valeur ajoutée, mais l’analyse critique d’un processus, tant dans l’exposé de son argument que dans la musique.

P.S.: depuis cet article, la collection Huillet et Straub comporte 7 coffrets DVD !

lundi 21 décembre 2020

L.F. Céline swingue


Article du 2 octobre 2007

En introduction de son entretien avec Louis Ferdinand Céline, Louis Pauwels annonce d'emblée l'ambiguïté de l'écrivain, pitoyable chantre de l'antisémitisme dans Bagatelles pour un massacre, mais romancier de génie dès son Voyage au bout de la nuit. Car Céline, c'est le style, le style qui ne s'acquiert pas sans mal, sans un long travail acharné ! Il fait passer le langage parlé dans une écriture qui swingue littéralement, et ses "grands entretiens" enregistrés de 1957 à 1961 sont de fascinants témoignages de l'originalité de l'artiste, ici un groove quasi jazzy, comprendre une manière unique de phraser, à la fois précise et balbutiante, presque bègue. Il est peu de voix qui emportent par leur musique (Godard, Lacan, Cocteau...), celle de Céline nous entraîne dans le chaos fait homme.
On connaissait son Anthologie en double cd parue chez Frémeaux, exceptionnel témoignage de son art. Michel Simon, Pierre Brasseur (Voyage au bout de la nuit) et Arletty (Mort à Crédit) y lisent des extraits de ses livres, tandis que Céline lui-même chante deux chansons qu'il a écrites.
Le premier des deux dvd du coffret Céline vivant, [paru en 2007], offre trois entretiens bouleversants de chacun 19 minutes, dans leur intégralité, auxquels s'ajoutent un enregistrement sonore inédit de Céline corrigeant un extrait de Nord, le seul où il lit l'un de ses textes. Le second dvd comprend un témoignage d'Elizabeth Craig, grand amour de Céline et dédicataire du Voyage au bout de la nuit, et surtout le long documentaire D'un Céline, l'autre de Yannick Bellon et Michel Polac où figurent Lucette Destouches (la femme de Céline), Michel Simon, le Dr Villemin (son médecin), René Barjavel, Michel Audiard, Jean Renoir, Pierre Lazareff… Un fascicule de 38 pages rédigé par Émile Brami accompagne le tout.
La diction de l'auteur est si absorbante, sa franchise si rare, son amertume si douloureuse, ses intentions si claires, que l'ensemble s'avale d'un trait, jusqu'à plus soif, sauf celle de le lire ou le relire. À Pierre Dumayet, il confie son désir de retourner à la médecine ; à André Parinaud, il déclare « avoir décidé d’écrire pour acheter son appartement », à Louis Pauwels, entre ses chiens et son perroquet, à son bureau sur lequel sont posés ses 80 000 feuillets qu’il assemble avec des pinces à linge, il affirme : « Je serai content quand je mourrai, je ne suis pas un être de joie ».


Les Éditions Montparnasse poursuivent ainsi leur collection "Regards" entamée avec l'indispensable "Abécédaire de Gilles Deleuze", "Edgar Morin, regard sur Edgar" et d'autres sur et avec Jean-Paul Sartre, Norman Mailer, Raymon Aron, René Girard, Claude Lévi-Strauss, etc. Dans leur planning de sortie, je note le coffret Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, premier volume où figurent outre les premiers Machorka-Muff et Non réconciliés, tous les films inspirés directement par la musique d'Arnold Schönberg : d'abord l'époustouflant opéra Moïse et Aaron dirigé par Michael Gielen et tourné dans le désert avec les chanteurs en direct, l'Introduction à la Musique d'accompagnement pour une scène de film et le second opéra Von Heute auf morgen (article ici). En novembre, paraîtra un coffret Fernand Deligny avec, entre autres, Le moindre geste qui conte la fugue de deux adolescents évadés d'un asile psychiatrique, un film d'une sensibilité rare où s'entendent les bruits de la vie.

P.S.: le DVD semble épuisé chez l'éditeur, mais on le trouve ici et là sur les sites en ligne... L'extrait vidéo vient d'une autre source... Par contre, depuis cet article, la collection Huillet et Straub comporte 7 coffrets, la collection Regards 18 volumes (Derrida, Daney, Cyrulnik...), etc.

vendredi 18 décembre 2020

Reset


Les Allumés du Jazz sont toujours à la pointe de la réflexion politique sur le monde des arts, et en particulier celui de la musique, et pas seulement du jazz ! A l'occasion de leur dernier coup de gueule intitulé Le tamis de l'essentiel et de la sortie du n°40 de leur/notre Journal, je retrouve le brouillon d'un article que j'écrivais pour le n°20. Depuis, une nouvelle génération de musiciens et de musiciennes a heureusement émergé, à la fois virtuose, profonde et affranchie, affranchie du modèle américain, affranchie des étiquettes qui les enfermaient, affranchie des paroisses qui les isolaient. Devant l'adversité, ils ont souvent constitué des collectifs. En 2013, je les avais nommés "les affranchis" ! Mais qui sait comment ils se relèveront de l'exploitation criminelle que les gouvernements font de la crise dite sanitaire ?

Article du 23 septembre 2007

Peut-on feindre de comprendre la crise du disque en incriminant le cynisme et la frilosité de l'industrie, l'incompétence des institutions, la vénalité des marchands, la faillite de la distribution, l'absence de vrais producteurs, la faiblesse de la presse spécialisée, le téléchargement gratuit, la configuration astrale ou l'âge du capitaine ? N'est-il pas nécessaire d'interroger la musique elle-même et donc ceux et celles qui la font, compositeurs et interprètes ?
Aucun mouvement nouveau ne semble avoir marqué la musique occidentale depuis l'avènement du rap, de la techno ou de l'école spectrale. Nos allons de revival en remix sans déceler aucune nouvelle façon de voir, ni d'entendre. Le passe-partout délivré aux États-Unis, qui écrabouille les cultures régionales tandis que se multiplient les reconductions à la frontière, est lui-même devenu périmé : parmi les vingt plus grosses ventes actuelles en France, aucun artiste n'était connu il y a un an et ne le sera probablement plus dans deux. Les puristes qui pensent que l'improvisation est un genre interdisent que l'on prenne des libertés avec le free. L'electro-pop transforme le jazz en big promo. La chanson française revisite ses auteurs en dix lignes de bling et dix lignes de blang. Que se passe-t-il ? Chez trop d'artistes on recherche en vain les intentions. Comme le craignait Cocteau, "certains s'amusent sans arrière-pensée".
La politique nationale ne fait que réfléchir la crise mondiale et la vie musicale n'est qu'une projection de la société qui l'a engendrée sans qu'elle ne soit plus capable de lui rendre la monnaie de sa pièce. Est-il envisageable de créer des œuvres nouvelles sans inventer de nouvelles utopies ? La résistance ne pouvant être le fait d'un seul, l'union est indispensable, la fédération salvatrice. Pourtant, si chaque artiste porte sa responsabilité dans le débat qui nous anime tous, ses réponses lui sont propres, elles le définissent.

L'enfermement

Définir peut s'avérer un piège si cela dessine les limites de l'inspiration, réduisant l'œuvre aux acquis, condamnant l'auteur à une forme d'auto-parodie à laquelle chacun sera confronté un jour ou l'autre. Comment donc évoluer avec son temps lorsqu'on est musicien et que l'on ne souhaite pas répéter éternellement les mêmes formules ? Rien n?est acquis pour toujours. Rien n'est joué. Est-il possible de s'affranchir de son inspiration première, acquise dès l'adolescence, voire dès l'enfance, pour la faire sans cesse évoluer ? Il faut déjà toute une vie pour savoir qui l'on est, laissant à sa généalogie ce qui lui revient et assumant nos choix. Le poids des désirs inassouvis des parents forgent la névrose de leur progéniture qui à leur tour, etc. et dans l'autre sens, en remontant le temps sur des générations et des générations... Garder de la place pour les rencontres. Sur des routes parallèles, le zéro croise l'infini.
Faut-il se réjouir des étiquettes qui nous collent à la peau ou les subit-on comme on marque les bêtes ? Le classement arrange les marchands, mais contraint les œuvres à s'y plier, faute de quoi elles risquent d'échouer dans la catégorie des inclassables, antichambre de la mort ou de la starification. On sait que le succès, comme l'échec, est un poison. Son action est perverse, car s'il corrompt rarement celui qui l'atteint, le succès le pousse à remercier généreusement son public, à lui faire plaisir en lui offrant ce qu'il a plébiscité. Il fait du bien au porte-monnaie et flatte l'ego, mais fige souvent l'œuvre comme on épinglerait un papillon. On pourra l'admirer à sa guise, mais plus jamais il ne volera de ses propres ailes. L'échec est évidemment encore plus cruel, car il rend amer, aigri et peut faire sombrer dans des abîmes où jeter l'éponge est un moindre mal. Préconisons raisonnablement un petit succès stable qui empêche de s'endormir sur ses lauriers ou de s'auto-détruire, et revenons à nos moutons, hélas bien mal entourés.

Microcosmos

Rares sont les analystes qui écrivent effectivement sur la musique aujourd'hui. La presse musicale, tous genres confondus, est sinistrée, condamnée à suivre la mode de façon culinaire ou à se tourner vers le passé pour récupérer ceux qu'elle négligea lorsqu'ils étaient encore en action. Existe-t-il aujourd'hui un équivalent à une revue comme jadis Musique en Jeu, de celles que l'on collectionne tant les analyses qu'elle propose font office de manifestes, de témoignages formateurs, sujets à débat et réflexions visionnaires ? Mais personne, absolument personne, ne sait où ça va, et chacun s'affole dans son coin ou fait la sourde oreille. Les musiques que nous représentons ne peuvent s'épanouir qu'entourées, promues, au-delà d'un petit cénacle élitaire.
Nombreux programmateurs du monde des jazz sont usés comme les politiciens incapables de passer la main aux nouvelles générations. Ignorant comment les recycler, on les conserve. Tout le monde finit par jouer la même chose et l'on rencontre partout les mêmes même si chacun se croit unique. L'unicité n'est pas qu'une qualité, elle isole. Seul un mouvement d'ensemble peut changer les choses. Les quelques festivals et clubs à la programmation originale sont étouffés par l'effet de masse qui polarise les projecteurs. Les institutions reproduisent leurs aides à ceux qu'ils ont déjà soutenus. La fermeture des portes est automatique. Personne ne décide plus rien. Une fois lancé, le système fonctionne tout seul. Les jeunes ont de plus en mal de mal à se faire entendre. Ils sont condamnés à payer pour jouer ou se faire enregistrer. L'analyse de la situation exige une remise à plat générale. Pourquoi faisons-nous de la musique ? Pourquoi devient-on producteur ? Quel monde souhaitons-nous construire ?

Artistes et producteurs

Il est intéressant de noter une inversion de tendance aux Allumés. Si les premiers adhérents furent des producteurs refusant l'entrée aux labels de musiciens, la plupart des nouveaux membres sont des auto-productions. Est-ce un signe de la faillite des producteurs dont c'est le métier ? Quels publics ces musiques touchent-elles ? Jouons-nous une musique d'aujourd'hui ou sommes-nous les derniers vestiges d'une époque révolue qui n'a de contemporaine que le nom, un fantasme d'un autre siècle ? Pouvons-nous laisser le soin aux majors de décider ce qui sera diffusé ? Comment évoluer avec son temps ? Il est certainement plus difficile à un musicien de changer qu'à un producteur. La névrose colle à la peau des artistes, c'est leur fonds de commerce, le terreau sur lequel ils ont bâti leur œuvre, canalisant leur folie et la transformant en fleurs ou en plantes vénéneuses. Les uns se servent de leur souffrance pour créer, aucun choix ne s'offre à eux, tandis que les autres peuvent changer leur fusil d'épaule au gré des modes et de leurs lubies. Quelles influences bénéfiques les uns peuvent exercer sur les autres et réciproquement ? Dans ce petit monde où chacun se croit paranoïaque, les artistes pourraient incarner la tendance obsessionnelle et les producteurs une forme d'hystérie !

La grande évasion

Mis à part son statut social, le seul terrain d'intervention efficace du musicien reste son art. À chacun de creuser pour mettre à jour ses racines, d'arroser la terre, tailler les branches mortes, donner une forme au feuillage. Quels rythmes représentent le mieux notre univers ou remettraient les pendules à l'heure ? Quelles lois régissent les mélodies ? L'harmonie est-elle figée par ses écoles ? Quel rôle entend-on donner à la musique dans une société où l'influence de l'étranger est régie par des quotas, sans commune mesure s'il s'agit des Etats-Unis face à l'Afrique ou à l'Asie ? La responsabilité des artistes n?est pas forcément de manifester dans les rues, encore que tout élan de solidarité interprofessionnelle ou citoyen est fortement conseillé dans ces périodes de retour à la barbarie et au vichysme, mais la question de savoir pourquoi on joue ci ou ça, comment et quelle complicité ou résistance nous entretenons par notre expression artistique est fondamentale, fondatrice. Derrière les notes de musique se lisent des intentions. Sont-elles choisies par ceux qui les jouent ou sont-elles dictées par un marché, embrigadées dans une armée qui a choisi de mettre le monde au pas, au pas de la loi, une seule, lucrative et vidée de toute substance. Existe-t-il encore un art qui ne soit pas officiel ou doit-on l'inventer ? Rien n'est joué d'avance. La dilution n'est pas inéluctable. Il est urgent de se rappeler chaque matin ce qui nous motiva pour jouer la première note et ce qu'elle signifia pour nous. Il est vital de redéfinir aujourd'hui pourquoi nous combattons.

jeudi 17 décembre 2020

Caroline Cellier est morte 55 ans après...


Si j'avais toujours eu un faible pour Lauren Bacall, je me souviens parfaitement que mes premiers émois sexuels se révélèrent le 29 novembre 1965, lors de la première, au Théâtre Gramont, de la pièce de René de Obaldia, Du vent dans les branches de sassafras, mise en scène par René Dupuy. Mon père m'y avait emmené, probablement invités par son ami Francis Lemaire qui jouait le double rôle d'Œil-de-Perdrix, chef des Apaches, et Œil-de-Lynx, chef des Comanches. La pièce ne pouvait que m'emballer alors que je dévorais les romans de Johnny Sopper dans la collection Western du Fleuve Noir. Et puis voir Michel Simon jouer John-Emery Rockefeller est un souvenir inoubliable, son dernier rôle au théâtre. Si la distribution offrait Françoise Seigner, Bernard Murat, Jacques Hilling, Michel Roux et Rita Renoir, c'est Caroline Cellier, débutante de 20 ans, qui me renversa sur mon siège. Elle suggérait le coït en l'appelant quelque chose comme "xitelt xitelt". C'est gravé quelque part dans la mémoire approximative d'un enfant de 12 ans, mais chaque fois que j'ai vu la comédienne au cinéma, j'ai eu un pincement au cœur. Allez savoir ce que j'y décelai ! Nous étions allés rencontrer les comédiens dans les loges, mon cœur battant. J'éprouvais une petite déception de la savoir mariée à Jean Poiret, et cela me rassurait aussi autrement ! De temps en temps je cherchais ce qu'elle devenait, et l'annonce de sa mort, survenue il y a deux jours à l'âge de 75 ans, tourne une page décisive de ma propre vie.
De même, imaginer que la femme de 30 ans, que j'ai éperdument aimée lorsque j'en avais dix de moins qu'elle, aurait aujourd'hui 78 ans, me trouble terriblement. J'ai tout de même cherché sa trace sur la Toile, mais elle s'est perdue, soit disparue, soit pour avoir changé de nom une fois encore...
Caroline Cellier jouera ensuite pour Lelouch, Chabrol, Molinaro, Sagan, Verneuil, Vadim, Frank, Lauzier, Corsini, Marbœuf, Stora, Girod, Chabat, Boukhrief, et bien sûr dans Le zèbre, seul film réalisé par Poiret.
Ma journée commence tristement, mais je dois heureusement enregistrer ma fille pour sa participation vocale à une chanson de Tony Hymas, ce qui me fera probablement accepter ce rêve qui s'éteint. Nous devons tous et toutes nous habituer à perdre des objets, des amis, et puis la vie.

Photo de Nicolas Treatt

Pique-nique en Birgérama


Pique-nique en Birgérama est le titre que T.C. a donné à son article sur mon dernier album, dans le n°40 du Journal des Allumés du Jazz qui vient de paraître, à moins de deux mois de son édition précédente... Ce journal papier est le seul dans son genre, politique, analytique, polémique, participatif, informatif, depuis que Jazz Magazine est aux mains de censeurs vintage (quelle drôle de conception de la presse !) et que Jazz News fait la sourde oreille, peut-être par manque de personnel ! De plus le Journal des Allumés est gratuit, et on peut également le télécharger ou le lire en ligne si l'on est allergique au papier (comme les excellents Citizen Jazz, les Dernières Nouvelles du Jazz, etc., qui n'existent que sur Internet)...

Pique-nique en Birgérama

Jean-Jacques Birgé est probablement l’un des plus agiles représentants du courant frétillantiste de ce que l’on a appelé un temps la « New Music », qui garde son potentiel de nouveauté au-delà du terme. Particulièrement bien servi par l’actualité discographique avec la réédition enrichie de À travail égal salaire égal de Un drame musical instantané (Klang Galerie), la publication de son anticipation anthropologique Perspectives du XXIIe siècle (MEG) faisant suite à plus anticipé encore, l’album Centenaire de Jean-Jacques Birgé (GRRR – disponible aux Allumés du Jazz) ou le titillant et insolite Long Time No Sea du groupe El Strøm (GRRR – disponible aux Allumés du Jazz), le voici cette fois nous conviant à Pique-nique au labo, sélection en 23 plages des innombrables séances, tant musicales qu’amicales, surgissant de son studio, aussi plein d’invités que la fameuse cabine de la Nuit à l’Opéra. C’est bourré de surprises et d’éclats en tous genres et constitue une sorte de joyeux manifeste bien de notre temps cette fois, qui fait autant, body & soul, la pique que la nique.


JEAN-JACQUES BIRGÉ
PIQUE-NIQUE AU LABO GRRR - GRRR2031-32 - 2020 / 2CD - 15 €

Jean-Jacques Birgé (kb, electronics, plunderphonics, ambience, harmonica, Jew’s harps), Samuel Ber (dm, perc), Sophie Bernado (voc, bassoon), Amandine Casadamont (vinyls), Nicolas Christenson (b), Médéric Collignon (voc), Pascal Contet (acc), Elise Dabrowski (b, voc), Julien Desprez (eg), Linda Edsjö (marimba, vib, perc), Jean-Brice Godet (cassettes, cl), Alexandra Grimal (ts), Wassim Halal (perc), Antonin-Tri Hoang (as, cl, p), Karsten Hochapfel (cello), Fanny Lasfargues (electroacoustic bass), Mathias Lévy (vln), Sylvain Lemêtre (perc), Birgitte Lyregaard (voc), Jocelyn Mienniel (fl, MS20), Edward Perraud (dm, electronics), Jonathan Pontier (kb), Hasse Poulsen (g), Sylvain Rifflet (ts), Ève Risser (voc, melodica), Vincent Segal (cello), Christelle Séry (eg), Ravi Shardja (electric mandolin), Jean-François Vrod (vln)

N.B. de JJB : Klang Galerie a également publié des rééditions, pour la première fois en CD et agrémentés de longs bonus, des vinyles Rideau ! et L'homme à la caméra d'Un Drame Musical Instantané. En mars ce sera au tour de Carnage, épuisé depuis 25 ans, avec en bonus l'enregistrement original de La Bourse et la vie interprété par le trio Birgé Vitet Gorgé et l'Ensemble Instrumental du Nouvel Orchestre Philharmonique dirigé par Yves Prin. Walter Robotka (Klang Galerie) a ajouté Rendez-vous, duo inédit d'Hélène Sage et ma pomme enregistré en 1981 !
Enfin, petite erreur chronologique dans l'article de T.C., mon Centenaire (1952-2052) précède évidemment la catastrophe de 2152 évoquée dans Perspectives du XXIIe siècle, année où a priori nous serons tous morts, y compris les enfants qui naissent aujourd'hui, à moins qu'ils tiennent 132 ans, si je sais encore compter sur mes doigts !

mercredi 16 décembre 2020

Et puis, il y a les voix...


Article du 27 septembre 2007

Dans sa chronique sur Nabaz'mob dans Le Monde du 20 septembre dernier, Francis Marmande faisait référence à un autre opéra, Welcome to the Voice, de Steve Nieve et Muriel Teodori.
C'est une histoire d'amour entre un compositeur-pianiste anglais et une psychanalyste-réalisatrice française. Ensemble ils écrivent un drôle d'histoire qui rappelle autant Diva de Beinex que Une chambre en ville de Demy, et la musique suit les chemins de traverses ouverts par Escalator Over The Hill et No answer.
C'est une histoire d'amour entre un rocker fan de Berio et une collectionneuse de Michael Mantler, Carla Bley, Robert Wyatt autant que de Kathleen Ferrier, Maria Callas et West Side Story. J'ai toujours adoré ce genre de truc hybride comme L'hallali du Drame, cette fois un projet improbable qui finit tout de même par exister parce que de doux dingues comme Sting, Wyatt ou Elvis Costello lui prêtent leurs voix. La cantatrice Barbara Booney n'est pas en reste, suivie de Sara Fulgoni, Nathalie Manfrino et Amanda Roocroft.
C'est une histoire d'amour entre un ouvrier sidérurgiste et une chanteuse d'opéra. Il y a des effluves de Michel Colombier qui planent dans cette œuvre qui mêle l'écriture classique pour le Quatuor Brodsky, entendu avec Björk, et les improvisations jazz de Ned Rothenberg, Sting, Marc Ribot et Nieve.
C'est une histoire d'amour improbable, et pourtant ! Qui n'essaye rien n'a rien. Nieve et Teodori ont pris tous les risques, Welcome to the Voice est une œuvre magique qui convoque les fantômes de Carmen, Butterfly et Norma sur un livret résolument moderne et politique où apparaissent tous ceux qu'ils aiment de Godard à Mozart, de Gramsci à Verdi, de Rosa Lux à Chosta, de Maïakovski à Stravinsky... Comme me le susurrait Jean-Pierre Léaud, un doigt sur la bouche, un soir boulevard Montparnasse : "Et puis, il y a les voix..."
Booney, Sting, Wyatt, Costello, The London Voices et Le Chœur des Amis Français réunis dans un même ouvrage, un véritable opéra, haletant, palpitant, téméraire, improbable, inespéré !


P.S.: en reproduisant mon article de 2007 je découvre que l'œuvre fut jouée au Châtelet en novembre 2008 sans que je n'en sache rien. Quel dommage !

mardi 15 décembre 2020

Sur l'improvisation non-idiomatique


David J. Keffer (je cite ici ce professeur qui enseigne la musique improvisée non-idiomatique aux USA à l’Université du Tennessee) a écrit ses réflexions en écoutant plusieurs fois le double CD Pique-nique au labo que j’ai enregistré avec 28 improvisateurs/trices et produit sur le label GRRR. Il ne se fait pas d'illusions sur le fait que son compte-rendu soit particulièrement révélateur, mais il l’a écrit en écoutant la musique. Et il a adoré ma suggestion de jouer pour se rencontrer plutôt que de se rencontrer pour jouer.

Ci-dessous la traduction de l'article du Blog de la Poison Pie Publishing House :

Lorsque nous avons pris connaissance des réflexions de Vijay Iyer sur la "cognition incarnée" de la musique dans sa thèse de doctorat₁, nous avons placé ce concept dans un spectre de réponses musicales. À l'une des extrémités du spectre se trouve une réponse purement physique. Beaucoup d'entre nous commencent inconsciemment un mouvement physique, comme taper ses orteils ou bouger la tête, en réponse au stimulus de la musique rythmique. Ensuite vient une réponse émotionnelle. Là encore, de nombreux auditeurs peuvent s'identifier à la notion de "chansons tristes", qui décrivent une réponse émotionnelle à un morceau de musique, généralement construit avec l'intention d'induire précisément une telle réponse. L'idée de la musique induisant une réponse cognitive est donc une extension naturelle de ce spectre, puisque le mouvement physique, les émotions et les idées intellectuelles sont tous traités par le même organe biologique, à savoir le cerveau et les systèmes nerveux central, endocrinien et musculaire associés.

Un mécanisme commun utilisé en musique pour induire une réponse intellectuelle est la manifestation de la liberté musicale dans les ensembles d'improvisation collaborative, dans lesquels chaque musicien n'est pas obligé de se conformer à un ensemble de notes et d'accords strictement spécifiés, mais est plutôt invité à participer à une contribution plus individualisée au son collectif. Cette approche de la musique est facilement associée à des concepts égalitaires. En tant que telle, aux États-Unis d'Amérique elle a été historiquement associée au Mouvement des Droits Civiques, car elle place les musiciens sur un pied d'égalité, indépendamment de leur histoire et de leur renommée. Ce type de musique est individuellement sans ego tout en étant une revendication collective, car elle prône l'action sociale pour s'élever à l'idéal égalitaire.

La réceptivité à la cognition incarnée peut exiger une écoute active. Ce qu'un auditeur entend dans la musique est en grande partie ce qu'il apporte à la musique. Cela peut se produire à la fois sur le plan intellectuel et émotionnel. Peut-être contre-intuitivement, nous suggérons que dans le cas de l'improvisation non-idiomatique, l'appréciation intellectuelle de la musique est plus superficielle que la réponse émotionnelle. Une telle affirmation peut sembler rétrograde car de nombreuses personnes assistent à des concerts (du moins en période non pandémique) et réagissent à la musique à un niveau non intellectuel. Cependant, d'après ma propre expérience, la capacité d'apprécier intellectuellement la musique d'un artiste qui a échappé aux conventions traditionnelles de la mélodie et du rythme se développe progressivement au fur et à mesure que l'oreille est entraînée, mais une fois établi comme principe d'écoute active, s’offrent de larges applications. La reconnaissance du risque artistique pris dans des entreprises musicales par des artistes qui m'étaient jusqu'alors inconnus s'avère suffisante pour faire de moi un réceptacle volontaire à la musique, bien qu'elle ne résonne peut-être pas à un niveau dit plus profond.

Ce niveau supplémentaire de résonance va au-delà d'une reconnaissance superficielle du mérite de la musique pour aboutir à un désir d'être poussé à l'action par la musique, même si l'action consiste seulement à réécouter la musique. Cette réponse est due autant aux caractéristiques audio de la musique qu'à la relation non audio de l'auditeur avec la musique. Par exemple, à la maison d'édition Poison Pie, nous aimons énormément la musique du guitariste improvisateur britannique non idiomatique Derek Bailey, mais notre appréciation est tout autant motivée par l'attrait esthétique des sons physiques générés par la combinaison de l'être humain et de l'instrument de musique que par les attitudes culturelles adoptées par Bailey et représentées par sa musique. Sa vie musicale, expression infatigable d'auto-éducation, est illustrée par sa déclaration : "Toute l'histoire de ma vie est en réalité une tentative acharnée de repousser cette ignorance colossale que j'ai toujours portée en moi "₂ , tout comme son humilité et son humour irrévérencieux. Insister sans repentir sur le fait que le monde peut s'accommoder de cette musique bien qu'elle ne génère ni grand succès ni richesse excessive est un message qui nous interpelle également. Le monde est ce que nous en faisons et un modèle qui prône la capacité à dépasser la propagande d'une monoculture dominante, dans laquelle la valeur repose uniquement sur la quantité d'auditeurs et l'ampleur de la reconnaissance populaire, est un prix qui dépasse la valeur.

Bien sûr, Derek Bailey n'est qu'un exemple que nous évoquons pour illustrer notre propos. Il existe d'innombrables praticiens résidant dans les marges culturelles qui luttent contre le rétrécissement de l'expérience humaine par leur persévérance à se livrer à des actes qu'eux seuls peuvent juger valoir la peine. Ces réflexions exprimées dans les quatre paragraphes ci-dessus sont apparues au fur et à mesure que nous écoutions le pique-nique au labo de Jean-Jacques Birgé. Il s'agit d'un recueil de vingt-deux morceaux d'improvisation où Birgé collabore à divers duos et trios avec vingt-huit autres improvisateurs. Le matériel a été enregistré au cours de la dernière décennie. Nous entendons des fragments de quelques minutes issues d’un corpus d'improvisation vraisemblablement plus important. Chaque pièce se distingue non seulement par son personnel, mais aussi par l'instrumentation et l'approche individuelle de l'improvisation que chaque membre de l'ensemble a apportée à la réunion.

Comme l'explique le livret, "Il s'agit de jouer pour se rencontrer et non le contraire comme il est d’usage", c'est-à-dire de se rencontrer pour jouer.

Après une première écoute de la musique, j'ai senti qu’écrire cette critique m'aiderait à trouver comment cette musique me parle. Je devais aller au-delà d'un collage de pièces disparates, enregistrés au cours d'une décennie, puis réunis en une compilation, pour entendre le thème soutenu. C'est, de l'avis d'un profane, un autre exemple étonnant de la "cognition incarnée" de la musique créative. Il a servi d'introduction puissante à l'œuvre de Jean-Jacques Birgé et de ses conspirateurs.

Article du 10 décembre 2020 du Dr. David J. Keffer sur mon double CD Pique-nique au labo paru le 14 octobre 2020 sous le numéro 2031-2032 du label GRRR
Bandcamp (2 CD et fichiers numériques) / Discogs

Références :
1 Vijay Iyer, Microstructures of Feel, Macrostructures of Sound: Embodied Cognition in West African and African-American Musics, Ph.D. Dissertation, University of California, Berkeley, 1998.
2 Ben Watson, Derek Bailey and the Story of Free Improvisation, Verso, London, 2004, p. 55.

lundi 14 décembre 2020

Les contes merveilleux par Ray Harryhausen


Pour changer de Minuscule, La petite taupe, les vieux Mickey des années 30-40, d'abord en noir et blanc puis en couleurs, ou les Silly Symphonies du même Disney, j'étais content de découvrir les contes merveilleux par Ray Harryhausen avec mon petit-fils qui n 'a pas encore trois ans. Je possède une belle collection de dessins animés, dont beaucoup sont épuisés, qui tiendra jusqu'à son adolescence et même après, quand j'aurai rejoint les images d'Épinal. Or j'ignorais ce spécialiste américain des marionnettes articulées filmées en stop motion. Le Petit Chaperon rouge, Hansel et Gretel, Raiponce, Le Roi Midas et Le Lièvre et la tortue ont été tournés entre 1949 et 1953, toujours contés en voix off.


De ses premiers aux derniers films, on sent l'amélioration de sa technique. En plus des 5 contes, le disque offre ses premiers essais, des courts métrages militaires d'animation alors qu'il est sous les ordres du Colonel Frank Capra (Pourquoi nous combattons), une publicité pour des cigarettes, les petits Contes de la Mère l'Oye et un entretien avec Alexandre Poncet sur la carrière de Harryhausen. Il rejoint ainsi Windsor McCay, Ladislas Starewitch, Alexandre Alexeïeff, Lotte Reiniger, Jiří Trnka, Emile Raynaud, Emile Cohl, Segundo de Chomón, Claire Parker, Jean Painlevé, Paul Grimault et tous les autres sur mes étagères, en particulier les plus récents...
Ray Harryhausen deviendra le grand maître de l'animation en volume et des trucages cinématographiques, d'abord assistant de Willis O'Brien sur Mighty Joe Young, il travaillera jusqu'en 1980 sur de nombreux films comme Le Septième Voyage de Sinbad, Jason et les Argonautes, Le Choc des Titans, spécimens d'un genre un peu oublié...

→ Ray Harryhausen, Les contes merveilleux, DVD ou Blu-Ray Carlotta, 20€

samedi 12 décembre 2020

Radio Panik (playlist)


Retour sur 4 heures d'émission que la Bruxelloise Radio Panik m'a consacrées ce mois-ci. Long entretien avec Nico Bogaerts entrecoupé de musique.
Sur la scène de la Gaîté Montparnasse à l'ARP 2600 (1975) / Photo © Thierry Dehesdin


Un Drame Musical Instantané ‎: Rangé des voitures avec Youval Micenmacher (Carnage - GRRR - 1985)
Jean-Jacques Birgé : 1965 (Intimités - GRRR online - 1965)
Birgé - Hoang - Perraud : La deuxième vie de mon père (Jean-Jacques Birgé + 28 musiciens - Pique​-​nique au labo - GRRR - 2020)
Un Drame Musical Instantané: Les blancs jouent et gagnent (L'hallali - GRRR - 1987)
Birgé Gorgé : Un coup de Groutchmeu (Avant Toute - Souffle Continu Records - 2016)
Un Drame Musical Instantané avec Yves Robert : Comedia dell'amore 329 (Urgent Meeting - GRRR - 1991)
Birgé - Christenson - Godet : The Back of the Mind (Duck Soup - GRRR online - 2019)
Crasse-Tignasse (1993) avec Birgé, Vitet, Siracusa / Photo © J.Tholance


Jean-Jacques Birgé : Les années 1950 avec Elsa Birgé, Michèle Buirette et Nicolas Chedmail (Album du Centenaire (1952​-​2052) - GRRR - 2018)
Birgé Gorgé : Bolet Meuble (Avant Toute - Souffle Continu - 2016)
Jean-Jacques Birgé : L'indésir avec Nicolas Chedmail (Perspectives du XXIIe siècle - MEG - 2020)
Birgé - Risser - Mienniel : Je pense à ton cul (Pique​-​nique au labo - GRRR - 2020)
Birgé Gorgé Shiroc ‎: pourrait être brutal (Défense de - GRRR - 1975)
Un Drame Musical Instantané : Tunnel Sous La Manche - Under The Channel (In Fractured Silence - United Dairies -1984)
Thurston Moore : 7/11 (Remix d'Un Drame Musical Instantané - GRRR online - 1999)
Chez Robert Wyatt (1999) / Photo © Alfie Benge

vendredi 11 décembre 2020

Désobéissance civile


Pourquoi tous les acteurs de l'art et de la culture qui sont opposés aux mesures absurdes de notre gouvernement corrompu et criminel ne désobéissent-ils pas tous ensemble et ne rouvrent pas leurs théâtres, leurs cinémas, leurs salles de concert, etc. ? Si tous le font ensemble, aucune mesure de rétorsion ne sera possible. Alors que les grèves n'ont plus d'effet (à part la grève générale, mais c'est ce que nous impose déjà la gestion calamiteuse de cette crise) et que les manifestations sont réprimées dans la violence pour nous dissuader d'y aller, nous nous demandons souvent comment exprimer notre mécontentement de manière inventive. Nous pouvons très bien respecter la santé des uns et des autres par des mesures intelligentes. Qu'y a t-il de plus inventif que de diffuser nos créations ? Qu'y a-t-il de plus libérateur, de plus émancipateur, de plus réjouissant que de recommencer à nous amuser ou à réfléchir ?

Illustration: Jody, Jody, Jody d'Edward et Nancy Kienholz (1994)

Sylvaine Hélary, flûtiste et compositrice (3)


Sylvaine Hélary explose son rôle de flûtiste en chantant, racontant des histoires et dirigeant le groupe Glowing Life, plus pop que jazz. La frontière stylistique entre rock et jazz est parfois difficilement saisissable, mais le rock est une musique de groupe alors que le jazz privilégie l'expression individuelle. Quant au swing c'est une notion sujette à caution ; toute interprétation réussie devrait swinguer, du classique au contemporain, de la musique traditionnelle à la variété internationale. Il faut que ça donne envie de danser, peu importe s'il s'agit de mouvements désordonnés ou de formes codifiées. Donc Vies scintillantes joue sur les deux tableaux, c'est un disque pop, avec un groupe qui swingue, composé du claviériste Antonin Rayon, virtuose de Hammond B3, du guitariste-bassiste Benjamin Glibert et du batteur Christophe Lavergne.


Avec ce que j'ai écrit précédemment, on ne sera pas surpris de reconnaître quelque cousinage avec le groupe Soft Machine. L'expérimental se transforme en chanson jusqu'à retrouver les intentions de départ. Ça glougloute mystérieusement en fines gouttelettes dans le tuyau avant que le quartet entame une nouvelle longue suite sur un texte de PJ Harvey, rejoint par le chorégraphe Mark Tompkins, entendu aux côtés d'Hélène Sage ou de Sarah Murcia. Les improvisations sont à mi-chemin entre le jazz rock (façon Miles Davis) et la pop psychédélique. Ça brille comme le plancton qui recouvre la pochette, mais n'oubliez jamais que, la nuit en plongée, ces unicellulaires aux formes merveilleuses et variées picotent lorsqu'ils viennent vous mordre.

→ Sylvaine Hélary Glowing Life, Vies scintillantes, CD Ayler Records, 13€

Cet article fait suite aux articles de mercredi et jeudi sur cinq autres disques de flûtistes.

jeudi 10 décembre 2020

Naïssam Jalal, flûtiste et compositrice (2)


Le nouvel album de la flûtiste Naïssam Jalal est double. Double CD, double vue, double fond, double vitrage, double sens... Pour envisager Un autre monde aujourd'hui, il faut être doué/e de double vue. Si l'on désire faire traverser les frontières à nos désirs d'amour et de fraternité, les valises simples ne conviennent plus. Comme si ces sentiments étaient d'une époque révolue, la contrebande s'impose. Et je ne pense pas que le double vitrage suffise à contenir sa rage contre l'absurdité criminelle du Capital. La musique de Naïssam Jalal est à double sens. Côté face, le mélange de Moyen Orient et de jazz rappelle la transe mélodique de John Coltrane. De l'autre côté, les revendications s'empilent. Être une femme, d'origine syrienne, compositrice, engagée politiquement et refusant de céder à la banalité du décervelage programmé, exige une tenue de combat, une forme exceptionnelle si l'on veut garder le sourire. Parce que la vie est là, qui vous tend les bras, quand on a 36 ans.


La virtuose, à la traversière comme au nay, chante parfois en doublant un autre instrument, car elle est accompagnée par le groupe Rhythms of Resistance composé du saxophoniste Mehdi Chaïb, du violoncelliste Karsten Hochapfel qui tient souvent ici le rôle de guitariste, du contrebassiste Damien Varaillon, du batteur Arnaud Dolmen qui privilégie les peaux et, pour le second disque, de l'Orchestre National de Bretagne dirigé par Zahia Ziouani, une autre manière d'assumer la migration, même si les interprètes classiques sont lents à se mettre au diapason des métriques complexes. Les arabesques de la flûte, et du nay auquel je suis encore plus sensible, nous emmènent vers Un autre monde, celui où l'on se saoule de musique pour vivre au lieu de survivre.



→ Naïssam Jalal, Un autre monde, 2CD Les couleurs du son, dist. L'autre distribution, sortie le 5 février 2021

Cet article fait suite à l'article d'hier sur quatre autres disques de flûtistes et précède la chronique du Glowing Life de Sylvaine Hélary.

mercredi 9 décembre 2020

Flûte ! (1)


Mon premier instrument fut une flûte rapportée de Sicile en 1967. Je l'ai toujours, mais je crains souvent que les conditions hydrométriques fassent éclater le bambou. Depuis, j'en ai acquis des dizaines, en bois, en métal, en terre, en plastique, mais je joue toujours des mêmes : une roumaine très aiguë, deux fabriquées par Bernard Vitet (une en plexiglas qui sonne comme un shakuhachi, l'autre très basse en PVC), deux encore en PVC achetées à Nicolas Bras, une varinette (flûte de nez) et des harmoniques comme celles aperçues sur la photo. La semaine dernière, pour le disque de rock que nous enregistrons en ce moment, Nicolas Chedmail m'a emprunté ma flûte à bec ténor ! Longtemps la flûte traversière était vouée aux filles, préjugé absurde que ridiculisent les souffles actuels de Naïssam Jalal, Sylvaine Hélary, Eve Risser, Elise Caron et bien d'autres...
M'arrivent quatre disques dont vous aurez deviné l'instrumentation ! Les deux premiers viennent d'Inde du Nord, musique hindoustanie interprétée sur des flûtes en bambou bansurî (merci à Cyriaque Kempf). Si Hamsadhwani propose des pièces variées, raga pentatonique joué par Ravi Shankar Mishra sur des instruments qu'il fabrique lui-même dans son atelier-garage de Mysore en Inde du Sud, je suis particulièrement bouleversé par la lente progression du Raag Yaman de son maître Pandit Nityanand Haldipur, qui lui-même fut le disciple de l'extraordinaire Annapurna Devi. Celle-ci, fille du légendaire Ustad Baba Allauddin Khan, fut la première épouse du célèbre Ravi Shankar. En Inde, comme pour les autres musiques, la tradition du Maihar Gharana se transmet ainsi, formant des lignées. Les tablistes sont nommés sur les pochettes, le plus jeune, Pandit Ravindra Yavagal, et le plus âgé, Pandit Omkar Gulvady, mais il n'est pas fait mention des joueurs de tampura qui entretiennent la basse continue... Je ne m'attendais pas à être envouté à ce point. Comme avec les drones de La Monte Young, la musique envahit l'espace, puis le corps qui finit par se dématérialiser jusqu'à l'abstraction de soi-même !
C'est une autre tradition que perpétue le duo de flûtistes Isophone composé de Rosa Parlato et Claire Marchal, celle de la musique contemporaine improvisée faisant appel aux traversières, de la piccolo à la basse. L'album Bise est tout en retenues délicates, réminiscences effleurées, harmoniques retrouvées, recherchant l'écoute de l'autre du bout des lèvres.
Le dernier est encore un duo, mais si Miquèu Montanaro joue des flûtes dont la fujara et la dvojnica, du galoubet tambourin (sa spécialité) et de la guimbarde, il dialogue avec son fils, le violoniste baryton Baltazar Montanaro-Nagy. Les improvisations ont évidemment un goût provençal prononcé. Les rythmes sont enlevés, les timbres variés et la danse n'est jamais loin.

P.S.: J'ignore où en est Joce Mienniel, mais je reçois à l'instant les disques de Sylvaine Hélary (avec Antonin Rayon, Benjamin Gilbert, Christophe Lavergne et Mark Tompkins) et de Naïssam Jalal (avec le groupe Rhythms of Resistance et le Nouvel Orchestre de Bretagne) que je suis impatient de découvrir et que je n'ai évidemment pas eu le temps d'écouter... À suivre !

→ Ravi Shankar Mishra, Hamsadhwani, CD Bansuriworld
→ Pandit Nityanand Haldipur, Raag Yaman, CD Bansuriworld
→ Isophone (Rosa Parlato & Claire Marchal), Bise - Improvisations aux flûtes traversières, CD Setola Di Maiale
→ Duo Montanaro, Be, CD Compagnie Montanaro

mardi 8 décembre 2020

Radio Panik ce mardi soir à 20h (épisode 2)


Second épisode après celui de mardi dernier.

À l'occasion de la sortie du double CD Pique-Nique au labo qui rassemble 29 improvisateurs/trices, Nico Bogaerts m'invite sur RADIO PANIK (Bruxelles 105.4) ce soir mardi 8 décembre de 20h à 22h. Ce long entretien à bâtons rompus entrecoupé de musique est évidemment disponible en direct sur Internet et téléchargeable gratuitement en Ogg ou mp3...
Nico Bogaerts revient sur mon passé, depuis Défense de avec Birgé Gorgé Shiroc (1975), disque-culte pour figurer sur la Nurse With Wound List, jusqu'aux deux albums parus pendant les premier et second confinements, le pré-cité Pique-nique et Perspectives du XXIIe siècle.
Les questions affutées que l'homme de radio belge me pose m'incitent à évoquer cinquante années de création excitante, Un Drame Musical Instantané évidemment (1976-2008) avec Francis Gorgé et Bernard Vitet, et sous mon nom propre ces vingt dernières années. J'ignore à quoi ressembleront ces deux émissions de deux heures, mais notre entretien téléphonique dura 3 heures 20. Et comme de bien entendu j'ai l'impression de n'avoir rien dit et je me suis trouvé terriblement bavard à l'écoute de la première partie, mais je suis mauvais juge, les retours ayant été très encourageants !

Premier épisode déjà en ligne

Deuxième et dernier épisode disponible dès 20h

Abus de faiblesse


Les escrocs sont souvent sympathiques. Sinon cela ne marcherait pas. Ma naïveté me semble préférable à la suspicion. Jeune homme, j'ai acheté un piano qui n'existait pas, une veste en suédine qui n'était pas du daim, et pendant une dizaine d'années je me suis laissé flouer par un chauffagiste qui me vendait les pièces jusqu'à cinq fois leur prix. En outre, Viengsak (dit Sak) m'a probablement fait exécuter de nombreux travaux qui n'étaient pas nécessaires. Il faut bien dire qu'il était extrêmement sympathique, m'invitant au restaurant, m'appelant "son ami", etc. C'est à ce petit prix que les escrocs remportent le gros lot. Comme beaucoup de bandits (y compris ceux qui nous dirigent !), un sentiment d'impunité et un appétit sans limites leur font souvent dépasser les bornes. J'ai fini par avoir la puce à l'oreille et arrêté le massacre en m'adressant à une entreprise de bonne réputation. J'ai besoin d'avoir confiance en les gens avec qui je traite, travaille ou vis, quitte à rompre parfois lorsqu'ils ou elles en abusent.
C'est justement un abus autrement plus grave qui me tarabuste ces temps derniers. Ma tante Catherine, seule rescapée des aînées de ma famille, est victime d'un abus de faiblesse de la part d'une ancienne employée de la clinique où elle avait séjourné. Cette Gisèle lui a soutiré quelques 80 000 euros, lui faisant vendre, entre autres, son appartement en viager, sous prétexte d'une petite retraite, de soins nécessaires à son petit chat, etc. Petit chèque de 35 000 € à la bonne âme ! Depuis une huitaine d'années ma tante lui verse aussi 1500 euros par mois, mettant en danger ses propres moyens de subsistance. La dame "bien" intentionnée, qui l'invite de temps en temps au restaurant, lui a aussi fichu deux fois son poing sur la figure, la renversant par terre. Dans un premier temps ma tante s'en est plainte à ma sœur et à moi, puis, comme nous menacions de porter plainte contre la vilaine bonne femme, elle a fait marche arrière, nous exhortant à ne pas intervenir. Ma tante est complètement folle depuis un accident de la route il y a une soixantaine d'années. Elle l'a toujours su, mais je ne suis pas certain qu'elle s'en souvienne aujourd'hui. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais c'est costaud des épinettes, et on en rigolait plutôt dans la famille, car cela ne faisait de mal à personne. Aujourd'hui c'est elle qui morfle. Il lui arrive de m'appeler quinze fois de suite et, comme je ne réponds plus, laisser autant de messages de cinq minutes, en boucle évidemment, quand elle ne téléphone pas toute la nuit en faisant sonner les heures. Nous avons beau lui conseiller de rompre avec l'escroque, elle la protège, terrorisée à l'idée d'être seule. Ne me demandez pas d'aller lui tenir compagnie, elle habite à l'autre bout de la capitale, mais surtout son égocentrisme est absolu et légendaire ; elle l'a montré vis à vis de ses deux sœurs aînées lorsqu'elles étaient en fin de vie, beaucoup plus âgées qu'elle ne l'est elle-même aujourd'hui. Elle n'ose d'ailleurs plus appeler mes deux cousins qui l'ont envoyée paître depuis belles lurettes.
Ces abus de faiblesse sont courants chez les vieux isolés. Nous avons réussi à nous débarrasser de la femme de ménage qui sadisait ma mère que lorsque celle-ci fut partie en maison de retraite. Maman s'en plaignait, mais refusait que nous intervenions. Le mélange d'habitudes et de peur de la solitude rend possible ces exactions. Mon meilleur ami a adopté son ex-maîtresse six mois avant de mourir alors qu'elle le maltraitait. Je connais plusieurs personnes âgées qui signent n'importe quoi auprès de démarcheurs ; il faut ensuite menacer pour annuler ces achats forcés. Parfois ce sont les tutelles qui, par exemple, de mèche avec un commissaire-priseur, dépossèdent totalement les ayant-droit...
Nous pourrions demander la curatelle pour éviter à ma tante ces déboires, mais d'une part ce n'est pas si simple pour un neveu ou une nièce (ni ma sœur, ni moi, ni mes cousins n'attendons d'héritage) et d'autre part ma tante nous supplie de n'en rien faire. Après nous avoir harcelés parce qu'elle se sentait victime, elle continue d'une manière encore plus asphyxiante, mais cette fois pour protéger l'escroque, nous implorant de ne pas porter plainte. Faut-il empêcher de nuire la bandite et que ma tante se retrouve totalement seule, ou bien lui permettre d'avoir un peu de compagnie quitte à ce que cela lui coûte toute sa retraite ?
La solution serait qu'elle accepte de quitter son domicile pour une maison pour seniors comme ma sœur lui a suggéré plusieurs fois. Ce n'est pas une maison de retraite, mais un lieu de vie où les vieux ne sont plus seuls. Mais, sans aborder les détails scabreux qui l'obsèdent, sa simple inversion du rythme nycthéméral est probablement incompatible avec une vie collective...

lundi 7 décembre 2020

Scott Walker en 8 articles



RÉSURRECTION DE SCOTT WALKER
Article du 14 octobre 2007

Scott Walker est-il en phase avec son époque ou appartient-il à cette catégorie d'artistes qu'on dit en avance sur son temps parce que le monde autour traîne paresseusement les pieds ? La vitesse et le temps dépendent toujours du système de repères choisi. On les dits relatifs, depuis qu'un violoniste a posé que l'énergie est égale au produit de la masse par la vitesse au carré. La masse s'abat sur la caisse en bois de plus d'un mètre d'arête comme les poings cognent le quartier de viande de toute leur énergie sans oublier le temps qui file. Chaque son, millimétré, frappe le corps et l'imagination parce qu'ils répondent au propos d'un artiste qui a refusé de vendre son âme au diable. Les violons partagent leurs âmes avec les sons électroniques et les effets électroacoustiques du laboratoire. Leur concepteur est un être hypersensible et critique qui n'a pas voulu jouer le rôle de pop-star qu'on lui offrait du temps des Walker Brothers. The Sun Ain't Gonna Shine Anymore. Aucun d'eux ne s'appelait Walker, aucun n'était frère. L'argent n'était pas son moteur. Comme Zappa rêvait de composer pour orchestre symphonique et gagnait sa vie avec des chansons pour teen-agers en rébellion, Noel Scott Engel (son vrai nom) passa des succès sucrés de boys band des années 60 aux adaptations amères de Jacques Brel pour aboutir aux diamants noirs Tilt et The Drift que j'évoquais il y a quelques jours.


30th Century Man, le film de Stephen Kijak retrace la vie étonannte de cet intellectuel américain, amateur d'Ingmar Bergman dont il chanta Le septième sceau, qui émigra dans le Swinging London pour fuir la guerre du Vietnam et parce qu'il était fan des comédiens Margaret Rutherford et Terry-Thomas. Il resta un passionné de cinéma dont on retrouve maintes citations dans son œuvre de Dreyer à Godard en passant par Bresson, Jancso, Pasolini, Visconti, Fassbinder, mais aussi de littérature, Kafka, Camus, Beckett, comme de politique. Ce ne sont pas des alibis. Les chansons de Scott Walker sont traversées d'images et d'émotions fortes, de réflexions sur le monde, de poésie sombre et binaire. Ne cherchez pas le groove ni le swing, nous dit-il. C'est un compositeur européen, inspiré par les classiques et les modernes, par leurs orchestrations inventives et majestueuses. Si sa voix est unique, ses timbres orchestraux le sont aussi. Regardez-le enregistrer The Drift, couché à plat ventre sous le cube géant.


Cette biographie de deux heures (DVD Verve) est produite par David Bowie qui s'est toujours réclamé de Scott Walker. Y témoignent également Radiohead, Jarvis Cocker (Pulp), Brian Eno, Damon Albarn (Blur, Gorillaz), Neil Hannon (The Divine Comedy), Marc Almond, Alison Goldfrapp, Sting, Dot Allison, Simon Raymonde (Cocteau Twins), Richard Hawley, Rob Ellis, Johnny Marr (The Smiths/Modest Mouse), Gavin Friday, Lulu, Peter Olliff, Angela Morley, Ute Lemper, Ed Bicknell, Evan Parker, Hector Zazou, Mo Foster, Phil Sheppard, Pete Walsh... Les extraits sont magnifiques, l'aventure étonnante, la musique envoûtante. Les séances d'enregistrement de la musique de Pola X de Leos Carax convoquent je ne sais combien de guitaristes et de batteurs dans un immense entrepôt. Électrique. Comment, crooner baryton de variétés adolescent, devient-on cet artiste réfléchi de 63 ans construisant un monde inouï qu'il faudra encore au moins dix ans au public pour apprécier ? Ses propos rappellent ceux d'un autre outsider écœuré par les réactions du public, le pianiste Glenn Gould. Quelles souffrances dut-il endurer ? Quel silence l'habita longtemps ? Quel avenir nous prépare-t-il ? Vous le saurez peut-être lors d'un prochain épisode...

PERLE DE CULTURE
Article du 21 février 2007

(...) Deux cd de Scott Walker (ex-Walker Brothers), Tilt (1997) et The Drift (2006), sombres paysages cinématographiques de rocker intello. Superbe. La diction me rappelle Jack Bruce chez Michael Mantler. L'orchestration est hyper-moderne, industrielle et animale, minimale et symphonique. J'adore tout ce que fait Mantler, la monotonie apparente, l'inexorabilité, le timbre des voix (Bruce, Wyatt, Faithfull...). Écouter Scott Walker me donne cette impression léthargique d'énergie contenue, son chant rappelle Elvis dans un opéra contemporain. Quelques petites extravagances soniques me font préférer The Drift, une merveille, ça finira par se savoir. Les sons métalliques font grincer les neurones, les grosses caisses cognent à la porte, les bruitages narratifs n'enlèvent rien à l'abstraction... Les références se nomment Pasolini ou Brecht, les évocations de Mussolini ou Milosevic rappellent la noirceur de Triste Lilas de Vigroux, atmosphères de fin du monde, l'enfer comme si vous y étiez...

SCOTT WALKER : ORPHÉE OU CERBÈRE ?
Article du 9 octobre 2007



Il y a quelques temps, Benoît Hické relatait, sur le blog de Poptronics, la sortie du dernier cd de Scott Walker et d'un dvd qui lui est consacré. J'avais évoqué ici-même deux albums absolument sublimes de cet ex-Walker Brothers (The Sun Ain't Gonna Shine Anymore) passé par l'adaptation de Brel en anglais pour arriver aux aussi brillants que lugubres Tilt (1995) et surtout The Drift (2006), recueils de chansons innommables tant par sa manière de chanter et la gravité de ses textes que par l'invention instrumentale.
Le fourreau sombre, à peine lisible, granuleuse surface lunaire de pierre volcanique, donne le ton. L'intérieur du digipack en papier recyclé fait renaître le toucher de façon presque maladive, comme caresser de la laine de verre. And Who Shall Go To The Ball ? And What Shall Go To The Ball ? est une pièce purement instrumentale composée pour un étrange ballet (la Candoco Dance Company comprend des danseurs handicapés) de Rafael Bonachela qui, lors de ses précédentes créations, a travaillé avec Kylie Minogue. Quelques sons électroacoustiques, le London Sinfonietta, des plaques de métal : la partition oscille entre un minimalisme ardent et une marche bancale qui n'avance que par à-coups. L'œuvre ne dure pas plus de 25 minutes, mais l'énergie qu'elle requiert suffit à vous donner envie de le remettre encore une fois sur la platine. Avec ce gros point d'interrogation, Scott Walker affirme sa démarche de compositeur résolument contemporain déjà présente sous sa voix de baryton atonal dans son chef d'œuvre précédent. The Drift n'est pourtant pas à mettre en toutes les mains, car il risque de faire flipper pas mal de monde, comme jadis Captain Beefheart avec Trout Mask Replica. C'est trop lugubre, trop visionnaire, trop personnel pour que cela plaise aujourd'hui. On préférera généralement oublier la brutalité de l'époque dans une insipidité festive et une ivresse de surface. Il faudra probablement attendre pas mal d'années pour que son travail soit apprécié à sa juste valeur. Le trouble qu'il procure me rappelle aussi Pier Paolo Pasolini ou Joel Peter Witkin.

BISH BOSCH DE SCOTT WALKER
Article du 7 décembre 2012


Les albums qui sortent de l'ordinaire sont si rares qu'il est impossible d'échapper à ceux de Scott Walker. Je n'ai ressenti un tel choc qu'avec Captain Beefheart, Robert Wyatt, Björk, des voix comme celle de Jack Bruce chez Michael Mantler, ou sur notre continent Colette Magny, Brigitte Fontaine, Camille, Claire Diterzi, pour ne pas citer les éternels, tel Jacques Brel que Walker adapta scrupuleusement en anglais. De préférence chanteurs ayant dessiné leur univers musical en faisant fi de ce qui se fait ou pas. Si ses paysages sonores évoquent d'étranges scènes de film, la voix de Scott Walker, sorte de ténor déjanté ou de crooner emphatique, en dérange plus d'un/e. Il faudra parfois du temps pour s'habituer à cette manière de clamer sa rage ou sa douleur. Bish Bosch, son tout nouvel album, ne produit peut-être pas la même surprise qu'en leur temps Tilt et surtout The Drift, mais sa singularité, sa rigueur et son invention bousculent tout autant.

Bish Bosch signifie que le travail est terminé, il se réfère à la peinture torturée de Jérôme Bosch pleine de petites scènes cruelles et provocantes, et à l'argot de "putain". Ce mélange de sources réfléchit bien la démarche poétique de son auteur, maniant sans prérogatives le trivial et le sublime, le passé et le futur, le bien et le mal. Nous voyageons sur la même galère de la Grèce Antique à la Roumanie de Ceaușescu, de Hawaï aux Alpes, nous heurtant à des concepts de biologie moléculaire ou respirant de sulfureuses puanteurs fécales. Lorsque le mythe croise le quotidien on ne peut s'empêcher de penser à Pasolini, d'autant que Scott Walker ne se prive pas de citations bibliques et de références psychanalytiques. Ses textes nous bringuebalent sur des montagnes russes où il est pratiquement impossible de s'accrocher au garde-fou tant il se plait à changer brusquement de décors ou à convoquer d'historiques monstres au détour d'un vers.

Comme on le voyait dans le film 30th Century Man, il a beau inventer des sons inouïs avec toutes sortes d'objets ou d'instruments comme le Tubax, nouveau modèle de saxophone contrebasse, profonds ou aériens, tranchants ou veloutés, jamais la musique ne saurait produire le malaise que sa diction peut susciter. D'autant que cette fois il ne se prive pas de jouer de silences le laissant souvent a capella. Scott Walker est un minimaliste explosif. Les évènements se succèdent sans précipitation, mais avec une détermination effrayante. Le suspense est colossal. Chaque fois jusqu'à l'effondrement du majestueux et laborieux château de cartes. Si l'orchestre à cordes est utilisé pour des effets de vertige ou si les percussions martèlent l'espace comme dans le film Pola X de Leos Carax, les guitares électriques et les claviers numériques n'ont pas toujours l'efficacité dramatique de ses illustrations circonlocutoires, entendre que la poésie n'est jamais ici explicite, afin de générer des effets différents à chaque nouvelle écoute. Les envolées explicitement rock participent-elles au cut-up burroughsien des références ou sont-elles une tentative d'amadouer les oreilles rétives ?

Le graphisme de la pochette de Bish Bosch est aussi so(m)bre que les précédents. Il annonce la couleur ! De par son incontestable originalité, ses ambiances noires dont l'auteur se force pourtant à exclure tout cynisme, sa poésie hermétique truffée de connotations encyclopédiques, sa monotonie vocale aux intentions dramaturgiques, cet album ne plaira pas à tout le monde. Mais il comblera celles et ceux qui aiment les textures ciselées, les boutades incisives, les transpositions sonores inspirées par le sens des mots, la musique passionnée, et celles-ci comme ceux-là remettront encore et encore ce disque sur la platine pour s'en approcher chaque fois un peu plus, pour en varier les angles, pour en révéler les détails. Une œuvre !

SCOTT WALKER + SUNN 0))) = SOUSED
Article du 26 septembre 2014


Scott Walker est un des rares artistes dont j'attends les albums avec la fébrilité qui m'animait adolescent. Plus de Zappa ni de Beefheart pour nous surprendre, la plupart des rockers tapent le carton en maison de retraite, les jazzmen ont troqué le mordant des années free pour un consensus bien comme il faut, on s'inquiète pour la santé des derniers chanteurs à texte, les politiques à court terme des majors ne permettent plus de révéler aucun courant véritablement nouveau... Côté élitaire la plupart des compositeurs contemporains ne livrent que des clones bien policés ou de pâles reproductions des chefs d'œuvre passés. Le public se repaît d'un énième revival, manne providentielle du coffre au trésor de l'humanité. Heureusement de nouveaux musiciens s'interrogent et par ci par là se réveillent des talents inattendus, malgré le silence bruyant des médias. L'envie d'être étonné est si forte que l'on en arrive à ne plus rien écouter que le bruit de la ville ou de la nature. Alors lorsque l'on apprend que Scott Walker sort un album avec le groupe de drone métal Sunn 0))) on plonge direct sur l'ovni qui fera grincer les oreilles formatées par les radios privées, les compressions du mp3, le flux ininterrompu des baladeurs et les sacro-saintes habitudes.
Cinq pièces, cinquante minutes, Soused (qui sortira le 21 octobre sur 4AD) n'est pas aussi surprenant que le furent Tilt et The Drift en 1997 et 2006, renaissance expérimentale d'un chanteur de pop anglais passé par Brel et qui réussit à fondre un alliage métallique composé de crooning monotone, de magma électro-symphonique et d'enclumes rythmiques sur des textes intellos. Si en 2012 Bisch Bosch était électronique, les guitares de Sunn 0))) électrisent ce nouvel opus. Coups de fouet de Brando, cargo de Herod 2014, vrombissements de Bull, mécanique ferroviaire de Fetish, cliquetis régressifs de Lullaby, la plongée dans le rock est vivifiante. Les guitares des Américains Greg Anderson et Stephen O'Maley (tous deux également au Moog) et du Hollandais Tos Nieuwenhuizen (du groupe Beaver) soutiennent et ponctuent le chant de Walker venu avec l'orchestrateur Mark Warman et du producteur Peter Walsh qui étaient déjà de ses précédents voyages.


Stephen O'Malley a signé la pochette avec le photographe Gast Bouschet. Le superbe extrait vidéo illustre d'ailleurs parfaitement le métal fondu de la rencontre. Les deux entités sont peut-être trop évidemment compatibles. Ni le chanteur au romantisme exacerbé ni les guitaristes de doom dark n'entraînent les autres sur des terrains par eux inexplorés. La dialectique présente dans The Drift, chef d'œuvre absolu de Scott Walker, est noyée dans l'entente cordiale. Même si je plane à cent mètres sous terre, finalement en manque d'imprévu, je me tourne vers des collaborations de Walker moins évidentes avec Ute Lemper (Punishing Kiss et Lullaby By-By-By) et Leos Carax (B.O. du film Pola X) ou plus anciennes avec James Bond (Only MySelf To Blame pour le film The World is Not Enough), Nick Cave (cover de I Threw It All Away de Bob Dylan pour le film To Have and to Hold), Goran Bregovic (Man From Reno), toutes aussi remarquables.

SUR LE MONDE DIPLO
Article du 2 Juillet 2015


Mon article d'aujourd'hui est délocalisé. Vous le trouverez sur Le Monde Diplomatique de juillet en page 26. Voilà plus de 20 ans que j'y suis abonné. À une époque faste je contribuais aux Amis du Diplo. Mediapart fait un travail d'investigation formidable, son Club ouvre des perspectives inattendues, mais le mensuel en papier est la seule revue avec Courrier International qui prenne le recul avec l'information, voire s'en affranchisse, pour tenter d'analyser les enjeux planétaires. Si vous voulez savoir où cela chauffera demain, dans deux ou dans dix ans, toutes les explications sont là. De mon côté je me suis cantonné aux pages culturelles, histoire de faire connaître Scott Walker, un artiste majeur, une voix unique, à celles et ceux qui l'ignorent encore...

P.S.: l'article est accessible en ligne !
Le jour de la mort de Scott Walker le 25 mars 2019 je découvre que mon article y est lu à haute-voix par le comédien Arnaud Romain.

LE SOMBRE ORCHESTRE DE SCOTT WALKER
Article du 19 juillet 2017


J'avais laissé tomber le film de Brady Corbet après un quart d'heure. La partition pour orchestre de Scott Walker m'incite à y revenir. Sombre, brutale, tendue comme un arc, la musique met les nerfs en pelote. Des blocs de cordes assassins tombent des cintres comme un pendu au bout d'une corde, le couperet de la guillotine ou un peloton d'exécution. Mortel. C'est du gros lourd. Plus sommaire que ce que le chanteur écrit dans ses derniers albums expérimentaux, sa musique de film répond aux lois du genre, rappelant par endroits certains scores de Bernard Herrmann. La musique de film ne fait pas souvent dans la dentelle, elle doit rester complémentaire de l'image et de l'action, ne pas occuper tout l'espace. Le corps est éviscéré, le squelette à peine dépouillé de sa peau. Les cuivres accentuent la pomposité de ce film ambitieux...


Inspiré par une nouvelle de Jean-Paul Sartre, The Childhood of a Leader (L'enfance d'un chef) fut tourné sous deux versions, anglaise et française. Je n'arrive pas à m'intéresser au sort de l'enfant, encore moins au rapport de causalités qui ferait de son éducation par des parents autoritaires un futur dictateur. La transposition de la honte générée par le Traité de Versailles qui se conclut là en 1919 à celle que tente de lui infliger un monde d'adultes déconnecté tient d'un symbolisme balourd. La psychologie du film provient d'un comportementalisme réducteur, loin de la complexité analytique susceptible de révéler les mécanismes de la pensée du petit paranoïaque. Il va me falloir du temps pour réécouter le disque de Scott Walker en oubliant le maniérisme prétentieux qui avait séduit la Mostra de Venise en 2015...

→ Scott Walker, The Childhood of a Leader, mp3 9,99€ / CD 8,22€ / LP 12,94€ 4AD

LE CHEVAL GAGNANT DE SCOTT WALKER
Article du 26 mars 2029


Dans un documentaire de la BBC de 1995 Scott Walker évoque un film anglais de 1949 qui l'a considérablement marqué enfant, The Rocking Horse Winner d'Anthony Pelissier d'après une nouvelle de D.H. Lawrence. Scott Walker, qui s'est éteint hier, a toujours exprimé l'influence du cinématographe sur ses œuvres. Comme j'avais écouté toute la journée ses disques j'ai pensé regarder ce "joyau méconnu", or s'y décèle probablement la clef du mystère qui entoure le chanteur. Je déteste gâcher le plaisir de la découverte ("spoiler" comme disent les Anglophones, et cela n'a rien à voir avec "se poiler", d'autant que la mort de Walker m'affecte particulièrement), mais les voix qui émanent de la maison susurrent une possibilité de trouver l'argent nécessaire à la famille dans le besoin quitte à en payer le prix fort. Le succès s'avère menaçant ! Lorsqu'on connaît l'histoire de ce génie on est forcément troublé par la possible analogie avec son abandon précoce de la scène en pleine gloire et les distances entretenues avec le business.


L'inspiration d'un artiste a quelque chose de mystérieux, presque mystique, irraisonnable même au plus matérialiste. Le succès va de paire. Scott Walker avait toute sa vie eu la chance du petit garçon du film de Pelissier et cela lui faisait peur. J'ai trouvé sur le Net une copie de ce film rare sous-titrée en espagnol. C'est déjà ça. Hier matin j'avais découvert l'article de juillet 2015 que j'avais écrit sur Scott Walker pour Le Monde Diplomatique lu à haute-voix par le comédien Arnaud Romain ! Cette histoire mystérieuse où se mêlent la chance, l'inspiration, l'inquiétude pécuniaire des parents, la confiance, le jeu, la générosité et l'amour filial a d'étranges résonances avec ma propre histoire, pas seulement la mienne, mais celle de nombreux artistes...

dimanche 6 décembre 2020

Pique-nique au labo dans Jazz'halo


Un super article (en flamand, j'imagine) de Georges Tonla Briquet dans la revue belge Jazz’halo sur le double CD Pique-nique au labo avec 28 musiciens et musiciennes invité/e/s, que je vais tenter de traduire !

Un double CD avec un total de deux heures d'improvisation. L'initiateur et la figure centrale de chaque morceau est le musicien polyvalent français Jean-Jacques Birgé.
Jean-Jacques Birgé (°1952) constitue un monde à part, un monde en soi. L'homme compose pour presque toutes les disciplines artistiques possibles et joue de la moitié d'un magasin de musique. Il réalise également des films, conçoit les paysages sonores les plus divers et possède son propre label de disques GRRR. Et ce n'est qu'une petite sélection de son champ d'action. L'un de ses récents projets est ce Pique-Nique Au Labo.
Pour ceux qui ne sont pas très familiers avec le concept d'improvisation ou qui connaissent moins bien la scène française en ce domaine, c'est une porte d'entrée idéale. La durée des pièces varie d'une minute et demie à un peu moins de neuf minutes. Des instantanés en quelque sorte où un concert d'improvisation en direct est généralement un long flux d'idées connectées. Mais du seul fait de la limitation dans le temps, le seuil est très bas pour une meilleure connaissance. Les enregistrements ont principalement eu lieu dans son studio GRRR entre 2010 et 2019.
Un total de vingt-huit musiciens dont des noms connus tels que Vincent Segal, Antonin-Trí Hoang, Eve Risser, Julien Desprez, Sylvain Rifflet, Alexandra Grimal et le batteur belge Samuel Ber (Mâäk). Une collection de vingt-deux croquis difficiles à résumer. "Il s'agit de jouer pour se rencontrer et non l'inverse comme d'habitude", explique Birgé. De l'électro-poésie à des moments ébouriffants ou à glacer le sang, de la transe africaine à des éruptions de synthétiseur et du scratch à un modèle exotique détourné. Entre les deux, on peut encore entendre des bruits et des chuchotements, qu'ils soient ou non encapsulés dans des mouvements rythmiques, et le détachement sobre qui donne à réfléchir est juxtaposé au drame ambivalent. Presque toutes les impressions possibles sont passées en revue dans cette constellation où la polarisation est un terme inconnu. L'écoute "au hasard" donne toujours lieu à de nouvelles découvertes. Livret inclus avec toutes les informations de base.
Conseils d'écoute : www.drame.org, https://jjbirge.bandcamp.com
Tags : surréalisme, "Eraserhead" (David Lynch), le monde fantastique de Tim Burton, les bandes originales de John Carpenter, Anna Homler, Laurie Anderson.

vendredi 4 décembre 2020

Dix mille intruments dans un tube de verre


Article du 7 septembre 2007

Depuis que je suis tout petit, je rêve de me laisser enfermer dans la caverne d'Ali Baba. Hier mon vœu s'est exaucé grâce à la gentillesse de l'ethnomusicologue Madeleine Leclair, responsable de l'unité patrimoniale des collections d'instruments de musique du Musée du quai Branly, que j'avais rencontrée il y a quelques mois pour fêter nos prix du Fiamp. Sur les six étages d'un gigantesque tube de verre dessiné par l'architecte Jean Nouvel comme le reste du bâtiment, sont exposés dix mille instruments de musique d'Asie, d'Océanie, d'Afrique et des Amériques. Complétant admirablement celle du Musée de la Musique de La Villette, c'est la plus grande collection d'instruments ethniques en Europe. Les caillebotis métalliques ajourés permettent à un seul système de régler la température et l'hygrométrie, stabilisées à 20°C et 50% d'humidité, de cet espace obscur, pas plus de 30 lux, meublé d'étagères noires et de tiroirs coulissants silencieux conçus par Madeleine.
Dans cette Tour de Babel musicale, les instruments sont classés par continents et par types, percussions à peau, tambours de bois, hochets, sistres, sonnailles, gongs, cloches, balafons, senzas, guimbardes, arcs, flûtes, trompes, conques, harpes, guitares, kotos, violons, etc. Je n'emploie pas les termes muséographiques affichés, mais ceux que j'utilise lorsque je joue dans mon studio avec tous ceux que j'ai recueillis lors de mes voyages. Les rhombes, qui se réfèrent à des rituels sacrés auxquels aucune femme ne doit assister, ne sont pas exposés pour ne pas choquer d'éventuels visiteurs des villages d'où ils ont été rapportés. Je suis étonné du nombre de flûtes nasales et de la sophistication de certains systèmes d'émission. Une flûte qui se porte à l'épaule se joue en la remplissant d'eau et en marchant, l'eau poussant l'air vers le biseau. Des cocons d'araignées remplis de leurs œufs séchés sont agités. Des tibias humains finement ciselés sonnent la cérémonie. Des tambours de bois sont creusés de plusieurs lames pour former un ensemble accordé. Des carapaces de tortues sont frottées à la manière des tambours parlants. Mon ivresse monte à mesure que nous descendons dans l'immense éprouvette qui laisse apercevoir tous ces trésors. Le site du Musée offre une recherche exceptionnelle dans le catalogue des objets. Nous terminons la visite par la magnifique salle de concert aux formes variables (rideau d'Issey Miyaké) et à son pendant extérieur, sorte de théâtre antique qui mange le sublime jardin sauvage de Gilles Clément, et par la médiathèque sur le toit couronné par une rivière-fontaine qui fait le tour du bâtiment. On peut y écouter des centaines de musiques, à moins que l'on ne préfère les grandes boîtes à musique audiovisuelles du Musée qui offrent une immersion totale dans le son. Les gardiens de la médiathèque nous font signe de nous taire, le silence reprend ses droits.
Pour remercier ma guide, je souhaiterais retrouver la musique des stalagmites de la Baie d'Halong, inoubliables orgues à percussion magiques que j'enregistrai il y a une douzaine d'années. En attendant, j'essuie la poussière qui s'est accumulée sur une bande magnétique confiée à Brigitte vingt ans plus tôt par Leroy-Gourhan pour lui en envoyer copie. Il s'agit d'un enregistrement russe de percussion sur os de mammouth.

P.S. du 4 décembre 2020 :
En 2018 j'ai retrouvé ma guide, la Québécoise Madeleine Leclair, devenue conservatrice du département d’ethnomusicologie au MEG (Musée d’ethnographie de Genève), responsable des collections d'instruments de musique et des Archives internationales de musique populaire (AIMP). L'ethnomusicologue m'a permis de composer un de mes plus beaux disques à partir des archives du Fonds Constantin Brăiloiu : le CD Perspectives du XXIIe siècle est sorti le 21 juin dernier et le film collectif de 51 Minutes qui en est tiré sortira en 2021. Pour ce faire j'ai également eu accès à des idiophones qui n'avaient jamais été joués depuis leur dépôt au MEG. Ce n'est pas terminé, puisqu'un autre projet suscite déjà une nouvelle collaboration...

jeudi 3 décembre 2020

Des angles sans leurs ailes


Article du 3 septembre 2007

Il n'existe aucune position confortable. Le réel et le virtuel se valent dans leur déséquilibre dynamique. L'un et l'autre se renvoient la balle, forçant le spectateur à emprunter une gesticulation interactive pour ne pas se retrouver coincer dans un no man's land où seuls les rêves sont palpables. L'angle qu'ils forment produit une distance temporelle gigantesque, faille béante qui laisse les hommes en coulisses. L'illusion figeant l'instant mieux que les modèles vivants, le miroir transforme la photographie en toile peinte. La magie vient du changement d'angle, recul nécessaire à produire le désir.

De temps en temps, je mets de côté des images qui me harponnent en vue d'écrire de futurs billets, aujourd'hui Brassaï.

mercredi 2 décembre 2020

Elise Caron / Edward Perraud, le retour d'un joyeux effondrement


Dix ans ont passé depuis Bitter Sweets, le premier disque en duo d'Elise Caron et Edward Perraud, petite merveille souvent réécoutée, éventail arc-en-ciel, invention ping-pong, ce que l'une et l'autre font de mieux à mes yeux lorsqu'ils se laissent aller à pervertir avec amour les modèles. Les deux compositeurs-improvisateurs, condamnés à faire aussi bien, lorgnaient la perfection, là où les scories affichent les ordres du mérite. Ainsi le second a mis le temps, et voilà que, tout beau, tout chaud, sorti du four, d'un moule à gaufres saupoudrées de sucre glace, sort enfin Happy Collapse, évanouissement joyeux que connaissent les gastronomes et qu'ignorent les gastéropodes, aïe et merci.
Ce deuxième volume est plus posé, plus tendre, plus retenu, mais toujours aussi coloré et surprenant. Elise Caron chante, elle joue des rôles comme David Lynch lorsqu'il enregistre des disques, endossant des vêtements trop larges ou trop étroits, personnages enfermés dans leur statut d'albâtre. Elle chante merveilleusement, mais c'est son théâtre (musical) qui m'enchante. Quant à Edward Perraud, jamais aussi épatant que dans la liberté absolue, il orchestre plus qu'il ne frappe. À la batterie il ajoute guitare, électronique, claviers, harmonica tandis que sa comparse reprend la flûte avec bonheur. Je ne suis pas effondré, car je plane, descente de trip sans accroc, et quand le disque s'arrête, un goût de trop peu nous envahit.
Alors je ressors, monté sur, Bitter Sweet de sa pochette rose aux deux vaches. Puis je me repaye un tour de Happy Collapse dont la couvertoure montre deux cygnes nageant vers nous dans les lumières roses du soir. Si dans dix ans un troisième volume voit le jour, sera-t-il de cette charmante couleur ? Il faudra pourtant nous battre si nous voulons que nos rêves continuent à resplendir dans la beauté du son.

→ Elise Caron / Edward Perraud, Happy Collapse, CD Quark, dist. L'autre distribution, 13,99€, à paraître le 11 décembre 2020

mardi 1 décembre 2020

Radio Panik ce mardi soir à 20h


À l'occasion de la sortie du double CD Pique-Nique au labo qui rassemble 29 improvisateurs/trices, Nico Bogaerts m'invite sur RADIO PANIK (Bruxelles 105.4) ce soir et mardi prochain 8 décembre de 20h à 22h. Ce long entretien à bâtons rompus entrecoupé de musique est évidemment disponible en direct sur Internet et téléchargeable gratuitement en Ogg ou mp3...
Nico Bogaerts revient sur mon passé, depuis Défense de avec Birgé Gorgé Shiroc (1975), disque-culte pour figurer sur la Nurse With Wound List, jusqu'aux deux albums parus pendant le premier et le second confinements, le pré-cité et Perspectives du XXIIe siècle.
Les questions affutées que l'homme de radio belge me pose m'incitent à évoquer cinquante années de création excitante, Un Drame Musical Instantané évidemment (1976-2008) avec Francis Gorgé et Bernard Vitet, et sous mon nom propre ces vingt dernières années. J'ignore à quoi ressembleront ces deux émissions de deux heures, mais notre entretien téléphonique dura 3 heures 20. Et comme de bien entendu j'ai l'impression de n'avoir rien dit !


Un peu de littérature en attendant ce soir, une jolie chronique de Xavier Prévost parue hier dans les Dernières Nouvelles du Jazz à propos du double CD Pique-nique au labo :

Double CD de rencontres suscitées par Jean-Jacques Birgé, sur une longue période, et comme toujours chez ce musicien, désir d'élaborer des objets musicaux et sonores très singuliers. C'est ce qu'il pratique depuis des lustres, et une fois encore il ne déroge pas. Toutes les plages retenues proviennent de plus d'une quinzaine d'albums virtuels publiés sur le site http://www.drame.org . Ça commence par un dialogue entre le violoncelle de Vincent Segal et le tenori-on (séquenceur où est échantillonnée, entre autres éléments, la voix d'Elsa Birgé), cela se terminera 22 plages plus tard avec la clarinette (et divers objets sonores) de Jean-Brice Godet, et la contrebasse de Nicholas Christenson, dialogue arbitré par divers instruments de Jean-Jacques Birgé. Rencontres à deux, parfois à trois, avec une foule de surprises musicales, mais aussi des moments de mélancolie, des bouffées de mystère ou de fantaisie débridée (deux plages successives avec Alexandra Grimal), des élans lyriques et compositionnels dans l'improvisation, des escapades vocales (Médéric Collignon, évidemment, Sophie Bernado, Élise Dabrowski...), des partenaires récurrents et inspirants (Antonin-Tri Hoang). Bref un voyage sensoriel et musical qui vaut son pesant d'inouï. Une immersion s'impose dans ces univers multiformes engendrés par le seul désir de 'faire musique ensemble'. Belle réussite et promesse, pour qui s'y plonge, de surprises jouissives.

Jean-Jacques Birgé invite Samuel Ber, Sophie Bernado, Amandine Casadamont, Nicholas Christenson, Médéric Collignon, Pascal Contet, Élise Dabrowski, Julien Desprez, Linda Edsjö, Jean-Brice Godet, Alexandra Grimal, Wassim Halal, Antonin-Tri Hoang, Karsten Hochapfel, Fanny Lasfargues, Mathias Lévy, Sylvain Lemêtre, Birgitte Lyregaard, Jocelyn Mienniel, Edward Perraud, Jonathan Pontier, Hasse Poulsen, Sylvain Rifflet, Eve Risser, Vincent Segal, Christelle Séry, Ravi Shardja, Jean-François Vrod - détail des instruments sur le site.
2010-2019, Bagnolet (Studio GRRR), et pour quelques plages Les Lilas (Le Triton) et Paris, Maison de Radio France
GRRR 2031-32 / Orkhêstra

Photo : Crasse-Tignasse (1993) avec Bernard Vitet et Gérard Siracusa © Jean Tholance