70 mars 2021 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 31 mars 2021

Nuit noire, nuit blanche


Il m'arrive heureusement parfois d'avoir un article déjà rédigé sous le coude. Parce que ce jour-là je n'ai pas la force d'écrire. Comme de manger, ou de dormir. Être toujours au faîte de ses possibilités n'est pas une sinécure. Si je peux donner l'illusion de la maîtrise, j'ai toujours été un rêveur. L'intuition guide mes pas, même lorsque je ne l'écoute pas. C'est un tort. Je me laisse séduire. Sur le clavier, sur tous les claviers, mes doigts obéissent à une force qui me dépasse. Rien ne permet jamais d'aller plus vite que la musique. Or, m'employant régulièrement dans cette vie fulgurante à tenter d'égaler sa vitesse, je fais de temps en temps des sorties de route dont je me serais volontiers passé. Ayant l'habitude de penser longuement et d'agir vite, j'imagine que tout le monde peut me suivre dans mes élucubrations que j'assimile à des visions. Erreur, fatale erreur. Je n'y lis pas l'avenir, mais les possibilités qu'il offre. Sensibilité ou intuition, j'ignore sa nature, mais je pressens les catastrophes. Je ne vois rien de péjoratif dans ce terme, mais simplement un dénouement. Il me semble plus amusant de défaire les nœuds qu'en ajouter de nouveaux au tableau des trophées cloués sur une planche. La vie n'est qu'une course d'obstacles que nous sautons avant d'attaquer le suivant. Ma théorie des cycles se vérifie chaque jour, mais parfois hélas la machine se grippe et je me retrouve en boucle, situation douloureuse exigeant de prendre la tangente aussi tôt que possible. À cette minute embuée qui peut paraître inextricable suit une période de vide intersidéral où le temps s'arrête. Le passé refait surface et la nuit envahit le cosmos. Je ne dors pas. Hébété, je contemple le ciel où s'écrivent nos histoires. On dessine des lignes entre les points, espérant découvrir l'animal qui se dérobe à nos yeux. Ce que sont les nuages. Lorsque les fantômes font tomber leurs suaires, se dévoile l'enfance, mais on n'y voit goutte. Le corps ne suit pas. Savoir ne suffit pas à tourner la page. Certaines sont collées entre elles, formant de secrètes ellipses, nœuds évoqués plus haut les nuits justement sans nuage ni éclairage public. Le matin, j'espère le maelström calmé, mais des épaves sont échouées sur la plage. Je gis parmi ces morceaux de bois, chiffons trempés, rêves déchiquetés. Personne n'a rien entendu. Le silence faisait masque au vacarme. Alors on regarde le soleil. Pas trop longtemps. Il s'agit de retrouver la vue, pas de la perdre. On s'arme de patience comme si on avait le temps pour soi. Mais chaque jour qui passe ne se rattrape jamais. On avance à cloche-pied sur la marelle qui affiche des cases vides. Il faut une bonne chaussure. On se relit. Le sens de la vie est cacheté dans la lettre volée. S'ils ne voient pas, vos yeux ne trompent pas. Et l'on avance d'une case. C'est toujours cela de pris. Ça n'a pas de prix. Ça.

Lefdup & Lefdup augmentés


Je pense avoir rencontré Jérôme Lefdup au sein de la commission multimédia de la SCAM il y a une dizaine d'années, mais je connaissais déjà son travail à la télévision, à une époque où je la regardais encore, soit il y a plus de vingt ans. Dans les années 60 j'étais un grand fan des facéties vidéographiques de Jean-Christophe Averty, alors évidemment Haute-Tension dans le cadre des Enfants du Rock et surtout L'œil du cyclone furent des moments de béatitude au milieu de la banalité vomie par le petit écran. Artiste polymorphe, plus vidéaste que musicien, il forme un duo diabolique avec son frère Denis Lefdup, plus musicien que quoi d'autre. Du Snark au Grand Napotakeu, ils ont continué à sévir en créant des musiques dérisoires et des images abracadabrantes marquées par leur génération hirsute. Leur site, Lefdup & Lefdup, regorge d'images fixes et mobiles, de musique et de machins innommables. Il y a deux ans, retrouvé grâce à John Sanborn, Jérôme m'offrit le DVD Histoire trouble, un montage de vues stéréoscopiques et stroboscopiques permettant de voir des images en relief sans lunettes spéciales, scénario capillotracté à la clef. Et musicalement, je ne connais que Richard Gotainer, Albert Marcœur et Eddy Bitoire (ou, plus anciens, Boris Vian, Henri Salvador, Ray Ventura, Georgius, Ouvrard, etc.) pour oser des trucs aussi nâvrants, ce qui réclame de véritables aptitudes que peu de bons musiciens possèdent, une fine analyse de la société où nous végétons, un sens de l'humour grinçant et un polyinstrumentisme où tous les coups sont permis. Le pire est que cela s'écoute avec plaisir. Car Lefdup & Lefdup viennent de commettre un nouveau forfait, un double album vinyle augmenté !


Addendum offre une sélection de titres inédits, enregistrés entre 1978 et 2018, recueil de chansons dérisoires et d'instrumentaux insistants, entrecoupés de pastilles sonores empruntées au réel. L'album 30x30 centimètres se prête bien aux élucubrations visuelles de Jérôme Lefdup qui s'est amusé à l'affubler de réalité augmentée, à condition de posséder un smartphone. Il suffit de l'orienter vers les images pour que s'animent d'étranges objets audiovisuels non identifiés, comme on peut en avoir un aperçu sur leur bande-annonce parue Noël dernier.

→ Lefdup & Lefdup, Addendum, sur Bandcamp, 25€ (15€ en numérique, mais ce serait dommage)

mardi 30 mars 2021

Explosion de cosses


Hier soir, à la nuit tombante, les cosses de la glycine n'arrêtaient pas d'exploser. Il y a quelques années j'avais longuement cherché d'où venaient ces pétards lancés par des gosses malicieux. Cela me changeait des coups de sonnette de la sortie d'école. Les garnements courent si vite que le temps d'ouvrir la porte ils ont déjà disparu. Ils ont au moins le mérite de me donner l'heure. Et ce soir il n'y a pas de vent. Le couvre-feu les a envoyés au pieu. J'attends qu'ils dorment. Tous les carillons du jardin sont muets. Bientôt, c'est le nom du personnage peint par Ella et Pitr sur la façade, Bientôt a sorti sa trompette, mais il ne trouve pas ses lèvres. C'est la question qui inquiète les mômes qui passent sur le trottoir d'en face. Où donc ai-je la tête ? Ailleurs, c'est certain. Là où vogue mon cœur. C'est vous qui jouez de la trompette ? Parfois, que je réponds avec un grand sourire. J'avais choisi le bleu en photographiant le ciel un jour où l'azur était saturé. Le caleçon de Bientôt est raccord avec le mur orange que l'on ne voit pas, là, puisque c'est de l'autre côté. De l'autre côté de quoi ? De l'autre côté du pont, d'où viennent les fantômes. Drôle d'endroit pour une rencontre. Les fantômes, c'est le passé. Bientôt annonce les grandes nouvelles. Il s'envole et nous venge. Si les oiseaux s'en mêlent ! Et la glycine, clac, clac ! Ça n'arrête pas. En musique, le pont sert de transition entre deux parties d'une œuvre. Comme celui que Bernard avait composé pour My Way et qu'il n'a pas signé. Comme d'habitude ! Je préfère citer I know where I'm going, c'est ma façon à moi de rêver. Les vagues. Et la trompette de Bernard. Ella et Pitr non plus n'ont pas signé là-haut. À quoi bon ? Qui d'autre serait grimpé sur une échelle de douze mètres pour m'annoncer que la vie réserve bien des surprises ? Et en fanfare, avec ça ! Enfin, mieux vaut parler doucement. On ne sait jamais ce qui vous attend. Bientôt, clac, clac, clac ! Je retiens mon souffle. C'est de l'apnée juvénile. Je n'entends que mon sang, va-et-vient d'impatience. Boum, boum. Bientôt, qu'on vous dit. Enfin, qu'on me dit surtout à moi. Il faut des phrases assez larges pour faciliter les doubles sens. Vous n'auriez pas un petit vélo dans la tête ? Cela se pourrait bien, que je réponds en clignant de l'œil.

lundi 29 mars 2021

Non je ne veux pas d'une civilisation comme celle-là


J'emprunte mon titre au vers d'une chanson de Colette Magny qui me trotte dans la tête. Souvent je me demande ce qu'auraient pensé mes ami/e/s disparu/e/s de tel ou tel phénomène sociétal. Colette, Bernard, Brigitte, Pere, Papa, vous me manquez et je me sentirais certainement moins seul si nous pouvions discuter ensemble des évènements actuels et de la manipulation de l'information, ou plus exactement des consciences.
Jusqu'ici la société française était divisée arbitrairement entre la gauche et la droite. La frontière était floue, voire mouvante comme du sable, surtout si l'on considère que le centrisme et l'ancien PS (vu ce qu'il en reste) virent objectivement du côté des petits arrangements cyniques avec le capital. Aujourd'hui le monde est divisé entre ceux qui ont peur du virus et ceux qui se méfient de l'utilisation qu'en font les gouvernements dans leur gestion de la crise. Là aussi la frontière n'est pas nette, car certains ont beau être dubitatifs, la peur, cette mauvaise conseillère, prend souvent le dessus.
Une partie de mes amis est impatiente de se faire injecter le vaccin, l'autre préfère attendre le délai plus ou moins habituel permettant de constater les effets secondaires. Quelles séquelles pourraient survenir après quelques mois, quelques années, déjà qu'en apparaissent au bout de quelques jours ? Dans tous les cas c'est la crainte de l'avenir qui guide nos choix. Peur de mourir du virus contre peur de vivre d'une manière moralement inacceptable ! Les plus fragiles, soit ceux considérés comme des proies faciles du Covid ou psychologiquement perturbés par l'éventualité de la mort qu'il sème, pensent qu'il est nécessaire qu'un maximum de personnes se fasse vacciner pour éradiquer l'épidémie. Ils considèrent la crise d'un point de vue strictement sanitaire. D'autres envisagent cette période sous l'angle politique ou philosophique, à savoir que ce qui est en jeu est le type de société qui en découlera.
Imaginez qu'on nous ait raconté il y a deux ans ce que nous vivons aujourd'hui. Qui aurait pu croire que nous acceptions sans broncher la suppression de tout évènement culturel public, l'instauration d'un couvre-feu avec auto-autorisation, l'interdiction de se déplacer sur le territoire national, la mort programmée d'un tiers des petits commerces, les lois sur la retraite et sur les libertés individuelles, la baisse des indemnités de chômage et même des salaires, etc. ? Comment des populations entières se retrouvent anesthésiées, incapables de réagir à ce que nos gouvernements nous imposent ici et là-bas ? Car le virus est partout et la gestion de la crise, à de rares exceptions, génère le même genre de décisions qui sont, pour le moins, anti-démocratiques. D'ailleurs démocratie est un terme qui demanderait à être précisé !
Sous prétexte de ne pas mourir d'un virus qui fait moins de dégâts que la pollution, le climat, la pauvreté, la famine, voire d'autres épidémies ravageuses, on transforme nos vies en un rituel absurde qui marquera de manière indélébile nos vies futures. D'un côté je me demande ce qui me tuera, quelle maladie ou quel accident m'enlèvera à mes proches. D'un autre, je réfléchis à la vie que je souhaite partager. Dans le passé, j'ai plusieurs fois pris des risques pour défendre mes idées ou simplement pour vivre pleinement mon court passage sur Terre. Mes voyages dans des contrées reculées où vivent des bestioles gourmandes de mon sang, mes films en Algérie, en Afrique du Sud et, le plus traumatisant, à Sarajevo pendant le siège, ma manière parfois inconsciente de conduire ou de me jeter à l'eau, certains de mes écrits qui me valurent des menaces de mort, mirent à l'épreuve ma rage de vivre. Il n'était pas seulement question de moi, car j'entraînais d'autres à ma suite quand ce n'était pas moi qui les suivais. N'étant ni suicidaire ni criminel, je prenais toutes les précautions pour que personne ne soit victime de mes choix, mais on ne sait jamais. D'ailleurs aujourd'hui c'est en traversant la rue que je fais le plus attention, même si je porte ce masque dérisoire dans les espaces communs (et d'autant plus, car il embue mes lunettes), que je me lave les mains plusieurs fois par jour et que je renforce mes défenses immunitaires en avalant divers produits que de soit-disant spécialistes considèrent comme inutiles.
Je me méfie des chiffres, des statistiques à qui l'on faire dire ce qui arrange le pouvoir. Je me souviens de Jean Renoir expliquant qu'il peut y avoir un million de morts, or s'il ne s'agit que d'une seule personne et que cette personne c'est moi, c'est plus important ! C'est de cela dont il s'agit pour celles et ceux qui ne voient de la crise que nous traversons que son aspect sanitaire. Mais si l'on prend un peu de recul et que l'on constate vers quelle société nous allons, on est en droit de se demander si nous cautionnons les bons choix. Est-ce que je veux vivre dans un pays qui fermera ses frontières aux migrants climatiques sous prétexte qu'ils pourraient apporter la peste et le choléra ? Comment et par qui sera évaluée la toxicité de ma liberté individuelle ? Puis-je accepter les assassinats programmés de professions dites non essentielles ? Ai-je de l'empathie pour les suicides qui en découlent, y compris chez les jeunes adolescents qui ne voient pas d'alternative au plan de concentration à l'échelle mondiale ? Puis-je cautionner que les plus riches profitent de cette crise comme jamais et que les plus pauvres sombrent dans la famine ? C'est pourtant le prix à payer pour ne pas risquer d'attraper le virus, voire d'en mourir, ne serait-ce que 1% ou 2% de la population. Comment sera gérée l'arrivée de nouvelles pandémies ? Qu'arrivera-t-il en cas de fonte du permafrost ou de nouveaux accidents nucléaires ? Est-ce que le progrès est encore défendable ? Si nous devons changer nos habitudes de consommation est-ce en nous enfermant ou bien en nous débarrassant de la surconsommation alimentaire et énergétique ? Cette réflexion politique s'oppose fondamentalement à la réaction sanitaire.
Non je ne veux pas d'une civilisation comme celle-là. Je préfère mourir que de cautionner ce que l'on nous prépare. Je pense à nos enfants, à nos petits enfants. Non je ne veux pas d'une civilisation comme celle-là. L'arrogance et l'incompétence nous mènent droit dans le mur. C'est d'ailleurs ce qui a toujours suscité le déclin de celles qui nous ont précédés et qui se sont éteintes. Si nous devons avoir peur, ce n'est pas des virus à venir, mais de ceux qui en exploitent les retombées pour mieux nous asservir.

samedi 27 mars 2021

Couleurs du monde sur France Musique


En podcast sur France Musique, Françoise Degeorges me consacre son émission hebdomadaire Couleurs du Monde. La publication du CD Perspectives du XXIIe siècle, produit par le Musée d'Ethnographie de Genève, en est évidemment l'une des raisons principales. La productrice est récemment venue m'interviewer au Studio GRRR avec le réalisateur Pierre Willer qui tenait la perche. Je n'ai pas rencontré leur collaboratrice Floriane Esnault et j'ignorais tout du montage final, mais sur le site de France Musique est publiée la liste des extraits musicaux, avec une petite biographie, soit :

Les Années 1950 (CD Le Centenaire de JJB)
Improvisation sur les couleurs du monde (je ne me souvenais plus du tout de ce que j'avais bricolé lors de ma démonstration !)
Les Années 1960 - avec Hervé Legeay, Vincent Segal, Cyril Atef (CD Le Centenaire de JJB)
Les Années 2040 - avec Antonin-Tri Hoang (CD Le Centenaire de JJB)
Acceptez un conseil - avec Linda Edsjö (CD Pique-nique au labo)
Bolet Meuble - avec Francis Gorgé (LP Avant Toute)
Radio Silence - avec Bernard Vitet (CD Carton)
Nabaz'mob - l'opéra pour 100 lapins communicants réalisé avec Antoine Schmitt
Prise de contact - avec Antonin-Tri Hoang, Vincent Segal (CD Pique-nique au labo)
Musette (CD L'homme à la caméra/La glace à trois faces avec le grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané, solistes : Patrice Petitdidier, Bruno Girard)
M'enfin - avec Francis Gorgé, Bernard Vitet (LP/CD Rideau !)
Les Jambes - avec 17 voix du monde (CD Perspectives du XXIIe siècle)
Berceuse ionique - avec Jean-François Vrod, Sylvain Lemêtre (CD Perspectives du XXIIe siècle)
Aksak Tripalium - avec Nicolas Chedmail, Antonin-Tri Hoang, Sylvain Lemêtre (CD Perspectives du XXIIe siècle)
Amore 529 - avec Brigitte Fontaine, Bernard Vitet (CD Opération Blow Up)
Tapis volant - avec Alexandra Grimal (CD Pique-nique au labo)

L'émission est disponible en podcast pendant 3 ans.

vendredi 26 mars 2021

Pique-nique au labo sur Audion


Un article sympa sur le numéro d'avril de la revue anglaise Audion à propos de mon double CD Pique-nique au labo !
"Jean-Jacques Birgé a longtemps été un talent de premier plan sur la scène underground française. Au début des années 1970, il s'est fait connaître comme un maître du synthétiseur ARP 2600, d'abord en tant que membre éphémère de Lard Free avant de créer le phénoménal Birgé Gorgé Shiroc. Puis, après avoir côtoyé des musiciens de jazz et d'avant-garde plus "sérieux", il a changé de cap, s'aventurant davantage dans l'art sonore et la musique contemporaine, et en tant que membre d'Un Drame Musical Instantané. Plusieurs décennies plus tard, PIQUE-NIQUE AU LABO est son nouvel album "solo", ou devrais-je dire, son album en tant que chef de projet. En effet, ce double disque présente Monsieur Birgé en collaboration avec 28 autres musiciens sur une période de dix ans. Il ne s'agit donc pas vraiment d'un solo au sens normal du terme. Il joue d'une grande variété d'instruments, pour la plupart électroniques, généralement opposés à des instruments acoustiques. Par exemple, dans Improvisation 2 qui ouvre l'album, il joue avec l'étrange jouet japonais Tenori-on, échantillonnant la voix d'Elsa Birgé face aux riches sonorités du violoncelliste Vincent Segal. Il y a beaucoup de surprises de ce genre tout au long des 22 pistes de l'album, et parfois on a du mal à faire coïncider les instruments annoncés avec ce que l'on entend. Parmi les joyaux, citons Sous Surveillance, une rencontre entre l'électroacoustique, les bruits et la basse, faisant penser à Xenakis ou aux débuts de Dumitrescu. Cou, avec des blocs de son épais et des percussions inversées. Balance, une collision folle de tambours, d'instruments divers et d'électronique. Il y a aussi beaucoup de choses extrêmement chaotiques et noisy, et des choses où même moi, je devrais être dans le bon mood pour les apprécier. En somme, avec une telle diversité et une telle invention, il montre qu'il n'a jamais perdu son sens de l'aventure et que très peu d'albums sont plus expérimentaux que celui-ci !"
Alan Freeman

Odeia chante la Commune


J'étais persuadé avoir écrit un article sur cette chanson bouleversante, mais n'en ai nulle part trouvé trace. J'ignore comment Michèle Buirette était tombée sur Plainte qu'elle chantait avec notre fille Elsa et sa camarade Galilée lorsqu'elles étaient petites en les accompagnant à l'accordéon. "J'ai vu sous ma fenêtre égorger nos voisins, j'ai appris à connaître le temps des assassins...". Nous pensions que Prévert en était l'auteur, or s'il s'agissait en fait de Henri Bassis, la musique était bien de Joseph Kosma. Chaque fois qu'Elsa la reprenait j'avais les poils qui se hérissaient sur les bras. Il y a aussi des chansons qui vous font pleurer, comme Barbara que j'ai réécoutée hier, une des plus belles constructions dramatiques que je connaisse, sur une musique du même Kosma. Lorsqu'Elsa reprit Plainte avec le groupe Odeia, j'étais aux anges...


Pour le 150e anniversaire de la Commune, je ne pouvais me priver du plaisir de l'entendre. Elle figure sur leur dernier disque intitulé Parlami. Le quatuor, formé avec le violoniste Lucien Alfonso, le violoncelliste Karsten Hochapfel (ici à la guitare portugaise) et le contrebassiste Pierre-Yves Le Jeune, n'en a encore jamais enregistré de vidéo, mais j'en avais capturé un petit extrait lors d'un concert en appartement qui complète merveilleusement la version du disque (ci-dessus). De nos jours on ferait bien de multiplier ce genre d'évènement !


J'ai fini par retrouver l'origine de cette chanson. Elle figure sur un 33 tours intitulé "À l’assaut du ciel, La Commune de Paris, chronique en 7 tableaux". C'était il y a 50 ans. Sur l'enregistrement du spectacle joué par l’Ensemble Populaire de Paris (de chants et de danses de l’Union Régionale des Syndicats CGT) à l'occasion du centenaire de la Commune figurait Plainte chantée par Liliane Balay accompagnée par Michel Kus. Un disque Chant du Monde évidemment. Mais c'est la version d'Elsa et Odeia qui m'emporte...

jeudi 25 mars 2021

Le printemps ?


On peut toujours rêver. J'ai rassemblé cinq articles que j'avais écrits pour le 40e anniversaire de mai 68. J'aurais bien aimé faire la même chose pour le 150e anniversaire de la Commune, mais même centenaire j'aurais raté le coche. Les citoyens semblent anesthésiés, paralysés par la peur, et pourtant cela commence à frémir, dans les théâtres, dans les entreprises... Les Gilets Jaunes auront dix fois plus de raisons de se mettre en boule. Le gouvernement fait payer à la population sa gestion épouvantable de la crise. Nous sommes passés, par exemple, de 2500 lits de réanimation à 1700 en Île-de-France depuis mars 2020. Le capitalisme s'est offert un beau lifting à nos frais et cela ne fait que commencer. Ils prétexteront la catastrophe économique pour vendre l'État au privé. Combien de petits commerces ne rouvriront pas, au profit des grandes enseignes multinationales ? Le nombre de pauvres grandit déjà. Mais famine rime avec révolte. Il faut toujours se méfier de ceux qui n'ont rien à perdre...

AVANT, APRÈS
Article du 5 mai 2008

Voilà, le joli mai est enfin arrivé, précédé de commémorations quarantenaires à n'en plus finir. Cette précipitation marque-t-elle l'envie de s'en débarrasser ou au contraire que cela dure longtemps ? Plus longtemps certainement que n'avaient duré à l'époque les événements célébrés depuis des semaines à grand renfort de publications, publicité, récupérations, révision, réaction, réanimation, etc. Il y a autant de mai 68 que d'individus à l'avoir vécu, ou pas. Chacun le réfléchit sous l'angle unique de son expérience, étudiant à Paris ou en province, en grève dans son usine ou déjà réactionnaire, loin du tumulte ou en plein dedans, nostalgique ou révisionniste, fidèle à ses idées d'antan ou renégat réembourgeoisé, et différemment selon ses affinités politiques, ses origines sociales, sa profession ou son âge... Ce n'est pas tant le mois de mai qui nous marqua, mais les années qui suivirent. Jusque là, la jeunesse n'avait jamais manifesté qu'en faisant des monômes le jour des résultats du Baccalauréat en secouant un peu les automobilistes qui roulaient boulevard Saint-Germain. Les générations précédentes avaient connu la Résistance ou la guerre d'Algérie. Les parents ou les grands frères "engagés" avaient raconté leurs combats contre l'Occupation ou pour l'indépendance algérienne. C'est ainsi que les traditions se transmettent. Le pays vivait en blouse grise. Si le ciel allait se colorer de rouge et noir, il se parerait aussi de l'arc-en-ciel psychédélique...
Au Lycée Lafontaine, ma sœur avait son nom brodé sur sa blouse obligatoire. Bleu clair ou écrue, en changeant alternativement tous les quinze jours pour être certain qu'elle soit lavée, et vendue exclusivement au Bon Marché. Le pantalon était interdit dans les lycées de filles et la directrice elle-même vérifiait à l'entrée la distance du bas de la jupe jusqu'au sol avec un mètre de couturière ! Les petites anecdotes comme celles-ci en disent long sur l'époque. Ni les écoles ni les lycées n'étaient mixtes. La distance entre garçons et filles allaient d'un coup voler en éclats.

L'image est celle du livre-CD N'effacez pas nos traces ! de la chanteuse Dominique Grange dont j'allais bientôt fredonner les chansons (La pègre, Grève illimitée, Chacun de nous est concerné, À bas l'état policier) et qui ressort aujourd'hui dans une nouvelle interprétation abondamment illustrée par son compagnon, le dessinateur Jacques Tardi (96 pages inspirées). C'est dans la tradition des chansons engagées d'Hélène Martin, de Francesca Solleville (qui apparaît ici dans les chœurs, aux côtés du violoniste Régis Huby, du bandéoniste Olivier Manoury, entre autres), de Monique Morelli, Jean Ferrat, Colette Magny... Le 45 tours original était sérigraphié et coûtait 3 francs. Le petit bouquin carré, gentiment préfacé par Alain Badiou, est un cadeau sympa parmi la marée d'objets de consommation édités à l'occasion du quarantenaire. Chacun y va de son mai. Je ne me joindrai à la meute que le 10 mai prochain, journée qui alors marqua ma seconde naissance, mais je n'ai rien à vendre...
Sur un autre 45 tours, d'Evariste cette fois, toujours 3 francs, dont la pochette était signée Wolinski, publié par le C.R.A.C. (Comité Révolutionnaire d'Agitation Culturelle) et sur le quel figuraient La faute à Nanterre et La révolution, on peut lire : "Ce disque a été réalisé avec le concours des mouvements et groupuscules ayant participé à la révolution culturelle de mai 1968. Il est mis en vente au prix de 3F afin de démasquer à quel point les capitalistes se sucrent sur les disques commerciaux habituels" ainsi que "Ce disque est un pavé lancé dans la société de consommation".


MA SECONDE NAISSANCE
Article du 10 mai 2008

Peut-être était-ce quelques jours plus tôt et je fais un amalgame avec la journée qui précède "la nuit des barricades". J'essaye de me souvenir. C'était un vendredi. Le vendredi 10 mai. La foule des lycéens était attroupée devant la petite porte du lycée en face du stade et personne n'entrait. On se demandait si on allait suivre le mouvement qui depuis quelques temps animait Nanterre et le quartier latin. Nous ne savions pas vraiment quoi faire. À l'appel des CAL (Comités d'Action Lycéens), des mots d'ordre de grève avaient circulé, mais jamais on n'avait entendu parlé de grève d'élèves, ni des lèvres ni des dents (en fait les premières ont lieu dès décembre 67). Je me suis dévoué pour aller voir le proviseur pris dans la cohue et je lui ai posé la question qui nous turlupinait. Depain, un type plutôt pas mal dans la difficulté de sa fonction, m'a répondu "Mais qu'est-ce que vous voulez que je fasse !" en me montrant tout le lycée massé sur le trottoir. Ensuite, tout est allé très vite, j'ai dit "Portez-moi !" et j'ai crié au-dessus des têtes "Je viens de parler avec Monsieur le Proviseur, il n'y aura pas de sanction..."
Ma vie a basculé en quelques secondes. J'avais quinze ans, jusque là il aurait été hors de question que je franchisse le seuil de la maison sans cravate, même pour aller acheter le pain. Mes parents trouvaient étrange cette lubie. J'avais été un bon élève, le fils aîné d'une famille qui se prétendait "intellectuels de gauche". Mon engagement se cantonnait aux dissertations que ma mère avait souvent rédigées à ma place. Et puis tout à coup, je suis porté par la foule, ovationné, et je m'entends hurler "Tous à Lafontaine !". C'était le lycée de filles à côté de Claude Bernard. Nous marchons. Nous enfonçons les portes et nous grimpons quatre à quatre dans les étages, ouvrant les portes des salles où se donnent les cours. On ne peut pas dire que notre élan fut couronné de succès. Tout juste une dizaine de filles débrayèrent pour "grossir" notre défilé qui se dirigea d'abord sur Jean-Baptiste Say puis Jeanson de Sailly. Mon oncle Gilbert appela mon père pour le prévenir qu'il venait de me voir passer "à la tête d'une manifestation" rue de la Pompe où il décorait la vitrine d'une boutique. Nous avons marché et nous marcherons encore beaucoup et nous courrons, ah ça, nous avons couru pendant toutes ces années ! Je n'étais pas un lanceur de pavés, mais j'ai couru, couru jusqu'à la manif contre Nixon quelques années plus tard, seize kilomètres à bout de souffle avec les matraques qui s'abattaient sur les crânes de tous les côtés... En fin d'après-midi, nous avions rejoint les autres défilés à Denfert-Rochereau. Tandis que nous attendions, je suis entré dans un salon de coiffure et j'ai demandé s'il était possible que j'appelle mes parents pour les rassurer.
Le soir, ils ont dit qu'il était important qu'on se parle : "Sache que ta mère et moi, pendant les jours qui vont venir, nous allons être très inquiets, mais après tout ce que je t'ai raconté de ma jeunesse je me vois mal t'interdire d'aller manifester..." En 1934, mon père se battait à la canne contre les Camelots du Roi. Il s'était engagé dans les Brigades Internationales, mais n'était jamais parti à cause de ses rhumatismes articulaires aigus. La crise qui a précédé son départ lui a sauvé la vie, aucun de ses camarades n'est revenu d'Espagne. Plus tard, il entrera dans la Résistance, dénoncé il sera fait prisonnier, s'évadera du train qui l'emmenait vers les camps, etc. Mon activité "révolutionnaire" était beaucoup plus modeste...

Article du 13 mai 2008

Lundi 13 mai 1968, c'était ma deuxième grosse manif, mais tout cela est loin. Par contre, je ne peux oublier les suivantes, toutes les suivantes, parce que je faisais partie du "service d'ordre à mobylette". Il s'agissait de précéder le cortège en arrêtant les automobiles aux carrefours pour le laisser passer sans encombre. À une trentaine, on bloquait, les manifestants nous rejoignaient, on repartait au prochain feu. À cette époque il n'y avait pas de voitures de flics pour ouvrir et fermer la voie ! Il n'y avait déjà pas autant de bagnoles, mais dès la pénurie d'essence, on avait l'impression de faire une ballade en forêt. D'autres disaient la plage. Très vite, les feux tricolores ne signifièrent plus rien du tout. Avec ma Motobécane grise, je livrais aussi les affiches imprimées dans les ateliers des Beaux-Arts, je les apportais par exemple à l'ORTF, la Maison de la Radio et de la Télévision dont Godard avait filmé les couloirs pour Alphaville. On rencontrait du monde. La rue était à nous. La vie était à nous. Ce n'était qu'un début.


DEMANDEZ ACTION !
Article du 18 mai 2008

La Maison des Jeunes et de la Culture du XVIe arrondissement ressemblait à un baraquement le long de terrains de jeux entre la Porte de Saint Cloud et la Seine. Elle abritait de nombreuses activités et recevait souvent des conférenciers. C'est ainsi que j'ai découvert les projections lumineuses psychédéliques, la relaxation zen et des chanteurs d'horizons très divers. J'habitais alors Boulogne-Billancourt, tissu social constitué des enfants des ouvriers de Renault et des petits bourgeois de l'ouest parisien.
En mai 68, la M.J.C. accueillit le Comité d'Action du XVIe arrondissement, cela ne s'invente pas, où je me souviens avoir milité aux côtés de Rémi Kolpa Kopoul, un peu plus âgé que moi. En fin de journée, nous allions à la sortie du métro vendre un journal créé par les étudiants : "Action, demandez Action, le journal des Comités d'action !" Ma voix portait et nous repartions lorsque nous avions tout vendu. Abondamment illustré par exemple par Siné, Wolinski, Reiser, Topor, Action donnait la parole à ceux qui ne pouvaient s'exprimer dans la presse officielle.
En un sens, il fut pour moi le premier modèle de ce qu'allait devenir le Journal des Allumés (du Jazz) que Francis Marmande saluait la semaine dernière dans Le Monde comme "le seul journal offensif, pensé, de cette musique". Il y a un temps pour tout. Il faut savoir tourner la page. Plus tard, Siné créerait L'enragé dont j'ai conservé la collection complète et que nous interviewerons pour notre canard et Topor dessinera l'affiche de mon film sarajevien Le Sniper.
J'ai toujours rêvé pouvoir répondre au jour le jour comme lorsque je produisais Improvisation mode d'emploi sur France Culture tous les soirs en direct à 20 heures ou lors du Siège de Sarajevo quand nous envoyions tous les soirs à 19 heures un film de deux minutes que nous avions réalisé le matin et monté l'après-midi. Un journal papier coûte cher, a fortiori un programme de télévision. Le blog est une manière de perpétuer ce rêve en lui donnant corps. Sept jours sur sept depuis bientôt trois ans, je suis fidèle au poste. J'ignore combien de temps cela durera encore. De nouvelles opportunités auront peut-être raison de cette activité-là aussi. Allez savoir... Mais je suis conscient de l'importance qu'eut sur moi Action comme tout ce qui suivit. L'improvisation me permet de réagir sans délai à une sollicitation et j'imagine que je pourrais continuer en sons ou en images aussi bien qu'en paroles. Action est resté le mot d'ordre qui m'aura permis de croire à mes utopies en leur faisant franchir le seuil qui sépare l'impossible du réel.


TOMBEAU DE GILLES TAUTIN
Article du 15 juin 2008

Les événements de mai ne se sont pas cantonnés au mois de mai 68. Même s'ils ont duré quelques semaines, leur effet s'est réellement fait sentir pendant la demi-douzaine d'années qui allaient suivre. On a célébré leur quarantième anniversaire dès mars-avril pour pouvoir s'en débarrasser le plus vite possible, sur les conseils d'un président qui avait loupé le coche pour jouer le rôle de mouche. Ce qui est important n'est pas ce qui s'est passé alors, mais les changements radicaux qui en ont découlé. Pourtant, le samedi 15 juin 1968, je me souviens avoir suivi l'enterrement de Gilles Tautin, un lycéen de 17 ans noyé dans la Seine après poursuite par les forces de l'ordre près des usines Renault de Flins. On parle plus souvent de Pierre Overney, mais la mort de ce garçon à peine plus âgé que moi me marqua considérablement. L'immense cortège ne fait presque pas de bruit, un silence de mort. Je ne suis pas fan des fleurs ni des couronnes, mais chacun dépose une rose rouge sur son cercueil. Je suis retourné. On sentait parfaitement l'injustice, le crime de la police gaullienne. C'était la première fois que j'étais confronté à la mort d'une jeune personne. Celles qui suivirent dans ma vie portent son empreinte. Percuté sur l'autoroute par un imbécile qui roule à contre-sens, pendu pour un chagrin d'amour, suicidé au gaz qui fait exploser l'immeuble, junkies à l'overdose, et puis la maladie... Ça reste toujours une absurdité, même si l'on est en droit de se demander ce qui absurde, de la vie ou de la mort ? La vanité des hommes est sans limites. Je l'oublie parfois.

mercredi 24 mars 2021

L'Alba À principiu


Combien de fois ai-je remis À principiu de L'Alba sur la platine sans être capable d'écrire un mot ? Tout de suite senti l'accroche. De quel coin du monde arrivait ce petit objet rond dans sa pochette promo quasi anonyme ? Je déteste cet entre-deux que la photocopie qui l'accompagne n'éclaire qu'en la relisant plusieurs fois parce que les informations y sont noyées dans le laïus d'un pigiste bien obligé d'arrondir ses fins de mois. Il manque le véritable objet qui justifie l'achat plutôt que de se contenter de son fantôme dématérialisé, avec le livret, les paroles parfois, etc. Là c'est vraiment nul, même la vidéo avec entretiens et extraits a disparu pendant que j'écrivais mon petit compte-rendu. Et puis de toute manière je préfère toujours me reporter aux auteurs plutôt qu'à leurs thuriféraires. Jean-André Fieschi m'avait bien appris qu'il vaut toujours mieux lire un livre de Jean Renoir qu'un livre sur lui. Il y a bien celui, magnifique, sur son père Pierre-Auguste, mais c'est une autre histoire.
Ici on peut d'abord penser à l'Inde, à la Roumanie, je raconte n'importe quoi, y connaissant si peu. En 1975 je jouai pourtant de la guimbarde sur un 33 tours des Fédérations de la Corse du PCF à la demande de mon maître, originaire de Bastelicaccia. On comprend évidemment vite qu'ils sont corses. C'est qu'ils ont de sacrées belles voix. Qui cela ? Comment savoir ? J'épluche la page, ravi par l'écoute. L'orchestre est du niveau. C'est rudement bien. Les chants polyphoniques révèlent l'évidence. Les guitares électriques se mêlent aux instruments traditionnels du pourtour de la Méditerranée... Ghjuvanfrancescu Mattei à la guitare, Éric Ferrari à la basse, Ceccè Guironnet aux instruments à vent, Sébastien Lafarge à l'harmonium, et puis aussi Laurent Barbolosi au violon, Fanou Toracinta et Antoine Chauvy à la guitare, Petrughjuvani Mattei qui chante avec presque tous les autres, Dédé Tomaso... Je glane les infos sur la Toile...


Invités, le percussionniste Mokhtar Samba souligne ce voyage autour de Mare Nostrum, ou encore le guitariste zimbabwéen Louis Mlhanga, sur la onzième et dernière chanson, montre que L'Alba s'enfonce désormais dans les terres ensoleillées. Comme j'ai du mal à me repérer au milieu de ce fouillis de lignes, j'abandonne l'idée de comprendre qui est qui, qui joue quoi et où, je m'abandonne et je remets ça. Juste la musique. Le chant. Une histoire entre hier et aujourd'hui, entre ici et là-bas, toujours plus loin. La musique est espéranto.

→ L'Alba, À principiu, CD Buda Musique, dist. Socadisc, 15€

mardi 23 mars 2021

Rencontre avec Artavazd Pelechian


Faute de pouvoir nous permettre de visiter l'exposition, la Fondation Cartier met en ligne un énorme dossier sur l'immense cinéaste arménien Artavazd Pelechian. Rien ne vaut la projection de ses films sur grand écran, mais j'ai toujours eu du mal à trouver des informations sur son travail. Nombreux et longs témoignages, commentaires, extraits de films, dont l'hommage à Esther Choub, réalisatrice soviétique qui a inventé le film de montage "popularisé" par Dziga Vertov ! Il existe un DVD avec presque tous les films de Pelechian, hormis le dernier, le récent La nature, son premier depuis 27 ans... En 4 chapitres fournis, la Fondation Cartier lève un voile sur ce cinéaste secret...

Retour sur l'annonce du 14 août 2020
avant qu'on nous enferme


Grande nouvelle, la Fondation Cartier pour l’art contemporain annonce une exposition consacrée au cinéaste arménien Artavazd Pelechian du 24 octobre 2020 au 7 mars 2021, avec présentation en première mondiale de La Nature, son nouveau film, fruit d’une commande passée en 2005 par la Fondation Cartier et le ZKM Filminstitut. Ce film est l’aboutissement de quinze années de travail. L’exposition proposera un dialogue inédit entre La Nature (1h02 mn), son premier film depuis 27 ans, et son chef d'œuvre, Les Saisons (29 mn), ode au monde paysan réalisée en 1975.
Communiqué de presse ici.



Article du 4 mars 2007

Vers 1994 j'ai la chance de découvrir par hasard à la télévision les films d'Artavazd Pelechian et de les enregistrer en vhs : je peux ainsi revoir sept de la douzaine de films réalisés par le cinéaste arménien : Les habitants (1970, musique V. Ouslimenkov, voir au-dessus), Nous (1969), Les saisons (1972), Notre siècle (1982), Fin (1992) et Vie (1993). [Récemment] j'ai trouvé les copies de deux autres plus anciens, dont La patrouille de montagne (Lernayin parek) que Pelechian montre rarement parce qu'il le considère comme un travail d'école, du temps où il était au VGIK à Moscou avec son condisciple d'Andréï Tarkowski. [Pendant longtemps on ne trouvait qu'un DVD portugais, mais il y a maintenant une édition française avec ses sept films les plus connus].


[En 2018, pour illustrer mon article, je finis par trouver sur le net] Les saisons (Tarva Yeghanaknere ou Vremena goda), son chef d'œuvre internationalement célèbre, chant absolument sublime sur la moisson, la fenaison et surtout la transhumance. Mais rien ne vaut sa projection sur grand écran ! Le passage du gué des moutons par les bergers à cheval et les descentes des meules de foin en courant sur des pentes à 45% sont parmi les moments les plus intenses de toute l'histoire du cinéma. Comme dans nombreux de ses autres films défile l'histoire du peuple arménien, mais Artavazd Pelechian transpose toujours son sujet de façon lyrique, sans aucune parole, rythmé alors sur les musiques de Vivaldi et V. Kharlamenko.

Au Début (Nacalo ou Skisb, 1967) est dédié au 50ème anniversaire de la Révolution d'Octobre. La musique est de Sviridov.
À tout commentaire, j'ai toujours préféré les témoignages. Voici quelques extraits du livre de Pelechian, Mon Cinéma (traduction Barbar Balmer-Stutz), trouvés sur le précieux site qui lui est consacré :
" [Dans mes films], il n'y a pas de travail d'acteur, et [ils] ne présentent pas de destins individuels. C'est là le résultat d'une option dramaturgique et de mise en scène consciente. Le film repose pour sa structure compositionnelle sur un principe précis, sur le montage audiovisuel sans aucun commentaire verbal. (…) L'une des principales difficultés de mon travail fut le montage de l'image et du son. Je me suis efforcé de trouver un équilibre organique permettant l'expression unifiée simultanément de la forme, de l'idée, et de la charge émotionnelle par le son et par l'image. Il fallait que le son soit indissociable de l'image, et l'image indissociable du son. Je me fondais, et me fonde encore sur le fait que, dans mes films, le son se justifie uniquement par son rôle au niveau de l'idée et de l'image. Même les bruits les plus élémentaires doivent être porteurs d'une expressivité maximale et, dans ce but, il est nécessaire de transformer leur registre. C'est pour cette raison que, pour l'instant, il n'y a pas de son synchrone ni de commentaire dans mes films."


Après La Terre des hommes (Zemlja ljudej, 1966), je cite encore Mon cinéma :
"L'une des affirmations de base d'Eisenstein nous est connue depuis longtemps : un plan, confronté au cours du montage aux autres plans, est générateur de sens, d'appréciation, de conclusion. Les théories du montage des années 20 portent toute leur attention sur la relation réciproque des scènes juxtaposées, qu'Eisenstein appelait le " point de jonction du montage " (montznj styk) et Vertov un " intervalle ". (…) C'est lors de mon travail sur le film Nous que j'ai acquis la certitude que mon intérêt était attiré ailleurs, que l'essence même et l'accent principal du montage résidait pour moi moins dans l'assemblage des scènes que dans la possibilité de les disjoindre, non dans leur juxtaposition mais dans leur séparation. Il m'apparut clairement que ce qui m'intéressait avant tout ce n'était pas de réunir deux éléments de montage, mais bien plutôt de les séparer en insérant entre eux un troisième, cinquième, voire dixième élément. (…) En présence de deux plans importants, porteurs de sens, je m'efforce, non pas de les rapprocher, ni de les confronter, mais plutôt de créer une distance entre eux. Ce n'est pas par la juxtaposition de deux plans mais bien par leur interaction par l'intermédiaire de nombreux maillons que je parviens à exprimer l'idée de façon optimale. L'expression du sens acquiert alors une portée bien plus forte et plus profonde que par collage direct. L'expressivité devient alors plus intense et la capacité informative du film prend des proportions colossales. C'est ce type de montage que je nomme montage à contrepoint."

Découvert en France par Jean-Luc Godard et Serge Daney, Pelechian n'avait pas terminé de film depuis 1993. On avait pu voir Les saisons à la Fondation Cartier dans l'exposition Ce qui arrive concoctée par Paul Virilio, mais aucune nouvelle trace jusqu'ici de quelque édition dvd. Né en 1938, on pouvait espérer qu'il trouverait les moyens de continuer à réaliser des documentaires aussi exceptionnels par leur lyrisme et leur rythme, leur sens critique et leur humanisme (entendre au sens noble du terme, soit celui qui réconciliera enfin l'homme avec la nature !).

P.S.: C'est ce que j'avais écrit en 2007, et le nouveau film s'appelle La nature !
Depuis, j'ai eu la chance de trouver ses deux premiers films, La patrouille de la montagne (1964) et La terre des hommes (1966), mais il faudra attendre la fin de l'absurdité dans laquelle le gouvernement français nous laisse mariner pour voir La nature à la Fondation Cartier...

La clef sous le porte-à-porte


Avec la paranoïa virale entretenue par les médias, le porte-à-porte a pris un coup dans l'aile. Les Témoins de Jéhovah n'osant plus sonner à ma porte, même masqués, sont contraints d'adopter les méthodes des démarcheurs d'assurances ou de fenêtres. D'habitude, lorsqu'un 09 s'affiche sur mon téléphone fixe, il y a neuf chances sur dix pour que ce soit un des ces importuns que j'envoie paître en leur racontant que je suis mort (silence !), que ma ligne est sur BlocTel (ils s'enfuient) ou à qui je souhaite bon courage les jours où je suis moins agacé. Il m'arrive aussi de raccrocher avant qu'ils aient le temps d'ouvrir le bec ou de poser le combiné décroché, les abandonnant suspendus à mon vertigineux silence. À moins que le robot s'efface de lui-même, parfois précédé d'un surprenant "Goodbye".
Les Témoins de Jéhovah, eux, ne lâchent pas l'affaire. Son 06 me laissait espérer l'appel d'un ami ou une proposition de travail. Si, si, c'est même arrivé hier... Élevé dans la tolérance, je tempère mon anticléricalisme et renvoie le jobard à sa foi, même si j'évite toute référence étymologique à Satan. Je connais quelques amis qui ont réussi à s'extirper de cette secte aussi arriérée que les autres. Il faut parfois être confronté à des évènements inattendus pour que le rêve se révèle cauchemar, et vice versa. Soyons clairs, c'est sa taille qui différencie une secte d'une religion. Les nains aussi ont commencé petits. Renvoyons les détracteurs du storytelling et du complotisme à la Bible, écrite par de vicieux zélateurs romanesques. Si des milliards d'individus sur la Terre prennent ces fariboles pour argent comptant, comment voulez-vous que leur esprit critique s'exerce sur les systèmes qui les oppressent ? Pensent-ils avoir dompté la nature ? La crédulité de l'Homme est sans limites. L'écrivain Vercors évoque Les animaux dénaturés. Qu'on ne s'y trompe pas ! La magie est intacte. La question sans réponse est merveilleuse. La poésie y pourvoit. Rien ne se perd, rien ne se crée. Les atomes ne cessent de danser. En animiste scientifique je regarde avec tendresse le combiné du téléphone planté sur sa base, muet et pourtant si vivant ;-)

lundi 22 mars 2021

Schtilibem 41... La fille de l'air


Rédiger quotidiennement ce blog m'a offert des ouvertures sur le monde réel que je ne pouvais soupçonner à l'origine. Au cours de ces quinze années, évoquer telle ou telle personne croisée auparavant sur ma route a suscité parfois des messages de sympathie des intéressés ou de leurs proches. Ainsi un fils, une fille, un neveu, une nièce, un camarade, un voisin m'écrivent, qu'ils m'informent ou qu'ils veuillent en savoir plus. Par exemple, j'appris ce qui était advenu à tel ami disparu, ou qui était véritablement mon grand-père paternel ou encore, tout simplement, je fis la connaissance de gens dont j'ignorais l'existence, mais dont le témoignage ouvrirait de nouvelles portes. Au fil des années, mes articles tissent un lien social, devenu crucial lors d'une période comme celle que nous traversons actuellement.

Cette grande évasion m'amena récemment à la rencontre de la fille de Georges Arnaud que mon père avait découvert et dont il avait été l'agent littéraire au début des années 50. En lisant la biographie de l'auteur du Salaire de la peur je m'aperçois qu'ils sont contemporains l'un de l'autre, nés tous deux en 1917 et morts à l'âge de 70 ans. Politiquement engagés très à gauche, l'un comme l'autre furent des aventuriers exerçant des dizaines de métiers abracadabrants. S'ils connurent la prison à plusieurs reprises, c'est dans des conditions éminemment différentes. Mon père fut arrêté par les Nazis pour sabotage et torturé jusqu'à ne peser plus que 34 kilos, puis par les Français à la Libération pour avoir travaillé dans un service allemand avant d'être dédouané par son chef londonien. Il avait heureusement sauté du train qui l'emmenait vers les camps de la mort où avait fini mon grand-père... En 1941, Henri Girard, le vrai nom de Georges Arnaud, resta 19 mois à la prison de Périgueux, accusé d'avoir assassiné à la serpe son père, sa tante et une domestique. Les conditions d'incarcération étaient alors si épouvantables que dix codétenus moururent de froid ou de faim, et surtout se profilait inéluctablement la guillotine. Même si le mystère de la tuerie du Château d'Escoire est restée un mystère, Henri fut innocenté grâce à l'avocat Maurice Garçon. En 1960, partisan de l'indépendance de l'Algérie, il est arrêté pour refus de délation et reste deux mois en prison, mais cette seconde fois, comme elle le fut pour mon père, est une sinécure en comparaison de la précédente. Il inaugure alors la stratégie dite d'enfermement militant...

Je reviens à ce qui a inspiré cet article, la rencontre sympathique avec Laurence Girard, sa plus jeune fille. En admirant les magnifiques affiches révolutionnaires qu'elle collectionne, je comprends que nous partageons l'héritage politique de nos pères. Comme je m'en vais, Laurence m'offre un recueil de romans que je ne possède pas ou plus, en particulier Le salaire de la peur dont je ne retrouve des exemplaires qu'en allemand, italien, danois, norvégien, suédois et japonais ! Bien que j'ai vendu les 7000 livres de la bibliothèque de mon père, j'ai conservé Le voyage du mauvais larron (dédicacé "Pour Jean Birgé, Le voyage du mauvais larron dans les pays où il n'y a pas d'agents littéraires, suivi d'un retour à Paris où nous avons fait connaissance et sommes devenus amis"), Lumière de soufre (dédicacé "Pour Madame Jean Birgé, avec les hommages respectueux d'un ami de Jean"), Prisons 53 (dédicacé " Pour Jean, son copain Georges"), Maréchal P. (dédicacé "Salut, Jean, n'y touche pas. Ça brûle. Mais quel dommage ! Ton ami Henri dit Georges Arnaud"). Mais surtout Laurence m'offre le petit fascicule Schtiliben 41 qu'elle considère comme le meilleur, écrit en prison en 1941 alors qu'une condamnation à mort semble inéluctable bien que le jeune homme clame son innocence...

Schtilibem, qui signifie prison en argot, est une œuvre inclassable, un cri de révolte, puissant et provoquant. Chacun des dix courts chapitres m'apparaît comme une chanson. Si le style cru et brutal est le même, l'atmosphère est différente, suivant l'état émotionnel du moment. On pense forcément au Condamné à mort de Jean Genet, mais les conditions et le style sont tout autres. Une préface de Pierre Mac Orlan évoque les langues d'argot et le brûlot est suivi d'un précieux glossaire établi par l'auteur lui-même. Comme mon père jactait l'argomuche, j'arrive à comprendre la majorité des mots employés, mais il m'en manque tout de même un pacsif ! En le lisant à voix haute, je me rends compte surtout que ce texte, par sa scansion et son style direct, a très probablement inspiré Léo Ferré dans ses diatribes déclamatoires (Le Chien, La Solitude, Il n'y a plus rien...), plus que Rimbaud souvent évoqué. C'est, comme par hasard, l'épouse d'alors de Georges Arnaud qui avait présenté en 1950 Madeleine à Léo, sa muse et sa femme jusqu'en 1968. Certaines énigmes se révèlent au détour d'un chemin bien sinueux, et je m'étais souvent demandé comment cette scansion rageuse avait écarté Ferré de ses mélodies romantiques. On ne revient pas indemne de la lecture de Schtilibem !

→ Georges Arnaud, Schtilibem 41, ed. Finitude, 11€

vendredi 19 mars 2021

L'air de rien - avec Élise Caron et Fidel Fourneyron


Entre cet album enregistré le 11 mars avec la chanteuse Élise Caron et le trombone Fidel Fourneyron et celui réalisé deux jours plus tôt avec la flûtiste Naïssam Jalal et le violoniste Mathias Lévy, c'est le jour et la nuit. Tout abus sera puni est une œuvre réveillée et pleine d'entrain, alors que L'air de rien est une évocation sombre et nocturne. Faux miroir l'un de l'autre, ils n'ont de commun que ma présence et le dispositif, tirage aléatoire des thèmes joués au fur et à mesure de la journée. Et puis, si la chanteuse joue de la flûte, la flûtiste chante à son tour. Ou encore, le tromboniste comme le violoniste travaillent le timbre de leur instrument, pervertissant parfois le son "naturel". L'air de rien m'apparaît comme un album noir, plongée dans les profondeurs de l'âme humaine, alors que mes compagnons comme moi-même avons l'habitude de fantaisies sonores primesautières. Peut-être que le climat général de la "crise" sanitaire déteignait sur nous ce jour-là. Il pleuvait. Cela ne nous a pas empêchés de nous amuser comme des gamins...


Élise Caron est tombée amoureuse de l'un de mes synthés-jouets chinois. J'en ai toute une panoplie acquise il y a quinze ans chez Tati Barbès. Chacun ne coûtait qu'une quinzaine ou une vingtaine d'euros. Ils sont tous composés d'une partie séquenceur pré-enregistré, d'un clavier et de disques scratchables. Je n'ai pas pris le temps de montrer à Élise qu'il y avait même un microphone sur certains ! Elle m'avait d'ailleurs demandé un micro avec réverbération maximale que nous avons placé dans la cabine, loin de nous. Lorsqu'elle le souhaitait, Élise ouvrait et fermait la porte, grincement à la clef. Quant à Fidel Fourneyron, j'aurais dû fixer plus tôt une bonnette sur le Neumann, cela m'aurait évité d'avoir recours à un filtre numérique anti-pop au mixage ! Au fur et à mesure des pièces il devient de plus en plus lyrique au trombone ; au début il se fond discrètement dans des ambiances graves qui se mélangent à mes sons souterrains. J'étrennais pour la première fois mon kazoo amplifié, ainsi que, comme deux jours plus tôt, ma shahi baaja, une cithare à touches électrique. N'ayant pas eu le temps de cuisiner, au déjeuner je leur ai servi un assortiment de viandes laquées avec le délicieux riz gluant de chez Super Tofou. Étonnamment les pièces de l'après-midi sont plus dynamiques. Je crains toujours que la digestion nous endorme. C'était loin d'être le cas. Nous n'arrivions plus à nous arrêter. Ces deux journées m'ont redonné la pêche. Je n'avais pas joué ainsi depuis décembre 2019, mais entre temps était sorti Pique-nique au labo, double CD des précédentes improvisations commencées en 2010. D'autres séances sont déjà prévues avec de nouveaux musiciens et musiciennes ! J'aime rappeler que les musiciens ont en commun avec les comédiens le privilège de jouer, jouer comme des enfants, ce qui manque par exemple cruellement aux artistes plasticiens et aux romanciers.

Fidèle aux cartes du jeu Oblique Strategies que j'avais soumis à Élise et Fidel, nous avons été confrontés aux thèmes suivants : Y a-t-il des parties? Considérez les transitions. / Est-ce que c’est fini ? / Faites une action soudaine, destructive, imprévisible. Incorporez. / Analysez précisément les détails les plus embarrassants, amplifiez les. / Regardez dans quel ordre vous faites les choses. / Ne stressez pas pour une chose plus qu’une autre. / Du jardinage. Pas d’architecture. / Que ferait votre ami le plus cher (votre amie la plus chère) ? / Détruisez : rien ou ce qu’il y a de plus important. / Utilisez une vieille idée. / Ne brisez pas le silence. / Ne craignez pas d’afficher vos talents. / Toujours les premiers pas. / Avons-nous besoin de trous ? Ce genre de journée vous requinque...

→ Birgé Caron Fourneyron, L'air de rien, en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org

Photo du trio © Peter Gabor

jeudi 18 mars 2021

Mercedes


Article du 9 mai 2008

Sa progression sur les planches de la terrasse attire mon regard. Elle rapproche ses pattes arrière de ses pattes avant en dessinant un arc en Ω pour relancer ensuite sa tête vers où elle se dirige et ainsi de suite. Comme je m'approche pour filmer ce mouvement remarquable elle se fige. Je m'éloigne, elle repart. Je reviens, elle s'arrête. Je n'arriverai donc qu'à prendre une photo, réduit à effacer toutes mes tentatives cinématographiques. J'ignore son nom et ce qu'elle deviendra plus tard, mais je compte surveiller tout ce qui vole dans le jardin en espérant que j'arriverai à l'identifier après sa mue.
Je sortais du cinéma L'Olympic Entrepôt lorsque je croise Mercedes avec qui j'avais partagé une liaison de quelques semaines lorsque nous avions une vingtaine d'années. Je l'appelle par son prénom. Comme je sens son regard de myope qui se perd dans le mien, j'insiste, amusé : "tu ne me reconnais pas ?" Non, elle ne voit pas. Six ou sept ans s'étaient écoulés. J'avais coupé mes cheveux longs et rasé ma barbe. Nous avons entamé une nouvelle liaison et nous nous sommes quittés après le même délai de trois semaines pour les mêmes raisons que la première fois. Je ne l'ai plus jamais revue...
P.S.: 40 ans plus tard, 13 ans après ces mots, j'ai appris ce qu'elle était devenue, grâce à l'incontournable googlisation, et je suis heureux qu'elle ait trouvé sa voie... J'ai perdu la trace d'autres chenilles, d'autant que certaines ne sont hélas jamais devenues papillons...

mercredi 17 mars 2021

Anesthésie générale


Je pensais mettre en ligne L'air de rien, second album enregistré la semaine dernière, cette fois avec Élise Caron et Fidel Fourneyron, mais il faut tout de même que je laisse aux oreilles de mes auditeurs le temps de souffler (ou siffler, comme on voudra l'entendre). J'ai donc choisi ce petit bijou méconnu dont on appréciera tant le montage et la bande-son que son analyse, et qui me rappelle une conversation que j'avais eue avec Claude Cheysson, ancien ministre des Relations extérieures de François Mitterrand. Cet après-midi-là, tandis que que nous faisions quelques pas dans le parc, il m'expliqua que sa mauvaise appréhension de la résistance nicaraguayenne avait été l'erreur de sa vie politique. De mon côté j'essayai, hélas sans succès, de lui faire confirmer qu'il n'existait aucun autre terrorisme que le terrorisme d'État ! Quant à Fidel, j'étais déçu qu'il n'ait pas lu la passionnante biographie à deux voix d'Ignacio Ramonet avec Castro, mais c'est probablement à ses parents que j'aurais dû poser la question ! Fidel a d'autres talents...


HISTOIRE D'UN CINÉMA SOLIDAIRE DU PEUPLE
Article du 1er juin 2008

Histoire d'un cinéma solidaire du peuple est le titre de ce petit film de 5 minutes, ou comment, au Nicaragua, une équipe de "cinéma mobile" voyait le cinéma impérialiste ! La démonstration est éclatante, entre un Bruce Conner marxiste et un Buñuel première manière. Jonathan Buchsbaum, qui en a réalisé les sous-titres, nous fait découvrir ce petit film sandiniste de 1983 qui alimente son livre Cinema and the Sandinistas: Film in Revolutionary Nicaragua 1979-1990 (Texas Press).

P.S. de 2021 : à l'heure où le monde de la culture et du travail commence seulement à se réveiller après un an d'anesthésie générale, on appréciera le paradoxe de mon postulat de départ. Car souffler n'est pas jouer. Derrière les images et les sons distillés en fonction des besoins de gouvernance se cache l'idéologie, concept que le pouvoir voudrait nous faire croire dépassé. Hier, par inadvertance, j'ai allumé notre radio d'État. J'ai été sidéré par la manipulation et l'approximation de l'information déversée. Sommes-nous vaccinés par cet enfumage où la population devient cobaye d'un laboratoire à l'échelle de la planète ? En misant sur la peur et l'inconnu, la société du spectacle atteint des sommets de cynisme, préfigurant un monde refermé sur lui-même, barricadé derrière ses frontières reconstruites pour empêcher les inévitables migrations, plus inique que jamais. Rien d'abscons. Je pèse mes mots. Il suffit de décrypter ce que sous-(en)tendent les images et les sons...

mardi 16 mars 2021

Morris Engel & Ruth Orkin, œuvres complètes


Il y a sept ans, je chroniquai un "magnifique album bilingue de photographies, intitulé Outside, reprenant les images-clés du parcours photographique et cinématographique du couple Ruth Orkin & Morris Engel. Stefan Cornic y montrait l'influence de la street photography sur le cinéma. Tout au long des 214 pages grand format s'affichent les rues de New York, témoignage vivant d'une époque révolue. Les photographies du couple expriment une grande tendresse pour leurs modèles, personnages d'un monde en transition où les incertitudes se lisent sur les visages."

Je n'avais encore pu admiré que Le petit fugitif (1953), film emblématique du couple et leur premier long métrage, et j'attendais évidemment de voir leurs autres films, Lovers and Lollipops (1956), Weddings and Babies (1960) et I Need a Ride to California (1968). Or l'éditeur Carlotta récidive en les proposant tous dans un coffret Blu-Ray formidable, d'autant qu'il est agrémenté de bonus de choix, quatre courts métrages, des home movies, trois publicités de commande et deux documentaires de Mary Engel, l'un sur son père cinéaste, l'autre sur sa mère photographe.



"En 1953 un couple de photographes américains, Morris Engel et Ruth Orkin, rêve d'appliquer leurs méthodes de reportage à un tournage cinématographique de fiction. Pour ce faire, Engel commande à Charlie Woodruff une petite caméra 35mm discrète pour filmer sans être remarqué. Les passants deviennent les figurants involontaires et documentaires d'une histoire jouée par des comédiens amateurs. Engel et Orkin ont toujours aimé photographié des enfants. Little Fugitive (Le petit fugitif), également cosigné avec le scénariste Raymond Abrashkin dit Ray Ashley, conte l'aventure d'un garçon de sept ans errant seul tout un week-end à Cosney Island, parc d'attractions mythique au sud-ouest de Brooklyn. Sa fugue est le fruit d'un mauvais tour de son grand frère qui tente de le retrouver au milieu des manèges et sur la plage avant le retour de leur mère. Le système d'accroche de la caméra, préfigurant la steadicam, évite l'utilisation du pied et donne au tournage une fluidité qui inspirera John Cassavetes pour Shadows. Stanley Kubrick et Jean-Luc Godard essaieront sans succès d'acquérir l'objet, et François Truffaut déclarera que la Nouvelle vague n'aurait jamais eu lieu si Morris Engel ne leur avait pas montré la voie... De même que l'invention des tubes en plomb bouleversa l'histoire de la peinture en permettant de sortir peindre sur nature, la technique d'Engel révolutionna le cinéma indépendant des deux côtés de l'Atlantique. Le son était enregistré séparément. Avec On The Bowery de Lionel Rogosin qui a de nombreux points communs, Little Fugitive est le plus extraordinaire témoignage de la vie new-yorkaise des années 50."



Lovers and Lollipops et Weddings and Babies sont du même acabit. En fictionnalisant la vie quotidienne new yorkaise, Morris Engel, qui cosigne le premier avec son épouse, dresse un portrait de New York incroyablement vivant. L'équivalent photographique parisien serait Robert Doisneau, son contemporain. Engel en profite pour relever des questions de son époque : une mère célibataire (elle est veuve) rencontre un nouvel homme sous le regard de sa fille de sept ans, une femme aspire à se marier avec un photographe préoccupé par son désir professionnel. Comme dans les photos de Ruth Orkin, l'enfance est centrale dans toute l'œuvre du couple. L'un comme l'autre cherche à capter le doute, l'effronterie, la tendresse et la joie des petits. Dans Weddings and Babies, Larry est spécialisé dans les mariages et les naissances ! Partout les enfants cherchent à se faire une place dans le monde des adultes qui leur échappe forcément, et leurs aînés oublient ce qu'ils ont été, trop obnubilés par les vicissitudes de la vie auxquelles ils sont confrontés.

Je suis moins convaincu par I Need a Ride to California, le film d'Engel sur les hippies. La révolution Peace and Love échappe au cinéaste quinquagénaire qui reste très superficiel à suivre une jeune californienne à New York en 1968 aux prises avec ses rêves d'amour. J'avais quinze ans alors, jeune Parisien découvrant le Flower Power dans cette même ville et sur la côte ouest. Mon roman USA 1968 deux enfants relate ce road trip initiatique qui me fit grimper comme une flèche dans le monde des adultes sans ne jamais perdre l'innocence que j'espère toujours préserver. La couleur n'apporte pas grand chose au film non plus à ce maître du noir et blanc. C'est dans les bonus que je retrouve Morris Engel et Ruth Orkin, sociologues de l'image. Contrairement aux deux premiers longs métrages filmés muets et dont la post-synchronisation leur confère un style particulier, les suivants sont tournés sonores avec une petite caméra portable, extrêmement rare pour l'époque.

→ Morris Engel & Ruth Orkin, Outside (œuvres complètes), coffret Blu-Ray Carlotta, 40€
Le petit fugitif et I Need a Ride to California sont également proposés en DVD séparés (20€ ch.). Le petit fugitif, Lovers and Lollipops et Weddings and Babies existent ensemble en Coffret 3 DVD (30€).

lundi 15 mars 2021

Tout abus sera puni avec Naïssam Jalal et Mathias Lévy


Mardi dernier, le 9 mars, nous avons enregistré 9 compositions instantanées en tirant au hasard les thèmes d'après le livre graphique de mc gayffier publié l'année dernière. Naïssam Jalal joue de la flûte et chante, tandis que le violoniste Mathias Lévy s'empare, le temps d'un morceau, de ma guitare folk ou de mon sax alto ! Que l'on s'amuse bien s'entend. Parmi les 100 variations pour tenter de déjouer (ou jouer avec) la sentence, nous sommes tombés sur les pages Tout Repu Fera Urée, Tout Kilo Sera Abdo, Tout Abus Sera Puni, Tout Étau Sera Limé, Tout Mini Sera Muni, Tout Pâté Sera Gâté et Tout Pavé Sera Jeté. Pas moyen de faire rentrer notre musique dans un carré ! L'heure de nous séparer approchant, nous terminons sur la quatrième de couverture qui est toute noire et, comme cela ne suffit pas, nous improvisons un dernier À la cool. Peter Gabor, qui est venu filmer la séance pour le documentaire qu'il tourne depuis trois ans sur ma pomme, nous immortalise faisant les zouaves. Ayant enregistré seulement trois pièces avant le déjeuner, nous étions affamés. J'avais cuisiné une pieuvre au court-bouillon (délicieusement tendre) avec du riz (mélange de riz parfumé, riz rond et riz gluant avec une phalange d'eau au-dessus, surtout ne pas remuer avant son évaporation) et une purée de butternut, rutabaga et patates, ce qui eut forcément des incidences sur les enregistrements de l'après-midi.


La couverture du livre de Marie-Christine était tout indiquée pour devenir celle de notre ouvrage. Dans son introduction la plasticienne de surface analyse l'avertissement avec humour et précision, son absolutisme et la menace définitive. Elle fait référence à la phrase du Schpountz déclinée sur tous les tons par Fernandel dans le sublime film de Pagnol, "Tout condamné à mort aura la tête tranchée", déclinaisons qu'elle fait sienne et que nous reprenons à notre manière. Après qu'elle ait conçu et réalisé l'aspect graphique de mon dernier CD, Pique-nique au labo, il était juste de lui renvoyer la balle à l'occasion de cette nouvelle rencontre, la première depuis décembre 2019 et la première à ne pas figurer dans le double album en question.


Il y a deux ans, j'avais enregistré l'album Questions, avec Élise Dabrowski et déjà Mathias Lévy, qui s'était drôlement bien passé, mais j'ignorais si je saurais composer avec le lyrisme moyen-oriental de Naïssam Jalal. Je me demande comment cela se goupille, mais je me suis senti en pantoufles (Naïssam avait apporté les siennes !). La virtuosité de mes deux invités me pousse à faire des choses qui me sont inhabituelles. C'est évidemment ce que je recherche. J'imagine qu'eux deux n'ont pas souvent non plus l'habitude d'avoir à faire avec un olibrius encyclopédique dont les sons sortent de nulle part. En fait, toutes les séances sont jouées au casque pour ne pas provoquer de larsen dans le studio, car si mes instruments électroniques sont en prises directes j'utilise pour mes invités des Schœps et des Neumann très sensibles. J'enregistre toujours droit, sans aucune correction, ni pendant, ni après. Ce sont les musiciens qui font leur son. Il s'agit simplement de bien placer les micros. Par contre, je rééquilibre la balance au mixage et nettoie quelques scories comme des coups dans le micro assénés dans le feu de l'action ! Les nouveaux outils informatiques en font un jeu d'enfant, du moins quand on a connu des systèmes autrement plus rébarbatifs. Il n'y a plus qu'à espérer que vous aurez autant de plaisir à nous écouter que nous avons eu à nous rencontrer.

→ Birgé Jalal Lévy, Tout abus sera puni, en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org

N.B.: deux jours plus tard, toujours au Studio GRRR, ayant reçu à leur tour la chanteuse Élise Caron et le tromboniste Fidel Fourneyron, nous enregistrâmes un second album intitulé L'air de rien et qui sera évidemment en ligne dans les jours prochains !

Photos du trio © Peter Gabor

vendredi 12 mars 2021

Fausto Romitelli (1963-2004)


Pour défendre les jeunes musiciens ou les défunts méconnus, et écrire quotidiennement sur leurs créations, j'exerce une veille permanente. Ma solidarité s'appuie également sur les conseils de rabatteurs amis qui m'indiquent ce que j'appelle "des biscuits pour l'hiver". Fin des années 60, mon camarade de lycée Michel Polizzi et François qui travaillait chez Givaudan, magasin de disques au carrefour Raspail-St Germain, m'initièrent à la pop et au free jazz, aussi bien qu'au reggae ou Harry Partch. Jean-André Fieschi me réconcilia avec le classique et l'opéra. André Ricros m'apprit la différence entre musiques folklorique et traditionnelle. Depuis, je bénéficie des suggestions épisodiques de quelques uns qui connaissent ma curiosité, tels Jean Rochard, Stéphane Berland, Franpi, Antonin-Tri Hoang et quelques autres.

PROFESSOR BAD TRIP
Article du 26 avril 2008

Si Franck Vigroux ne jouait pas ce soir au Zebulon de New York avec l'accordéoniste Andrea Parkins, il serait venu écouter l'interprétation de Professor Bad Trip par l'Ensemble Intercontemporain à la Cité de la Musique. Hervé Zénouda m'en avait déjà parlé en 2005. Vigroux m'a fait connaître l'œuvre de Fausto Romitelli comme les étudiants de l'Ircam m'avait parlé de Salvatore Sciarrino six ans plus tôt à Valenciennes. Lorsqu'ils ne sont pas versés dans les sempiternels revivals, ce que les plus jeunes écoutent est toujours riche d'enseignement. J'avais noté la date en septembre et nous y voilà !
La première partie réunit l'enivrant Steve Reich avec Eight Lines et le plus conventionnel Philippe Hurel avec son concerto pour piano, Aura. Si Reich continue de nous donner le vertige en nous entraînant dans les méandres de la musique répétitive, Hurel nous laisse de marbre malgré son intéressant travail sur les quarts de ton. Musique bourgeoise de rigueur : comme la plupart des compositeurs dits "contemporains", par son acceptation surannée de la modernité, il la caricature en défendant les attributs de la classe sociale qui l'a engendré(e). Entr'acte.
Françoise remarque qu'elle a rarement entendu un compositeur contemporain aussi contemporain que Romitelli, et Sylvain Kassap de renchérir en insistant sur la réécoute indispensable de la version discographique de Professor Bad Trip par l'Ensemble Ictus, dont le répertoire correspond mieux au génial italien disparu en 2004 à l'âge de 41 ans que l'E.I.C. C'était tout de même amusant de voir Pierre Strauch s'escrimer au violoncelle électrique fuzz aux côtés de Vincent Segal à la basse, le seul de l'orchestre à oser hocher la tête ! Des trois leçons de Romitelli, la dernière laissa la mieux transparaître la magie de son art, mélange réussi de toutes les musiques "contemporaines ", au sens propre cette fois, au sein d'un langage et d'une syntaxe parfaitement maîtrisés. Les trois cordes, les trois vents, le piano, la percussion y côtoient la guitare et la basse électriques comme la bande électronique sans que cela choque à aucun moment. Romitelli se permet même de faire jouer du kazoo et de l'harmonica miniature à ses interprètes. Tout coule de source, même si c'est celle du Styx.
Pendant le concert, je scrute la salle et constate à quel point elle est éclairée. Généralement, on la noie dans le noir pour focaliser l'attention sur la scène. Dans les concerts de rock, de jazz ou de variétés, on sent bien que ça remue, on n'a pas besoin de souligner sa présence par l'image. Rien à cacher, tout le monde se tient bien. Franchement, même si c'était une belle soirée, cela manquait furieusement de soufre.

PERLES DE CULTURE
Article du 21 février 2007


Professor Bad Trip et An Index of Metals (Cypress Records) de Fausto Romitelli, compositeur contemporain autant inspiré par le free que le rock, par l'école spectrale que par l'électro-acoustique, sont d'authentiques chefs d'œuvre. Même s'il touche à une probable et relative immortalité, son prénom ne l'aura hélas pas empêché d'être emporté par un cancer en 2004, à l'âge de 41 ans. La musique est d'une puissance incroyable, la richesse du matériau sonore inépuisable, l'architecture une cathédrale. Donnez à un adepte psychédélique de Henri Michaux, un fanatique de l'impureté, un enfant de "l'artificiel, du distordu et du filtré", les moyens proprets de l'institution contemporaine, et vous pourriez réussir le cocktail alchimique explosif qui a cramé ma galette argentée. L'ensemble belge Ictus le suit dans ses expérimentations démentes. Avec ou sans électronique ajoutée, la musique sonne inouïe. Dans le disque intitulé Professor Bad Trip, à côté des pièces d'ensemble, il y a un solo de flûte à bec contrebasse qui sonne comme de grandes orgues et Trash TV Trance, un solo de guitare électrique dont pourraient s'inspirer à leur tour les expérimentateurs les plus aventureux.


An Index of Metals est un double, version audio et version dvd en vidéo-opéra cosigné avec Paolo Pachini. La musique est encore plus corrosive que dans les œuvres précédentes. Utilisation de tous les bruits parasites, grattements de vinyle, friture numérique, clics, infrabasses, dans un univers varèsien adapté au nouveau siècle... On passe d'un monde à l'autre sans ne jamais quitter l'univers. La guitare électrique se même parfaitement à l'orchestre. Qu'écoutait donc Romitelli pour se détendre lorsqu'il rentrait chez lui ? A-t-il jamais fait de la scène lorsqu'il était adolescent ? Qu'y a-t-il vu et entendu ? Tant de questions sans réponse me brûlent les lèvres tandis que je suis assailli par les sons qui m'entourent et "ignorant des choses qui le concernent". Deux versions image, un ou trois écrans. Deux versions son, stéréo ou 5.1. Le travail vidéographique est décent, mais la "modernité" (comprendre "qui suit la mode") affadit le propos musical beaucoup plus ouvert et généreux. Le texte lui-même propose des hallucinations autrement plus originales (Drowninggirl, Risinggirl, Earpiercingbells). J'imagine une interprétation à la Godard dans son Histoire(s) du cinéma plutôt que ces textures cliniques, fussent-elles empruntées au réel (exercice de style que de fabriquer des images de synthèse sans aucun artifice ; je choisis ici mes moments préférés comme illustrations). Mais quel bonheur de découvrir un nouveau compositeur que l'on ignorait encore la veille ! Romitelli s'est éteint à Milan le 27 juin 2004. An Index of Metals est son requiem.
Ces albums sont sous-tendus par des dramaturgies de matière qui racontent une histoire, poèmes tremblés parfaitement maîtrisés. Ils mènent inexorablement au travail de Vigroux. Je me reconnais dans le drame (entendre théâtre et plus précisément théâtre musical radiophonique) comme dans le Drame (comprendre Un Drame Musical Instantané). Lorsque j'entends ou que je vois des choses qui me plaisent, je n'ai plus à les réaliser moi-même, ça me fait des vacances. Quel soulagement !

P.S.: en 2016, à La Scala de Paris, j'eus la chance d'assister à une version d'An Index of Metals par la soprano Donatienne Michel-Dansac, créatrice du "rôle" avec Ictus, accompagnée par United Instruments of Lucilin dirigés par Julien Leroy. Pas de vidéo, mais des lumières de François Menou, peut-être plus adaptées à l'œuvre.

jeudi 11 mars 2021

Toot, Whistle, Plunk and Boom


Mardi j'enregistrais Tout abus sera puni, un nouvel album en trio avec la flûtiste Naïssam Jalal et le violoniste Mathias Lévy. Aujourd'hui ce sont la chanteuse Élise Caron et le tromboniste Fidel Fourneyron qui sont invités à me rejoindre au Studio GRRR pour un second album qui sera également bientôt en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org ! Entre les deux, Eric Delaye m'interrogeait hier sur les instruments jouets pour un article qu'il écrit pour Libération. C'est l'occasion de republier ce petit article tut tut pouët pouët sur deux dessins animés assez peu connus de Walt Disney...

Article du 11 mars 2008

Ce film de Walt Disney tourné en 1953 présente l'évolution des instruments de musique à travers les âges. Pourquoi une trompe s'enroula sur elle-même et fut affublée de pistons devenant la trompette, comment les instruments à anche gagnèrent leurs clefs, etc. Et ça fait Toot, Whistle, Plunk and Boom [...].


Un autre petit film d'animation de la même année présente "la mélodie". Même professeur hibou, même chœur des élèves et le graphisme est aussi réussi.


Il est intéressant de noter que ce fut le première tentative 3D de Disney, même si la version présentée est hélas en 2D. Ces deux films n'appartiennent pas à l'excellente et indispensable collection des Silly Symphonies sortie en DVD à l'origine sous boîtier métallique. [P.S.: je les revois tous, ainsi que les vieux Mickey des années 1930-1940, avec mon petit-fils qui vient d'avoir 3 ans...]

mercredi 10 mars 2021

Salade sauvage


Dans ma bibliothèque culinaire, j'adore les petits livres d'Amandine Geers, en particulier Je cuisine les plantes sauvages et Je cuisine les fleurs. Sur FaceBook, elle met régulièrement en ligne ses inventions culinaires...

Article du 14 avril 2008

Je suis Jean-Claude qui a composé une salade avec les herbes sauvages qu'il trouve dans son jardin : de la roquette blanche et du lilas d'Espagne (en choisissant toujours le feuilles les plus tendres), du coquelicot (pas trop, parce que c'est un pavot !), de la cardelle (avant qu'elle monte), de la chicorée, du fenouil sauvage (lorsqu'il est jeune, sa ressemblance le fait appeler "queue de cheval"), de la coustelline, du cranillé (passé à la poëlle, on en fait des omelettes ; enfant, Jean-Claude faisait exploser ses clochettes en forme de pétard), de la doucette cultivée (c'est de la mâche), de l'engraiss'poar (très amer), un tout petit peu de laitue, quelques pétales de rose, des fleurs de bourrache... Quand il y en a, on peut mettre du pissenlit. Maurice ajoute des racines de répounchoun (rampochou), une sorte de radis blanc qu'il cueille dans les friches calcaires où il y a peu de brousailles. En entrée, il avait apporté des dizaines d'oursins pêchés la veille.
Pour la sauce Jean-Claude passe au hâchoir de la sarriette (qu'il appelle pèbre d'ail ; il ne connaît souvent que les noms régionaux), il mélange de l'ail en purée, ajoute du thym et du romarin (les feuilles les plus tendres, ce qui explique que toute cette recette n'est réalisable qu'en saison), de la sauge, on peut y mettre un tout petit peu de moutarde, de l'huile d'olive, du vinaigre, du citron, un peu de piment au kombava que je lui avais rapporté de Paris, une cuillerée à soupe de mayonnaise et une lichette de viandox. L'ail en quantité remplace la moutarde pour lier la sauce.
Ce qui me plaît surtout, c'est de pouvoir se régaler des herbes folles qui poussent partout. La plupart d'entre nous ignorent simplement qu'elles sont comestibles, ou pas ! Il ne faut pas se tromper, certaines sont éminemment toxiques. Comme je ne compte pas me substituer aux guides savants ni aux spécialistes, on trouvera ici et sur Internet des photographies de chacune de ces plantes...

mardi 9 mars 2021

L'argent


Depuis cet article d'avril 2008, j'ai mis en ligne notre interprétation de L'argent de Marcel L'Herbier, d'après Zola. D'une part la musique, d'autre part le film !

Article du 4 avril 2008

Carlotta édite une copie superbe de celui que Noel Burch nomma "le plus moderne de tous les films muets". Pour cette extraordinaire adaptation du roman d'Émile Zola dont le sujet reste d'une brûlante actualité, Marcel L'Herbier, en 1928, investit la Bourse entière, engage 1500 figurants, 18 opérateurs, filme les scènes de nuit sur la Place de l'Opéra, rend sa caméra acrobate pour des plans vertigineux... Avec dans les rôles principaux Brigitte Helm, Pierre Alcover, Mary Glory, Alfred Abel, Henry Victor, mais aussi Jules Berry, Antonin Artaud, Yvette Guilbert... Le double dvd inclut un des plus époustouflants "making of" de l'histoire du cinéma, peut-être le premier, Autour de L'argent, que Jean Dréville tourna avec une petite caméra à condition de ne jamais se faire remarquer par celui qui dirigeait cette saga en blouse et gants blancs, l'envers d'un décor inouï, un second chef d'œuvre, témoignage inestimable sonorisé en 1971. D'autres bonus les accompagnent, essais des acteurs, documentaire sur le réalisateur, etc.

Avec L'argent j'avais un thème qui m'accrochait complètement. Je l'ai déjà dit : pour s'accrocher à un film, il faut un héros, qu'on l'aime ou qu'on le déteste, c'est au fond la même chose : Gance a eu Napoléon, il adorait Napoléon, il s'identifiait à lui, moi je devais trouver quelque chose du même genre, or je ne trouvais rien à adorer, mais par contre il y avait une chose que je détestais entre toutes, c'était l'argent ; d'abord parce que j'étais en faillite, ensuite parce que j'avais vu autour de moi tant d'exemples où l'argent avait joué un rôle néfaste. C'était ça, le personnage, qui me stimulait prodigieusement. C'était déjà le sens du roman de Zola, bien sûr, mais avec pas mal d'adjonctions de ma part... Le combat de l'art contre l'argent... Le combat de la vie contre l'argent. L'argent, dit Zola, c'est le fumier sur lequel pousse la vie. (Marcel L'Herbier)


La musique improvisée au piano par Jean-François Zygel est d'une très grande tenue, imagée et imaginative, à l'écoute du moindre soubresaut de l'action, mais, comme on pouvait s'y attendre, plus illustrative que complémentaire. Aussi comment ne pourrais-je regretter la version orchestrale que nous composâmes avec Un Drame Musical Instantané en 1987 pour le Centenaire de Marcel L'Herbier, avec l'accord de sa fille, Marie-Ange, et que nous créâmes début 88 au Théâtre Déjazet, puis à la Maison de la Culture du Havre... J'en possède deux enregistrements et il m'a été rapporté que le film avec notre musique circulerait sur Internet, mais nous avons encore loupé le coche : aucune de nos compositions n'a jamais été gravée, hormis le disque de L'homme à la caméra et quelques extraits aux USA, en Allemagne ou au Japon. Pour tenir en haleine les spectateurs pendant 3h20mn (la version présentée ici n'annonce bizarrement que 164 minutes !?), nous avons rivalisé d'inventions musicales, augmentant notre palette de timbres, allant enregistré dans la corbeille du Palais Brongniart aussi bien qu'au Casino de Deauville, constituant un pont entre les différentes époques et réactualisant tant le roman que le film avec un montage des actualités télévisées lors du krach de 1987. C'est avec cette radiophonie que nous abordions le générique, avant les premières images. Francis avait composé une valse merveilleuse qui résonne encore à mes oreilles comme notre trio de percussion. L'avion qui se confond avec le soleil... Le vol, si tout marche bien, doit durer 40 heures, 40 heures d'angoisse mortelle pour Line. 40 heures de manœuvres et de spéculations pour Saccard. J'espère sortir notre musique un de ces jours à défaut de la "voir", pourquoi pas, accompagner le déchainement époustouflant des extravagantes séquences de L'Herbier.

Nous étions trois derrière l'écran. Bernard Vitet jouait de la trompette et du piano, Francis Gorgé de la guitare électrique et d'une batterie de machines, je bouclais le trio aux synthétiseurs et à la flûte, sans parler des bruitages que j'ajoutais à l'ensemble. Nous avions renommé les séquences pour affirmer la modernité du film : La propriété c'est le vol, Pacotille, Yuppie Club, Jeune chair et vieux poisson, Mouvements erratiques, Les gros s'en sortent toujours, Retournement de tendance ou nouveau vertige, À bout de nerfs, Une nuit à l'Opéra, Le déclin de l'empire... Jean-Jacques Henry, qui s'occupait de nous à l'époque, nous photographia à la sortie des Archives du Film à Bois d'Arcy. Ce matin-là, France Soir titrait "New York, la baisse la plus dure", Libération "Le spectre de 1929 hante Wall Street", Le Matin "Le séisme". Le soir de la première, au milieu du spectacle, nous entendîmes hurler depuis l'orchestre : "Y a-t-il un docteur dans la salle ?" Trois heures vingt minutes représentaient un marathon, pour le public, emporté par cette symphonie lyrique, et pour nous qui en sortions épuisés. L'argent est le dernier grand film que nous ayons mis en musique, notre apothéose.
Que cette évocation ne vous fasse pas manquer cette mine d'or cinématographique, une cathédrale de pépites ! C'est aussi une démonstration exemplaire de l'arnaque boursière et du maelström des passions qu'elle suscite.


Article du 27 février 2013

Rien n'a changé depuis le krach de l'Union Générale de 1882 et le scandale de Panama de 1888 qui inspirèrent Émile Zola pour L'argent. Rien n'a changé des mécanismes boursiers depuis que l'écrivain les décrivit dans son roman publié en 1891, dix-huitième volume de la série des Rougon-Macquart. Rien n'a changé depuis l'adaptation sublime que Marcel L'Herbier en fit pour le cinématographe en 1928 à la veille du krach boursier. Rien n'a changé depuis celui d'octobre 1987 lorsque nous travaillions sur la musique du film de L'Herbier pour le centenaire du cinéaste. Rien n'a changé, si ce n'est le peu d'audace du cinéma actuel en comparaison des inventions de ce qu'il est aujourd'hui coutume d'appeler la Première Vague à laquelle appartenaient aussi Jean Epstein, Germaine Dulac, Louis Delluc... L'argent est un chef d'œuvre de 3h14, durée bollywoodienne qu'à ma grande surprise YouTube accepta sans rechigner. Si Un Drame Musical Instantané interpréta beaucoup plus souvent Le cabinet du Docteur Caligari, La glace à trois faces ou La Passion de Jeanne d'Arc, des 26 films que nous mîmes en musique depuis 1976 c'est probablement, avec L'homme à la caméra, le plus réussi de nos ciné-concerts.

Composée par Bernard Vitet (trompette, bugle, violon, trompette à anche, piano, percussion), Francis Gorgé (guitare électrique, synthétiseur, échantillonneur, valse, percussion) et moi-même (synthétiseur, échantillonneur, harmoniser, reportages, flûte, voix, inanga, percussion), la musique sait jouer des silences, évitant la logorrhée des versions du Napoléon de Gance dues à Carmine Coppola ou à Carl Davis. Comme avec L'homme à la caméra composée pour un orchestre de 15 musiciens, la partition de L'argent pour notre trio évite toute nostalgie pour propulser le chef d'œuvre de L'Herbier à notre époque, en soulignant ainsi l'actualité tant formelle que narrative. Enregistré par mes soins au Studio GRRR à Paris le 2 mars 1988, la création eut lieu les 21 et 22 janvier précédents au Théâtre À Déjazet. Avant de mettre le film en ligne j'en avais édité les meilleurs extraits pour constituer un disque qui resta également dans nos cartons jusqu'à sa publication virtuelle, gratuite en écoute et téléchargement sur drame.org.

P.S. de 2021 :
le label autrichien KlangGalerie vient de publier un CD de notre musique pour L'homme à la caméra et de La glace à trois faces avec le grand orchestre du Drame.
L'album audio de L'argent en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org
Le film sonorisé par Un d.m.i. sur YouTube

lundi 8 mars 2021

Jazz Mag et Jazz News sont dans un bateau...


Jazz News s’honore en arborant la flûtiste Naïssam Jalal en couverture. La revue montre régulièrement son attachement pour l’avenir quand sa sœur aînée, Jazz Magazine, s’enfonce répétitivement dans le passé. Que la plupart des musiciens ne lisent plus ce dernier, éventuellement au profit de Jazz News, est un signe qui ne trompe pas, car n’oublions pas que ce sont eux qui font l’actualité et non les journalistes, organisateurs de spectacles, tenanciers de clubs, agents, attachés de presse, blogueurs, producteurs de disques, etc. Ils et elles sont la source à laquelle s’abreuvent tous les autres. Or la France peut s’enorgueillir d’abriter des centaines de musiciens et musiciennes inventives qui se sont affranchi/e/s du modèle américain. La starification morbide de Jazz Mag le pousse au revival vintage et à passer à côté des musiques vivantes qui ont fait valser les étiquettes mercantiles.
Se mettre du côté des artistes a prouvé l’intelligence de certains contre l’arrogance des autres. Quand l’ancien club Dunois offrait la gratuité aux musiciens, ils s’y retrouvaient tous et le jeune public suivait. En refusant cette pratique, la plupart des clubs se condamnent à n’accueillir que des tempes grises et des crânes dégarnis en quête de leurs illusions perdues.
Bien entendu il ne s’agit pas d’opposer les différents professionnels les uns aux autres, mais pour que le monde de la musique se fédère et promeuve la solidarité entre tous, il est indispensable de reconnaître la légitimité des artistes comme base active du combat. Je ne cautionne pas « la résistance » affichée dernièrement par Jazz Mag qui consiste à censurer des labels historiques toujours à la pointe de la créativité et de l’engagement politique. Sa couverture avec « la Liberté guidant le peuple » tient tout simplement de la tartuferie.
Si l’on ajoute que les revues Jazz Mag et Jazz News, appartenant toutes deux au même propriétaire, Édouard Rencker, PDG du groupe Makheia, et s’étant associées en ce début d'année sur ce thème de la résistance, se retrouvent ironiquement affublées de suppléments de 24 et 18 pages payées par la BNP-Paribas, tant les musiciens que les lecteurs ne peuvent manquer le ridicule qui entache le propos. Qu'ils aillent chercher des sponsors se comprend, mais qu'une banque finance la résistance est aussi cynique que les yaourts Yoplait affichant le mot Liberté sur les abris-bus alors que le couvre-feu, et les lois iniques que la crise escamote, nous en privent !
Ce n’est donc pas un hasard si depuis 15 ans je pratique ce blog militant en solidarité avec toutes celles et tous ceux que les médias officiels négligent, et pour dénoncer un vichysme plus vivace que jamais.

P.S.: et aujourd'hui 8 mars, passionnant numéro de CitizenJazz, une belle revue qui n'existe qu'en ligne... Et abonnez-vous gracieusement au Journal des Allumés du Jazz !

dimanche 7 mars 2021

Pique-nique au labo sur Jazz News

vendredi 5 mars 2021

... ou ne me demandez pas pourquoi


Mes amis s'étonnent de mon aptitude à retomber sur mes pattes lorsqu'il m'arrive des tuiles. Par grand vent certaines se décrochent parfois du toit, quand ce n'est pas toute la cheminée. C'est arrivé lors de la tempête de 1999 où mon voisin a failli y passer lorsque ses cent kilos, entraînés par l'antenne satellite, sont tombés à quelques centimètres de lui. Dragon dans l'horoscope chinois, scorpion dans l'occidental, volontariste dans ma propre cosmogonie (j'ai même habité rue de l'Espérance), marxiste pour l'analyse, je renais régulièrement de mes cendres. Cela ne signifie pas que je sois imperméable aux vicissitudes de la vie. Je morfle comme tout le monde. Une peau de banane, un râteau, une bouche d'égout peuvent me saper le moral, un temps. Si l'on aime le burlesque, cela vaut bien une bataille de tartes à la crème. Mâle, équivalant à mal supporter la douleur, je fais ce que je peux évidemment pour me changer les idées. Cela ne sert à rien de se morfondre ou de s'apitoyer sur son sort. Haut les cœurs ! Prenons le monde à bras le corps et laissons la magie opérer. Jean Cocteau, encore lui, suggérait : "Lorsque ses mystères nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs." Mais enfin, j'y suis tout de même pour quelque chose !

Article du 21 avril 2008 :

"Oh, ben ça alors !" Les mots sont sortis de ma bouche sans que je comprenne ce qui arrivait. Les fleurs, trop lourdes, ont fait basculer le pot qui s'est brisé en atterrissant. J'aimerais savoir reconstituer l'amaryllis comme Cocteau sauve la fleur d'hibiscus, vedette de son film "Le Testament d'Orphée... ou ne me demandez pas pourquoi", en rembobinant celui de la catastrophe, mais je ne suis pas encore assez "expert en phénixologie". "Qu'est-ce que cela ?" demande le poète. "C'est la science qui permet de mourir un grand nombre de fois pour renaître" répond Cégeste. "Je n'aime pas cette fleur morte" se plaint le poète devant la tige coupée. "On ne ressuscite pas toujours ce qu'on aime..."

P.S.: il est important de saisir la nuance, "pas toujours" ne signifie ni chaque fois ni jamais...

jeudi 4 mars 2021

On n'obtient pas toujours ce que l'on veut


Le disque de "rock" sur lequel je travaille avec Nicolas Chedmail et Frédéric Mainçon nous semble prendre ses racines dans l'album Their Satanic Majesties Request des Rolling Stones. Paru fin 1967, c'est probablement leur disque qui obtint le moins de succès, trop psychédélique et fouillé pour leur public. Déjà que le nôtre me fait penser à Captain Beefheart et Scott Walker, cela ne présage rien de bon ! Les Stones se radicaliseront donc, avec Street Fighting Man et Sympathy for the Devil sur l'album suivant, Beggars Banquet, juste après le single Jumpin' Jack Flash. C'est de cette veine qu'est fait Gimme Shelter, filmé pendant la tournée américaine de novembre-décembre 1969 qui finira avec le tragique concert d'Altamont. Viendra d'ailleurs ensuite Let It Bleed. En effet, "You can't always get what you want !"

DES PIERRES ROULAIENT DANS LE CHAMP
Article du 30 mars 2008

L'autre soir, j'ai regardé Gimme Shelter de Albert Maysles, David Maysles et Charlotte Zwerin que je n'avais jamais vu malgré sa réputation et celle du festival gratuit d'Altamont qui marqua la fin des années 60 et du petit nuage psychédélique que Monterey et Woodstock avaient réfléchi. À l'époque, j'avais probablement craint un truc violent, comme je voyais le hard rock, que Led Zeppelin, entre autres, incarnait à mes oreilles. Les Rolling Stones en faisaient partie, trop lourds, trop physiques à mon goût. Je préférais le côté planant de la West Coast (j'ignorais qu'Altamont se situait près de San Francisco) et je n'en avais plus que pour Zappa et Beefheart. Altamont eut lieu le 6 décembre 1969 à l'initiative des Stones. Y étaient programmés Santana, Jefferson Airplane, The Flying Burrito Brothers et Crosby, Stills, Nash and Young, les anglais clôturant l'évènement. Devant le manque d'organisation catastrophique, le Grateful Dead avait annulé sa prestation.


Au delà de l'énergie de Mick Jagger qui m'a toujours bluffé, depuis le concert de 1965 auquel j'assistai à l'Olympia, je suis subjugué par le film, véritable documentaire de création sous la forme d'une enquête policière sans que les auteurs aient eu besoin d'ajouter le moindre commentaire. Ils eurent la chance de se trouver là pendant les préparatifs, les tractations avec l'avocat retors des Stones (qui avait été celui de Jack Ruby, l'assassin d'Oswald dans l'affaire du Président Kennedy), le concert évidemment, mais également tout ce qui s'est passé off stage, magnifiques instants capturés parmi la foule des 300 000 spectateurs, ambiguïté de Mick Jagger sur la conduite à tenir, et, surtout, le meurtre d'un jeune black par un des Hell's Angels survoltés. Meredith Hunter, facilement repérable dans son élégant costume vert pomme, avait dégainé un flingue vers la scène lorsqu'il fut ceinturé et poignardé par les Anges, chargés du service de sécurité. Les cadrages d'Albert Maysles sont époustouflants, le montage de Charlotte Zwerin aussi intelligent que le sera son génial film sur Thelonious Monk, Straight No Chaser. Il n'y a pas que la musique, Gimme Shelter est tout simplement un grand film noir.
Ce documentaire exceptionnel, édité en dvd sur le label de référence Criterion, remasterisé de main de maître, avec un paquet de bonus passionnants, [...] est, depuis cet article de 2008, paru en édition française.

mercredi 3 mars 2021

L'anonymat est une forme de l'exploitation


Je reviens sur une pratique, ou son absence, qui me tarabuste. Rien n'a changé depuis cet article de 2008. La manie d'envoyer les services de presse dans des enveloppes en carton, sans les informations contenues dans le livret, est contre-productive. Je passe parfois autant de temps à indiquer les liens hypertexte (présents sur drame.org et Mediapart, mais absents de FaceBook et Twitter) qu'à rédiger mes chroniques. De plus, les crédits contiennent souvent des indications précieuses pour peu que l'on souhaite faire correctement son "travail".

Article du 3 avril 2008

Je n'ai pas arrêté l'enregistrement, laissant se dérouler le générique interminable d'un film américain jusqu'au bout. Toutes celles et tous ceux qui ont participé à l'entreprise, du moindre stagiaire au réalisateur, ont leur nom inscrit sur la pellicule. Dans quel autre secteur de l'industrie reconnaît-on nominalement l'apport de chaque poste à l'édifice collectif ? Pourrait-on imaginer que les noms de tous les ouvriers qui ont conçu et construit la dernière automobile sortie des usines Renault soient imprimés sur un des petits fascicules remis au client au moment de l'achat ? Cette pratique systématique de reconnaître tous les acteurs d'un travail, du plus petit au plus grand, la hiérarchie s'exprimant par la différence de taille des polices de caractères et la durée de leur présence à l'écran, n'existe que dans l'industrie cinématographique. On la retrouve tout de même sur les programmes de théâtre ou de ballet, mais combien de disques précisent qui a fait quoi ? Le nom des musiciens d'un orchestre symphonique sont rarement inscrits sur le livret ; quelle frustration d'ignorer quels sont les musiciens jouant sur tel disque de Miles Davis ou des Beatles ! J'ai l'habitude d'ouvrir une page de crédits dès le début d'une création pour être certain de n'oublier personne en chemin. Qu'est-ce que cela coûterait de préciser tous les participants à une œuvre, à un objet manufacturé, à un bien de consommation permettant à chacune et chacun de s'y reconnaître un petit peu ? L'anonymat est une forme de l'exploitation. Jean-Luc Godard insistait que le générique est encore une image et nous ne nous levions qu'après le dernier carton disparu, la salle retrouvant sa laide vacuité les lumières rallumées. On aura beau accompagner le mouvement avec une chanson ou quelque développement orchestral, la plupart des spectateurs se lèvent et quittent la salle avant la fin du déroulant, mettant, sans le savoir, cet acquis en danger. Certains réalisateurs rusent pour garder leur audience jusqu'au bout, en remplaçant les titres en réserve blancs sur fond noir par quelques fantaisies, voire rajoutent un plan surprise lorsque le public ne s'y attend plus.



L'Herbier (Le mystère de la chambre jaune)...



Guitry (La Poison)...



Godard (Le mépris)...



Pasolini (générique chanté d'Ennio Morricone pour Uccellacci e uccellini)...

Comme Steinhoff et Pujol (Chacun sa chance), Cocteau (Le testament d'Orphée), Truffaut (Fahrenheit 451) remplacèrent parfois le générique de début, du moins une partie, par une présentation vocale, ou bien celui de la fin comme Welles (La Splendeur des Amberson et Le procès), Altman (Mash), Bergman (chacun des six épisodes de Scènes de la vie conjugale) ou Harry Nillson chantant le générique de fin de Skidoo de Preminger). Mais, où que ce soit, les mots de la fin constituent un hommage au travail d'équipe.

mardi 2 mars 2021

Tony Hymas de Delphes


Lorsqu'on est un musicien de jazz, pilier du groupe Ursus Minor... Lorsqu'on est un musicien de rock, compagnon de Jack Bruce ou Jeff Beck... Lorsqu'on écrit pour orchestre symphonique... Lorsqu'on retranscrit Léo Ferré pour piano ou qu'on a accompagné Frank Sinatra... Lorsqu'on évoque la Résistance française et les Indiens d'Amérique, L'origine du monde de Courbet et la Commune de Paris, que Pascale Ferran a fait un long métrage de votre duo avec Sam Rivers... On aborde forcément le piano d'une manière très personnelle. Le nouveau disque solo de Tony Hymas est étonnant par la diversité des musiques et leur unité retrouvée sous les doigts du Britannique. Et je ne vous ai pas parlé du montagnard qui, un été, nous accompagna au Cirque de Gavarnie avec la contrebassiste Hélène Labarrière, trio de godillots sous un soleil où chaque rayon déclenchait un sourire...
Le jeu de Tony Hymas est franc, direct, comme les Anglo-Saxons savent le faire sans mâcher leurs notes. Au premier hymne delphique, premier morceau de musique écrit connu, daté de 128 avant J.-C.), qu'il s'approprie, succède naturellement la première Gymnopédie de Satie (1866-1925), avant qu'il n'attaque rageusement Winsboro Cottonmill Blues de Frederic Rzewski, sorte de poème symphonique des Temps Modernes. Suivent l'évocation de la mort d'un manifestant par Leoš Janáček (1854-1928) dans sa Sonate I.X.1905, "accident imbécile" survenu à Brno en Moldavie ce jour-là, et un mix de deux chansons liées à la Commune de 1871 dont La semaine sanglante. Hymas salue encore trois femmes compositrices que l'Histoire racontée par les hommes ignore avec un aplomb incroyable, le fougueux Essaim de mouches de Marie Jaëll (1846-1925), le tendre Éclogue de Mélanie dite Mel Bonis (1858-1937) et l'humoristique Air de ballet Callirhoë de Cécile Chaminade (1857-1944). Au regard des dates de ces musiciens et musiciennes on ne sera pas étonné de découvrir La plus que lente de Debussy (1862-1918), quitte à sauter le siècle pour retrouver Si tu vois ma mère de Sidney Bechet (1897-1959) sur les genoux duquel vous savez qui sauta si vous me lisez régulièrement ! Revenu à nous, l'inspiration révolutionnaire ne quitte pas Hymas avec un tango du film L'affiche Rouge de Frank Cassenti par le Cuarteto Cedron, La complainte du partisan que ma fille Elsa chantait sous sa direction dans le magnifique Chroniques de résistance, As Crechas de Jacky Molard et Gitans d'Avignon d'Ursus Minor. Voilà, ça réveille. Tony Hymas a passé l'âge de lire Tintin, mais pas celui de se révolter et de l'exprimer avec ses armes noires et blanches. Si après cela, vous préférez rester chez vous en attendant que ça passe, c'est que vous n'avez rien compris au film !
Comme toujours sur le label nato, le livret bilingue est soigné sous la houlette de Marianne T. et Christelle Raffaëlli, chaque pièce étant illustrée pleine page par Anna Hymas et l'ensemble "artisanalement produit" par Jean Rochard.

→ Tony Hymas, de Delphes, CD nato, dist. L'autre distribution, sortie le 5 mars 2021

lundi 1 mars 2021

Le toboggan de Monsieur Plus


C’est la nuit. Je me retourne dans mon lit, taraudé par une question qui me fait parfois doubler sur la bande d’arrêt d’urgence alors que je connais le danger que j’encours. Les autres véhicules qui roulent à leur rythme n’en ont rien à cirer, parce que je suis seul à cette heure sur l’autoroute des remords. La vitesse et la quantité procèdent de la même névrose. Les alibis de la sincérité et de l’efficacité cachent une angoisse qui remonte aux calendes grecques, comme si j’étais né à Athènes. Pas nécessaire d’aller si loin. J’avais trois semaines lorsque mes parents me laissaient seul et à trois ans je gardais ma petite sœur. L’écriture automatique et les compositions instantanées participent à cette ivresse des succès. Dans le placard un cadavre exquis revendique l’origine de mes accumulations. J’aligne les livres, les disques, les films, les instruments de musique comme les mots. Je leur offre une syntaxe en or massif, mais le doute m’assaille. Ne serait-elle pas cousue de fils blancs ? Le palladium n’est pas un paradis pour l’homme. Les étagères ploient sous le poids. Le vertige m’enferre dans une course sans fin que tentent d’enrayer les êtres qui me veulent du bien. Mes phrases à tiroirs finissent par saouler. On en perd le fil de l’histoire, le seul qui conte. Ariane, ma sœur art, ma liane, ne voyais-tu rien venir ? Le petit gars eut besoin de se hisser à la taille adulte. La culture générale était la garante de mon universalité. À l’époque dictionnaires et encyclopédies étaient trop lourds pour qu’on les mette dans sa poche. Dois-je me prouver quoi que ce soit ou pallier mes incompétences ? Le sentiment d’usurpation est commun chez les autodidactes. Le souci d’honnêteté cacherait-il un mensonge de l’ordre de celui qui dit toujours la vérité ? Très tôt le mythe communautaire de la survie grâce à l’intelligence a forgé ma vie. Ficelé à une tendresse qui faisait défaut, les deux ont constitué un alliage qui résiste au temps. Mais l'or était empoisonné. La maîtrise camoufle un cœur d’artichaut alors que c’est bon pour la foi. Apprendre à mâcher. Je mange trop vite. Tout aurait commencé un soir de 1957 lorsque j’ai demandé à mon père pourquoi je n’avais ni grand-père, ni grand-mère. Pensées d’auto-défense pulvérisées dix ans plus tard par une guerre qui n’était pas la mienne. J’ai travaillé au delà de mon désir pour attirer les câlins de ma mère, repeint la façade pour éviter les échecs de mon père. Cela n’explique pas la logorrhée. J’étais paresseux, timide, incompétent. Je suis devenu workaholic, extraverti, et j’ai développé des aptitudes qui ne se prêtent pas à la concurrence. Me retrouver à faire l’article comme dans un entretien d’embauche m’afflige. Devrais-je apprendre les moulinets à ma langue ? Le prétexte de franchise et de maturité m’entraîne à brusquer les choses. Panique à bord. Accélération folle. Droit dans le décor. Nous ne sommes pas dans un film de Cocteau où l’on peut remonter le temps. Le vase brisé gît sur le sol. Impossible de rembobiner. J’écris pour ne pas recommencer toujours les mêmes bêtises alors que de nouvelles seraient plus instructives. Choisir désormais des fleurs en pot, avec leurs racines. Heureusement il y a plus fort que soi. Les plus attentionnées agitent des fanions rouges pour m’avertir du danger. Le toboggan est glissant. Je leur dois une fière chandelle.