70 juin 2021 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 25 juin 2021

Dernier message avant l'autoroute


Pause estivale. Je suspends la publication de mes articles pendant un mois. Question de santé. Le confinement ne m'a pas permis de le faire comme chaque année ! Lever le pied, lever le coude, lever un lièvre, lever le camp. Je m'arrête là, pour celles et ceux qui y ont (mal) pensé. Je reprendrai vers la fin du mois de juillet. Il est possible aussi que j'apparaisse exceptionnellement si le cœur m'en dit. Mais mendier n'est pas dans mes habitudes. Au programme Saint-Étienne, la Drôme, l'Ardèche, Nîmes, Toulouse, le pays basque, Brive, c'est de l'à peu près, rien de certain. Je me laisserai porter par mes roues. La fatigue de conduire. Mes devoirs aoûtiens m'empêcheront probablement d'être aussi assidu et tout devrait redevenir normal, si publier quotidiennement depuis 16 ans ressemble un tant soit peu à la normalité, début septembre.
Entre temps j'aurai mixé la dernière séance enregistrée mardi dernier avec la harpiste-vocaliste Hélène Breschand et le batteur-électronicien Uriel Barthélémi. L'album s'intitulera Only Once avec la lune en couverture. La photo ci-dessus a été prise par Hélène à l'occasion de cette vingt-cinquième rencontre dont une des pièces figurera probablement sur le prochain disque, Keep Lab au Kino, suite et anagramme de Pique-nique au labo, à paraître début 2022. Comme chaque fois, la journée fut splendide, drôle et fructueuse. Le déjeuner était composé de saumon aux épices et flocons d'érable, potée de légumes et pâtes à la quinoa. Nous nous sommes installés le matin et avons œuvré tout l'après-midi.
À celles et ceux qui seront parti/e/s avant que je revienne, je souhaite de bonnes vacances. Prenez-en si vous le pouvez, la rentrée sera rude pour la plupart !

jeudi 24 juin 2021

Remember My Forgotten Man (1975)


Auto-portrait JJB extrait du film

Avant-dernier article avant l'autoroute !

De 1975 à 1979, je collaborai presque quotidiennement avec Jean-André Fieschi qui avait été responsable de l'analyse de films pendant mes trois ans d'études à l'Idhec (l'Institut des Hautes Études Cinématographiques devenu depuis la Femis). Je devins son assistant, en particulier pour Les Nouveaux Mystères de New York dont je tournai d'ailleurs quelques scènes et participai au montage avec Brigitte Dornès. Le film, magnifique, entièrement réalisé à la paluche, est réputé comme perdu, effacé par le temps.
La paluche était une caméra construite par Aäton, préfigurant les petites caméras que l'on tient aujourd'hui au bout des doigts, mais à l'époque des débuts de la vidéo portable, c'était révolutionnaire. Je me souviens que Jean-André était obligé de mettre le lourd magnétoscope (en quart de pouce) dans un sac à dos pour pouvoir tourner dans la rue. Cette caméra-stylo ressemblant à un gros microphone était l'instrument dont il avait rêvé, il l'avait payé à Jean-Pierre Beauviala en jetant un sac de pièces d'or sur son bureau de Grenoble.
Jean-André adorait les coups de théâtre. Cela lui portait parfois préjudice comme le jour où sa compagne d'alors, la philosophe et écrivaine C. le fit interner pour l'avoir menacée avec un coupe-papier sorti de son fourreau, comme dans un film de Feuillade. Arrivé au moment où deux malabars en blouses blanches venaient le chercher, je passai la nuit à ameuter ses amis pour le sortir de là, mais JAF s'en tira très bien tout seul. Quelques années plus tard, il me raconta l'épisode de la dague dont je n'avais pas été témoin, ajoutant que "c'était la preuve qu'elle n'aimait pas l'opéra". Ce n'était pas toujours facile de vivre avec lui, mais j'étais le protégé de la famille et partageais leur vie pendant quatre ans de bonheur où mon "maître" m'apprit le cinéma (suite de mes études), la littérature (je commençai à lire), la musique (me faisant connaître les musiques classique et contemporaine, l'opéra, le jazz et le free, etc.) et surtout la méthode qui me permettrait d'avancer seul dans la vie et dans mes métiers. De C., j'appris ce qu'était la psychanalyse. Grâce à eux, je rencontrai un nombre impressionnant de sommités et de célébrités. À leur séparation, C. coupa tous les ponts, m'accusant d'avoir fourni à son compagnon les champignons hallucinogènes qui brisèrent leur couple. Comme s'ils avaient besoin de cela ! JAF était un forcené, capable d'abattre un travail phénoménal en une seule nuit comme de rester muet pendant des jours.
J'avais le privilège de partager tous ces instants et je me suis demandé longtemps ce qu'il trouvait dans ce petit jeune homme de dix ans son cadet. Je faisais. Comme un passage à l'acte. Malgré mon jeune âge, je produisais, sans répit, et je me produisais, avec enthousiasme et en toute indépendance. La musique le permettait mieux que le cinéma. Question de budget. La vidéo domestique n'existait pas encore. Il y passa lorsque les petites caméras apparurent sur le marché et devint enfin réalisateur, après avoir travaillé comme journaliste aux Cahiers du Cinéma, au Monde, au Nouvel Obs, etc. Il avait également été chargé de la production à Unicité, la boîte audiovisuelle du Parti Communiste. Il me mit là aussi le pied à l'étrier en me commandant des musiques et des partitions sonores pour des audiovisuels de Michel Séméniako, Claude Thiébaut, Noël Burch, Marie-Jésus Diaz, Daniel Verdier, etc. Mon premier travail de "collaboration" (mi-anar mi Trotsk, je n'étais que "compagnon de route") sera le disque 33 tours 1975, l'Année de la femme réalisé par Charles Bitsch. Pour les arrangements j'avais engagé Bernard Lubat qui me fit ensuite rencontrer Michel Portal, mais ça c'est une autre histoire. J'avais déjà produit Défense de et fondé GRRR. Jean-André avait réalisé plusieurs Cinéastes de notre Temps sur la Première Nouvelle Vague (avec Burch), le jeune cinéma italien et le meilleur film jamais tourné sur Pasolini, Pasolini l'enragé... On l'aperçoit dans Alphaville dans le rôle du Professor Heckell (Comolli était Jeckell).
Ma dette envers Fieschi est inextinguible. Initié lui-même par l'écrivain Claude Ollier, il me transmit à son tour tout ce qui lui était possible. D'autres avaient probablement précédé, d'autres suivront. C'était un passeur. Pourtant il était incapable de parler à plusieurs personnes à la fois. Amateur du secret, il avait besoin d'une complicité exclusive. En vieillissant, il semblait avoir limité ses attitudes suicidaires : plus d'une fois il détruisit, la veille d'une présentation, ce qu'il avait patiemment et majestueusement élaboré. J'étais le pare-feu, dévoué au point de traverser Paris au milieu de la nuit. Notre collaboration prit fin à Venise qu'il me fit découvrir comme cadeau d'adieu. La grande classe. [Il mourut hélas le 1er juillet 2009 à São Paulo lors d'une conférence sur Jean Rouch. Disparus aussi Brigitte Dornès, Claude Thiébaut, Daniel Verdier, Claude Ollier, Jean-Pierre Beauviala...].


Toute cette histoire pour en arriver là, à ces bribes filmées en 1975 dans mon appartement du 88 rue du Château à Boulogne-Billancourt. Remember My Forgotten Man est un film expérimental tourné à la paluche, sans montage. Des rushes d'aucun projet. Brigitte a sauvé la bande 1/4 de pouce en faisant un report sur VHS avant qu'elle ne s'efface. Je l'ai plus tard transcodé numériquement. D'une durée de 26 minutes, il est en deux parties pour des questions purement techniques liées [à l'époque] à DailyMotion.


Au début, on entend Jean-André, qui m'a exceptionnellement prêté la Paluche pour le week-end. Les amis qui figurent sur Remember My Forgotten Man sont Philippe Labat, mon colocataire d'alors et grand ami, disparu pour avoir sombré dans l'héroïne, Thierry Dehesdin, qui est toujours photographe et avec qui j'ai partagé l'aventure du light-show, Sylvie Sauvion, que j'espère revoir un de ces jours, le chien Zappa, et d'autres dont j'ai oublié le nom ou que je n'ai jamais rencontrés. La partition sonore est celle de l'époque, musiques que nous écoutions à la maison, références de notre éclectisme.

Article du 29 août 2008

La chanson Remember My Forgotten Man interprétée par Joan Blondell est extraite du film Goldiggers of 1933 réalisé par Mervyn LeRoy. À la fin, la chanteuse Etta Moten reprend le flambeau...

mercredi 23 juin 2021

Un Drame Musical Instantané sur Antène 1 en 1983


Le film avec Un Drame Musical Instantané, tourné le 10 avril 1983 par Emmanuelle K pour la chaîne de télévision libre Antène 1, est en ligne sur DailyMotion. Nous étions tous réunis dans la cave de mon loyer de 48 qui nous servait de studio et dans laquelle on pénétrait par une trappe au milieu de la cuisine rouge, noir et or (les canisses !), très chinoise. Les soupiraux du 7 rue de l'Espérance, qui donnaient directement sur la Place de la Butte aux Cailles, étaient fermés par des clapets équipés d'aimants pour pouvoir aérer lorsque je souhaitais rendre son statut de salon à notre antre. Nous y "répétions" tous les jours. Je devrais écrire "jouions" puisqu'il s'agissait le plus souvent de compositions instantanées que nous enregistrions soigneusement, formant un corpus étonnant sur cette époque. Bernard Vitet joue ici du cor de poste, de la trompette à anche et de l'accordéon, Francis Gorgé de la guitare et du frein, une contrebasse à tension variable construite par Bernard, je commandais mes synthétiseurs (ARP 2600 et PPG) et l'on me voit à la trompette de poche et à la flûte basse, encore un instrument de la lutherie Vitet comme les autres flûtes et les trois trompes en PVC terminées par un entonnoir.


À l'origine, Emmanuelle K, aujourd'hui passée à la poésie, nous avait demandé d'interpréter une partition de John Cage, mais nous avions réfuté sa paternité en nous insurgeant "contre les partitions littéraires de Stockhausen qui signait les improvisations (vraiment peu) dirigées, que des musiciens de jazz ou assimilés interprétaient, ou plutôt créaient sur un prétexte très vague". Le film était tourné à deux caméras, dont une paluche, prototype fabriqué par Jean-Pierre Beauviala d'Aäton, que Gonzalo Arijon tenait au bout des doigts comme un micro, l'ancêtre de bien des petites cams. Je ferai la connaissance de Gonzalo des années plus tard lorsque je réalisai Idir et Johnny Clegg a capella et participai à l'aventure Chaque jour pour Sarajevo à Point du Jour. En 1975, j'avais moi-même joué avec celle que Jean-André Fieschi m'avait prêtée pour mes essais expérimentaux intitulés Remember My Forgotten Man...


Le film dure 21 minutes 35 secondes. Il est présenté ici en deux parties. En juin 2008, il fut diffusé en boucle lors de la seconde édition du festival Filmer la musique au Point Ephémère. C'est l'un des rares témoignages vidéographiques de la période "instantanée" du Drame.

Article du 27 août 2008

mardi 22 juin 2021

La séduction du biidoro


Lors de mon passage à Kyoto, j'avais acheté deux copies d'une sorte de criquet en verre de l'ère Edo que je reconnus plus tard sur une carte postale reproduisant la gravure du célèbre artiste Kitagawa Utamaro. Le biidoro (ビードロ), du portugais vidro, verre, est constitué à un bout d'un petit tube dans lequel on souffle et à l'autre d'une sphère sur laquelle est tendue une membrane qui se tend et se détend lorsque l'air pulsé vient déplacer un petit cylindre placé à la moitié du tube. Le son rappelle celui de nos criquets en métal, mais c'est l'extrême fragilité du verre, unique constituant du jouet, qui surprend lorsque la membrane se bombe. L'instrument était utilisé par les courtisanes, les geishas, pour attirer les hommes !
Le peintre fut mis en scène par Mizoguchi Kenji dans son magnifique Cinq femmes autour d'Utamaro, édité par Carlotta lors de la première publication de cet article en septembre 2008, mais vendu maintenant à prix d'or. Les licences valdinguent et aujourd'hui on trouve essentiellement un coffret de 8 films publiés en DVD et Blu-Ray par Capricci comprenant Les Contes de la lune vague après la pluie, L’Intendant Sansho, Les Amants crucifiés, Miss Oyu, Les Musiciens de Gion, Une femme dont on parle, L’Impératrice Yang Kwei-fei et mon préféré, son dernier, La rue de la honte. Mizoguchi est, avec Max Ophüls, un des cinéastes qui sut le mieux filmer les femmes, même s'il fut lui-même victime en 1925 d'une blessure au dos infligée par les coups de couteau de son amante Yuriko Ichijo, rencontrée dans un club de nuit. Ou peut-être cela lui servit-il de leçon, car ses films, souvent pessimistes, sont fondamentalement féministes.

lundi 21 juin 2021

Jean-Jacques Birgé et Lionel Martin en fictions, portfolio de Christophe Charpenel dans Citizen Jazz


En publiant sur Citizen Jazz un portfolio de ma rencontre avec le saxophoniste Lionel Martin, le photographe Christophe Charpenel m'a fait penser que son tir groupé était une sorte de shrapnel. Wikipedia en donne d'ailleurs cette définition : "Shrapnel, du nom de son inventeur Henry Shrapnel, est le nom désignant l'« obus à balles ». Le terme « shrapnel » a souvent été utilisé, de manière extensive, pour désigner des petits fragments projetés par une explosion, quelle que soit leur origine." Choisie méticuleusement parmi les prises réalisées le 10 mai dernier au Studio GRRR, chacune est bien un fragment projeté produisant une explosion de bonheur, rencontre inattendue entre deux musiciens qui ne se connaissaient qu'au travers de quelques enregistrements. Christophe suivant Lionel dans toutes ses activités en vue d'un reportage à publier sur un prochain vinyle du saxophoniste, notre session représentait une étape éminemment plus sympathique que l'usage absurde et suicidaire de n'importe quelle arme létale. La violence reste l'énigme fondamentale devant laquelle je reste sans réponse lorsque je tente de comprendre l'humanité. Heureusement la musique adoucit les mœurs. Je fais abstraction de la militaire dont le kitsch égale la pauvreté du formatage. Les Fictions de Borges qui inspirèrent nos compositions instantanées sont d'un réel autrement plus passionnant que ce qu'on essaie de nous vendre sous le concept de réalité.
Christophe Charpenel ouvre sur la fresque d'Ella & Pitr qui orne ma façade et dont le héros se nomme Bientôt. Si nous tendons ensuite l'oreille au bruit du monde, nous les interprétons avec nos instruments. Je fume ainsi The Pipe des Russes de Soma sur Ut nihil non iisdem verbis redderetur auditum. Quelle phrase exprime mieux le rôle de l'artiste ? En français : De sorte que rien de ce que nous entendons ne peut être redit avec les mêmes mots ? Tandis que Lionel Martin surveille le cochon volant que m'avait offert Ève Risser, ma main caresse les touches veloutées de mon clavier 5D. Chacun a beau posséder sa version du recueil de nouvelles, nous sommes branchés sur la même longueur d'ondes. Ces images enjôleuses me permettent d'attendre patiemment le long article promis qui saura me surprendre... Car il existe encore des hommes et des femmes qui savent écouter, regarder, sentir, toucher et jouer avec les mots...

→ Le portfolio de Christophe Charpenel sur Citizen Jazz
→ L'album Fictions, en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org
→ Les deux articles du blog relatifs à cette rencontre illustrés d'autres photographies de Christophe Charpenel : 1 / 2
P.S.: Fictions est sorti en vinyle sur Ouch! Records

vendredi 18 juin 2021

L'amertume résorbe le diabète


Le décès de Mandryka me fait penser à un autre concombre masqué...

Comment ça se mange ? La question se pose souvent dans les épiceries chinoises lorsque l'on est appâté par les formes et les couleurs de fruits et de légumes plus étonnants les uns que les autres. Nous voyant perplexes, nos voisins nous ont offert à goûter un concombre amer ; ne pas confondre avec le concombre de mer, nom trompeur donné à l'holothurie pour ne pas effaroucher celui qui commanderait une soupe à la limace de mer ! Cet échinoderme spongieux dont Erik Satie affubla l'une de ses délicieuses pièces est très curieux, mais n'a évidemment rien à voir avec la cucurbitacée. Le concombre amer ou margose (photo) se consomme en tranches fines, revenu dans un peu d'huile. Cela ferait considérablement tomber le taux de glucose dans le sang, comme les algues feraient la peau du cholestérol. Je l'ai simplement assaisonné avec de la sauce de soja et j'ai saupoudré des algues nori séchées et du piment en poudre (mélange de piment, peau de mandarine, graines de sésame, poivre japonais, graines de chanvre...) sur le riz.

Article du 7 septembre 2008

jeudi 17 juin 2021

Ce répondeur restitue les messages


Le blog ressemble parfois à des poupées gigognes. Comme je retrouvai un article du 1er septembre 2008 sur les messages de mon ancien répondeur, je m'aperçois que j'en avais conservés beaucoup plus que je ne pensais. De 1977 à 1989, ce sont deux heures et demie de souvenirs souvent bouleversants qui sont réapparus, constituant une sorte d'évocation radiophonique, tantôt dramatique, tantôt drôle, feuilleton palpitant où je retrouve les voix de celles et ceux que j'ai aimé/e/s. Sur la page du site qui lui est consacrée, on peut lire :
"En 1977 l'usage du répondeur téléphonique était peu répandu en France. Les premiers messages enregistrés sur le répondeur Sanyo rapporté des USA par Luc Barnier montrent comment les interlocuteurs, déstabilisés par la machine, sont dans l'obligation de l'apprivoiser. L'ensemble, sauvé grâce au système d'enregistrement sur cassettes audio, une en boucle pour les annonces, l'autre de 30 ou 45 minutes pour les messages laissés, constitue un cut-up dramatique d'une force incroyable. En quelques secondes, parfois quelques minutes, la nécessité d'aller à l'essentiel provoque des saynètes documentaires produisant l'effet de la fiction. Certaines sont énigmatiques, d'autres triviales, de temps en temps un concert intime crée une pause... À se confier seul dans l'urgence face à une machine sans état d'âme émerge la profondeur analytique. Que l'on identifie les voix n'a pas d'importance, sauf pour ceux qui connaissaient les nombreux disparus qui nous manquent cruellement. Le ton de la voix, un silence, un rire forcé, une confidence... Le divan machine. L'usage généralisé ne permettrait plus aujourd'hui une telle franchise. La puissance évocatrice de cette collection fabuleuse de témoignages où les protagonistes sont livrés au miroir de la parole rappelle à la fois les paysages sociaux des radiophonies que je composais dès 1973, les confrontations godardiennes des Histoire(s) du cinéma et mon goût pour les pièces courtes et dramatiques qu'en musique on appelle vulgairement des morceaux."

Mon projet d'album me pousse à numériser des dizaines d'heures d'archives. J'ai presque terminé de recopier les cassettes du répondeur téléphonique dont j'ai conservé nombreux messages des années 80. C'est émouvant. Je découvre la mort de mon père vécue de façon elliptique, sa voix affaiblie, celle de ma mère après, ma soeur... Il y a des passages très drôles, particulièrement au début : comme c'était l'un des premiers appareils du genre, les interlocuteurs sont souvent décontenancés ou bien ils laissent un message dans le style des fantaisies sonores que j'inventais pour personnaliser les annonces, effets de ralenti, délai, etc. Il y a des voix mémorables comme celles de Bernard Vitet, de Colette Magny, d'André Dussollier, de Franck Royon Le Mée, beaucoup d'amis, des anonymes, la mienne lorsque j'appelle à la maison. [...]

Quelle émotion d'entendre ces voix qui se répondent malgré elles : Jean-André Fieschi, Jacques Marugg, ma sœur Agnès, Geneviève Louveau, Hervé Bourde, Francis Gendron, Brigitte Dornès, Jean-Marc Foussat, Daniel Deshays, Marie-Jésus Diaz, Mercédès Volait, Marianne Bonneau, Véronique Berthonneau, Hélène Sage (solo d'accordéon et aspirateur, voix et contrebasse, piano et tuba, boîte à musique et anche selon les messages !), mes parents, Sheridan Williams, Jouk Minor, Francis Gorgé, Philippe Legris, mon cousin Serge, Dominique Meens, Bruno Girard, ma tante Catherine, Horace, Lulla Card Chourlin, Philippe Labat, Emmanuelle K, Dominique Noguez, Hélène Bass, Anne-Laure Poulain, Jean-Louis Chautemps, Dino Giannasi, Béatrice Soulé, Patrice Petitdidier, Gérard Siracusa, Henry Colomer, Marie-Noëlle Rio, Jean-Patrick Lebel, Jacques Bidou, Hold-Up, Tamia, Denis Colin, Kent Carter, Michel Séméniako, Serge Autogue, Françoise Degeorges, Guy Brousmiche, Guy Pannequin, Lucilla Galeazzi, Bernard Eisenschitz, François Tusques, Jean-Pierre Mabille, Bernard Parmegiani, Yves Prin, Pere Fagès, Bruno Barré, Steve Stapleton, Laurent Bayle, Patrick Roudier, Roger Tessier, Didier Petit, Yves Robert, Michèle Buirette, Patrick Schuster, Michel Bastian, Didier Silhol, Marie-Noëlle Sabatelli, Gilles Folques, Pierre Luc, Gérard Menant, Hélène Richard, Thierry Berteau, Claude Tchamitchian, Michèle Cotinaud, Ghislaine Petit, Daniel Verdier, Jocelyne Leclercq, Dominique Fonfrède, Régis Franc, Marie-Christine Gayffier, Stéphanie Aubin, Robert Weiss, Pierre-Étienne Dornès, Jean Gaudin, Marie-Jo Lafontaine, Jean-Jacques Henry, Michel Polizzi, Aurélie Ricard, Henri Texier, György Kurtag Jr., Lindsay Cooper, Galilée Al Rifaï, Vincent Voisin, Dominique Cabrera, Antony Marschutz, André Ricros, Claude Thiébaut et tant d'autres...

À l'époque on fabriquait du solide. Je suis allé ramper pour récupérer l'appareil dans la sous-pente et j'ai pu recopier deux messages d'annonce enregistrés sur des bandes spéciales sans fin. Je n'en ai retrouvé que deux, mais ni les marrants ni ceux en musique. Pour le premier j'utilisai un harmoniseur et sur le second on entend les miaulements de Lupin et Monsieur Hulot derrière Elsa. En m'esquintant les genoux sur le sol rêche du grenier, j'ai aperçu sur le chemin les boîtes contenant 30 000 diapositives que je n'ai jamais regardées depuis l'époque du light-show, celles que nous avons mises en scène avec des comédiens pour H Lights, les polarisations, les abstraites, les cinétiques, les liquides séchés... Il doit y avoir aussi notre périple aux USA en 1968, le Maroc et l'Italie les années précédentes. Je ne me souviens plus quand j'ai commencé à prendre des diapos.

J'y suis revenu depuis, puisqu'en 2014 je publiai le roman augmenté USA 1968 deux enfants.

mercredi 16 juin 2021

Hara-kiri de Mishima


En 1970, toutes les copies japonaises de Yūkoku ou Rites d'amour et de mort (Patriotisme), l'unique film de Yukio Mishima, avaient été détruites à la demande de sa veuve Yuko. Le célèbre écrivain nationaliste s'était fait seppuku (traduit "hara-kiri" en argot) lors d'une tentative de coup d'état avec son armée privée, mise en scène de son suicide rituel. Un de ses disciples le décapita avant de s'éventrer au sabre à son tour. Le producteur du film ayant sauvé le négatif et la veuve ayant disparu en 2005, Criterion avait sorti un dvd (zone 1) avec en suppléments un long entretien radiophonique, une interview vidéo de Mishima sur la seconde guerre mondiale et la mort, le témoignage des survivants de l'équipe du tournage, le livret incluant la nouvelle originale et un texte sur le film rédigé par Mishima lui-même. Depuis, les éditions Montparnasse avaient publié à leur tour le film, donc en Zone 2 (compatible avec les lecteurs en France), accompagné d'un formidable et sulfureux entretien audiovisuel inédit en français (!) de l'auteur par Jean-Claude Courdy, ainsi qu'un passionnant livret de 32 pages de Stéphane Giocanti et l'édition Folio/Gallimard du livre de Mishima, Patriotisme et autres nouvelles d'où est tiré le film.

ATTENTION : le film qui suit recèle des images pénibles difficiles à regarder pour beaucoup de spectateurs !


Celui-ci ressemble à une répétition de l'acte final, l'écrivain mettant en scène sa propre mort en y interprétant le rôle principal, inspiré par l'auto-érotisme du martyre de Saint-Sébastien. L'amour et la mort y sont liés avec une puissante intensité que l'histoire réelle souligne avec d'autant plus de crudité. En noir et blanc, muet avec des intertitres, Patriotisme, toutes proportions gardées, rappelle Un chant d'amour de Jean Genet, sublime et unique film de l'écrivain français, par ses rituels homosexuels axés sur la beauté. Le DVD propose une version japonaise et une version anglaise, la version française manquant, mais l'enregistrement usé de 1936 du Liebestod de Tristan et Iseult de Richard Wagner, ici redondante illustration musicale, fonctionne beaucoup moins bien qu'avec Un chien andalou de Buñuel. On en ressort plus troublé qu'ébahi, l'autre référence qui me vient à l'esprit étant Salo ou Les 120 journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini, un troisième écrivain à passer au cinéma, tout aussi provoquant, avec la même franchise, la même cruauté, la même sublimation...


Dans la foulée, Criterion avait édité un second luxueux DVD (double cette fois, toujours zone 1, puis Wild Side l'avait publié également en France) autour du film Mishima: A Life in Four Chapters, fiction kitsch de Paul Schrader s'inspirant de la vie de l'artiste et composé également d'extraits mis en scène de plusieurs de ses pièces. En plus du superbe livret, un documentaire de la BBC et nombreux entretiens et commentaires accompagnent le film produit par Coppola et Lucas (Zoetrope). Bien que la musique omniprésente de Philip Glass noie le film dans ses ors et rose bonbon, les racines de l'œuvre de Mishima sont clairement mises à nu, de l'autorité de sa grand-mère à l'amour immodéré pour sa mère, de sa culpabilité d'avoir échappé à une guerre qu'il ne supporte pas que son pays ait perdue à ses inclinations homosexuelles difficilement assumées, du code d'honneur du samouraï au culte du corps qu'il ne peut souffrir de voir se flétrir.

Article original du 18 août 2008

mardi 15 juin 2021

Croquants aux amandes


Il fait bien chaud. On a planté des pieds de tomates et de poivrons dans le jardin en mélangeant la terre avec le compost accumulé depuis des années. Le statut de grand-père de garde, entre les tyroliennes et les toboggans du Parc Floral et les trampolines de celui de La Villette, me laisse peu de temps pour pondre de nouveaux articles. Alors je reproduis la recette de croquants aux amandes de Jean-Claude dont le souvenir persiste des années après les avoir savourés, même si c'est un peu dur pour des dents de lait.

Ingrédients :
500g farine
350g sucre en poudre (400g si plus sucré)
5 œufs
2 cuillerées à soupe d'eau de fleur d'oranger
350g amandes brutes

Battre 4 œufs - ajouter l'eau de fleur d'oranger et le sucre - et touiller la pâte
Si l'on souhaite que ce soit plus souple (recommandé si l'on ne veut pas s'y casser les dents, c'est d'ailleurs le nom qu'on lui donnait dans le temps, casse-dents), ajouter 1 cuillerée à café d'huile d'olive et 1 cuillerée à soupe de miel !
Verser en pluie la farine en évitant soigneusement les grumeaux (c'est le plus fastidieux de la recette)
Ajouter les amandes en les répartissant - Touiller
Verser sur un plateau abondamment fariné
Pétrir avec ses mains farinées
Partager en deux rouleaux égaux - les aplatir (10cm large, 2 à 2,5cm haut)
Placer sur la plaque de four sur du papier sulfurisé et fariné sans que les deux rouleaux aplatis se touchent (prévoir quelques centimètres car il arrive qu'ils s'affaissent un peu)
Dessiner des losanges délicatement sur le dessus avec un couteau
Battre un œuf et badigeonner le dessus pour que ça dore (pinceau)
20 minutes environ au four à feu moyen
Couper les croquants quand c'est très chaud (après ils sont trop durs)
Laisser sécher quelques heures

Bien que c'était la première fois de ma vie que je faisais de la pâtisserie, je ne m'en étais pas trop mal sorti... Déjà 13 ans ! Il faudrait vraiment que je m'y remette...

Recette du 9 août 2008

lundi 14 juin 2021

A Scanner Darkly


Philip K. Dick est de plus en plus lu et adulé. En France, on le doit beaucoup à sa traductrice, Hélène Collon. De 1994 à 2000 elle coordonne la re-traduction de l'intégrale des nouvelles (ed. Denoël) avec Jacques Chambon, traduit la biographie due à Lawrence Sutin, puis Invasions divines et Dernière conversation avant les étoiles(ed. l'Éclat). Elle avait déjà dirigé l'ouvrage collectif Regards sur Philip K. Dick - Le Kalédickoscope (ed. Encrage, Grand Prix de l'Imaginaire du meilleur essai, réédition Encrages/Belles Lettres). En 2013, elle livre l'inédit en français Ô Nation sans pudeur (ed. J'ai lu/Nouveaux Millénaires) et en 2016-2017 l'énorme Exégèse (même éditeur, de nouveau Grand Prix de l'Imaginaire !) qui lui aura pris cinq ans. Elle s'attaque aujourd'hui à une nouvelle traduction d'Ubik. À l'été 2008, j'avais écrit un petit article sur le film de Richard Linklater.



Article du 12 août 2008

A Scanner Darkly (2006) est tout à fait le genre de film à qui l'édition DVD profite parce qu'elle s'accompagne de bonus éclairant les zones obscures. Le scénario inspiré par une œuvre de Philip K. Dick est quelque peu flottant et la technique d'animation en rotoscopie demande quelques explications. Il a fallu dix-huit mois pour traiter numériquement les plans tournés avec Keanu Reeves, Robert Downey Jr, Woody Harrelson, Rory Cochrane et Wynona Ryder. Les images ont été retravaillées une à une comme Richard Linklater l'avait déjà réalisé pour Waking Life cinq ans auparavant. Le côté bande dessinée gauchit suffisamment la réalité pour nous faire basculer dans la posture instable où la drogue noie les protagonistes, un univers de cauchemar où la paranoïa est le maître mot et la vidéo-surveillance le mètre mal. Les délires verbaux des acteurs donne le vertige plus que leurs hallucinations quasi comiques, nous plongeant dans un coma où la schizophrénie et la perte de repères réfléchissent l'expérience vécue par le génial auteur de science-fiction dont Blade Runner, Screamers, Total Recall, Confessions d'un barjo, Minority Report, Paycheck, Next sont les adaptations déjà portées à l'écran [Depuis, il y eut d'autres films et des séries télé comme The Man in the High Castle et Philip K. Dick's Electric Dreams]. Une interview de 1977 de K.Dick lui-même montre le climat de suspicion de l'époque Nixon et la paranoïa qu'elle engendra, ajoutée aux difficultés que l'auteur rencontra avec l'acide (LSD). "Seul, abandonné par sa femme, l'auteur ouvre sa maison à tous les drogués, hippies ou junkies de passage. Plus une journée ne passe sans qu'il se drogue, ce qui provoque chez lui de longues périodes de délire. Cette expérience le pousse à écrire Substance mort, écrit en 1975, publié en 1977" (Wikipédia). On l'entend également lire des passages de son livre... Le générique de fin égrène la longue liste de ses amis, décédés ou perdus dans les limbes de la psychose et de la maladie. Sa fille, dont le parrain n'était autre que Timothy Leary, participe également aux commentaires de cette comédie noire.

vendredi 11 juin 2021

Réapprendre à marcher


on dit qu'un artiste raconte toujours la même histoire
elle prend diverses formes selon l'humeur du moment
selon les époques
secrète, pour tous, même à celui qui la transmet
avant que les répétitions ne la figent

il cherchera les fausses coïncidences
et feindra de s'en échapper
lignes ajoutées, effacées, raturées
son double projeté sur le blanc de la page
mais rien ne se voit ni ne s'entend
cent ans, ça c'est fait
petite introduction en préambule à mon prochain disque d'alors

sans savoir par où commencer
au su de la densité du passé
recommencer
pour quoi
pour ne pas me répéter
et ne pas répéter
improviser
ajuster les mots écrits treize ans plus tôt

c'est là que l'histoire commence
qu'elle recommence
parce que les temps ont changé
et que l'on a enfin identifié sa latitude
j'ai fouillé les paysages, récupéré quelques rythmes
sans savoir quand ni combien de temps cela prendrait
je venais de rentrer dans la baignoire
c'est ici que mon histoire a commencé
je l'ai reconnue

déjà pourtant ça ne se fait plus
chauffé je me termine à l'eau glacée
l'histoire, toujours la même
souvent rêvée, bien vécue
elle s'améliore
même s'il y a tout à faire
défaire, refaire l'histoire d'un petit bonhomme
c'est ainsi que je me vois
mais ce n'est qu'une histoire

1964-2008-2021

jeudi 10 juin 2021

La trilogie de la jeunesse


La Trilogie de la Jeunesse (3 dvd Carlotta) est un triptyque formé des trois premiers films de Nagisa Ōshima : Une ville d'amour et d'espoir, Contes cruels de la jeunesse et L'enterrement du soleil. De film en film, le cinéaste japonais s'enfonce dans une noirceur extrême. Les jeunes héros s'enferrent dans une lutte désespérée contre la société qui les a engendrés. Tournés en 1959 et 1960, ces films qui ont marqué les débuts de la nouvelle vague japonaise montrent le pays du soleil levant incapable de se relever de la guerre dont le terrible échec restera inavouable jusque très récemment. C'est le combat des traditions ancestrales contre de nouvelles aspirations encore inaccessibles, d'une indépendance revendiquée et de la domination américaine, des générations précédentes qui se sont perdues et de celle qui ne s'est pas encore trouvée, des rêves d'amour et de la cruauté de la misère. Le décor est celui des bidonvilles de l'après-guerre, des sans-travail et sans-logis, avec à l'horizon lointain la vague silhouette d'une nouvelle classe moyenne urbaine. On sera bouleversé par cette critique sociale qui montre les miséreux s'entretuer. La prochaine révolution pourrait être plus brune que rouge. Alerte. Se vendre ou mourir, se vendre et mourir. La critique politique est tout aussi saignante. La même année, le réalisateur tournera Nuit et brouillard au Japon (article ci-dessous) marquant la fin de sa collaboration avec la production Shochiku pour devenir indépendant.
Les bonus sont absolument remarquables : Une histoire du cinéma japonais par Oshima lui-même, des entretiens lumineux avec Donald Richie et Yoichi Umemoto, les carnets d'Oshima pour Contes cruels de la jeunesse...


Carnet 1 : Les voir tirer un pigeon au fusil de chasse ne leur fait rien. OK. Cette fois-ci je leur balancerai une bombe... Carnet 2 : Prendre le sexe comme objet, c'est observer tous les personnages du point de vue du sexe... Rebellion fondée sur une anarchie sexuelle populaire, effondrement de la morale établie, nature marchande du sexe... Histoires de parents qui font payer leur sort à leurs enfants... Carnet 3 : Drame de la conscience de soi. En est-ce bien un ? Rencontre, blessure, séparation, réconciliation. Sinon, tout se passe contre leur volonté, puis conformément à leur volonté, dépravation progressive. Monde où il faut vendre et se vendre... Leur ennemi, le système lui-même, ceux qui l'incarnent... Carnet 4 : Subjectivité de la caméra, rapports de position entre personnes, composition, panoramiques multiples, couleurs sombres de peinture à l'huile, mouvements juste avant que ça coule, les personnages disparaissent en traversant l'avant-plan, utilisation percutante du son, y penser si modification du scénario, mouvements des gros plans, filmer les choses longuement, la lumière minutieusement, plans dont les personnages débordent, au moment où très gros plan dézoomer, ne jamais faire entrer le moindre morceau de ciel... Croire ou ne pas croire en la solidarité... Les distorsions de la société c'est que les hommes se vendent et s'achètent, c'est ça qui les oblige à commettre de tels actes... Les hommes sont les seuls à conférer de la valeur à ce qui n'en a pas, alors il faut les respecter, alors il ne faut pas mourir... C'est l'histoire de jeunes gens qui ne peuvent laisser éclater leur colère que sous une forme distordue... À travers la tragédie de cette distorsion qui réduit cette belle jeunesse qui devrait être la leur à une défaite cruelle je veux exprimer ma colère contre la situation dans laquelle est prise la jeunesse contemporaine. No comment !


La bande-annonce de ce second volet de la Trilogie la résume parfaitement : Abruti ! Ce n'est pas une façon de se comporter... ŌSHIMA FRAPPE FORT... Je dis ça pour votre bien. Vous devriez rompre avant qu'il ne soit trop tard... C'est parce que tu étais lâche que tu as échoué... Tu es certaine de leur fidélité ?... Dis pas n'importe quoi ! Nous, on ne se laissera pas déshonorer comme vous. DISPARAISSEZ, BANDE DE LÂCHES ! ON CHOISIT LA JEUNESSE ASSOIFFÉE DE SANG ! C'est vrai, on a consacré notre jeunesse à essayer de changer la société. Mais il est impossible de casser ce mur. DEUX GÉNÉRATIONS S'AFFRONTENT. DE VIOLENTS DÉSIRS. UN FILM SANGLANT !

Article du 25 juillet 2008

NUIT ET BROUILLARD AU JAPON
Article du 24 août 2008


Le désespoir des militants les pousse au règlement de comptes. Chacun s'accuse ou se tait. Nagisa Ōshima fait des aller et retours de 1960 à 1952, de la guerre de Corée au Traité de sécurité avec les États-Unis. Une scène, un plan. Et une prise ! Oshima ne filme qu'au moment où il sent que ses acteurs sont prêts et post-synchronise si des problèmes se présentent. Il garde parfois les hésitations. Les coupes de montage sont là pour se voir, autrement c'est le plan séquence. Les flous lui permettent de focaliser ailleurs l'attention du spectateur, le point insiste sur ce qu'il veut souligner. Les couleurs lugubres du cinémascope plongent les étudiants dans une boue intellectuelle où les doutes côtoient les dogmes. Nuit et brouillard au Japon (dvd Carlotta) est un grand film politique préfigurant La Chinoise de Godard des années plus tard. Il oppose le mariage de deux militants à ceux qui n'ont pas désarmé et s'obstinent à chercher une vérité inaccessible, devenue inutile. Les trotskystes s'opposent évidemment ici aux révisionnistes staliniens. Tourné en 1960 comme La Trilogie de la Jeunesse, le film, aussi sombre que les trois autres, ne laisse aucune échappatoire à ses protagonistes. Le cinéaste dresse le portrait d'une jeunesse bourgeoise, révoltée et incapable de surmonter ses contradictions. Le renoncement et l'obstination sont sur le même plan. Fatal.

mercredi 9 juin 2021

Pas de pitié pour les images pieuses


Peut-être suis-je surpris de bien prendre les revers de fortune, les mauvaises nouvelles ou les agressions dont je pourrais être victime ? Si l'on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même, pourquoi s'infliger tristesse, énervement, angoisse lorsqu'on est confronté à ces contrariétés ? Le mal que l'on nous prodigue parfois ou les mauvaises surprises que la vie nous réserve n'ont que peu de poids face à la manière dont on en gère les effets. Pas la peine d'en rajouter ! Selon les figures, j'ignore les malveillances ou je prends à bras le corps la résolution des problèmes incontournables. Du moins je fais tout mon possible. Quel rapport avec l'article de 2008 qui suit ? Probablement la différence entre les choses qui nous arrivent inévitablement et le choix qui s'offre à nous sur la manière de les vivre, façon de revendiquer qu'en définitive il n'y a (presque) rien de fatal, à condition de se demander ce qui nous semble juste de penser ou de faire...

La nouvelle gargouille prend des images pieuses
Article du 2 juin 2008

Le matin, j'avais terminé Bienvenue dans le désert du réel de Slavoj Žižek. Sa façon de renverser les évidences me plaît. Si "l'inconscient ignore les contraires", ce concept freudien appliqué à l'analyse politique ne peut que faire mouche. Dès lors qu'un terme est employé, un concept ou une opinion proférés, il devient psychologiquement indispensable d'en interroger le sens et les raisons qui les ont produits. Schématisons : une personne avançant "je ne suis pas raciste" pointe son racisme, car autrement la question ne se poserait pas. Ou encore, méfiez-vous de quelqu'un vous annonçant qu'il ne va pas vous arnaquer, car l'idée l'aura forcément effleuré pour qu'il l'évoque. Les régimes dits démocratiques en prennent pour leur grade. La fonction du philosophe n'est-elle pas de refuser les conventions pour argent comptant, d'interroger sans relâche ce qui prétendument ne pourrait être autrement. Ainsi, Žižek fait remarquer que s'il est courant d'envisager la fin du monde, celle du capitalisme semble aujourd'hui inimaginable.
Dimanche avait été très calme. Le soleil s'était couché plus tôt que prévu, transformant le côté plage en un ciel menaçant avec, en prime, une atmosphère glaciale. Je n'avais pas grand chose à ajouter, ayant exceptionnellement passé mon après-midi à bavarder et rêvasser. Comme je me suis fixé de rédiger autant que possible un billet quotidien, je m'en tire parfois de justesse en plongeant dans le fond photographique accumulé, espérant y trouver quelque inspiration. Cherchant une photo, je tombe sur un photographe ! L'image envoyée par Brigitte il y a quelques mois fait fonction de mise en abîme. Placée à l'extérieur d'une des sept chapelles absidales, en face de l'Hôpital Saint Barnabé, la gargouille orne la cathédrale de Palencia en Espagne. Comme la sculpture m'intrigue, Bri me retrouve un article d'El Païs de 1980 qui dévoile le "poteau rose" : vers 1908 ou 1910, l'architecte Jerónimo Arroyo, chargé de la restauration de la cathédrale, choisit de remplacer la gargouille tombée il y a fort longtemps par le portrait d'un ami intime. Depuis, "Monsieur Alonso" occupe une place d'honneur parmi les harpies, lions ailés, squelettes et autres figures du XIVe siècle, immortalisant les passants et les visiteurs sous un angle original qui ne peut qu'enrichir ma rêverie.
Au moment de mettre en ligne, je suis frappé par l'étrange ressemblance physique entre la statue espagnole et le philosophe slovène...

mardi 8 juin 2021

Dans la famille "Musiciens", je demande le père, la fille et le fils...


La biographie de ma fille Elsa s'ouvre par des mots qui m'ont surpris la première fois que je les ai lus : "Née dans une famille de musiciens...". Comme ce n'est pas mon cas, il m'a fallu un temps pour me rendre compte que sa mère et moi l'avions bercée dans les mélodies et les bruits du monde. On dit souvent que les chiens ne font pas des chats. J'espère aussi que les chats ne font pas des chiens, mais ça c'est une autre histoire ! Avec Bernard Vitet, nous avons écrit une douzaine de chansons pour Elsa qu'elle a enregistrées lorsqu'elle avait 6 ans, 9 ans et 11 ans. Vingt ans après ¡ Vivan las utopias !, Jean Rochard lui a demandé de participer aux Chroniques de résistance de Tony Hymas et récemment elle enregistrait Petite fleur avec Ursus Minor sur nato, son excellent label. Elsa a beaucoup plus joué avec sa maman, Michèle Buirette, en particulier dans le spectacle Comment ça va sur la Terre ?. Si elle a hérité de son talent mélodique, je retrouve quelques traces de mes facéties bruitistes dans les spectacles de Söta Sälta qu'elle joue ces jours-ci au Théâtre Dunois avec Linda Edsjö, Comme c'est étrange ! et J'ai tué l'amour, ou avec le Spat' sonore également au Dunois en juin. Ce n'est pas seulement le père qui vous encourage à réserver les dernières places disponibles, mais l'amateur d'émotions fortes et d'évènements extra-ordinaires...

Récemment j'ai été tout aussi ému par deux disques où une fille a convoqué son père, et où père et fils se sont retrouvés sur les mêmes références. La pianiste et chanteuse Macha Gharibian a réuni son père Dan, guitariste et chanteur co-fondateur du célèbre groupe Bratsch, l'accordéoniste Aret Derderyan, le joueur de kamantcha Gérard Carcian et Artyom Minasyan aux doudouk, clarinette, shevi, zurnz, pekou, pour des Papiers d'Arménie qui diffusent un délicieux parfum. Si la musique arménienne distille souvent une grande tristesse, plainte renforcée par le génocide dont ce peuple a été victime au début du XXe siècle, Guenats Pashas célèbre la vie et la joie d'être ensemble. En 1994 j'avais assuré la direction artistique du CD Haut-Karabagh, musiques du front enregistré sur place, dans les tranchées, par Richard Hayon. L'atmosphère y était terrible, bouleversante. Heureusement il n'y a pas que les larmes dans ce nouvel album, et même si les évènements récents ont de quoi révolter les Arméniens, on y chante, on y danse. C'est un disque chaleureux, lyrique et entraînant.

Dans un genre radicalement différent, le guitariste Richard Pinhas a produit ses Sources en se joignant à son fils Duncan, aux synthétiseurs analogiques et à la guitare, pour un rock alternatif dont le courant rappelle les envolées psychédéliques du meilleur Heldon. Les sons électroniques de Duncan Pinhas peignent des paysages sonores au dessus desquels s'envolent la guitare de son père. Sur Puissances infectées et Le Gritche la batterie d'Arthur Narcy renforce le son années 70 de leurs vertigineux rituels aux accents pinkfloydiens des débuts. Les oscillateurs encouragent aussi les drones planants que l'on retrouve sur les morceaux plus calmes, connotés des mêmes années. Là encore, la complicité favorise la transmission.

Ce ne sont évidemment pas les seuls exemples de familles d'artistes où la musique exprime tendresse filiale et parentale, mais ce sont ceux qui tournent sur ma platine cette semaine. Ces chroniques m'ont été dictées par un article de 2008 où je réalisais que ma fille était l'avenir de mes gènes, mais que le mien obéissait à des forces qui m'étaient propres, considération en marge de l'amour que nous pouvions ressentir les uns pour les autres... Cela n'empêche pas Elsa de faire régulièrement des apparitions dans mon travail, le plus récent étant sa participation à l'album de mon Centenaire avec une chanson écrite en collaboration avec sa maman...

UN PÈRE ET MANQUE
Article du 10 juillet 2008


Ma fille a repris le train et ça me rend triste. Ce n'est pas facile d'être père, ou mère, lorsque les enfants grandissent. Ils volent de leurs propres ailes, même si l'on est toujours là pour les coups durs. On a fait notre travail. Il leur reste à inventer leur vie. On met toute la sienne à savoir qui on est et pas de qui on naît. Les parents sont des fardeaux dont il est crucial de se défaire. Cela n'empêche pas les sentiments tendres. On reviendra vers eux, plus tard, si ce n'est pas trop. Après l'enfance fusionnelle, vient l'adolescence rebelle, puis la confiance en soi rapproche les générations, et il reste encore l'épreuve parentale. Mais le cycle n'est pas terminé. Il faut apprendre à vieillir. Savoir profiter de chaque instant de son âge, lâcher sans renier, persister sans ridicule, recommencer sans cesse. Il faut encore et encore réapprendre l'indépendance.

→ Papiers d'Arménie, Guenats Pashas, CD Meredith Records, dist. Socadisc
→ Richard & Duncan Pinhas, Sources (extrait sur Bandcamp), LP/CD Bam Balam, dist. Clear Spot et La Face cachée, exclusivité "DISQUAIRE DAY" 12 juin 2021
→ Söta Sälta, Comme c'est étrange !, CD Cie Sillidill/Victor Mélodie (Grand Prix de l'Académie Charles Cros), spectacle jeune public (à partir de 5 ans) au Théâtre Dunois, du 7 au 18 juin 2021 (voir les horaires)
→ Söta Sälta, J'ai tué l'amour, spectacle au Théâtre Dunois, 11 juin à 19h uniquement
→ Spat' sonore, Des madeleines dans la galaxie, spectacle tout public (à partir de 5 ans) au Théâtre Dunois, samedi 19 juin à 19h - dimanche 20 juin à 11h et 16h

lundi 7 juin 2021

L'électro organique du Chinois Howie Lee


Je n'ai pas entendu la vingtaine d'albums qui a précédé 7 Weapons du Chinois Howie Lee, mais le mélange de sources m'a tout de suite accroché, comme les mix des Danois Den Sorte Skole, des Marseillais Chinese Man ou des Californiens Shabazz Palaces auxquels j'ai immédiatement pensé. Je me retrouve évidemment chez ces lointains cousins encyclopédistes. Les percussions traditionnelles sont ici mélangées à des chants tibétains, la zurna anatolienne, des basses profondes et des soli de synthé ringards dont le jazz rock est friand. En s'expatriant à Londres, le Pékinois nous fait revivre le voyage de Marco Polo rapportant à Venise épices (cannelle, galanga, muscade, safran, poivre blanc, poivre noir, cubèbe, gingembre, clou de girofle), étoffes et pierres précieuses aux couleurs éclatantes, des armes plus puissantes que la poudre ! Le soft power assure seul la pérennité des victoires.


Sur son dernier album, Birdy Island, Howie Lee ne se contente pas de sampler, il joue de tous les instruments : clavier et piano préparé, yang qin, guitare, basse, batterie. percussion, accordéon, flûte, guan zi. Les voix, dont la sienne, les chœurs, participent à la volière électro. Je me suis souvenu qu'un des premiers disques asiatiques que j'avais acheté était East Wind du Japonais Stomu Yamashta, dont les rythmes rappellent les rituels bouddhistes en même temps qu'ils poussent à la danse. La musique de Howie Lee représente un nouvel exotica venu de l'Orient.

→ les disques de Howie Lee sur Bandcamp

dimanche 6 juin 2021

Une étrange forme de révisionnisme


Si le film de Lee Daniels, Billie Holiday, une affaire d'état (The United States vs. Billie Holiday), dénonce le racisme et si l'interprétation d'Andra Day est brillante, j'ai trouvé choquant que l'origine de la chanson Strange Fruit soit occultée, voire en permanence attribuée à Billie Holiday !
Une photo prise par Lawrence Beitler d'un lynchage à Marion dans l'Indiana le 7 août 1930 inspira à Abel Meeropol le poème Strange Fruit avant qu'il n'en compose la mélodie. Juif d'origine russe, communiste en butte à la Commission des Activités Anti-Américaines, il signa sous le pseudonyme Lewis Allan. Il écrira plus tard The House I Live In pour Frank Sinatra et Josh White, le livret de l'opéra Le brave soldat Schweik et, pour Peggy Lee, Apples, Peaches and Cherries que Sacha Distel adaptera en Scoubidou !
Si Strange Fruit est avant tout célèbre pour la sublime interprétation qu'en fit Billie Holiday dès 1939, il est capital d'en connaître l'auteur (article du 29 septembre 2014). Son pseudonyme de Lewis Allan vient des deux enfants morts-nés d'Anne et Abel Meeropol. Le couple adoptera les deux fils d'Ethel et Julius Rosenberg après leur condamnation à mort et leur exécution pour "espionnage au profit de l'URSS" en 1953.
Il est vraiment dommage que Lee Daniels évite de raconter que la chanson autour de laquelle son film est construit ait été écrite par un juif communiste qui avait adopté les enfants des Rosenberg.

samedi 5 juin 2021

Souvent il arrive que... broder !


Si broder c'est aussi enrichir une histoire de détails imaginaires, les ouvrages des dix brodeuses invitées à exposer chez elle, à Montreuil, par la réalisatrice Dominique Cabrera invitent à rêver. Rêver au temps qu'il faut pour construire chaque pièce, minuscule ou gigantesque. Rêver à ce que ces femmes nous racontent parce qu'elles ont pris le temps d'y penser. Dominique Cabrera a imaginé cette très belle exposition comme l'esquisse d'un film à venir. Faire un film exige encore plus de patience, entre le moment où on l'invente et celui où on le montre, l'attente est interminable. Les brodeuses, Marine Ballestra, Nadja Berruyer, Isabel Bisson Mauduit, Monique Cabrera, Aude Cotelli, Fabienne Couderc, Anouk Grinberg, Valérie Ménec, Lili Rojas, Valérie Rouzaud, Sophie Wahnich ont développé des œuvres d'une grande beauté, d'une profondeur parfois abyssale, d'une variété inattendue.


Pour pénétrer dans la grange, il faut traverser une cour, une chambre, un couloir, un jardin. Là règne l'obscurité. Le fil est fragile. Il ne supporte pas la lumière du jour qui altère ses couleurs. Suivre le fil d'Ariane nous fait rebondir de brodeuse en brodeuse. La scénographie de Raymond Sarti et les lumières de Lorenzo Marcolini transforment la grotte en palais des mille et une nuits. Les œuvres brillent dans le noir. On peut être certain que cette initiative fera des émules...

→ Exposition de broderies contemporaines Souvent il arrive que... broder !, 9 rue du 18 août à Montreuil (métro Mairie de Montreuil), 4/5/6 et 11/12/13 juin 2021, vendredi 15h-19h /week-end 10h-19h + PROLONGATION 18-19-20 juin !!!
contact : souventilarrivequebroder@gmail.com
→ Dominique Cabrera vient également de publier avec Julie Savelli le livre Dominique Cabrera, l'intime et le politique (De L'incidence Editeur). À ses débuts, en un autre temps, j'eus la joie de composer la musique de ses films Chronique d'une banlieue ordinaire et Traverser le jardin...

vendredi 4 juin 2021

L'espoir du chien en céramique de Marc Ribot et les fantômes de Paul Jarret


Après des mois d'isolement sanitaire, le trio Ceramic Dog du guitariste Marc Ribot avec le bassiste-claviériste Shahzad Ismaily et le batteur-électronicien Ches Smith est revenu en studio pour évacuer leur amertume sur la situation politique désespérante. Moins revendicatif que les précédents albums, Hope est certainement plus réaliste, et la musique s'en trouve encore meilleure tant les trois musiciens sont heureux de se retrouver. Ces folk songs de Ribot sont vraiment des chants de résistance où le rock fait bouger les hanches et lever le poing, où l'enthousiasme fait la balance avec la colère d'être manipulés comme des pions par des politiciens véreux et incapables. Après Trump, les Américains reviennent de loin, même si, pour nous, leur impérialisme couvre toujours la Terre d'une chape de plomb fondu. Ribot prend ses distances, il regarde la planète depuis la lune, une sphère minuscule au centre de la pochette. Mais elle occupe toute la surface du disque. La métaphore est claire. Sur le papier, l'enveloppe est naze, mais, surprise, à l'intérieur la musique offre une source d'espoir, grandiose. Après des chansons où les leitmotivs sont "Oh what will [Bruno] Latour and [Slavoj] Zizek think of next? Vegetables are people in a Flat Ontology, isn't it amazing, it's just amazing? I'm just amazed", ou "I refuse, I resist" dans The Activist, la guitare bluesy cède la place au sax free de l'altiste Darius Jones. Deux longs morceaux, The Long Goodbye ou Maple Leaf Rage, offrent des plages de rock 'n roll et de jazz aérien avant la reprise héroïque de Wear Your Love Like Heaven de Donovan.


J'ai enchaîné avec les Ghost Songs du guitariste Paul Jarret accompagné par son héros Jim Black à la batterie, Jozef Dumoulin au Fender Rhodes et synthé basse, Julien Pontvianne au ténor. Son jazz mélodique est très agréable avec ses échappées free, ses arpèges planants et ses ritournelles popisantes. Cette musique printanière me plaît plus que pas mal de disques dont la presse se fait un écho glorieux, mais qui me tombent des mains et des oreilles (oubliez donc l'âge du capitaine !). Ça tourne rond. Ça plane pour moi.

→ Marc Ribot's Ceramic Dog, Hope, CD Yellowbird, dist. L'autre distribution, sortie le 25 juin 2021
→ Paul Jarret, Ghost Songs, CD Neuklang, sorti le 28 mai 2021

jeudi 3 juin 2021

La bataille d'Alger


Histoire de sortir un peu de la musique, je reproduis un article de 2008 en me disant que mes lecteurs/trices d'aujourd'hui ne sont pas forcément ceux/celles d'hier. À l'époque je publiais 7 jours sur 7. Depuis dix ans je m'abstiens le week-end. Cela me fait des vacances. Ainsi je sélectionne de temps en temps parmi les anciens en réactualisant les liens et les vidéos. Internet a considérablement changé, rarement en bien. Hier FB m'a retoqué un commentaire où je remerciais tous les participant/e/s à mes rencontres musicales en prétextant : "Votre commentaire va à l’encontre de nos Standards de la communauté en matière de spam. Personne d’autre ne peut voir votre commentaire. Nous avons mis en place ces standards pour empêcher des infractions telles que la publicité mensongère, les fraudes et les atteintes à la sécurité." C'est vraiment étrange. Ces remerciements seraient-ils mensongers ou suis-je un dangereux terroriste à promouvoir le plaisir de jouer ensemble ? Évidemment il y eut des périodes plus terribles dans notre Histoire. Pendant la Guerre d'Algérie, la censure faisait rage. Très peu de films l'abordent, ne serait-ce qu'en suggestions discrètes. Les parapluies de Cherbourg, Adieu Philippine, Muriel, Le petit soldat... Demy, Rozier, Resnais, Godard, de jeunes réalisateurs tous associés à la Nouvelle Vague. L'indépendance de l'Algérie a été proclamée le 5 juillet 1962, La bataille d'Alger tourné quatre ans plus tard.

Article du 19 juillet 2008

Sur Wikipédia la fiche de La bataille d'Alger de Gillo Pontecorvo est suffisamment claire pour que je n'ajoute rien. Le double DVD publié par Studio Canal intègre les passionnants entretiens réalisés par Jonas Rosales avec le réalisateur, ainsi que Jean Martin qui joue le rôle du Colonel Mathieu, l'historien Benjamin Stora et, pour finir, Yacef Saadi, l'un des chefs historiques du FLN interprétant son propre rôle, producteur du film et auteur du livre qui l'a inspiré.


Si le film sur l'insurrection armée de 1957 et sa répression date de 1966, il ne sera réellement visible en France qu'en 2004. Comme chez Eisenstein, on a l'impression d'assister à un documentaire exceptionnel auquel le sublime noir et blanc donne une étonnante impression de vérité. Tourné à la fois avec de gros moyens, caméra à l'épaule, avec des acteurs non professionnels, cet épisode historique est réalisé sans aucun manichéisme, même si le propos est objectivement anti-colonialiste. Retour de bâton, les Américains s'en sont inspirés pour analyser les guérillas urbaines, en particulier pour comprendre leurs difficultés pendant la guerre en Irak. La musique de cette coproduction italo-algérienne, signée par Ennio Morricone (c'est sa période la plus prolifique) et Pontecorvo lui-même, dicte le rythme des scènes et joue d'effets dialectiques confondants. Acquisition vivement conseillée.

mercredi 2 juin 2021

L'opéra cassé


Ces temps derniers, je chronique beaucoup de musique, celles des autres, la mienne aussi. Trois albums en mai, la reprise est plus qu'excitante, stimulante. S'il en était aussi de mon cœur, serait-ce indécent ? La chance m'a toujours souri. J'ignore les regrets et les reproches, ne préférant conserver en mémoire que les meilleurs souvenirs. Le passé n'a que peu d'intérêt en regard de l'avenir. Pas question de piétiner, je vectorise. Ces derniers mois j'ai appris à apprécier le présent. C'est plus ambigu lorsque je joue avec mes camarades. Le travail du somnambule est dangereux. Je risque à tout moment de trébucher au bord du toit. C'est seulement à la réécoute que le plaisir s'épanouit, exactement comme n'importe quel auditeur. Par contre, rencontrer les amis est ce qui me motive le plus. On rit, on mange, on boit, on partage, on s'engueule parfois, avec la bienveillance de l'amitié.

Hier matin j'ai terminé le mixage d'une pièce de 13 minutes commandée par Romina Shama pour le Musée Transitoire dont la seconde édition se tiendra à Genève du 10 juin au 10 juillet. Romina avait enregistré un texte qu'elle lisait, mais cela se sentait. Elle avait aussi tenté de l'improviser, mais seule on se parle à soi-même et cela s'entend aussi. Alors je lui ai proposé d'oublier ce qu'elle avait écrit et de simplement me le raconter. La magie a opéré. De courtes respirations ponctuaient ses phrases qu'elle prononçait parfois hésitante de sa voix voilée, distillant une sensualité sans rapport avec le texte lui-même, sorte de discours de la méthode pour cette commissaire d'exposition. Comme elle l'avait intitulé L'opéra cassé je lui ai proposé de déstructurer le texte avec des algorithmes bègue ou renversé, mais j'ai tout étouffé dans un maximalisme qui me réussit souvent très bien. C'était devenu L'oreille cassée avec trois Doliprane. Le flow des enchaînements se perdait. Je devais retrouver celui de sa pensée. J'avais pourtant allégé la composition avec des parties instrumentales. L'orgue de cristal, les cloches de verre et une structure Baschet rappelaient les serres où seront présentées les œuvres plastiques. Cela ne suffisait pas. À chaque nouvelle version je dégraissais le mixage. Jusqu'à retrouver l'os.

Discutant de mon travail avec Amandine Casadamont qui tient le rôle de commissaire sonore, je lui expliquai que ces modifications ne me contrariaient pas tant qu'elles étaient justifiées par le propos. Je privilégie toujours le id à l'ego. Dans Le Journal d'un inconnu, Jean Cocteau met en exergue du chapitre D'une histoire féline : "Ne pas être admiré. être cru." Le sujet m'importe peu, c'est l'objet qui nous guide. Sans objet le sujet n'a aucun intérêt. Il pérore. À quoi bon ? Pour que l'œuvre s'épanouisse, la syntaxe exige que le verbe s'immisce entre les deux. C'est cela aussi le montage.

Romina et Amandine m'encourageant avec la plus grande bienveillance, j'ai réussi à transformer l'essai. Les fruits trop mûrs sont tombés. Comme tout le monde y trouvait son "conte", j'ai éteint le studio et j'en ai profité pour envoyer ma newsletter de juin, assemblé le nouveau tabouret de piano, accroché le tableau de Sun Sun Yip intitulé La première pierre au mur du salon (est-ce un rôti ou un cerveau ?... que les végétariens nous pardonnent !), répondu à quelques amis et à 18h30 je suis finalement allé boire un coup. Voilà exactement douze heures que j'étais debout ! Un verre d'eau fraîche. Ce n'est pas une plaisanterie, à peine une provocation, du moins lorsque je dis que j'aime l'eau autant que l'alcool. Là-dessus Christophe Charpenel m'envoie une magnifique série de photos qu'il a prises ici pendant la séance avec Lionel Martin le 11 mai. J'ai laissé mes index faire le reste. En somnambule, là aussi, encore une fois, mais assis. Je sais de quoi je parle. Lorsque j'étais petit, il m'arrivait de courir la nuit autour de la table les yeux fermés. Sans rien casser.

mardi 1 juin 2021

Exotica par Birgé-Corneloup-Deschepper


Exotica, c'est un peu vite dit. Une des compositions instantanées enregistrées le 27 mai dernier avec le saxophoniste François Corneloup et le guitariste Philippe Deschepper m'a fait penser à ce courant musical américain des années 50. En écoutant mes camarades jouer sur le son des batraciens pourquoi ai-je pensé à Lex Baxter ou Arthur Lyman, mais c'est évidemment avec les inventions de Raymond Scott que j'ai le plus d'affinités. J'utilise souvent des sons de claviers à percussion comme le marimba, le vibraphone, le Morpheus, le hang, les cloches de verre, et puis tous les sons électroniques que j'essaie d'humaniser, ou de naturaliser, autant que possible. Je cherchais un titre court et j'avais demandé à Philippe de m'envoyer des photos de ses sculptures, ses premières amours vers lesquelles il revient ces derniers temps, pour la pochette de notre trio improvisé.

Philippe Deschepper est là, au Studio GRRR, 21 ans après avoir participé à Machiavel, la dernière mouture d'Un Drame Musical Instantané, en 2000 avec Bernard Vitet et DJ Nem, et au CD éponyme en 1998, avec Benoit Delbecq et Steve Argüelles. La même année il jouait sur la musique du film 1+1 une histoire naturelle du sexe que nous avions enregistrée à l'INA avec Yves Robert et Éric Échampard, et dans Birgé Hôtel avec Alain Monvoisin, Argüelles et Vitet. Sans compter la plus belle remise de prix que j'ai jamais vue, au Théâtre Antique d'Arles alors que j'étais directeur musical des Soirées. Avec le clarinettiste basse Denis Colin nous accompagnions Élise Caron en Mistress of Ceremony qui avait fait scandale à cause d'un odieux traducteur machiste qui commentait ce qu'elle racontait pour faire rigoler les anglophones audiocasqués. Élise était extrêmement drôle, mais la moitié du public riait à contre-temps sans que nous comprenions pourquoi. Cet ancien militaire qui avait déjà sévi les années passées a heureusement fini par être viré. J'avais adoré tous les projets auxquels Philippe avait participé. Il a une manière incroyable de se fondre dans la musique, de nous emmener sans que nous nous en apercevions, avec une finesse rare.

Quant à François Corneloup, il accompagnait ma fille Elsa, qui avait 11 ans, dans le mémorable ¡ Vivan las utopias ! du Drame sur l'album Durruti de nato en 1996 et enregistra la musique d'un film institutionnel que nous avions composée avec Bernard Vitet en 2007 (index 7), mais jamais nous n'avions joué ensemble. Il est venu avec son baryton, mais plutôt que favoriser la puissance rythmique comme il le fait avec Ursus Minor par exemple, il nous a gratifié de merveilleuses mélodies, du grave à l'aigu. Un son chaud, exotique en cette fin de printemps. J'ai forcément pensé à Gerry Mulligan. C'est lui qui avait eu l'idée d'appeler Philippe avec qui il avait souvent joué dans le passé. J'avais trouvé l'idée formidable. C'est dire si j'étais excité et impatient.


Nous nous sommes bien amusés. Nous avons dégoisé aussi sur les collègues qui le méritent. Trois langues de p..., mais quelle rigolade ! Rien d'étonnant à ce que nous tombions chaque fois d'accord. Cela s'est retrouvé lorsque nous nous sommes saisis de nos instruments. Mes deux amis ont choisi de se lancer sans thématique, juste le plaisir de nous retrouver après de longs mois d'abstinence. Le matin nous avons enregistré deux longues pièces que j'ai gardées dans leur intégralité, 31 et 21 minutes. Pour midi j'avais cuisiné un jarret de porc choucroute. Après le déjeuner nous sommes passés à des pièces plus courtes. Pour une fois je me suis concentré sur le clavier, ce qui ne m'a pas empêché de rendre hommage à Tex Avery dans Fuzz Toon à grand renfort d'harmonica, Tenori-on, kazoo, varinette et anche, ou d'utiliser mes deux synthés russes sur Uncut 2. Et puis ces fameuses références à l'Exotica sur Palm Beach et Exotica. Pour Side Story Philippe m'a demandé de convoquer l'orchestre symphonique dont je lui avais fait la démonstration la veille, et pour finir j'ai cartonné sur Full Metal Packet. Le tout a été mixé ce week-end, et comme d'habitude cela est allé très vite parce que tous les musiciens invités m'ont toujours mâché le travail en maîtrisant leurs interventions à l'enregistrement.

→ Birgé Corneloup Deschepper, Exotica, GRRR 3107, 91 minutes en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org