70 novembre 2021 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mardi 30 novembre 2021

L'âme des poètes transcrite par Guillaume de Chassy


Il y a deux ans j'avais salué son interprétation au piano des chansons de Barbara. La sobriété et le lyrisme de Guillaume de Chassy me plaisent parce qu'il fait ressortir la mélodie d'une manière merveilleuse. En invitant Élise Caron il mise encore sur la ligne claire. La chanteuse fait simplement oublier les versions de Yves Montand (Actualités d'Albert Vidalie et Stéphane Goldmann), Danielle Darrieux (Adieu chérie d'André Tabet et Jacques Companeez, L'étang de Paul Misraki), Suzy Delair (Danse avec moi d'André Hornez et Francis Lopez) et Lucienne Delyle (Je suis seule ce soir de Jean Casanova et Rose Noël) qui ont créé ces belles chansons du temps d'avant les yéyés. Guillaume de Chassy, faisant fi des époques, alterne avec des instrumentaux où il joue Bill Frisell, Serge Prokofiev, Charles Trenet ou Franz Schubert, et parfois le contrebassiste Arnault Cuisinier et Thomas Savy à la clarinette basse les rejoignent pour un disque tout en délicatesse.



→ Guillaume de Chassy, L'âme des poètes, CD NoMadMusic, dist.Pias

lundi 29 novembre 2021

Get Back !!!


Huit heures de documentaire sur les Beatles enregistrant Let it Be, leur douzième et dernier album avant séparation, peuvent sembler excessives, mais il est absolument passionnant de voir le travail à l'œuvre, un work in progress exceptionnel où la personnalité de chacun des quatre musiciens apparaît au fil des journées passées d'abord sur le trop grand plateau de cinéma de Twickenham, à l'acoustique médiocre, puis dans le nouveau studio de leur compagnie Apple Corps, bricolé, mais finalement maîtrisé par l'ingénieur du son Glyn Johns pour finir par l'ultime concert live sur le toit de l'immeuble au 3 Savile Row à Londres le 30 janvier 1969. Sur Wikipedia vous trouverez toutes les informations sur les trois épisodes de cette saga remontée par Peter Jackson, le réalisateur du Seigneur des anneaux, à partir des cinquante-sept heures de rushes filmées à l'origine par Michael Lindsay-Hogg et de cent cinquante heures d'enregistrements audio. Les caméras filment tout, captant l'intimité du groupe, laissant percevoir les arrière-pensées des uns et des autres, jusqu'à espionner une conversation en a-parte. Alors que la pellicule est restée enfermée pendant un demi-siècle dans un coffre, la qualité du 16 mm est superbe, le son impeccable.


L'absence de commentaires, hormis de rares cartons resituant la chronologie et les évènements hors-champ, fait de ce film un témoignage épatant sur l'acte de création, et l'esprit d'un groupe pop dont la maturité artistique est loin devant celle de leur gestion des rapports humains. Cet écart rend les protagonistes particulièrement attachants, dans leurs différences et leurs aspirations. Malgré leurs dissensions qui verront la fin de leur association, leur dissipation à zapper sans cesse vers d'autres chansons que les leurs ou celles qu'ils sont censés répéter, expose leur plaisir de jouer, de jouer ensemble. L'esprit potache de la bande des quatre était déjà explicite dans les films A Hard Day’s Night et Help! de Richard Lester.

Si Paul McCartney est le plus dissipé, c'est aussi le plus sérieux et le mieux structuré du groupe. Il passe son temps à prendre avec succès toutes sortes d'accents et de voix pour jouer des morceaux qui n'ont rien à voir avec leur répertoire. Il est certainement le plus attaché à l'esprit collectif, et la complicité entretenue avec John Lennon, perdue depuis que celui-ci a rencontré Yoko Ono, lui manque cruellement. La bande de copains sont devenus des professionnels. John n'est plus vraiment là, obnubilé par la passion pour sa compagne, assise en permanence à ses côtés et dont les hurlements sur certaines jams improvisées n'ont pas l'air du goût de tout le monde. Ses blagues sont plutôt lourdes, imitant également toutes sortes de voix pour faire rire les autres. Alors que les polyinstrumentistes John et Paul cosignent toutes leurs chansons depuis toujours, même si c'est devenu plus contractuel que réel avec le temps, George Harrison souffre d'être le petit dernier, le plus jeune, seul et étouffé par le dirigisme de Paul. Excédé, il quittera le premier le groupe avant de revenir sur la pression de ses camarades. C'était probablement à mon tour d'être le gamin, mais un an plus tard, il me semblera avoir pris de l'assurance quand je l'accompagnai chez Maxim's ! Il préparait évidemment le magnifique triple All Things Must Pass qui lui permettra de s'affranchir de l'autorité du duo Lennon-McCartney. Ringo Starr semble ailleurs, carrément à côté de ses pompes, la bonne pâte qui évite les conflits, le batteur qui assure. Quant à Michael Lindsay-Hogg, on a l'impression que son cigare est surtout là pour revendiquer sa filiation biologique avec Orson Welles, mais cela s'arrête là. Mal Evans, l'assistant du groupe, prend en notes la moindre élucubration verbale qui pourrait préciser les paroles d'une chanson. Le bienveillant George Martin a évidemment peu de travail avec ce projet de concert live, une pratique que les Beatles avaient abandonnée depuis 1966, réalisant leurs sensationnels disques de studio, Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band et le double album blanc. De passage, le claviériste Billy Preston a la chance de rejoindre le groupe pour que les arrangements soient complets lorsqu'ils joueront en direct, sans overdub. Il est intéressant de constater que tout cela est produit seulement avec un magnétophone 8 pistes, ce qui semblerait ridiculement mince aujourd'hui à la plupart des musiciens.

La saga se termine donc en beauté avec un concert de 42 minutes sur le toit de l'immeuble, le rooftop concert, interrompu par la police et le froid. Le public est composé de proches, mais les badauds se pressent sur les toits autour et la foule en bas sur les trottoirs. Nombreuses chansons absentes de Let It Be se retrouveront sur l'album Abbey Road, enregistré l'été suivant mais sorti avant, ou sur les disques solo de Paul, John et George. Les Beatles se sépareront définitivement l'année suivante à l'initiative de John. Entre le premier album et le dernier, il n'y a que six ans, assez pour marquer indéniablement l'époque. Contrairement à Robert Johnson, Brian Jones, Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison, Kurt Cobain, Amy Winehouse, Blind Owl Wilson ou Jean-Michel Basquiat, tous morts à 27 ans, celle des Beatles n'est que celle de leur fructueuse association. John sera assassiné en 1980 à l'âge de 40 ans, le cancer aura raison de George en 2001 à 58 ans. Paul, Ringo, Yoko et Olivia, veuve de George, participent à la production de ce film autrement plus juste et passionnant que la version de 1970 intitulée Let It Be.

vendredi 26 novembre 2021

Cartographie de rythmes de Karl Naegelen


L'écoute du disque Cartographie de rythmes #1 Vitesses approchantes du compositeur Karl Naegelen est d'abord une expérience d'écoute, comme regarder un film de Michael Snow, en se laissant surprendre par des détails infimes qui pourtant nous font chavirer. Les deux percussionnistes, Sylvain Darrifourcq et Toma Gouband, jouant sur les décalages et les déphasages qu'offrent des tempi différents pour chacun d'eux, nous font pénétrer dans le monde des illusions sonores. J'avais ressenti cette sensation en écoutant Steve Reich générer quatre mélodies à partir de deux monodies ; ces œuvres de Naegelen sont évidemment cousines de Clapping Music. Darrifourcq est batteur, même s'il fait glisser de petits bols de métal sur ses peaux. Gouband joue des pierres et des végétaux, contribuant à cette évocation d'un autre monde. L'enregistrement et le mixage sont le fait d'Ananda Cherer. Lorsque le disque s'arrête, il aura suffi de seulement trente-trois petites minutes pour changer ma perception du temps et de l'espace...



→ Karl Naegelenn Cartographie de rythmes #1 Vitesses approchantes, CD Umlaut

jeudi 25 novembre 2021

Mingus in Greenwich Village


Le film Mingus in Greenwich Village de Thomas Reichman commence par un solo de contrebasse avant que l’orchestre ne reprenne, mais il est étonnant d’entendre Charles Mingus chanter en voix de tête sur scène à Boston, lorsqu’il compose au piano ou fredonne en jouant avec Caroline, sa fille de 5 ans. Au milieu d’un fouillis incroyable où il se prépare à être expulsé de son studio new-yorkais par la ville avec l’appui de la police pour loyers impayés, il évoque le racisme contre les Noirs et les Juifs (on y perçoit les ambiguïtés de ses questionnements, comme ses allusions à son manque d’éducation), sa sexualité débordante (propos qui ne passeraient pas aujourd’hui), et sort ses fusils jusqu'à tirer dans les murs !


L’ensemble produit une forte émotion. Les sous-titres m’aident à comprendre son accent, rapide et peu articulé, probablement celui de l'Arizona où il a grandi. Totalement en confiance avec le jeune réalisateur de 24 ans, le compositeur, alors âgé de 46 ans, se confie si librement que c’en est stupéfiant. En 1975 Thomas Reichman se suicidera dans son appartement de Greenwich Village et en 1979 Mingus mourra à Cuernavaca au Mexique, terriblement diminué par la maladie de Charcot. Ses cendres furent dispersées dans le Gange. Mais nous sommes en 1968. Mingus joue avec Lonnie Hillyer (trompette), Charles McPherson (sax alto), John Gilmore (sax ténor), Walter Bishop (piano), Danny Richmond (batterie)...


Lors de son éviction du 5 Great Jones Street, à Manhattan, où il espérait construire une école (Mingus rend hommage à ses maîtres Max Roach et Buddy Collette), la plupart de ses compositions écrites furent perdues, piétinées sur le trottoir, ramassées par les éboueurs, sa basse coincée entre deux matelas... Écœuré, révolté, il cite le célèbre poème Quand ils sont venus me chercher… du pasteur Martin Niemöller... En 1971 il publiera son indispensable autobiographie, Moins qu'un chien (Beneath he Underdog).

Thomas Reichman, Mingus In Greenwich Village, DVD Rhapsody Films :



Ante Scriptum : j'ai eu la chance de voir Charles Mingus sur scène, d'autant qu'il est l'un de mes compositeurs préférés, et certainement celui que je place en tête parmi les jazzmen, n'en déplaise à l'orthodoxie ellingtonienne. Je parle ici d'invention musicale, d'architecture, d'un monde à part, celui qu'il fait sien. Il fut le seul compositeur qu'en 1992 Un Drame Musical Instantané se risqua à jouer pour un concert entier, faisant le pari fou d'adapter intégralement le sublime disque en grand orchestre Let My Children Hear Music pour notre trio (articles 1 2 3) ! Les seuls autres exemples furent Henri Duparc, Hector Berlioz et John Cage, mais nous ne les jouâmes que le temps d'un unique morceau.

Post Scriptum : En 2010 j'avais chroniqué son œuvre posthume pour 30 musiciens intitulée Epitaph, produit par sa veuve Sue Graham Mingus, la maman de Caroline.

mercredi 24 novembre 2021

Le grand orchestre d'Un D.M.I. répète L'homme à la caméra (1986)


Vingt cinq ans plus tard, c'est drôle ou émouvant de reconnaître Bruno Girard, Didier Petit, Lê Quan Ninh, Hélène Sage, Geneviève Cabannes, Francis, Bernard et les autres. L'an passé, le label autrichien Klang Galerie a réédité L'homme à la caméra, pour la première fois en CD, avec en bonus la partition intégrale de La glace à trois faces et une nouvelle pochette magnifique d'Étienne Mineur. Je n'avais pas fait attention aux mots que j'avais écrits, prononcés par Bernard à la fin de l'extrait vidéo : "Perte de mémoire, nécessaire...".



Article du 18 janvier 2009

L'archéologie domestique révèle des traces insoupçonnées. Je creuse, époussette, feuillette. Apparaissent sans cesse des bribes de mémoire enfouies sous les piles accumulées au fil du temps, classées, brouillées par les déménagements, images, sons, programmes, articles de presse, partitions, lettres... Voici donc aujourd'hui un petit montage rapide du seul témoignage vidéographique du grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané. La scène se passe début 1986 à Paris. Nous répétons la reprise de L'homme à la caméra que nous avions créé trois ans plus tôt, le 5 octobre 1983, au festival Musica à Strasbourg. On reconnaîtra Francis Gorgé (direction), Bernard Vitet (cigarette), Youenn Le Berre (flûte), Hélène Sage (clarinette basse), Jacques Peillon (cor), Philippe Legris (tuba), Bruno Girard (violon), Marie-Noëlle Sabatelli et Didier Petit (violoncelle), Geneviève Cabannes (contrebasse), Lê Quan Ninh et Benoît Moerlen (percussion) et moi-même (fauteuil)... Impossible de me souvenir des noms de l'altiste et de l'hauboïste...
Nous avions imaginé la musique du film muet de Dziga Vertov en nous inspirant de ses écrits sur le "laboratoire de l'ouïe". C'est aussi la première fois que nous composions des chansons qu'interprétaient Geneviève, Didier et Bernard. Nous avons enregistré un 33 tours du spectacle lorsque nous sommes passés au Théâtre Déjazet à Paris. C'est une des plus belles partitions du grand orchestre, mais le disque n'a pas eu beaucoup de succès. Nous avions mal pensé la pochette qui pouvait laisser croire qu'il manquait les images de Vertov, or l'enregistrement avait été pensé hors contexte. Il aurait probablement été mieux reçu si nous ne nous étions pas référés au ciné-concert.
Pour la petite histoire, Youenn Le Berre est un des fondateurs du groupe celtique Gwendal, Bruno Girard du groupe d'influence d'Europe de l'Est Bratsch, Geneviève Cabannes du trio féminin Pied de Poule avant de rejoindre Castafiore Bazooka, Hélène Sage a composé de nombreuses musiques pour la danse, Lê Quan Ninh a intégré le quatuor de percussion contemporaine Hêlios sans négliger la libre improvisation, Philippe Legris est toujours sur la brêche (il a même enregistré une pièce du Drame pour tuba solo !), Didier Petit a fondé le label de disques in situ avant de se consacrer exclusivement à son instrument et à l'improvisation... Depuis, il m'est arrivé de jouer avec Hélène et Didier pour divers projets de création. Quant à mes deux camarades du trio historique du Drame, une recherche sur ce blog vous donnera plus d'informations que vous pourrez en assimiler en une seule fois !

mardi 23 novembre 2021

Le MOOC sur les Impacts Environnementaux du Numérique est en ligne !


Il est agréable de retrouver chaque année l'équipe de 4minutes34 pour un nouveau MOOC, en l'occurrence une websérie de quelques épisodes pour laquelle je compose la musique et les effets sonores. En 2019 nous en avions réalisé une autour des Sciences Numériques et Technologies (SNT) destinée à tous les élèves de seconde (1 2 3 4 5 6 7). En 2020 le sujet était l'intelligence artificielle. Sort aujourd'hui le MOOC dont ces quatre épisodes passionnants sur les impacts environnementaux du numérique tandis que je suis à l'œuvre sur un nouveau MOOC qui sortira évidemment l'année prochaine.

BANDE-ANNONCE

Je recommande ces 4 épisodes à ceux et celles qui s'intéressent au réchauffement climatique, quitte à envisager la décroissance !

ÉPISODE 1 : UN MONDE TOUT NUMÉRIQUE

Class'Code et l'INRIA sont les commanditaires. Sonia Cruchon et Sophie de Quatrebarbes (avec Bastien Masse pour le 4e épisode) ont écrit les sketches interprétés par Guillaume Clemencin. Mikaël Cixous a réalisé les dessins et les animations. Nicolas Le Du a filmé tout cela et l'a monté. Sophie s'est occupée de la production tandis que Sonia et Nicolas (dont on entend les voix hors-champ) réalisaient.

ÉPISODE 2 : VIE ET MORT D'UN SMARTPHONE

Pour ce genre de travail j'aime travailler vite pour préserver l'unité de style : la charte sonore me donne un cadre dont je déborde le moins souvent possible. Il est nécessaire d'avoir préparé en amont des programmes compositionnels et des timbres qui me serviront plus tard. Cela m'occupe pendant des semaines. J'ignore en général à quoi ils seront destinés, mais un programme doit pouvoir se retrouver dans différentes situations et des résultats les plus variés. Au visionnage du montage image avec les voix, je trouve d'abord le style musical de l'ensemble, puis je cherche les effets sonores qui s'y fonderont. Très vite cela devient un Meccano, une sorte de boîte à outils sélectionnés d'où je m'empêche de sortir.

ÉPISODE 3 : DES SERVICES NUMÉRIQUES TRÈS MATÉRIELS

Lorsque j'attaque la partition je fonce tête baissée. C'est un état quasi somnambulique, un peu comme lorsque j'improvise des compositions instantanées avec d'autres musiciens. Je m'implique autant dans les travaux de commande que dans mes œuvres personnelles ou collectives. Ici, se sentir utile.

ÉPISODE 4 : NOTRE RAPPORT AU NUMÉRIQUE

De mon point de vue, la catastrophe est inévitable, mais il y a tant de scénarios possibles que c'est difficile de choisir. Il y aura différentes manifestations. On ne choisit pas, mais on pourrait soulager la douloureuse, tandis que les pires responsables semblent d'inconscients cyniques. Alors on fait ce qu'on peut, à son petit niveau, en espérant que c'est pour bientôt, parce que plus ce sera tôt, moins ce sera grave. Le MOOC est moins alarmiste, ouvert à différentes interprétations...

lundi 22 novembre 2021

Pourboire


Cette petite histoire m'avait fait réfléchir... Les démunis se sont largement multipliés depuis cet article du 7 janvier 2009. Le réchauffement climatique en accroîtra considérablement le nombre, sous l'emprise du capitalisme international qui s'est refait une nouvelle jeunesse sur le dos de la pandémie, pandémie économique et sociale plus que virale, les victimes dépassant largement les chiffres des hospitalisés et des défunts. Le pouvoir peut jouer avec les statistiques comme cela l'arrange, les dégâts sont perceptibles chez la population dans son ensemble, en partie psychologiquement.

Je venais enregistrer un entretien à France Musique avec Franck Médioni pour sa nuit Charles Mingus. J'avais dans ma musette les séances dirigées par Edgard Varèse avec entre autres Mingus et Macero, et l'interprétation d'Un Drame Musical Instantané de ''Don't Be Afraid, The Clown Is Afraid Too''. Il faisait plutôt froid. Comme j'étais un peu en avance à Radio France je suis allé boire un thé citron aux Ondes. Je lisais tranquillement le journal. On y parlait poussières d'étoiles et braquages de mômes. J'entends une vieille dame derrière moi demander au garçon s'il peut lui réserver sa table à l'année. Il semble que ce ne soit pas la première fois qu'elle lui adresse cette requête. Je me demande même si elle ne lui fait pas des avances. La voici qui se lève pour me parler :
- Je ne voudrais pas vous déranger, mais savez-vous ce qu'il est d'usage de laisser comme pourboire pour le service ? 10 ou 15% ?
- Depuis 1987, le service est compris dans les cafés et les restaurants. Si vous êtes contente de l'accueil vous pouvez toujours laisser un pourboire, mais rien ne vous y oblige...
- Il n'y a pas de taux précis ?
- Vous pouvez donner ce que vous voulez puisqu'il n'y aucune obligation.
- Le garçon ne me fera pas la tête ?
- Non, moi-même je ne laisse rien depuis que le service est inclus, sauf si je suis très content...
- Ah bon, et les taxis ?
- J'ai l'habitude de laisser 10%, mais rien d'obligatoire non plus...
- Vous avez le regard droit. C'est ce que je vais faire. Peut-être vaut-il mieux que je le donne à un pauvre. Vous n'en avez pas besoin, vous-même ?
- Euh, non, pas vraiment !
- Alors j'y vais de ce pas...
Le temps de dire ouf et je vois trottiner cette vieille dame indigne sur le trottoir comme une antilope avec son vison et son chapeau sur les oreilles.
Oui c'est elle, sur son fauteuil, là, tout au fond à la terrasse...

Le pourboire est propre aux pratiques des pays du sud dont nous faisons partie. Dans ceux du nord il est souvent considéré avilissant.

vendredi 19 novembre 2021

Tout Bleu


Lorsque j'étais plus jeune, un petit bleu c'était un télégramme, quelques languettes de papier collées sur une feuille avec des phrases en style dit télégraphique parce que chaque mot coûtait, alors on allait à l'essentiel. Un bleu, c'est également une jeune recrue. L'heure bleue, c'est toujours l'instant fugace juste avant que le soleil se lève. Je me suis aussi souvent pensé fleur bleue, comme dans la chanson de Trenet, cordon bleu certainement, saignant comme le steak... Toutes ces analogies collent bien avec le groupe Tout Bleu de la multi-instrumentiste genevoise Simone Aubert. J'ai laissé de côté les bleus qui font mal, comme Le Grand Bleu, un film surfait, à mes yeux d'un ennui aussi profond que l'océan qui s'étendait derrière la plus petite salle de cinéma du monde, à l'île Tudy, où j'avais vu le succès de Besson, comme le sang des aristos, comme la peur qu'on sait mauvaise conseillère... Ainsi en écoutant Otium j'ai pensé qu'il serait juste de lui consacrer quelques lignes parce que c'est vraiment chouette et que j'avais jusqu'ici seulement évoqué le premier album de Tout Bleu, raté le single Creatures, et repéré Simone Aubert au sein du trio féminin Massicot et de l'excellent duo Hyperculte...


De quel temps libre parle Simone Aubert lorsqu'elle intitule le nouvel album Otium ? Certainement pas une pause méditative parce que ça déménage plutôt. Ni une retraite anticipée, ce serait la meilleure ! Peut-être simplement le choix de faire ce qu'on veut, sans se poser la question du succès ou de la pitance ? Juste créatifs. Sur de petites rythmiques comme des mouvements d'horlogerie mélodiques auxquelles se joignent la violoncelliste Naomi Mabanda, l'altiste Luciano Turella et le synthésiste POL, Simone Aubert chante le chaos du monde, l'ère de rien, mais je ne comprends pas les paroles de ses incantations répétitives. Elle joue aussi de la guitare et des pads. Ça plane bien...

→ Tout Bleu, Otium, LP / CD / Numérique Bongo Joe, dist. L'autre distribution, sortie le 10 décembre 2021

jeudi 18 novembre 2021

La Commune par Peter Watkins


J'insiste sur l'importance de Peter Watkins, cinéaste britannique qui a pulvérisé la frontière entre documentaire et fiction, inventant une manière personnelle et attrayante pour faire passer ses idées auprès du plus grand nombre. Il s'est évertué à dénoncer les mass média qui pratiquent ce qu'il appelle la monoforme et a dû plusieurs fois s'exiler devant le refus des télévisions du monde entier de diffuser ses films explosifs. À 86 ans Peter Watkins vit aujourd'hui dans la Creuse. C'est à Montreuil qu'il avait tourné La Commune...
Depuis mon article du 13 janvier 2009 sur ce film exceptionnel, Doriane a édité plusieurs coffrets :
Coffret de 5 DVD avec La bombe, Culloden, La commune, Punishment Park, The Gladiators + les courts métrages The Diary Of An Unknown Soldier, Forgotten Faces et interview, 30€
Coffret de 5 DVD avec Edvard Munch, Privilège, Evening Land, Le libre penseur, 30€
Coffret de 5 DVD pour Le voyage en 19 épisodes soit 14h30, réquisitoire contre l'arme nucléaire, 30€


Il faut bien commencer par le début, la suite est un combat. J'ai eu du mal à choisir parmi les nombreux extraits sur YouTube de La Commune, le film que Peter Watkins a tourné en 2000 sur la révolution du printemps 1871 à Paris. Ce film exceptionnel par la manière de concevoir le cinéma, sur un évènement exceptionnel scandaleusement peu traité (La Nouvelle Babylone de Kosintsev et Trauberg également vivement conseillé, surtout avec la partition originale de Chostakovitch, une de ses plus belles, que j'ai eu la chance de voir avec l'ensemble Ars Nova) et escamoté par l'Éducation Nationale, dure plus de 6 heures sans que l'on s'ennuie une minute. Watkins nous plonge dans l'époque en tournant comme si l'action se passait aujourd'hui : caméra à l'épaule, une équipe de télévision filme et interviewe les protagonistes, communards, versaillais, parisiens en proie à leurs contradictions, les 200 acteurs ont presque tous choisi le rôle qu'ils souhaitaient incarner, des journaux télévisés de la chaîne versaillaise déversent la propagande du criminel Thiers, les conversations débordent sur des préoccupations contemporaines, le jeu des acteurs qui ne se privent d'aucun regard vers la caméra donne un ton d'actualité vécue à une reconstitution brechtienne des deux mois d'effervescence, espoir et horreur, qu'ont connu les Parisiens et dont l'analyse révèlera Karl Marx au grand public.


Si vous voulez apprendre ce que fut La Commune de Paris, si vous voulez comprendre les enjeux politiques et sociaux de notre vie aujourd'hui, si vous voulez découvrir un cinéma radicalement différent de tout ce que vous avez jamais vu (hormis les autres films tout aussi remarquables de Watkins, tels La bombe ou Punishment Park), achetez le double DVD édité par Doriane chez qui on trouvera également les autres films de Peter Watkins comme Edvard Munch ou Le libre penseur sur August Strindberg. Absolument indispensable à quiconque s'intéresse au cinéma et surtout à quiconque rêve encore de changer le monde...

mercredi 17 novembre 2021

Un Drame Musical Instantané répète Le K (1992)


Il n'est jamais facile de condenser un spectacle en quelques minutes. C'est pourtant ce que je fais avec les archives exhumées d'Un Drame Musical Instantané. Ce sont des documents, des témoignages, la qualité de l'image et du son sont très limite, mais c'est tout ce qui reste. Ici une répétition du K, ailleurs une autre de Zappeurs-Pompiers 1 (1988) ou un concert de Machiavel au Pannonica (1999), plus tard une représentation de J'accuse avec Richard Bohringer dans le rôle de Zola et un orchestre de 70 musiciens (1989), une de Zappeurs-Pompiers 2 (1990), le grand orchestre du Drame en répétition (1986), des bribes de Machiavel en studio (1999), etc.


Le K fut créé le 4 octobre 1990 au Festival Musiques Actuelles de Victoriaville (Québec) avec le comédien Daniel Laloux. La création française se tint en février 1991 au Festival Futures Musiques avec Richard Bohringer interprétant cette fois le texte de Dino Buzzati. Une précédente version avait été présentée en 1985 avec Michael Lonsdale et le percussionniste Gérard Siracusa. Quelle que soit la version, figurait également au programme une autre nouvelle de Buzzati, Jeune fille qui tombe... tombe.


Le K fut publié en CD avec Richard Bohringer, d'abord chez GRRR, puis chez Auvidis, légèrement écourté, dans la collection Zéro de conduite. Au rachat d'Auvidis par Naïve, toute le collection disparut. Heureusement GRRR ressortit l'album dans sa version originale. Le K fut nominé aux Victoires de la Musique dans la catégorie pour la jeunesse aux côtés d'Henri Dès, mais c'est Walt Disney qui l'emporta avec Aladdin ! Je me souviens très bien de la joie de Pascal Comelade qui s'était laissé embarquer comme nous dans cette galère lorsqu'il me reconnut sur le fauteuil juste devant lui. Quant à Jeune fille qui tombe... tombe, il est sorti sous le label in situ, alors dirigé par Didier Petit, avec Daniel Laloux affublé de son tambour napoléonien. Je le préfère à notre enregistrement du K.

Au Théâtre de Quimper en 1992 (vidéo ci-dessus), Daniel Laloux avait repris le rôle du narrateur. Un Drame Musical Instantané, producteur du spectacle, ici en répétition, était composé de Francis Gorgé (guitare, ordinateur, instruments de synthèse), Bernard Vitet (trompettes, anche, piano) et moi-même (instruments de synthèse, trombone, voix). Le scénographe était Raymond Sarti, également auteur de l'affiche de la création et du graphisme du CD, le luminariste était Jean-Yves Bouchicot. Raymond avait inventé un décor tout en métal rouillé, vieux ventilos, loupes géantes et nuages mobiles. Jean-Yves éclairait la scène avec des machines improbables comme de vieilles photocopieuses dévoyées.

L'aventure magnifiquement avancée se termina en catastrophe. Nous jouions au Festival Musique Action de Vandœuvre-les-Nancy avec tous les atouts en main, distribution idéale, conditions techniques parfaites, éclairage, sonorisation, la partition sur le bout des doigts et enfin une vingtaine de programmateurs de festivals dans la salle. Ce sont des choses qui arrivent, nous étions si sûrs de nous que nous nous sommes relâchés et avons joué comme des pieds, mettant un terme à tout espoir de continuer à tourner le spectacle.

P.S. à cet article du 12 janvier 2009 : les versions Lonsdale et Laloux sont en ligne sur le site du Drame, en écoute et téléchargement gratuits...

mardi 16 novembre 2021

Yoga tôt


C'est juste pour faire rigoler les copains, entre l'accoutrement et l'annonce des exercices qui suivent, style la salutation au soleil, le danseur, le planeur, etc. ! Ma fille était écroulée par terre lorsque je lui ai envoyé les photos qui faisaient foi. Je m'y suis pourtant mis très sérieusement, vingt minutes chaque matin, histoire de rattraper un demi-siècle sans culture physique. Mon coach m'appelle un cas d'école. Ma compagne se moque gentiment de moi, surenchérissant que je suis de toute manière un cas d'école. J'ai donc décidé de me remuscler et de perdre le petit ventre du Bouddha. Question d'équilibre aussi. J'ai ajouté un jeûne intermittent à mon végétarisme occasionnel. En douceur et profondeur, tsoin tsoin !
Mais franchement, l'article qu'il fallait lire, c'était hier !

lundi 15 novembre 2021

Le monde sans fin de Blain et Jancovici


À la lumière des analyses des spécialistes du réchauffement climatique, on peut toujours craindre une bouffée d'éco-anxiété qui vous donnerait le vertige telle une angoisse métaphysique profonde sur l'avenir de la planète et de l'humanité. Je n'ai pas lu Pablo Servigne, mais son Comment tout peut s'effondrer : petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes en a fait basculer plus d'un/e. Que Jean-Marc Jancovici, ingénieur à l'origine du bilan carbone, s'associe avec le talentueux dessinateur Christophe Blain m'a fait sauter le pas, une bande dessinée me semblant plus à ma portée qu'un pur écrit. C'est évidemment la raison qui les a poussés à commettre ce passionnant volume de 196 pages, et le pari est gagné, les exemplaires se vendant comme des petits pains dans les meilleures librairies.
Le monde sans fin, titre plutôt gentil si l'on pense aux risques qui nous pendent au nez, est d'abord un outil analytique didactique extrêmement clair sur les ressources énergétiques et leur consommation. En remontant le temps, on comprend la bascule qu'a représentée l'industrialisation et l'emballement démographique qui s'en est suivi, le rôle des énergies fossiles, et comment le moindre de nos gestes quotidiens influe sur la planète. Petites figures incarnées au fil des pages, Blain interroge Jancovici, imprimant des images fortes dans notre ciboulot, comme la figure de l'Iron Man chère au théoricien. Ici et là des tableaux comparatifs illustrés permettent de comprendre le poids et le prix des choses que nous consommons. Se succèdent ainsi des chapitres sur le pétrole, le shale oil (schiste bitumineux), le climat, les énergies non carbonées, la culpabilité, les transports, le logement, le striatum ! Tout cela est présenté avec humour, clairement, à grand renfort d'allégories, de métaphores et de métonymies. Je suis ainsi un peu rassuré par ma pratique quotidienne (Amap, circuits courts, vélo électrique, etc.) ou plus exactement sur les engagements que je me suis fixé (pompe à chaleur, plus de voyages en avion, etc.), même s'ils sont loin de ce qu'il faudrait faire pour éviter le mur.
Blain joue le candide tandis que Jancovici analyse intelligemment la situation, promeut la décroissance, mais conclut un peu vite lorsqu'il s'agit du nucléaire dont il est un ardent défenseur. Ses affirmations sur le peu d'impact réel des dégâts causés par Tchernobyl et Fukushima, très loin de ce qu'il est commun de rapporter, me surprennent tant que je vérifie ses sources, puisqu'aucune n'est jamais citée dans l'ouvrage. Il accorde ainsi une confiance absolue à l'UNSCEAR, le Comité scientifique des Nations unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants, dont il compare le sérieux des conclusions avec celles du GIEC, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, puisqu'ils procèdent tous deux du même fonctionnement. En outre persuadé que les réacteurs français ne risquent absolument rien, il omet tout de même d'évoquer sérieusement le stockage des déchets nucléaires et le coût des EPR. Si l'on s'en tient à l'équation bénéfice-risque, on comprend évidemment que les combustibles fossiles, charbon et pétrole, sont les pires solutions, à la fois polluantes et limitées dans le temps, que l'énergie solaire et les éoliennes ne peuvent répondre aux besoins actuels, et que le nucléaire, s'il est correctement géré, peut être une solution provisoire, mais qui ne peut être satisfaisante que dans une politique globale de décroissance.
Si l'on n'est pas au fait de la transition énergétique indispensable qui se profile, la lecture de l'ouvrage est fortement recommandée. C'est bien fait, spirituel et il permet de se faire soi-même une idée en creusant les affirmations parfois péremptoires de Jancovici. On notera d'ailleurs que la cause de tout ce gâchis est occultée, à savoir le capitalisme, comme le striatum (ce qui nous fait agir sans réfléchir) fait l'impasse sur la manipulation de l'opinion chère à Edward Bernays à l'origine du consumérisme. Ce sont souvent les limites de ceux qui se réclament essentiellement de l'écologie sans prendre en compte l'enrichissement absurde et mortifère des élites économiques.

→ Christophe Blain & Jean-Marc Jancovici, Le monde sans fin, ed. Dargaud, 27€

vendredi 12 novembre 2021

Lors Jouin (5 articles)



LE GÉNÉRAL DE GAULLE
4 janvier 2009


Écouter et voir Lors, Laurent Jouin, me font voyager. Me fait ou me font ? Dans le temps, dans la ville, à la campagne, sur l'eau, euh, là je m'avance peut-être un peu... Donnant naisance, en alternance, à une profonde gravité et un grand éclat de rire. Pas ensemble. L'un après l'autre. Acteur comique, chanteur dramatique. De l'un à l'autre. D'un claquement de doigt.
J'ai filmé Lors à l'Ile Tudy en août 1996. Il chante a capella une chanson "traditionnelle" qu'il a collectée sur le terrain, Le Général de Gaulle, de Louis Raoul. Onze ans plus tard, il enregistrera ce petit bijou, accompagné par Robert Kevran, sur son CD/DVD Chansons de la Bretagne éternelle d'hier et de toujours, pour maintenant par rapport à demain (Keltia Musique). C'eut été un crime que cela se perde !

LE BARDE
14 mai 2007


On continue dans la détente. Et on s'amuse, et on rigole... " Rikita rozenn gaer a Java, Deus da zansal ha deus da voucha, Da vouezh zo flour pa ganez da sonenn, Da zaoulagad evel diou steredenn... " Ainsi commence le refrain de Rikita (jolie fleur de Java) en version bretonne par le barde Lors Jouin dans l'album Chansons de la Bretagne éternelle d'hier et de toujours pour maintenant par rapport à demain (cd + dvd de 26 minutes !). C'est sans aucun doute le disque le plus ringard de l'année, le plus kitsch et le plus authentique. Les Bretons s'y reconnaîtront sans mal, à en pisser dans leurs braies. Les autres auront peut-être besoin de quelque explication pour savoir si c'est de l'andouillette ou du cochon. Les deux certainement.
Lors Jouin joue le jeu sans aucun compromis en collectant ces chansons qui marquent l'histoire de la Bretagne, mais en les interprétant avec la plus grande honnêteté, collant à une réalité souvent complexe, quitte à prendre tous les accents du terroir, à chanter volontairement faux ou désynchronisé pour les clips vidéo, avec un orchestre de synthés et un remarquable accordéoniste. Plus vrai que nature !
Par exemple, En avant les Bretons est la marche que chantèrent quatre cents énergumènes partis sur le Front de l'Est, parce que les Français étaient leurs ennemis et que les Allemands étaient ceux des Français ; à la Libération, ce syllogisme pourtant si peu suivi permit à l'État de cogner sur les Bretons et des les mettre à l'index (on arrêtait quiconque jouait du biniou ou de la bombarde !). À la même époque, Le Général de Gaulle est un hymne à la Résistance, hommage aux soldats marins fusiliers bretons, certes emprunt d'une bonne dose d'anti-germanisme. "Faut de tout pour faire un monde", ce n'est pas différent de chez nous (lorsqu'elle était petite, ma fille me demanda un jour si la Bretagne était en France) ! C'est tout de même sur ce bout de la Terre que l'extrême-gauche fait ses meilleurs scores et Le Pen son plus mauvais... Le barde peut citer le réactionnaire Théodore Botrel, mais ne le glorifie point. C'est le travail d'un ethnologue, aussi attaché à la forme qu'au fond.


Le barde a choisi d'illustrer cette marche avec des pingouins, aux couleurs du drapeau breton, le gwen ha du (littéralement blanc et noir), bannière herminée inspirée au début du XXe siècle par le drapeau américain ! Mais ces Bretons sont de drôles d'oiseaux qui défèquent devant la caméra... Le spectacle n'entretient aucune ambiguïté politique, car le barde commente chacune des ses chansons d'anecdotes croustillantes plus drôles les unes que les autres. Comédien, imitateur, il prend tous les accents de Pleyben à Ploudéac, accompagné deux heures durant par Robert Kervran à l'accordéon et son "petit ensemble", un orchestre virtuel de balloche pur jus, sans le soufre qui arrêterait la fermentation des pommes. Que l'on voyage un peu et l'on se rend compte que les Tziganes roumains utilisent chez eux les mêmes synthés pourris plutôt que les violons de la world. De l'authentique, vous dis-je, même si ça nous défrise le bigoudi de la bigouden. Sur scène, un écran projette des images d'archives ou d'autres ringardises pseudo-pychédéliques. Le barde n'a peur de rien, il raille sa culture avec tendresse comme les Belges ou les Juifs inventent des histoires drôles. En Bretagne, tout passe par la musique et la danse.

Lien vers l'interview du Barde

À l'époque de Silex (fantastique label de disques racheté par Auvidis et enterré par Naïve), son fondateur, André Ricros, m'avait expliqué que le folklore est le terrain de la réaction et que la musique traditionnelle est celui du progrès, voire de la révolution. C'est lui qui compara Lors Jouin à Nusrath Fateh Ali Khan, dans un répertoire certes très différent de celui du "barde" ! Lors réalise ici un travail critique et burlesque qui remet le folklore à sa place en en utilisant toutes les ressources, fussent-elles du plus mauvais goût. Vive le mauvais goût s'il nous permet d'entendre La brune de Langoëllan, anonyme coquin paru jadis sur l'Anthologie de la Chanson Française : " De quoi te méfies-tu belle charcutière, J'ai dans ma poche du boyau tout suiffé... ".
Les Bretons qui connaissent Lors Jouin depuis trente ans comprendront facilement le canular, humour grinçant qui vise juste. Les "étrangers" auront besoin d'une petite introduction comme celle que je me suis fixée. Alors, plutôt qu'écouter des fadeurs panceltiques, il est indispensable de découvrir ses autres méfaits. Certains sont tendres et comiques comme avec Les Ours du Scorff que tous les enfants adoreront s'ils ne les connaissent déjà, d'autres plus graves et actuels tel son groupe Toud'Sames (tous ensemble) réunissant Jean-Michel Veillon à la flûte, Alain Genty à la basse, David Hopkins et Dom Molard aux percussions. Retrouvez les déchirants gwerziou a capella du cd Moualc'h ar meneiou ou Tan Dehi, son duo avec le guitariste Soïg Sibéril, ou encore Les Ânes de Bretagne avec son éternel comparse Gigi Bourdin, une sacrée paire de joyeux drilles. J'ai toujours rêvé d'engager Laurent (c'est Lors en gallo) comme comédien, son premier ou son second métier, peut-être dans le feuilleton que nous ne finissons pas d'écrire avec Françoise, un rôle de gardien de phare reconverti en gardien d'immeuble parisien...

ANNIE EBREL & LORS JOUIN SE DISPUTENT TOST HA PELL
1er janvier 2015


Je suis tombé par hasard sur un disque qui m'avait échappé, duo de deux grands chanteurs bretons, Lors Jouin et Annie Ebrel, mais ce qui m'a titillé ce sont les ambiances qui tapissent le décor de certaines des pièces, quelques gouttes de pluie, une cantine (fest noz ?), des murmures... Resituer ainsi les histoires chantées nous transportent dans une réalité qui rappelle les illusions du cinématographe ou de la littérature. Il est surprenant que les responsables artistiques n'y aient pas plus souvent recours. Je prêche évidemment pour ma paroisse, ayant plus d'une fois intégré des bruits réels et des ambiances paysagères à des albums dont j'avais la direction.
Pour le disque Tost Ha Pell les deux joyeux drilles jouent à se disputer et se répondre, le plus souvent a capella. Je n'y comprends pas grand chose, car tout est en breton, mais le livret offre la traduction de ces duos typiques : un paysan et un marin, une mère et sa fille, un Cornouaillais et un Trégorois, voire le coq du clocher et l'horloge ! La dispute ou diskourioù est un genre vocal un peu oublié bien qu'il reflète les us et coutumes d'une société. (Coop Breizh)


Si vous n'êtes pas Breton ou n'avez jamais passé du temps dans le nez de l'Hexagone, bout de la Terre avant plongeon dans l'immensité de l'océan, vous serez surpris d'entendre cette langue vivante dans l'extrait vidéo ci-dessus. Un jour que Lors Jouin m'avait emmené chez les frères Morvan et que je trempais comme eux un petit beurre dans le vin rouge, l'un des vieux chanteurs s'excusa de ne pas parler français devant qui n'en travais que pouic. Comme je lui répondais que cela ne me gênait pas du tout et que je les écoutais comme si c'était de la musique, il s'esclaffa : "À quoi cela servirait que je parle français avec mes vaches ?!".


J'ai toujours été un grand fan de Lors Jouin, qu'il chante de tristes gwerzioù ou de gaies chansons à répondre. Comédien hilarant dans le registre de Jacques Villeret, il interprète Le Barde avec un mordant qui en troubla plus d'un dans son pays. Je l'avais filmé chantant l'inénarrable Général De Gaulle, une chanson qui remonte à la Seconde Guerre Mondiale. Dans le second extrait vidéo il est avec l'exquise Annie Ebrel, accompagnés par d'extraordinaires musiciens, le violoniste Jacky Molard, Ronan Pellen au bouzouki et la contrebassiste Hélène Labarrière de plus en plus "trad" depuis qu'elle vit en Bretagne !

SI LA MER MONTE...
26 mai 2015


Les Ours du Scorff sont égaux à eux-mêmes, fabuleux. Le public qui connaît leurs chansons bretonnes par chœur, leur répond d'une seule voix. Gigi Bourdin semble se réveiller d'une longue hibernation, plus zen tu meurs. Lors Jouin parsème d'intermèdes comiques son chant puissant qui l'a fait surnommé par certains le Nusrath du Centre Bretagne. Le violoniste Fanch Landreau [disparu en ce mois de novembre 2021], le guitariste Soïg Sibéril et le banjoïste Jacques Yves Réhault participent à la fête où les grands retrouvent leur âme de petits, et les enfants leurs rêves en kouign-amann.

LES OURS SONT DEVENUS DES ÂNES
25 septembre 2017


Les Ânes de Bretagne, ce sont d'abord Gigi Bourdin & Laurent Jouin. Depuis un quart de siècle qu'on les connaissait en Ours du Scorff à amuser les enfants de leurs chansons spirituelles aux jeux de mots à la Bobby Lapointe, seraient-ils devenus adultes avec leurs textes coquins ? N'y comptez pas trop. Certes les arrangements de Hélène Labarrière et Jacky Molard, qui signent aussi les compositions, sont correctement vêtus, mais les textes de Gigi Bourdin sont toujours aussi facétieux. Le bestiaire de ces garnements a juste changé de zoo. Il reste fondamentalement breton, même lorsqu'ils singent le moyen-orient sur Le loukoum. La basse de Labarrière, les violons, guitares et mandoline de Molard sont épaulés de temps en temps par l'accordéon de Janick Martin, les percussions d'Antonin Volson ou la clarinette de Dominique Le Bozec. Comme la musique est dansante, on peut au choix savourer les paroles ou se laisser porter par le rythme des chants à répondre qui nous entraîne dans la farandole du fest-noz...

→ Gigi Bourdin & Laurent Jouin, Les Ânes de Bretagne, cd Innacor, dist. L'autre distribution, 16,50€

jeudi 11 novembre 2021

FluxTune


De temps en temps il m'arrive d'utiliser FluxTune en concert ou pour un enregistrement. L'application n'a jamais été commercialisée ni mise gracieusement à disposition du public. Je l'ai parfois offerte à des utilisateurs contre la promesse de nous envoyer leurs créations, mais nous n'avons jamais rien reçu en retour. De quoi s'agit-il ? Voici donc quatre articles publiés en 2005 et 2019...

SUR YOUTUBE
10 janvier 2009


[En janvier 2009] Frédéric Durieu a mis en ligne des enregistrements réalisés avec notre nouvel instrument virtuel, FluxTune, le programme de composition musicale que nous avons conçu après La Pâte à Son et qui attend depuis quatre ans que nous lui trouvions des conditions satisfaisantes pour le rendre public. FluxTune est conçu comme un Lego où le circuit constitue une sorte de partition obéissant à des lois totalement différentes des séquenceurs traditionnels. Le secret réside dans le comportement des aiguillages programmés par Fred. FluxTune peut être considérée comme la forme adulte de La Pâte à Son, avec une interface à la fois puissante et la plus simple possible.


Fred a commencé par placer Rave Party sur YouTube, emballement de percussions sur rythmique techno dont j'ai réalisé les sons avec mon Ensoniq VFX-SD en cherchant à retrouver les effets produits par alternance rapide de plusieurs programmes. C'est souvent en cherchant à reproduire un geste musical que j'invente des timbres et des modes de jeu. Les deux autres exemples, ComeBack et Aubade, sont réalisés à partir d'échantillons de piano sur cinq octaves et deux couches de timbres.


Depuis son château du sud de la France, Fred a programmé les algorithmes, secondé par Kristine Malden qui a apporté sa patte graphique tandis qu'à Paris je tentais de rendre mélodieuses nos élucubrations qui dans les premiers temps d'expérimentation n'avaient rien de très musical ! J'ai raconté comme il fut passionnant de devoir exprimer en mots ce dont je rêvais en termes musicaux à un mathématicien sans aucune compétence musicale et dont les algorithmes m'échappent au point que je les conçoive comme des équations poétiques ! Empiriquement nous nous sommes progressivement approchés de ce que nous imaginions l'un et l'autre au début du projet. Il reste encore quelques ajustements à faire. J'ai demandé par exemple à Fred qu'il soit possible de contrôler des instruments midi depuis FluxTune plutôt que de devoir se cantonner à ceux que j'ai échantillonnés note à note. Du sien, il affine l'interface et la présentation graphique. Nous continuons à avancer doucement, lorgnant une opportunité pour conclure, comme un nouveau début !

FLUXTUNE
29 septembre 2005

Après La Pâte à Son, nous préparons une nouvelle boîte à musique, cent fois plus poussée, avec un excellent son et des possibilités de programmation très généreuses. Fred y travaille sans répit, nous partageons l'excitation comme à notre première collaboration pour le CD-Rom Alphabet ou pour chaque module réalisé sur LeCielEstBleu.

Journées enthousiasmantes à régler la nouvelle boîte à musique réalisée avec Frédéric. Je commence chaque matinée, de très bonne heure, en découvrant la version que Fred a améliorée la veille. Nous en sommes à la v62 et il reste encore beaucoup de travail, mais ça a trouvé sa forme.
L'Xtra Fluid d'Antoine est une bénédiction pour les bien entendants. Macromedia Director n'a jamais été très concerné par ce qui passe par le conduit auditif, ne parlons pas de Flash qui nous fait revenir à une époque que je n'ai pas connue tant c'est rudimentaire et compliqué (pour pas grand chose !). La FluidXTra renferme à la fois un sampler et un séquencer. Elle nous permet de jouer sur un nombre de pistes illimité, d'assigner une réverbe générale ; il y a aussi un chorus, un oscillo basse fréquence, un filtre, un pitchbend, une horloge stable, etc., le tout programmable dans Director. Antoine a développé son Xtra en Open Source à partir du fluidsynth de Peter Hanappe. On ne pourra plus s'en passer.
La FluxTune, prononcer fleuxtioune, est une forme adulte et très poussée de La Pâte à Son. On dessine des circuits sur une trame simple mais dont les ramifications sont complexes, d'ailleurs tout ici est simple d'accès mais d'un potentiel énorme donc complexe. Sur le parcours, on place des émetteurs et des instruments (j'en ai samplé 32 sur une octave, certains courent sur plus comme le piano sur 5 octaves avec 2 banques différentes selon le volume, tous sont transposables au delà du raisonnable, vers le haut comme vers le bas). Les notes s'échappent des émetteurs et se dispersent au gré des aiguillages, se rassemblent ou s'évaporent à l'extérieur du dessin. D'une mélodie hyper basique, on peut construire une polyphonie extrêmement fournie. Fred n'arrête pas d'ajouter de nouveaux réglages à l'interface, nous tentons de ne conserver que ceux que nous jugeons adéquats avec la philosophie de notre machine à musique : tempo, pitch, réverbe pour le réglage général ; diviseur et multiplicateur de tempo, densité, ordre et élisions aléatoires, nombre de pas de la mélodie programmable, durée et arrêt des émissions pour chaque émetteur ; volume avec option aléatoire, octave, envoi vers réverbe pour chaque instrument ; deux autres outils programmables, un sens unique et un double réflecteur, complètent une liste qui n'est pas terminée, je pense que Fred va d'ailleurs bientôt rajouter un filtre par instrument ;-)
Suivre les particules sur le circuit est vertigineusement hypnotique. Le mode plein écran offre un très joli spectacle de feu d'artifices synchronisé avec la musique d'où l'interface a disparu. Jusqu'à hier, la musique était de type répétitif, variations quasi infinies, mais depuis ce matin nous avons implémenté la possibilité de démarrer ou arrêter cycliquement chaque émetteur. On aborde ainsi le couplet/refrain aussi bien que les tuilages progressifs. Presque tout ce qu'on tente avec FluxTune sonne bien, c'est très encourageant d'entendre des musiques aussi variées, nous sommes impatients d'entendre ce qu'en feront les futurs utilisateurs, mais avant cela, il faut terminer le moteur, le graphisme et décider ce qui sera offert avec la version gratuite et ce qui sera vendu, et puis comment et combien... Pour une fois qu'on tient un(e) machin(e) sur Internet qui peut rapporter des sous ! On pourrait même vendre la technologie développée pour FluxTune pour dessiner des signatures, des mots, des noms, en les rendant musicaux et animés... Je n'aurais qu'à fabriquer l'orchestre qui convient au propos. Pour FluxTune, j'ai programmé une large palette qui va de choses basiques comme le piano, l'orgue, la basse ou la percussion à des timbres plus riches et personnels. Nous avons ajouté la voix d'Elsa, c'est très joli. [...]

LA MUSIQUE DES ENSEIGNES LUMINEUSES
21 avril 2009


Chaque fois que l'on me demande une contribution pour une prestation publique ou une publication graphique autour de FluxTune conçu avec Frédéric Durieu je commence par dessiner le titre de l'événement comme un circuit de notre application. Ensuite je place des émetteurs, des instruments et des obstacles sur le labyrinthe pour que les notes s'y promènent en faisant de la musique. Je l'avais réalisé pour Poptronics et l'hommage à Moondog, me voici cette fois à composer la musique de la revue Étapes et de PechaKucha. Il est amusant d'écouter ce que les enseignes m'inspirent... [...]


Sur ces deux images, on voit que je suis passé en mode plein écran. Oui je sais, là c'est plus proche du timbre-poste. À gauche l'interface et le damier ont disparu, à droite le circuit s'est effacé à son tour. Les halos se forment lorsqu'un point de rencontre est saturé de notes qui elles-mêmes se transforment à leur éjection hors du circuit. Je n'ai pas fait de capture-écran de l'étape suivante, quand il ne reste plus que les notes, des points de couleur qui se déplacent et explosent dans tous les sens !

MODE D'EMPLOI
15 mars 2019


J'ai retrouvé dans mes archives le mode d'emploi que j'avais rédigé pour l'application FluxTune. Je le reproduis ici afin de montrer la logique compositionnelle de l'objet qui échappe à celle de tous les autres séquenceurs. C'est évidemment langage de spécialistes, mais les musiciens sauront apprécier l'ampleur du travail que nous avions fourni avec Frédéric Durieu et l'originalité de la démarche. FluxTune fonctionne encore parfaitement sur de vieux systèmes OSX comme le 10.6.8 qui équipe mon ancien MacBook Pro.

INTRODUCTION

Comme La Pâte à Son et contrairement aux séquenceurs basés sur le système des voix parallèles, FluxTune est un logiciel de composition musicale permettant de créer une polyphonie complexe à partir d’une mélodie simple.

Les notes, envoyées par des émetteurs, voyagent sur un circuit où elles rencontrent des instruments. Des aiguillages les orientent et les organisent, tandis que des obstacles les dévient. Dessiner des boucles les réinjecte dans le circuit, le laisser ouvert les éjecte.

Les paramètres de l’interface sont :
- les réglages généraux
- les émetteurs
- les instruments : internes, externes (non implémentés sur la version online), midi (en développement)
- les obstacles : sens uniques, réflecteurs, trous
auxquels s’ajoutent différents boutons basiques (nouveau, ouvrir, le crayon et la gomme, etc.), ainsi que différents raccourcis clavier.

En dessinant un ou plusieurs circuits sur le damier et en y déplaçant des éléments, on construit progressivement sa propre machine, labyrinthe constitué de lignes, d’émetteurs, d'instruments et d’obstacles.
Au lancement du programme, un modèle est proposé. De nombreux autres exemples peuvent être chargés grâce au bouton Ouvrir.
Si l’on part d’un damier vide, il est conseillé de commencer par des configurations simples.
Les notes sont figurées par des points colorés. À chaque couleur correspond une hauteur invariable.
Dessiner des aiguillages (deux ou plusieurs lignes partant du même point), créer des boucles (réinjection des notes dans le circuit), insérer des obstacles, multiplier les instruments ou les émetteurs complexifient la musique.
Une ligne ouverte laisse échapper des notes qui disparaissent. Sans ouverture, le circuit peut se trouver saturé.
La suite dépend de la fantaisie des expérimentateurs...
Le circuit le plus simple consiste en un émetteur, un segment et un instrument.

Le mode Plein Ecran fait disparaître l’interface, offrant plusieurs modes d’affichage.

RÉGLAGES GÉNÉRAUX

Boutons :

Nouveau – Ouvrir – Sauver - Sauver sous – Pause/Play – Retour à zéro – Undo – Redo - Mode plein écran
N.B. : la sauvegarde n’est pas accessible sur la version on-line gratuite.
Le crayon permet de dessiner le circuit, la gomme d’en effacer des bouts ainsi que n’importe quel objet figurant sur le damier.
La barre d’espace change le curseur en main pour déplacer des morceaux de circuit. Option-Clic duplique l’élément sélectionné.

Réglages :

2 façons de régler :
- Cliquer sur l’icône en glissant la souris horizontalement ou verticalement (le point rouge se transforme en ligne)
- Cliquer à gauche ou à droite de la valeur affichée
Volume (0-100) – Tempo (1-600) – Transposition (±36)

Le signe + donne accès à des paramètres plus poussés :

Switch indique le type d’aiguillage, nerf de FluxTune, toute son originalité !
Les 11 modes proposés décident de la direction prise par la note suivante.
Un aiguillage peut avoir 2 ou 3 branches de chaque côté.
Next Way 1 Side : une note change l'orientation de l'aiguillage vers la suivante à droite uniquement dans le sens où elle se déplace.
Next Way 2 Sides : une note change l'orientation de l'aiguillage vers la droite des deux côtés de l'aiguillage.
Next Way 2 Sides Reverse : une note change l'orientation de l'aiguillage vers la droite dans le sens où elle se déplace et vers la gauche de l'autre côté de l'aiguillage.
Random Way 1 Side : une note change l'orientation de l'aiguillage de manière aléatoire, uniquement dans le sens où elle se déplace.
Random Way 2 Sides : une note change l'orientation de l'aiguillage de manière aléatoire des deux côtés de l'aiguillage.
Next Way 2 Sides Same : une note change l'orientation de l'aiguillage vers la droite dans le sens où la particule se déplace. L'aiguillage de l'autre côté est placé dans le même sens.
Next Way Other Side : une note change l'orientation de l'aiguillage vers la droite uniquement dans le sens opposé à son déplacement.
Pitch of the note : une note change l'orientation de l'aiguillage vers la droite dans le sens où elle se déplace, plus ou moins fortement en fonction de la hauteur de la note (1,2,3,4 de 1; 5,6,7,8 de 2; 9,10,11,12 de 3).
Like Pate à Son 1/2/3 sont des programmes plus complexes convenant souvent aux compositions musicales…
4 paramètres (0-100) règlent la Reverb :
Level (niveau) – Width (largeur) – Size (Taille) – Damping (Amortissement)
Pour en être affecté, il faut régler l’envoi de chaque instrument dans la réverbération.

La Modulation transpose l’ensemble des notes, modulant d’une tonalité dans une autre :
±7 (incréments par demi-ton selon le cycle des quartes ou des quintes) – RANDOM – OFF – MOD1/2 (si les notes les plus jouées ne correspondent à aucun mode prévu, le programme cherche celui qui s’en approche le plus)
La Fréquence de modulation (1/200) est déterminée par le nombre de notes jouées par le circuit en temps réel (x). Le changement s’opère en calculant 5000/x, soit, par exemple, si la fréquence est à 100 la modulation aura lieu toutes les 50 notes jouées.

ÉMETTEURS

Bien qu’inféodé aux réglages généraux, chaque émetteur est indépendant.
En cliquant une fois dessus, on a accès à ses paramètres.
Recliquer revient à en changer la direction.
Un simple roll permet d’écouter ce qui sort de cet émetteur en mode solo.
Un glissé-déposé déplace l’objet.
Sur la grille Melody, les 7 notes d’une gamme inscrites sur 7 pas suffisent souvent à générer une polyphonie complexe. On pourra choisir l’une des gammes majeures, l’un des exemples proposés ou composer soi-même sa mélodie de départ sur 1 à 30 pas (Steps).
Une couleur différente est affectée à chacune des 12 notes de la gamme chromatique permettant de repérer ces hauteurs immuables sur la grille et sur le circuit.
Le Play Mode permet de retarder le début d’une émission (utile en cas de plusieurs émetteurs), de jouer un certain nombre de notes, d’émettre un silence suivant un nombre de pas et de boucler ces deux derniers paramètres de façon à alterner une séquence de notes et du silence.
Ainsi, le Start Delay rendra muettes jusqu’à 9999 notes avant qu’elles ne deviennent audibles. Le Play Time indique le nombre de notes jouées (1-9999), le Silent Time le nombre de notes muettes (0-9999), et retour au notes du Play Time… Le nombre de Cycles va de l’infini INF à 999. Current n’est pas réglable mais il indique le nombre de cycles qui a déjà été joué.
Random Read permet de jouer les notes de la Melody dans un ordre aléatoire (ON/OFF). Random Elision est le pourcentage de notes remplacées par des soupirs (0/100).
Volume règle le niveau d’un émetteur par rapport au volume général.
Transmitter Tempo comprend un multiplicateur et un diviseur pour créer des tempi différents de celui du réglage général.
Duration raccourcit la durée des notes (0-100, 100 jouant l’intégralité de l’échantillon).
Density affecte le nombre de notes émises (0-10), ce qui n’affecte pas le tempo pour autant.
Octave est une transposition de 3 octaves, avec la possibilité de jouer sur plusieurs octaves avec ou sans aléatoire (± 3 octaves, Random -1/-2/±1/±2).

INSTRUMENTS

Bien qu’inféodé aux réglages généraux, chaque Instrument est indépendant.
En cliquant une fois dessus, on a accès à ses paramètres.
Un simple roll permet d’écouter ce qui sort de cet émetteur en mode solo.
Un glissé-déposé déplace l’objet.
Il y a 3 manières de sélectionner chacun des 39 instruments échantillonnés :
- en cliquant et glissant sur l’icône Instrument
- en cliquant à gauche ou à droite de son nom
- en utilisant les menus déroulants
N.B. : les sons externes ne sont pas accessibles sur la version on-line gratuite.

Le bouton ON/OFF permet de mettre l’instrument hors jeu.
Octave permet de le transposer (±3) indépendamment des réglages généraux.
Reverb Send dose l’envoi de chaque instrument dans la réverbération (0-100).
Volume règle le niveau d’un instrument par rapport au volume général et à celui de son émetteur (0-100).
Duration raccourcit la durée des notes (0-100, 100 jouant l’intégralité de l’échantillon) indépendamment de celle indiquée dans les réglages de l’émetteur.
Low Pass est un filtre passe-bas (0-100).
Ces trois derniers paramètres ont un réglage Random (0-100) offrant des variations aléatoires de volume, de durée et de filtre.

OBSTACLES

Reflector est un mur sur lequel rebondissent les notes qu’elles arrivent d’un côté ou de l’autre. One-Way est un mur que d’un seul côté. Hole absorbe les notes comme lorsqu’elles sortent du circuit.
Ces trois obstacles sont affectés d’un coefficient d’efficacité, Efficient, et d’une option aléatoire, Random. Le One-Way possède en outre un bouton ON/OFF qui réfléchit les notes d’un côté, mais les absorbe de l’autre au lieu de les laisser passer.



MODE PLEIN ÉCRAN

Le mode Plein Écran possède trois modes d’affichage accessibles par le bouton de tabulation, transformant la machinerie en feu d’artifices. Le retour à l’interface s’exécute par la touche Esc.
Le mode Interface passe automatiquement en Plein écran au bout d’une minute.

RACCOURCIS CLAVIER

Cmd-N New
Cmd-O Open
Cmd-S Save
Cmd-Shift-S Save as
Cmd-P Pause/Play
Cmd-R Reset (retour à zéro)
Cmd-Z Undo (multiples)
Cmd-opt-Z Redo (multiples)
Cmd-M Modulation
t Emetteur
i Instrument
o One-Way
r Reflector
h Hole
Cmd-F Full Screen On/Off (Plein écran)
Tab (Mode Plein Écran) - 3 styles de Full Screen
Une boîte de dialogue s’ouvre automatiquement dans certains cas proposant de sauver ou pas ou d’annuler la commande
Cmd-Flèche Gauche/Droite (mode Plein Écran seulement) Enchaîne les exemples les uns après les autres dans la version bridée on-line ou les circuits sauvés dans la version complète.
Esc (Mode Plein Écran) Mode Interface
Esc (une seconde fois) Quit

RECOMMANDATIONS TECHNIQUES

Ce jeu nécessite le plug-in Shockwave, une connexion câble ou ADSL, une résolution d’écran de 1024X768 et un ordinateur avec un processeur de 1GHz minimum. Il est conseillé de quitter tout autre application pendant que l’on joue avec FluxTune.

CRÉDITS

Conception Frédéric Durieu, Jean-Jacques Birgé, Kristine Malden
Développement Frédéric Durieu
Music Design Jean-Jacques Birgé
Graphic Design Jean-Philippe Goussot, Frédéric Durieu, Kristine Malden

Remerciements à Bernard Vitet pour ses conseils harmoniques et à Antoine Schmitt pour son X-Tra

© LeCielEstBleu 2005-2009

Toute utilisation commerciale de FluxTune est soumise aux réglementations en vigueur concernant les droits d’auteur, selon qu’il s’agisse des sons, de la musique, des images ou de FluxTune sous quelque forme que ce soit.

mercredi 10 novembre 2021

Zappeurs-Pompiers 1 (1988)


Il ne reste pas grand chose des centaines de spectacles que nous n'avons donnés qu'une seule fois. Nous avons oublié. C'est toujours beaucoup de travail, mais la mémoire est volatile par essence. Nous oublions les émotions intenses du spectacle vivant au profit des notes, des images, fixes ou mouvantes, que l'on a pris le temps d'imprimer. Comprenant tôt l'importance des traces, j'enregistrai beaucoup, d'autant plus que nous pratiquions l'improvisation la plus libre qui soit. Chaque bande magnétique capte un instantané du Drame et le sauve de sa fulgurance jupitérienne. C'est se saisir d'un éclair pour le rejouer à l'infini.


Document d'archives. La qualité de l'image et du son est ce qu'elle est, pas terrible! Le 22 septembre 1988, Un Drame Musical Instantané répète Zappeurs-Pompiers 1 au cours de la Manifestation Internationale de vidéo et de télévision de Montbéliard. Le comédien Eric Houzelot, qui vient de quitter alors la troupe 4 litres 12, et la chorégraphe Lulla Card (aujourd'hui Lulla Chourlin) improvisent avec le trio du Drame. Je monte les images en direct à la zappette (débuts de la télévision par satellite) tout en jouant avec Francis Gorgé et Bernard Vitet. L'année suivante, Zappeurs-Pompiers 2, créé au Cargo à Grenoble pour les 38e Rugissants, écrit et composé par le trio du Drame, le clown Guy Pannequin et Lulla Card succèdera à ce premier jet entièrement improvisé. Nous collaborerons encore dans la même jubilation avec Lulla lors de notre succès à la Péniche-Opéra, 20 000 lieues sous les mers.
L'album suivant, Qui vive ?, sur lequel figure la musique du "2" a figé mon souvenir. Une captation en a été faite, j'ai les rushes, mais il faudrait que je trouve un moyen de transférer mes BetaSP pour raviver ma mémoire. En attendant, j'ai réalisé un petit montage du "1" bien que l'image soit sombre et le son distordu. 2 minutes 26 secondes pour le ressusciter !

Article du 5 janvier 2009

mardi 9 novembre 2021

Des pleins et des déliés


Le taux de TSH était bon, mais mes proches étaient tous d'accord, j'étais en dessous de mon énergie légendaire. Je me trouvais moi-même fragile émotionnellement. J'avais pleuré quatre fois en revoyant La vie est belle de Frank Capra pour la énième, c'était trois fois de trop, pas de le revoir, mais de renifler comme un gamin. La chirurgienne a remonté le milligrammage du Lévothyrox à 87,5. Ce doit être psychologique parce qu'aussitôt j'ai repris du poil de la bête et j'ai recommencé à faire du bruit. On ne peut pas appeler cela jouer, parce que je fais des gammes de timbres en associant des banques de sons s'accordant bien entre elles pour plus tard alimenter de nouvelles compositions. J'attends avec impatience la livraison du Enner de Soma, un synthétiseur analogique dont les commandes intègrent les propriétés électriques du corps humain. La peau produit des résistances, des capacités et des réactions non linéaires tandis qu'on caresse l'objet avec les doigts et les paumes. Un truc de ouf de plus à ajouter à mon incroyable panoplie. J'écris ces lignes juste après avoir relu l'article du 19 janvier 2009 reproduit ci-dessous. Né nu phare, me serais-je dit en regardant la photo...

Du vide
Lorsque l'on est très actif, on a beau savoir que l'on a quatre semaines sans vraiment de rendez-vous, ce n'est pas facile de décider de s'arrêter pour prendre des vacances. Suis-je encore capable de rester contemplatif, devant une toile, un paysage, un livre, devant le vide qui vous happe et laisse enfin de l'espace pour l'inattendu, le renversant, le renversé ? La fatigue évite la bousculade, la cohue des idées. Au lieu de cela se forme un encombrement, un goulet d'étranglement, un vide stérile. Il y aurait donc deux formes de vide, le vide peau de chagrin et le vide appel d'air. Expansion ou trou noir ? L'interrogation sur l'infini me plonge toujours dans une mélancolie métaphysique qui remet à sa place l'infiniment microscopique de notre condition humaine. Le vertige de la mort m'attrape lorsque je pensais l'avoir vaincu. Le magnétiseur m'assure que les petits dormeurs vivent vieux, c'est double bonus. Les anciens nous montrent la voie. Est-ce rassurant ou paniquant de sentir que son tour approche ? Pourtant, dès le début, chaque pas est dirigé vers la sortie. Toute sa vie on oscille entre le mûrissement et la régression. Faire l'amour, rire et fou rire, se saoûler ou rechercher le vertige, ne serait-ce que se souvenir, sont des manifestations régressives. La sénilité permet in extremis de boucler la boucle. Retomber en enfance est une recherche permanente et nécessaire. Le vide est sanitaire, pardon, salutaire.

lundi 8 novembre 2021

Let's Get Lost


Confronté à l'imposant facing du film consacré à Chet Baker en tête de gondole dans un supermarché de la culture, je craignais le pire, mais comme je ne connais pas bien le trompettiste dont m'a souvent parlé Bernard, je prends le risque de le rapporter à la maison. Le coffret est luxueux, puisque le film de Bruce Weber est accompagné d'un making of, d'archives du tournage, de deux clips du cinéaste soit Everything Happens to Me et C'est si bon, du court-métrage The Teddy Boys of the Edwardian Drape Society et d'un autre, celui-ci avec Chet et réalisé en 1964 par Enzo Nasso. Le livret inclut d'émouvantes images de William Claxton, premier photographe à avoir saisi la belle gueule du rebelle, tandis que Weber montre la figure ravagée du toxico. Enfin un CD offre deux morceaux inédits enregistrés pendant le film.
Surprise, le film ressemble aux débuts de Cassavetes, noir et blanc très jazz, mouvements de caméra swing, les témoignages ne plombant jamais les documents d'archives ni les scènes tournées en 1987, un an avant que l'on ne retrouve le héros fracassé sous la fenêtre de son hôtel à Amsterdam. La musique est partout, rythmant la chronique d'une vie plutôt schizophrène, suavité de la voix et de la trompette, tendresse du regard d'un côté, brutalité, magouilles et bobards du bad boy de l'autre. À la manière de Weber de filmer son héros et les jeunes gens qui l'entourent, on peut se demander qui du cinéaste ou du musicien refoule ses pulsions homosexuelles. Les filles ont beau jalonné le parcours du jazzman, toute sa vie sonne comme une fuite en avant, le masque se fripant au fur et à mesure de la descente aux enfers.
Bernard Vitet m'avoue qu'il est triste que sa collaboration avec Chet Baker ne soit jamais évoquée. Lorsque l'Américain débarque à Paris, il propose au Français de jouer ensemble, lui assurant qu'il ne cherche pas un faire-valoir, mais qu'un orchestre à deux trompettistes serait une idée formidable. L'aventure dure six mois où le duo alterne sur scène jeu d'échecs et chorus. Au Chat qui Pêche, à l'époque sans micro ni sono, la voix de Chet ne porte pas à plus d'un mètre. Intègre, il n'avait d'oreille que pour la musique qu'il entendait, là tout près, susurrée.

Article du 19 décembre 2008

dimanche 7 novembre 2021

Dans le noir...


Merci pour tous vos vœux d'anniversaire, vœux qui m'ont beaucoup touché, anniversaire que j'ai fêté au restaurant "dans le noir", expérience étonnante, d'autant que c'était une surprise !

vendredi 5 novembre 2021

69


69, c'est un chiffre qui parle aux acrobates amoureux. Comme on me le rappellera souvent, je prends les devants ! Mon père est mort à 70. L'échéance approche. On veut toujours faire mieux. Je m'y emploie. Déjà organisé mon Centenaire ! Repris la gymnastique. Tous les matins, après le sauna, jamais avant. Cela me rassure d'avoir les muscles bien chauds, même si je suis passé à la douche froide entre temps. Mélange de gainage, d'assouplissement, de yoga. Je m'entraîne à faire des enchaînements et j'ai ajouté un rouleau de massage (foam roller) à ma collection d'instruments de torture. J'ai été vexé cet été lorsque j'ai tenté d'escalader une barrière plus haute que moi et que mes bras, tétanisés, m'ont laissé en plan. Sans parler de la brioche que les plus sympas appellent le ventre du Bouddha et dont je me passerais bien.
Il n'y a pas que l'éducation physique. Il faut continuer à fabriquer des synapses. La musique y participe, mais j'ai besoin de me remettre en question, d'entrer dans une zone d'inconfort qui m'oblige à inventer autre chose. Se figer devant une page blanche ne fonctionne pas. Il faut se laisser aller aux humeurs du jour, ou de la nuit. C'est un peu troublant, paniquant, déprimant parfois, mais je suis déjà passé par là. Mélange de qui-vive et d'entretien. Imaginer un truc qui n'existe pas. Pas encore. Cela peut prendre du temps. En attendant je fais ce que je sais faire, mais comme je le dis souvent, c'est gérer, tandis que lorsqu'on ne sait pas, c'est créer. Je continue à fabriquer des alliages sonores qui me serviront plus tard, je travaille des instruments que j'avais mis de côté, j'ai commandé de nouvelles machines qui font du bruit, des intuitives. C'était plus facile lorsque nous étions un collectif. Je souffre tout de même d'une certaine forme de solitude, même si je discute avec de nombreux musiciens et que je joue de temps en temps avec eux/elles. Ce n'est pas comme l'ébullition quotidienne du Drame. Dix-huit années à trois, trente-deux à deux. Le reste du temps je me promène. Dans le réel et dans l'imaginaire. J'écoute beaucoup de musique en me disant que je dois composer ce que je n'entends pas et qui me manque, mais quoi ? Pareil avec les films, les livres, les spectacles... Je vais voir ailleurs si j'y suis...
Ailleurs n'est pas très rassurant. La planète est martyrisée. Nous allons droit à la catastrophe et trop peu en sont conscients ou agissent en conséquence. J'en fais partie. Il y a un fossé entre nos souhaits, nos convictions et nos agissements. Du temps où la lutte des classes m'obsédait, je me heurtais à la puissance du capitalisme. Aujourd'hui où le changement climatique va produire des dégâts considérables, irréversibles, dégâts humains et planétaires, c'est encore le capitalisme l'ennemi absolu. À mon niveau je fais ce que je peux, même si c'est si peu. Il y a aussi un fossé entre le système global et le combat de proximité. Inutile de porter la culpabilité du monde sur ses épaules, mais il faut bien endosser sa responsabilité au jour le jour. Une théorie unifiée est nécessaire pour ne pas s'y perdre, entre l'infiniment grand et l'infiniment petit. Comment lutter pour tous sans négliger les siens ? Comment protéger les siens sans participer au gâchis général ? Les contradictions sont pourtant le moteur du progrès. Entendre ce mot comme une promesse de vie meilleure, et pas seulement pour quelques uns ! Parce qu'il implique obligatoirement la décroissance. Je suis souvent renvoyé à La difficulté d'être. Pas très gai pour un jour de fête dont je suis le héros !
Recevoir l'amour et l'amitié en merveilleux cadeaux d'une longue vie partagée, c'est formidable. J'ai toujours adoré que la maison ressemble à une ruche. J'en fais mon miel. À mon tour je vous aime.

jeudi 4 novembre 2021

Ambivalence d'André Malraux


Le mystère Malraux [était paru en DVD en janvier 2009] aux éditions Montparnasse, accompagné d'un extrait télévisé de quatre minutes du discours à Jean Moulin, modèle du genre, en complément de programme. Le film réalisé par René-Jean Bouyer est le récit d'un aventurier qui a su garder secrète sa vie personnelle pour se fabriquer une légende. Ses intimes ont du mal à soulever le voile tant le mystère leur est toujours resté opaque. L'histoire est aussi excitante et mystérieuse, toutes proportions gardées, que celles d'un Henry de Monfreid ou d'un Jacques Vergès. Orgueilleux, mythomane, exalté, remarquablement intelligent, son ambition répond à ses origines modestes et à son absence de diplômes. S'il s'invente un rôle de commissaire politique en Chine ou se proclame colonel dans la Résistance, André Malraux n'en aura pas moins été écrivain, pilleur d'œuvres d'art à Angkor, journaliste anticolonialiste, chef de l'escadrille España pour la République espagnole, cinéaste, résistant et combattant, Ministre des Affaires Culturelles gaulliste (on lui doit les Maisons de la Culture) après avoir été trotskyste dans ses jeunes années. Admirateur fervent du général de Gaulle et héros de la politique spectacle, son ambition eut raison de ses convictions... Les manuscrits exposés laissent entrevoir sa manière de composer ses livres, montés comme au cinéma. Il se passionne pour l'art, probablement afin de conjurer la mort qui l'entoure. Ses deux frères disparaissent pendant la guerre, l'un fusillé, l'autre torturé et déporté, deux de ses fils se tuent en automobile, leur mère est broyée par un train, Louise de Vilmorin meurt alors qu'il vient de la retrouver... Si les femmes tiennent une place importante dans sa vie, il dit ne jamais avoir connu l'amour. C'est un être analytique et calculateur, mal dans sa peau, trop préoccupé par son image. Le film, narré sobrement par Edouard Baer, mêle habilement les documents d'archives, les reconstitutions rappelant Errol Morris (gros plans, vues de dos ou lointaines) et les témoignages. Pour la première fois, s'expriment sa veuve Madeleine Malraux, son fils Alain Malraux, Sophie de Vilmorin, son psychiatre le Dr Bertagna, la famille de Josette Clotis, son grand amour disparu dans un accident ferroviaire... Atteint du syndrome de La Tourette, il sombrera dans l'alcoolisme et la dépression, alors qu'on lui attribuait une dépendance à l'opium. Si le film ne s'attarde pas sur son retournement de veste, il n'a rien d'une hagiographie et son aventure fait partie des grands mythes du XXème siècle. On aurait pourtant apprécié un peu plus de psychologie, car entre les lignes se devine l'histoire d'une traîtrise, celle de ses origines sociales pour commencer.

Article du 12 décembre 2008

mercredi 3 novembre 2021

Le relief de l'invisible


Avant ou après cet article du 10 décembre 2008, rien n'a changé. Avant, l'Histoire, la préhistoire, le cryptozoïque, le phanérozoïque, le paléozïque, le mésozoïque, le cénozoïque, le tertiaire, la protohistoire, l'Antiquité, le Moyen Âge, etc. jusqu'à l'anthropocène. Mais c'est toujours la même histoire. Une crotte de nez au milieu de l'univers, et nous, les Hommes, poussières d'étoiles, si petits qu'on ne peut nous voir d'ailleurs, si éphémères que la vie s'éteint à peine a-t-elle commencé. Construire, détruire. Au delà, la matière. Un trou noir. L'arrogance. Un bras de fer avec la nature. Il suffirait d'une comète, gros caillou mal placé. Au lieu de cela, on fait monter la température. La planète a la fièvre. Ça va cramer. L'absurde règne en maîtres. On n'avait rien trouvé de pire que le capitalisme. Violence. Toujours. Pour quoi ? Comme si le bonheur pouvait s'acheter... La souffrance se moque des systèmes de repères. Déjà enfant, j'avais mal à l'homme. Partagé entre bon débarras et préservation de l'espèce. Les enfants continueront de jouer comme si de rien. Un temps. Un temps pour tout. Plus de temps du tout. Le cosmos est si minuscule au milieu de l'univers. Lignes dérisoires. Qui n'y changeront rien. Parce que c'est toujours la même histoire. Et pourtant. Pourtant nous rêvons, nous aimons, nous espérons, nous nous agitons, surprenons, ébahissons devant ce qui est grand parce que rien de petit n'existe. C'est loin ou proche. C'est tout.

___________________________________________


[Je me souviens] de la série réalisée par Pierre Oscar Lévy, Gabriel Turkieh et Jean-Michel Sanchez. Chaque film est construit de la même manière, longue plongée avant depuis l'objet à distance de l'œil jusqu'à pénétrer au plus profond de la matière et whiiiiiit ! On revient en arrière vitesse grand V en repassant par toutes les étapes du grossissement. Une aile de papillon, la peau de notre main, la carapace d'un crabe, un engrenage en acier, un cheveu, une dent, une fleur, un pou, un champignon, une mouche, du béton, de l'alu, du plastique, du maïs, etc., l'inventaire tient du poème lorsque se découvrent des paysages à couper le souffle. Cela me rappelle un court métrage qui fonctionnait aussi dans l'autre sens, nous faisant reculer dans les étoiles. Nous prendrions-nous pour Stephen Hawking à tenter d'unifier relativité générale et théorie des quanta ? L'exercice est séduisant. Ici la danse des atomes à portée de vue, en passant par tous les intermédiaires, toutes les échelles de grossissement, dans un mouvement fluide et ininterrompu, sans interpolation. Le rêve devient vérité, puisque c'est ce qu'on voit ! On voit tout. Du moins tout ce que caméras à haute définition et microscopes électroniques nous permettent de regarder en l'état. La "réalité" plonge dans l'inimaginable. Les 22 films, réunis en DVD sous le titre Le relief de l'invisible (Idéale Audience), montrent l'unicité et la diversité de la matière, à nous en donner le vertige. Quoi de mieux ?

mardi 2 novembre 2021

Du sirop d'érable


Depuis l'article du 7 décembre 2008 qui suit, j'ai souvent ajouté du sirop d'érable à ma cuisine. Dans son livre L'essentiel François Chartier raconte qu'il diffuse "un arôme torréfié de graines de fenugrec grillées, de curry et de vanille, ainsi que des notes caramélisées et empyreumatiques provenant de la caramélisation et de la réaction de brunissement entre les sucres et les acides aminés (réaction de Maillard) lors de la cuisson de l'eau d'érable." Il suggère son association avec l'ananas, le café, la cannelle, le céleri cuit, certains champignons, le chocolat noir, le clou de girofle, le curry, la fève tonka, la fraise, les légumes grillés ou rôtis, la livèche, la noix de coco, la noix grillée, le poisson et la viande (fumés ou grillés), la polenta grillée, la réglisse, la sauce de soja, le sel de céleri, la vanille, le vinaigre balsamique... Il fonctionne aussi avec l'Amaretto, le bourbon, la porto Tanny, le rhum brun, le saké nigori, le Sauternes (âgé), la tequila reposado, le vin blanc (âgé ou boisé), le vin jaune, le xérès, le Zinfandel (boisé) ! C'est dire si je me sens libre d'ajouter son suc re parfumé à ma cuisine salée comme à nombreux desserts, par exemple à la place du miel... De l'érable, j'utilise également du sucre, des paillettes, un mélange d'épices pour la viande dit "du trappeur", etc. Et j'adore les bonbons 100% érable qui fondent lentement dans la bouche...

___________________________________________

On trouve enfin en France du véritable sirop d'érable, et non le liquide insipide, où le sucre camoufle le parfum envoûtant des arbres, qui s'étale sur les étagères des supermarchés et des chaînes bio. Je préfère acheter le nectar sous son conditionnement original, que ce soit en boîte de conserve, le plus courant, ou en bidon de métal, comme sur la photo, voire en bidon de plastique, mais c'est moins bien pour la planète. Je réfléchis en dégustant les yeux fermés mon yaourt maison (recette à venir) recouvert du sirop ambré que m'a rapporté Adelaide. C'est la requête que je réitère à quiconque revient du Québec. Qu'il soit clair ou foncé je me damnerais pour cette eau magique. Car le sirop d'érable ne provient pas de la sève, mais de l'eau qui remonte des racines par dessous l'écorce.
À mon dernier voyage, Marie-Ève m'avait conduit dans la forêt jusqu'à une cabane à sucre pour goûter la tire à la fin de l'hiver. Auparavant nous nous étions un peu coupé l'appétit avec le repas traditionnel, omelette, jambon, pommes de terre, fèves au lard, grillades de lard dites oreilles de crisse, le tout arrosé de sirop d'érable. La fête se terminait par une dégustation de tire, sirop que les acériculteurs font chauffer à 113,5° avant de l'étirer sur la neige pour qu'il se fige. On s'en fait soi-même des sucettes en l'enroulant sur de petites spatules en bois. Sublime !

lundi 1 novembre 2021

Summer of Soul (ou quand la révolution ne pouvait pas passer à la télé)


C'est à la fois émouvant et épatant de s'apercevoir que le passé est toujours le produit de l'avenir. La mémoire faire revivre les morts qu'on n'a jamais connus. Je l'avais senti lors de la construction de mon arbre généalogique, mais il en va de même pour toute l'humanité. On peut aussi s'interroger sur la véracité de ce qui nous est transmis comme le fait Shlomo Sand dans Crépuscule de l'Histoire lorsqu'on comprend qu'elle est contée par ceux qui tiennent les rênes du pouvoir qui, de plus, ne relate que ses hauts faits. Comme le montre également Raoul Peck dans son dernier film, Exterminate All The Brutes, l'histoire des Noirs aux États Unis est encore très occultée.


Il aura donc fallu quarante ans pour que le film sur le Harlem Cultural Festival auquel 300 000 spectateurs ont assisté à Harlem en 1969, le même été que Woodstock, sorte d'une cave où les rushes avaient été oubliés. Grâce au producteur Ahmir "Questlove" Thompson (batteur du formidable groupe de rap The Roots et producteur de Common, Erykah Badu, Bilal, D'Angelo ou Al Green) a réalisé un documentaire de deux heures, Summer of Soul (...Or, When the Revolution Could Not Be Televised), sur l'évènement à partir des cinquante heures tournées à l'époque par Hal Tulchin et d'interviews récentes. Devant une foule immense, du 13 juin au 24 août, pendant six dimanches, se produisent des artistes "black" (c'est l'année où le terme supplante celui de "negro" dans la presse américaine) de gospel, blues et jazz. Le film ne suit pas la programmation chronologique, mais il me semble présenter la musique en trois parties : d'abord le gospel, puis le blues pour se radicaliser politiquement avec le jazz. Mais partout s'exprime la fierté d'être noir dans une Amérique raciste où le pasteur Martin Luther King a été assassiné l'année précédente. Le New York City Police Department étant quasi absent, ce sont d'ailleurs les membres du Black Panther Party, en uniforme comme en civil, qui assurèrent avec succès le service d'ordre dans le Mount Morris Park (aujourd’hui Marcus Garvey Park). La pauvreté de la communauté est largement évoquée (le festival était totalement gratuit, sponsorisé par le café Maxwell !) et l'on sent que tous se fichent pas mal de l'atterrissage sur la Lune de Neil Armstrong le 20 juillet, voire qu'ils sont scandalisés de son coût en regard des urgences sociales gravissimes.
Si Jesse Jackson, Marcus Garvey Jr ou le maire de New York de l'époque, John Lindsay, prennent la parole, il est évidemment passionnant de voir et entendre Stevie Wonder s'accompagner à la batterie ou au piano électrique (il a 18 ans), Nina Simone en grande prêtresse révolutionnaire, Sly and The Family Stone, Mahalia Jackson, B.B. King, les Chamber Brothers, The Staple Singers, The 5th Dimension, David Ruffin, Gladys Knight and the Pips, Ray Barretto, Hugh Masekela, Sonny Sharrock, Abbey Lincoln et Max Roach...