70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 10 décembre 2021

Arcangela Felice Assunta Wertmüller von Elgg Spanol von Braueich dite Lina Wertmüller, vers un destin qui n'a plus rien d'insolite sous le ciel bleu de l'hiver


La fabuleuse réalisatrice Lina Wertmüller, qui vient de décéder à Rome à l'âge de 93 ans, était la championne des titres à rallonge avec Film d'amore e d'anarchia, ovvero 'stamattina alle 10 in via dei Fiori nella nota casa di tolleranza...' / Travolti da un insolito destino nell'azzurro mare d'agosto / La fine del mondo nel nostro solito letto in una notte piena di pioggia / Fatto di sangue fra due uomini per causa di una vedova - si sospettano moventi politici / Scherzo del destino in agguato dietro l'angolo come un brigante da strada / Notte d'estate con profilo greco, occhi a mandorla e odore di basilico / Metalmeccanico e parrucchiera in un turbine di sesso e di politica...

Vers un destin insolite sur les flots bleus de l'été
Article du 21 juin 2017


Vers un destin insolite sur les flots bleus de l'été est une petite merveille d'humour corrosif, un film éminemment politique qui prend tout son sel avec la distance qui nous sépare de 1974 lorsque la réalisatrice italienne Lina Wertmüller, première femme à avoir été nominée aux Oscars, le réalisa. Les récentes élections en France le plongent dans une actualité brûlante, tant l'écart entre riches et pauvres y est montré avec une acuité exceptionnelle, et les premiers échanges dialogués de la jet-set arrogante lui confèrent même un statut visionnaire. Cette comédie dramatique ressort aujourd'hui sur les écrans dans une version superbement remasterisée.
Raffaella, une bourgeoise riche et insupportable, invite des amis à passer quelques jours sur son voilier en Méditerranée. Gennarino, un matelot hirsute aux idéaux communistes, est excédé par ses hôtes. Un soir, il accepte d’emmener Raffaella faire un tour en bateau, mais le moteur tombe en panne et les deux échouent sur une île déserte. Leur relation va s’en trouver bousculée…
La nature nous renvoie à nos contradictions tandis que la société formate nos rapports. Lina Wertmüller ne réussit pas seulement à dessiner un portrait virulent de la morgue des riches, elle met en scène le machisme avec maestria dans l'acceptation qu'ont les dominés face à leurs exploiteurs. Les deux personnages interprétés par Giancarlo Giannini et Mariangela Melato sont pris à leurs propres pièges, renversant les rôles que la société leur a attribués, mais ne faisant que bouger la frontière qui les sépare. Vers un destin insolite, sur les flots bleus de l'été (Travolti da un insolito destino nell'azzurro mare d'agosto) est aussi un film sur le désir où la sexualité, façonnée par la lutte des classes, est abordée avec la liberté des années 70.
J'ai hâte de revoir ou découvrir ce que je trouverai de la trentaine des autres films de Lina Wertmüller, parmi lesquels Mimi métallo blessé dans son honneur (Mimì metallurgico ferito nell'onore), Film d'amour et d'anarchie (Film d'amore e d'anarchia, ovvero 'stamattina alle 10 in via dei Fiori nella nota casa di tolleranza...'), Pasqualino (Pasqualino Settebellezze), Notte d'estate con profilo greco, occhi a mandorla e odore di basilico, Scherzo del destino in agguato dietro l'angolo come un brigante di strada, etc. Ces titres longs comme le bras (d'origine suisse, son vrai nom est Arcangela Felice Assunta Wertmüller von Elgg Spanol von Braueich !) ne font qu'exciter ma curiosité...

Bonne humeur et mauvaise conscience


Les deux terrains coexistent. Dans la sphère privée, l'hédonisme est de rigueur. Face à la société humaine, l'addition est douloureuse. On a beau apprécier les grimaces de clown et la danse du ventre, comment accepter le plaisir sans le partager avec le plus grand nombre. La partouse épicurienne à l'échelle de la planète est un rêve d'enfant. Que chacun mange à sa faim, ait un toit et la possibilité de choisir son destin peut sembler un vœu pieu, mais quel autre enjeu vaut-il que l'on s'accroche à la vie ? Le droit de régresser n'est pas donné à tout le monde. L'exploitation de l'homme par l'homme, son assujettissement, les crimes dont il est autant victime que complice empêchent la libido de s'épanouir. Elle renvoie toujours à l'enfance, par le vertige du sexe, la faim du sybarite, l'odeur de sa merde ou la précieuse quête d'un Graal aussi naïve que nécessaire. Le cycle inexorable ressemble plus aux cercles d'un derviche qu'à une évolution. La spirale est double, ascendante dans les élévations de l'âme, abyssale dans sa pitoyable impuissance. Le singe n'arrive plus à se redresser. Nous voilà bien ! À mettre en scène ses contradictions, le corps est plus démonstratif que l'esprit. Pas d'enfumage, mais les manifestations physiques du combat que se livrent le désir de vivre et sa propre incapacité à la partager hors du cercle des initiés. C'est dégueulasse. Que l'on ne s'étonne point que cela fasse mal ou rende malade. Le drame est total, la difficulté d'être absolue. Les nantis de la planète, minorité aux commandes, ayant-droits historiques ou citoyens de base, jouissent ou du moins ils le croient, s'étourdissant dans la consommation des objets ou des sensations. C'est de nous tous, sans exception, dont il s'agit, si vous êtes seulement "équipés" pour lire ces lignes. Mais lorsque la mort se présente que reste-t-il à cet infiniment petit, perdu dans le vaste univers du temps, que la satisfaction d'avoir su prendre et donner, de partager ses richesses et ses interrogations, qu'elles fussent matérielles ou spirituelles ? C'est bref. Raison de plus.

Paysage sylvestre au lever du soleil (1835) de Caspar David Friedrich

Article du 28 janvier 2009