70 Cinéma & DVD - décembre 2006 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 28 décembre 2006

L'iceberg dessine la ligne claire du burlesque


Une nuit à Séoul, j'allume la télévision dans ma chambre d'hôtel et je prends en cours un drôle de film sur TV5 Monde. Je m'endors dessus parce qu'il est très tard, mais le lendemain matin au petit-déjeuner, devant des huîtres pimentées, Nicolas me raconte la suite parce qu'il lui est arrivé la même chose dans sa chambre à lui et qu'il a tenu jusqu'au bout.
En zappant, nous étions tous deux tombés sur L'iceberg, étrange film rappelant Jacques Tati, mais révélant surtout un trio d'auteurs-acteurs burlesques, issus des traditions du muet et de la bande dessinée belge. Les cadres fixes, très présents, font penser à des cases ponctuées de rares phylactères, et les effets spéciaux à la machinerie de théâtre. Tout est simple, direct, et complètement farfelu.
Une femme se fait accidentellement enfermer dans la chambre froide du fast-food où elle travaille, et développe une passion pour le froid jusqu'à décider d'aller voir un iceberg. Nos trois clowns tristes viennent du théâtre ou du cirque comme traditionnellement presque tous les acteurs du burlesque d'antan, sauf qu'ici le son souligne le comique des situations et que la sobriété du jeu laisse imaginer les sentiments des personnages en donnant suffisamment d'espace aux nôtres. Sur leur petit voilier, Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy font équip(ag)e. Les trois mousses que taire se sont adjoints le géant Philippe Mars et une comédienne inuït d'Atanarjuat, Lucy Tulugarjuk, dont le sourire ouvre et clôt cette croisière au Pays du Tendre et à l'esprit grand ouvert. Chaque scène est un petit castelet où les acteurs entrent et sortent du cadre en se jetant à l'eau, qui est monstrueusement froide, pour de vrai ! Heureusement, la chaleur qu'ils dégagent n'a d'égal que leur enthousiasme à nous faire partager leur imaginaire débridé.
Le dvd édité par mk2, agrémenté du court-métrage Merci Cupidon et d'une auto-interview, donne envie d'aller voir ce qu'il y a d'autre dans la collection Cinéma Découverte. Cette fois je garde les yeux et les oreilles grands ouverts, de but(te) en blanc !

dimanche 17 décembre 2006

V for Vendetta


Curieux de savoir ce qui emballe Annabelle avec V for Vendetta, je commande le DVD sur Internet. Je n'avais pas fait attention à la sortie du film en salles, pensant que c'était une énième aventure daubesque telle qu'Hollywood en échafaude à tours de bras et que l'industrie culturelle américaine nous envoie en scuds pompeux sur le coin de la gueule. Ce n'était pas tout à fait erroné quant aux effets Grand Guignol, mais j'étais loin du "conte", une bande dessinée anarchiste se pliant parfaitement à l'adaptation sur grand écran avec des acteurs en chair et en os. Origami à grand spectacle, le film n'en demeure pas moins un excellent thriller politique qui se réfère astucieusement aux technologies en développement et à la crise mondiale initiée par les États Unis. La paranoïa sécuritaire ne peut entraîner que répression, désordre, pauvreté... et terrorisme. Le désespoir est son moteur comme la famine est celui des révolutions.
V for Vendetta est d'abord un roman graphique conçu en 1981 par Alan Moore et David Lloyd pour le mensuel Warrior. Ils s'inspirent du légendaire saboteur Guy Fawkes, justicier masqué, un des premiers anarchistes de l'histoire qui mourut sur l'échafaud en 1606. Fawkes avait tenté d'assassiner le roi James 1er en faisant exploser le Parlement où auraient été réunies la Chambre des Lords et celle des Communes. En Angleterre, chaque 5 novembre (le jour de mon anniversaire !), on le célèbre en brûlant des masques à son effigie, un inquiétant sourire totalement figé.
La comédie est une des armes préférées de V, il parle en alexandrins élisabéthains, jouent sur les v allitérés, porte cape et poignards et ridiculise le pouvoir. En prenant Fawkes pour modèle, V espère que le chaos suscité par ses actions terroristes finira par entraîner la chute du régime. Le scénario croise le romantisme flamboyant du passé avec les ressources des médias contemporains, en particulier leur prise de contrôle. "Nous trouvions tous que le roman graphique préfigurait de façon remarquable le climat politique actuel. Il montre ce qui peut arriver lorsqu'un gouvernement échappe au contrôle des citoyens" témoigne le réalisateur, James McTeigue. Il ajoute que son film, scénario des frères Andy et Larry Wachowski, les auteurs de la trilogie Matrix, est "centré sur un personnage noir, complexe et contradictoire. V est, d'un côté, un altruiste qui se croit capable d'amener de grandes réformes, et de l'autre, un tueur prêt à tout pour se venger de ses tortionnaires." L'action se passe à Londres dans quelques années, alors que l'Amérique du Nord sombre dans la misère et que l'Angleterre est aux mains d'un dictateur comme il en existe aujourd'hui autant de réels que de potentiels, un peu partout sur la planète. La France, avec ses Sarkozy et Le Pen, n'est évidemment pas à l'abri de telles dérives mortifères. En leur temps, Moore et Lloyd faisaient allusion aux dangers de la politique de Margaret Thatcher. Les frères Wachowski et James McTeigue font plutôt référence au complot "arrangé" du 11 septembre, manipulation digne de l'incendie du Reichstag.
Film baroque s'inspirant autant d'Orange mécanique, If, 1984 ou Fahrenheit 451 que de des personnages de Zorro et Batman, il rappelle surtout, sous bien des aspects, le premier épisode de Dark Angel tourné par James Cameron. Même s'il n'a pas le côté réducteur de nombreux films du genre et que nombreuses questions restent sans réponse, les conventions du film populaire laissent le spectateur à sa place, les poudres du complot orientant la mise en scène vers l'attraction foraine, le berceau du cinématographe. V alors comme Vérités et mensonges.
Le film a été distribué, entre autres, dans les salles IMAX (260 pour 38 pays), au format 15/70, dix fois la taille standard du 35mm et trois fois celle du 70mm. On pourrait ainsi penser que son succès contredit son propos, puisque, même critique, le cinéma américain tend au totalitarisme par son hégémonie. Alors comment résister ? Un soir de la semaine dernière, nous avons eu une longue discussion avec Pascale Labbé sur la nécessité de désobéir, morale qui sous-tend justement V for Vendetta. J'arguai de la difficulté de s'opposer à la manipulation collective pour la plupart d'entre nous puisque nous n'en avons pas conscience. Le réveil passe toujours par une rencontre ou un traumatisme. Les actes symboliques ont toujours joué le rôle de déclencheur pour embraser la colère. Même avec un stock considérable d'explosifs, il faut une mèche et un détonateur. Jusqu'où l'horreur devra-t-elle se répandre pour que les masses comprennent le sort qui leur est réservé, dans leur intimité chiffrée, et pour qu'elles ne succombent pas au fatalisme ou au pardon ? Au delà de cette question, on peut légitimement s'interroger sur la finalité de l'humanité.

vendredi 15 décembre 2006

Comme elle dérange, la compagnie des hommes


Depuis le 8 septembre, nous n'avions pas pris le temps de regarder le premier long métrage de Neil LaBute, En compagnie des hommes (à ne pas confondre avec le film d'Arnaud Desplechin, En jouant dans la compagnie des hommes). Les critiques étaient partagées entre le clan de ceux qui y voient un film misogyne et celui de ceux qui le prennent pour un brûlot féministe. Ce n'est ni l'un ni l'autre, LaBute s'en fiche, il dessine seulement un portrait lucide des hommes et de leur façon vicieuse de penser et d'agir, et comme tous ses films, il dérange. Les suivants mettront tous en scène le rapport de forces qui régit les deux sexes. Le remarquable The Shape of Things (Fausses apparences, 2003) est d'ailleurs le renversement exact de celui-ci (1997), une femme y manipulant un homme jusqu'à en faire sa chose, avec une structure du récit assez semblable. Cette fois, les têtes de chapitre sont ponctuées de percussions rituelles avec un sax free érectile. Les films de LaBute ne sont pas roses, ils sont même très noirs. La cruauté des rapports, le sadomasochisme qui les sous-tend, l'impuissance et le pouvoir sont des thèmes qui mettent forcément mal à l'aise le spectateur comme un Pasolini savait le faire. Je n'aime pas raconter un film ni le dévoiler, espérant que mes lecteurs iront le voir les yeux fermés et qu'il les leur ouvrira avec sa lame acérée de chien andalou. Il est probable que ce sont des films qui devraient plaire aux filles qui doivent chaque jour se fader la compagnie des hommes, mais il serait salutaire que les garçons apprennent aussi à se regarder dans le miroir du cinématographe. Et les rôles peuvent s'inverser !
Le film est vendu dans un coffret intitulé Le meilleur du cinéma indépendant américain du Festival de Deauville - Tome 1 (TF1 Vidéo) avec Maria pleine de grâce (plein de bonnes intentions, mais pouf pouf) et Les flambeurs (bof bof), deux films pourtant pas inintéressants, mais qui ne sont pas à la hauteur de l'œuvre d'un véritable auteur. Comme souvent avec des films qui n'ont pas su rencontrer leur public, l'affiche et surtout le slogan qui l'accompagne sont complètement idiots et ne réfléchissent pas du tout la réalité.

samedi 9 décembre 2006

Prégénérique de L'astre


OCÉAN - Extérieur nuit
1. Le pont d'un navire (plongée absolument verticale) : on ne voit ni ciel, ni océan, ni âme qui vive, on ne perçoit que le mouvement du tangage, impression d'abandon, de vaisseau fantôme, l'eau envahit le pont par les côtés.
Voix off. Alors les grandes paroles vinrent. Le grand message fut envoyé d'un continent à l'autre par-dessus l'océan. La grande nouvelle chemina toute cette nuit-là au-dessus des eaux par des questions et des réponses... Pourtant, rien ne fut entendu... Les grandes paroles passèrent inaperçues, ne troublant rien dans l'air au-dessus des vaisseaux chargés de marchandises, dans un ciel seulement remarqué à cause de ses étoiles plus grandes, et, au-dessus de la houle du large, elles passèrent dans un complet silence.
2. Le ciel trop étoilé comme la voûte d'un planétarium
Voix off. Une certaine nuit, ces mots, puis telles questions posées et la réponse à ces questions ; alors tout va tellement changer pour tous les hommes qu'ils ne se reconnaîtront plus eux-mêmes, mais en attendant rien ne change.

OCÉAN - Extérieur aube
3. Le pont
Voix off. Tout reste si tranquille, si extraordinairement tranquille sur les eaux, avec une aube qui se lève et devant sa belle couleur blanche fume la cheminée d'un grand navire qu'on ne voit pas.
4. À l'horizon le navire monte et descend les pentes faites par les vagues (il ressemble à une petite maquette)
Voix off. Par un accident survenu dans le système de la gravitation, rapidement la terre retombe au soleil et tend à lui pour s'y refondre : c'est ce que le message annonce... Toute vie va finir. Il y aura une chaleur croissante. Elle sera insupportable à tout ce qui vit. Il y aura une chaleur croissante et rapidement tout mourra. Et néanmoins rien encore ne se voit.
5. Fondu au noir (iris)
Voix off. Rien encore ne s'entend : le message lui-même à présent s'est tu. Ce qui devait être dit l'a été. Silence.

Adaptation d'après C.F.Ramuz.

mardi 5 décembre 2006

Mix-Up ou Méli-Mélo


Il est rare qu'une critique me fasse autant plaisir. Je me suis fixé une conduite de tout lire, tout écouter, mais ne jamais suivre aucun avis, car, pour peu qu'on vive assez longemps, l'on rencontre toujours quelqu'un pour aimer le vilain petit canard ou détester l'objet adulé. On sait aussi que peu importe la teneur, l'important est qu'on en parle. Notre "existence" en dépend.
Cette fois, je ne suis pas directement concerné, puisqu'il s'agit d'un article paru aujourd'hui dans les Cahiers du Cinéma sur le premier film de Françoise, sorti en 1985. Mix-Up ou Méli-Mélo, tourné en anglais, a rencontré un considérable succès aux États-Unis, mais n'a eu que très peu d'écho en France. Il avait été programmé sur Antenne 2 en semaine à 14h et les canards de télé étaient passés complètement à côté. Sa sortie en salles était également restée très confidentielle. Deux célèbres journalistes américains s'étaient entichés du film, Vincent Canby dans le New York Times, et Jonathan Rosenbaum, du Chicago Reader, qui n'hésita pas à classer Mix-Up comme "son film favori parmi son choix des dix meilleurs films en 1988" ! Dans 1000 Essential Films - Notes on the Top 100, Rosenbaum le classera encore parmi les 15 meilleurs films des années 80 aux côtés de Chris Marker, Ridley Scott, Jean-Luc Godard, Martin Scorcese, John Cassavetes, Alain Resnais... Comme cela arrive souvent, suivirent le Village Voice, le Los Angeles Times, etc. Récemment, Adam Hart réalisa un long entretien avec Françoise dans Senses of Cinema.
J'avoue avoir trouvé injuste et incompréhensible le black out hexagonal qui dure depuis vingt ans. J'ai rencontré Françoise Romand sans n'avoir vu aucun de ses films et je l'ai aimée. J'étais donc plutôt inquiet lorsqu'un soir, seul, je me suis risqué à projeter deux de ses films, malgré son interdiction formelle de les regarder à la suite ! Après avoir été estomaqué par l'invention, la sensibilité et l'originalité de Mix-Up, je ne pus résister à l'envie de découvrir Appelez-moi Madame, tourné l'année suivante. Aucun superlatif ne convaincra mes lecteurs sous la plume d'un rédacteur amoureux. Allez donc vous faire votre opinion vous-même, le dvd est distribué par Lowave. Sur son site, Françoise offre un extrait du synopsis en bonus inédit montrant que Mix-Up a été construit comme un film de fiction. Aucun de ses films n'obéit à la classification habituelle, tous jouent de l'ambiguité entre fiction et documentaire. Tous ont trait à la recherche de l'identité, jusqu'au plus récent, le dérangeant Thème Je qui cherche encore son circuit de distribution.
Depuis un an, je feuillette les Cahiers du Cinéma dans l'espoir qu'un journaliste signalera l'édition dvd de Mix-Up. C'est donc avec la joie du midinet que je reproduis ici l'article de Jean-Philippe Tessé.


Je pourrais encore ajouter que Mix-Up sortit trois ans avant La vie est un long fleuve tranquille d'Étienne Chatillez, que Tom Luddy proposa à Françoise de produire son prochain film pour Coppola, mais que les filles sont ainsi faites qu'elles laissent souvent passer les opportunités sans s'en soucier, que Françoise sait si bien mettre en confiance ses personnages qu'ils deviennent des camarades de jeu, les familles de Mix Up comme Ovida Delect dans Appelez-moi Madame, militant communiste, marié et père d'un adolescent, qui devient transsexuel à 55 ans, aidé par sa femme, ou les jumeaux des Miettes du purgatoire (court métrage pour l'instant interdit par la nièce de l'un d'entre eux) ou encore les élus de Dérapage contrôlé. On attend enfin avec impatience la programmation sur France 3 de Si toi aussi tu m'abandonnes, film sur l'adoption enfin débloqué après un conflit douloureux avec son producteur indélicat, un certain Serge Moati dont les propos furent hélas fortement contredits par sa pratique. Nous y reviendrons, mais il serait extraordinaire d'en projeter les deux versions, celle de la réalisatrice qui a fini par avoir gain de cause grâce au soutien de la profession et celle de la production, formatage télé exemplaire. Le premier est un film d'auteur tendre et critique, le second était un portrait à charge, engraissé d'un commentaire soporifique prenant les spectateurs pour des demeurés. Mix-up ou méli-mélo ?

lundi 4 décembre 2006

Du cinéma, je vous dis !


La vérité n'existe pas au cinéma. Encore moins qu'ailleurs. Posez une caméra où que ce soit. Quiconque se trouve devant l'objectif se met à jouer. La télévision a perverti le dispositif comme tout ce qu'elle touche. Interviewé, le moindre quidam se comporte instantanément en suivant de supposées conventions, apprises en regardant le petit écran. Les documentaires n'auront plus jamais la fraîcheur d'antan. Ou bien il faudra que le réalisateur assume sa responsabilité et dirige. C'est ce qu'il est censé faire, non ? Restent les histoires. Les plus invraisemblables sont le plus souvent tirées de faits divers réels.
Les personnages croisés dans True Stories sortent des pages du journal que lit David Byrne. C'est le chanteur et guitariste des Talking Heads. Il a composé la musique de True Stories, mais il l'a également mis en scène. On devrait écrire "mise en scènes", avec un s au pluriel, parce qu'on est au cinéma et qu'il y en a toujours beaucoup. C'est un film très personnel, un film musical qui ne ressemble à aucun autre, un livre d'airs qu'on feuillette, une collection de perles, de vraies perles, comme découpées dans le journal avec de bons ciseaux à papier. L'intrigue a peu d'importance. C'est un faux documentaire sur la petite ville de Virgil au Texas, 40 000 habitants, une fiction déguisée. La musique est américaine, les portraits incroyables. David Byrne tient le rôle principal, une sorte de guide et de narrateur. Tourné il y a vingt ans, True Stories est au croisement de la comédie musicale et de l'enquête sociologique. J'ignore s'il est sorti en France. Je viens de le voir en v.o. sans sous-titres, un dvd zone 1 que les amateurs de rock et ceux de cinéma devraient écouter-voir. Les histoires vraies comme celles-ci réfléchissent le monde en mouvement bien mieux que les actualités qui se répètent inlassablement. Faits divers et rock'n roll. Du cinéma, je vous dis !