70 Cinéma & DVD - avril 2007 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 20 avril 2007

Jerry Lewis en cascade


Avalanche de dvd de ou avec Jerry Lewis. Ayant réussi à dégotter une copie de Cracking Up (également appelé Smorgasbord), le dernier long métrage qu'il réalisa en 1983, j'ai eu immédiatement envie de voir d'autres films que ceux parus en France. J'ai donc commandé sur Amazon deux coffrets et trois disques isolés, sachant qu'il paraîtrait plusieurs autres films d'ici fin mai. Le premier coffret réunit huit des premiers films du tandem formé avec le crooner Dean Martin (1949-53), scènes amusantes, mais évidemment pas à la hauteur des films réalisés plus tard par Lewis lui-même. Les quatre dvd du second présentent leurs shows télévisés et At War with the Army (La terreur de l'armée) (1950). On voit que Jerry avait déjà son personnage, mais ce n'était encore que grimaces et destruction. Les sketchs sont entrecoupés de longs spots publicitaires et les invités sont bien ringards. Les trois autres films sont The Delicate Delinquent (Le délinquant involontaire) (1957), The Disorderly Orderly (Jerry chez les cinoques) (1964) que je cherchais depuis longtemps et Funny Bones (Les drôles de Blackpool), un film de Peter Chelsom (1995) que Françoise m'a assuré être hilarant. Les prix sont suffisamment bas pour que je me risque à acheter des films (zone 1 dont peu avec sous-titres français) plus intéressants historiquement que vraiment amusants. J'y reviendrai lorsque j'aurai tout regardé ! Et écouté... car les films de Jerry Lewis, metteur en scène de génie, à l'égal d'un Chaplin, Tati ou Etaix, recèlent souvent des moments de rare intelligence sonore. Pour The Bellboy il inventa l'assistance vidéo qui permet au réalisateur de suivre l'action sur un petit écran. Si mon préféré reste The Nutty Professor (Docteur Jerry et Mister Love), Cracking Up m'a décoincé les zygomatiques et j'en avais bigrement besoin ! Dans ce film où Jerry va chez le psychanalyste, la scène d'ouverture est absolument géniale.

lundi 16 avril 2007

Si toi aussi tu m'abandonnes


C'est une sale histoire : comment une œuvre d'auteur devient un produit formaté pour la télé ; comment, malgré un procès gagné contre un producteur indélicat, le "final cut" du réalisateur est bafoué par le mépris des décideurs, de ceux qui s'arrogent de penser à la place du public. Le film diffusé n'est pas de Françoise Romand.
Résumons. Françoise Romand réalise Si toi aussi tu m'abandonnes, un film sur l'adoption internationale, en faisant le portrait d'un jeune Colombien adopté par une pieuse famille française. Le film terminé ne plaît pas à France 3 parce qu'il n'impose pas "une" lecture mais qu'il joue de ses ambiguïtés, posture incompatible avec la "politique" actuelle des chaînes. Françoise, bonne fille, entend les critiques et rectifie son montage, mais refuse d'ajouter un commentaire qui prend les spectateurs pour des débiles à qui il faut tout expliquer, comme le lui ordonne le puissant Serge Moati, patron d'Image et Compagnie, la société de production. Elle ne souhaite pas non plus interviewer les "spécialistes" tel le directeur de la DDASS ou je ne sais quel psy de service. Elle résiste également à couper la scène du cauchemar de José qu'elle a demandé au plasticien Nicolas Clauss d'illustrer en animation Director. Françoise a toujours fait entrer la fiction, la mise en scène, dans ses documentaires (Mix-Up ou Méli-Mélo, sorti en dvd chez Lowave, Appelez-moi Madame, Les miettes du purgatoire, un autre film interdit de Françoise qui ébrèche la religion, ou Thème Je en sont de brillants témoignages). Elle n'a jamais non plus écrasé ses films avec le moindre commentaire. La production réclame 23 884,01 euros pour faire modifier le film par une autre réalisatrice, mais Image et Compagnie est heureusement déboutée, Françoise se battant sur le fait que son film est fini et que la manip reviendrait à court-circuiter le final cut cher à l'exception culturelle française. La Scam prend en charge les frais d'avocat ; Agnès Varda, Gérard Mordillat, Marcel Trillat, Pascale Dauman, Jean-Pierre Thorn, Ange Casta et le monteur Julien Basset témoignent en sa faveur. De la partie adverse, Serge Moati est cité comme unique témoin !! Après deux ans d'emmerdements, le jugement accorde le droit moral à la réalisatrice et des dommages et intérêts, il est vrai, très symboliques, officiellement elle a gagné le procès.
La semaine dernière, sans l'avertir, France 3 diffuse le film dans le cadre de "La case de l'Oncle Doc" (la référence à l'Oncle Tom, le collabo par excellence, n'est pas inintéressante). Stupeur et tremblements, c'est la version Image et Compagnie qui passe à l'antenne ! La musique que j'ai composée est remplacée par celle du compositeur de Ripostes (évitant ainsi tout conflit avec la Sacem), les animations de Clauss sont pratiquement toutes supprimées (prétexte initial de la chaîne : "c'est pour Arte, on dirait du Michaux"), mais surtout le sens du film est totalement modifié. Là où Françoise montre de la compassion pour son personnage, la version Image et Compagnie en dresse un portrait à charge. Là où Françoise montre les responsabilités de la famille d'adoption qui a d'ailleurs refusé d'être filmée, on se dit que les parents n'ont vraiment pas eu de chance de tomber sur un enfant violent ; cela ne donne certainement pas envie d'adopter un gamin ! Dans la version diffusée, tous les entretiens avec José tournés à l'église ont été expurgés, tiens tiens (je les avais sonorisés aux grandes orgues de Sainte Elisabeth). Les accointances avec les Scouts d'Europe ont ainsi été gommées. Par contre, nombreux nouveaux témoignages chargeant le jeune Colombien ont été ajoutés. Pas assez puisque la version diffusée ne fait que 45 minutes malgré les documents d'archives abondants et insignifiants qui jalonnent la chose. La commande initiale était évidemment de 52 minutes, durée du film de Françoise. Il faudrait rentrer dans les détails du jugement pour comprendre comment le producteur et la chaîne prétendent contourner le droit de la réalisatrice en diffusant un film honteux, tant dans les méthodes employées que dans le résultat.
Le film de Françoise, le seul "auteurisé", est une œuvre de création où le travail sur le son, l'image et le montage est exemplaire. C'est le portrait complexe d'un jeune homme prisonnier d'une toile d'araignée aux ramifications sociales passionnantes qui, sans doute, sont à l'origine de sa personnalité acquise, tandis que la version formatée présente un reportage affligeant, banal, ennuyeux, qui laisse croire que la cause de la violence de José vient de ses racines lointaines... La comparaison entre les deux devrait faire l'objet d'une analyse dans toutes les écoles de cinéma et les débats citoyens, car c'est la démonstration éclatante de ce qu'est le formatage. Des documentaristes se sont d'ailleurs récemment réunis au sein du ROD, le Réseau des Organisations du Documentaire, pour dénoncer le formatage de leurs films et assurer la pérennité et l’essor du documentaire sur les chaînes des télévisions publiques. "Dénonçant la politique affichée et officielle (c'est pas courant de voir cela noir sur blanc) de France Télévision d'influencer ses réalisateurs et scénaristes de documentaires dans le sens du poil du public, pour qu'il ne zappe pas... Tout leur site est un appel à la réflexion sur le thème de la difficulté de réaliser des documentaires de création aujourd'hui (merci Antoine pour ce lien précieux)." À suivre.

dimanche 8 avril 2007

Le film des films


Les Histoire(s) du cinéma paraissent enfin. Le feuilleton se clôt sur une ouverture, la parution en France du coffret de 4 dvd tant attendus (Gaumont, sous-titres anglais). J'ai écrit trois précédents billets sur la saga godardienne : d'abord le 6 juin au moment où les courts métrages avec Anne-Marie Miéville sont sortis chez ECM, puis le 19 juillet lorsque je me suis découragé et enfin le 14 septembre quand j'ai craqué pour l'édition japonaise. Voilà c'est là ! Ces Histoires contredisent-elles Eisentein puisqu'elles représentent une somme plus qu'un produit ? Le film des films. Intelligence et poésie. Le piège et la critique. Identification et distanciation. Lyrique autant qu'épique. Les ultimes soubresauts d'une cinéphilie née avec les Lumière et qui n'en finit pas de s'éteindre avec le nouveau siècle.


Cette version française n'abrite pas l'admirable index obsessionnel des japonais, mais si l'on ne lit pas cette langue cela ne sert hélas pas à grand chose. Dommage que Gaumont ni JLG ne l'aient reproduit, chaque document y est indexé et accessible instantanément, une sorte d'hypertexte à la manière d'Internet, pour chaque citation, musique, texte, film... Ils ont par contre ajouté trois suppléments. D'abord 2 x 50 ans de cinéma français, 50 minutes où Godard, avec la complicité de Miéville, fait péniblement la leçon à Michel Piccoli, mais où il montre aussi comment la consommation immédiate de produits culturels ne fait pas le poids devant l'histoire. Les images sont parfois remplacés par un carton, NO COPY RIGHT, révélant probablement le compromis ayant permis que les Histoires voient le jour. Il faudra que je vérifie si l'édition française de son chef d'œuvre a été également expurgé de certaines séquences pour cette déraison. Je n'ai encore regardé que les suppléments qui sont plutôt des compléments.
Deux conférences de presse cannoises, la première de 1988 intitulée La télévision, la bouche pleine, la seconde de 1997, Raconte des histoires, mon grand, complètent le tableau de manière éclatante.

samedi 7 avril 2007

Chris Marker et les syndicats


Comment se fait-il que l'on trouve si peu de films de Chris Marker en dvd ? Son remarquable cd-rom, Immemory, est-il encore accessible aujourd'hui ? À l'époque où la création interactive semblait avoir de beaux jours devant elle, ce fut l'un des rares objets l'on pouvait consulter sans avoir l'impression de perdre son temps. En dvd, il y a les doublés Sans Soleil et La jetée, Le tombeau d'Alexandre consacré à Medvedkine couplé avec Le bonheur, il y a Chats perchés inédit au cinéma avec Le Bestiaire (Arte Vidéo), Une journée d'Andreï Arsenevitch dans le Cinéma de notre temps consacré à Tarkovsky (mk2), AK sur le tournage de Ran de Kurosawa avec Le Château de l'Araignée (Arte), sa participation aux Groupes Medvedkine (ed. Montparnasse), c'est à peu près tout. Rien que des couples, des face à face, des regards sur, la dialectique. Mais des films Le joli mai, Le fond de l'air est rouge, Level Five et tant d'autres, aucune trace, pour l'instant. Tous sont d'une intelligence et d'une sensibilité prodigieuses. Marker, à l'égal d'un Godard, nous exhorte à réfléchir, à repenser le monde, relire le passé, imaginer l'avenir.

Je découvre ce matin un film de dix minutes commandé par la CFDT (en 1984, le syndicat n'avait pas encore vendu son âme au patronat) pour la télévision à l'occasion du 100ème anniversaire de la législation des syndicats. C'est encore plus intéressant de regarder 2084 aujourd'hui, avec le recul du temps. Le temps, c'est ce qui passionne les grands penseurs et les réalisateurs que je préfère. Le temps plus que les hommes. J'ai hésité à écrire sur Muriel ou le temps d'un retour d'Alain Resnais, Resnais avec qui Marker a tourné Les statues meurent aussi et dont il fut l'assistant pour Nuit et brouillard, mais ce sera pour un autre jour, même si Muriel est l'un de mes films préférés, indémodable, la référence cinématographique par excellence, l'art du montage, le son... Au moment où les Français se posent des questions sans réponse sur les prochaines élections, un retour sur le rôle des syndicats m'a semblé indice pensable. Retour vers le futur.

Il y a un problème sur ma base de données, je n'arrive plus à mettre un film venant de dailymotion en ligne sans que ça fasse tout planter, alors pour voir le film, je ne vois aujourd'hui qu'une solution : cliquer ici.

jeudi 5 avril 2007

Qu'est-ce que c'est


Pour From the Journals of Jean Seberg (1995), Mark Rappaport utilise le même système que pour Rock Hudson's Home Movies en choisissant une actrice qui joue le rôle de la disparue commentant sa vie et ses films à la première personne du singulier comme si elle était encore vivante. Eric Farr interprétait Hudson comme si le comédien n'avait pas vieilli, parlant depuis la tombe, éternellement jeune. Mary Beth Hurt joue donc le rôle de Jean Seberg à l'âge qu'elle aurait si elle ne s'était pas suicidée en 1979, elle est en fait née dix ans plus tard, mais dans la même petite ville de l'Iowa. Si les films remportaient un succès populaire, on imagine les énormes problèmes que rencontrerait le réalisateur à la vue du nombre d'extraits empruntés cavalièrement : ils sont le corps même du récit. Son dernier long métrage, The Siver Screen: Color Me Lavender (1997), obéit au même processus comme son dernier court, John Garfield, figurant en bonus sur le même dvd. Le provocateur The Silver Screen débusque l'homosexualité cachée dans les films holywoodiens avec beaucoup d'humour tandis que Garfield révèle la carrière d'un acteur juif black-listé pour ses positions politiques. Tant qu'une œuvre ne rapporte pas grand chose les ayants droit ne se manifestent pas, c'est en général la règle, mais cela peut bloquer l'exploitation des films dans des pays plus tatillons que d'autres. Les cut-ups littéraires, les Histoire(s) du cinéma de Godard (parution encore annoncée en France pour les prochains jours), les œuvres de John Cage, les radiophonies du Drame (Crimes Parfaits dans les albums À travail égal salaire égal et Machiavel, Des haricots la fin dans Qui vive ? ou Le Journal de bord des 38ièmes Rugissants) sont soumis pareillement à ces lois. Avant que le sampling ne devienne un style lucratif (particulièrement en musique, dans le rap et la techno), les œuvres de montage étaient moins sujets à blocage et leur statut de nouvelle création à part entière a pu être reconnu en leur temps.
Jean Seberg ne mâche pas ses mots pour commenter amèrement sa carrière depuis le casting raté de Sainte Jeanne en 1957 où elle joue le rôle de Jeanne d'Arc dirigée par le sadique Otto Preminger jusqu'aux films de son mari, l'écrivain Romain Gary, qui ne la traite guère mieux, la faisant jouer dans des rôles bien tordus. Elle doit sa gloire au premier long métrage de Jean-Luc Godard, À bout de souffle, et à un diamant noir, Lilith de Robert Rossen où elle interprète une nymphomane dans une clinique psychiatrique, séduisant un infirmier débutant joué par Warren Beatty. Le film, bouleversant, est à découvrir toutes affaires cessantes. Rappaport lui fait comparer sa carrière et ses engagements politiques à ceux de Jane Fonda et Vanessa Redgrave. Seberg, engagée aux côtés du Black Panther Party, subit les attaques de Hoover et va jusqu'à exhiber son bébé mort-né dans un cercueil de verre pour prouver que le père n'était pas l'un d'eux. Rappaport ne se fixe pas uniquement sur elle, en profitant pour écorner l'image holywoodienne de maint personnage. Les séquences de la comédie musicale western Paint Your Wagon avec Lee Marvin et surtout Clint Eastwood ne sont pas piqués des hannetons. Le portrait est donc corrosif pour le monde qui l'entoure et terriblement déprimant en ce qui la concerne. Tout aussi éloquentes, les scènes qui, outre l'original, tournent autour de l'effet Koulechov, sont savoureuses ! Les films de Rappaport possèdent tous la même originalité avec leurs arrêts sur image où le réel reprend ses droits sur la fiction comme si les deux procédaient de la même histoire.