En introduction de son entretien avec Louis Ferdinand Céline, Louis Pauwels annonce d'emblée l'ambiguïté de l'écrivain, pitoyable chantre de l'antisémitisme dans Bagatelles pour un massacre, mais romancier de génie dès son Voyage au bout de la nuit. Car Céline, c'est le style, le style qui ne s'acquiert pas sans mal, sans un long travail acharné ! Il fait passer le langage parlé dans une écriture qui swingue littéralement, et ses "grands entretiens" enregistrés de 1957 à 1961 sont de fascinants témoignages de l'originalité de l'artiste, ici un groove quasi jazzy, comprendre une manière unique de phraser, à la fois précise et balbutiante, presque bègue. Il est peu de voix qui emportent par leur musique (Godard, Lacan, Cocteau...), celle de Céline nous entraîne dans le chaos fait homme.
On connaissait son Anthologie en double cd parue chez Frémeaux, exceptionnel témoignage de son art. Michel Simon, Pierre Brasseur (Voyage au bout de la nuit) et Arletty (Mort à Crédit) y lisent des extraits de ses livres, tandis que Céline lui-même chante deux chansons qu'il a écrites.
Le premier des deux dvd du coffret Céline vivant, à paraître le 16 octobre, offre trois entretiens bouleversants de chacun 19 minutes, dans leur intégralité, auxquels s'ajoutent un enregistrement sonore inédit de Céline corrigeant un extrait de Nord, le seul où il lit un de ses textes. Le second dvd comprend un témoignage d'Elizabeth Craig, grand amour de Céline et dédicataire du Voyage au bout de la nuit, et surtout le long documentaire D'un Céline, l'autre de Yannick Bellon et Michel Polac où figurent Lucette Destouches (la femme de Céline), Michel Simon, le Dr Villemin (son médecin), René Barjavel, Michel Audiard, Jean Renoir, Pierre Lazareff… Un fascicule de 38 pages rédigé par Émile Brami accompagne le tout.
La diction de l'auteur est si absorbante, sa franchise si rare, son amertume si douloureuse, ses intentions si claires, que l'ensemble s'avale d'un trait, jusqu'à plus soif, sauf celle de le lire ou le relire. À Pierre Dumayet, il confie son désir de retourner à la médecine ; à André Parinaud, il déclare « avoir décidé d’écrire pour acheter son appartement », à Louis Pauwels, entre ses chiens et son perroquet, à son bureau sur lequel sont posés ses 80 000 feuillets qu’il assemble avec des pinces à linge, il affirme : « Je serai content quand je mourrai, je ne suis pas un être de joie ».

Les Éditions Montparnasse poursuivent ainsi leur collection "Regards" entamée avec l'indispensable "Abécédaire de Gilles Deleuze", "Edgar Morin, regard sur Edgar" et d'autres sur et avec Jean-Paul Sartre, Norman Mailer, Raymon Aron, René Girard, Claude Lévi-Strauss, etc. Dans leur planning de sortie, je note le coffret Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, premier volume où figurent outre les premiers Machorka-Muff et Non réconciliés, tous les films inspirés directement par la musique d'Arnold Schönberg : d'abord l'époustouflant opéra Moïse et Aaron dirigé par Michael Gielen et tourné dans le désert avec les chanteurs en direct, l'Introduction à la Musique d'accompagnement pour une scène de film et le second opéra Von Heute auf morgen. En novembre, paraîtra un coffret Fernand Deligny avec, entre autres, Le moindre geste qui conte la fugue de deux adolescents évadés d'un asile psychiatrique, un film d'une sensibilité rare où s'entendent les bruits de la vie.