70 Cinéma & DVD - mars 2008 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 25 mars 2008

Films en (re)vue


À une époque où je sortais plus que je n'accumulais, je fonçais voir les nouveaux films le mercredi, voire même à la séance de 14 heures pour être certain de ne rien avoir entendu auparavant qui risque d'influer sur mon appréciation. Je ne lis d'ailleurs jamais aucune critique avant de m'être fait ma propre opinion et j'évite autant que je peux de déflorer les films dont je parle dans mes billets ou mes articles (pardonnez-moi ci-dessus l'extrait du film de Maïwenn). Il m'arrive de temps en temps de me laisser entraîner au Cin'Hoche, la salle d'art et essai municipale de Bagnolet qui passe une excellente sélection de films récents en version originale, mais le plus souvent je les découvre sur mon écran dans la salle de cinéma que je me suis construite il y a déjà huit ans. J'attends souvent qu'ils passent sur les chaînes satellite auxquelles je suis abonné, et si je ne peux pas résister à la tentation, je les commande sur des sites américains, le taux du dollar étant actuellement si bas qu'ils donnent chaque fois l'impression de faire une affaire.
Tout ce préambule pour expliquer que j'ai regardé quelques gros films populaires à commencer par Redacted de Brian de Palma que m'avait conseillé Jean Rochard qui s'était rattrapé de son énervement contre le petit dernier des frères Coen (rien d'étonnant, je suis moi-même peu friand de leur maniérisme brutal). Redacted commence par un remarquable générique en forme de caviardage, la censure transformant sans cesse le sens de la phrase sans que l'on n'ait vraiment le temps de lire, mais seulement de deviner. La suite est un astucieux montage de séquences comme filmées par des équipes différentes, sous des angles choisis, film amateur en dv, documentaire à la française, télé américaine, diffusion de scènes scandaleuses sur le Web, caméra de surveillance, etc. La guerre en Irak est traitée avec un regard acéré et critique sans aucune concession à la politique bushienne. De Palma montre surtout qu'aujourd'hui plus aucun événement n'échappe à sa surexposition, qu'il soit (plus ou moins) réel ou totalement fabriqué. Au delà de ce film, seule la culture politique (voire cinématographique, mais ce souhait est encore plus improbable !) de chaque spectateur lui permettra de comprendre toutes les situations surmédiatisées et de faire peut-être le tri entre le bon grain et l'ivraie.
Je ferais mieux de taire Bienvenue chez les Ch'tis dont la lourdeur n'a d'égal que la vulgarité, racisme et homophobie aidant, Juno dont la légèreté morale est suffocante, avec scénario, pourtant oscarisé, d'une convention et d'une platitude achevée, ainsi que The Darjeeling Limited de Wes Anderson dont les précédents m'avaient été encensés par une bande d'étudiants américains et qui se révélèrent être en effet de grosses couillonnades potaches dont le succès critique m'épatera toujours, sans parler de l'esthétisant et soporifique The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford d'Andrew Dominik qui ressemble à du James Ivory au Far West (ce qui me rappelle que j'ai commencé à regarder le film muet de Koulechov, Mr West au pays des Soviets, mais je ne sais pas si la curiosité me tiendra en éveil non plus jusqu'au bout...). Grosse déception avec There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson dont j'avais apprécié essentiellement Magnolia, grande fresque pétrolifère d'un classicisme achevé où l'on ne reconnaît nulle part la personnalité de P.T.Anderson, pas plus que l'on n'est épaté par la direction d'acteurs qui le caractérisait dans ses précédentes œuvres.
Je préfère largement The Host du coréen Bong Joon-ho (Bong est le nom de famille), film de monstre plein d'humour et de clins d'œil acerbes sur la pollution, les origines des virus, le SRAS, l'ingérence américaine et les manipulations médiatiques (on y revient toujours !). Le scénario repose sur un accident réel, survenu en 2000. Le film a incité les écologistes de Corée du Sud à demander une enquête sur la pollution causée au pays par les bases militaires américaines : Albert McFarland, un entrepreneur de pompes funèbres travaillant pour les forces américaines en Corée, qui aurait ordonné en 2000 le déversement de formaldéhyde dans la rivière Han qui traverse Séoul, fut condamné à deux ans de suspension et mis en liberté sous caution, voir le détail des références difficiles à comprendre par un occidental sur Wikipédia). Sous ses fausses allures de film d'épouvante, nous assistons à une comédie politique (c'est le plus gros succès coréen de son histoire avec 13 millions de spectateurs !).
Je terminerai par deux films nettement plus stimulants que l'ensemble sus-cité, le premier vu à la télé, soit Pardonnez-moi de Maïwenn Le Besco, le second découvert grâce à la Scam, soit le documentaire de Mosco Boucault, Roubaix, commissariat central, affaires courantes. Ces deux films posent la question de la véracité : comment Maïwenn réussit-elle à tourner avec tant de naturel alors qu'elle joue plus ou moins son propre rôle et comment Boucault arrive-t-il à filmer des individus dont le témoignage risque de leur porter préjudice ? Roubaix suit les enquêtes d'un commissaire new look en proie à la misère des petites gens. À la méthode manipulatrice des interrogatoires policiers répondent les mensonges des suspects. Aux termes de l'enquête les assassins seront piteusement démasqués. C'est très fort, on en reste bouleversé longtemps après que l'on ait rallumé la salle. Même constat avec Pardonnez-moi, stupéfiant règlement de compte familial qui joue également du filmage comme élément scénaristique. Son auteure sera-t-elle capable de relever son nouveau défi de filmer ''le bal des actrices'', sa seconde fiction documentaire actuellement en fabrication ? Face à l'industrie étatsunienne, l'artisanat local a de beaux jours devant lui, ça résiste bien !

dimanche 23 mars 2008

Traité de bave et d'éternité


Enfant, j'entendais mes parents parler d'un poète avec un nom qui sonnait bizarrement musical et dont le style onomatopique résonne encore à mes oreilles comme mon père imitait la poésie lettriste. Dans les années 50, Isidore Isou, comme Boris Vian, rédigeait des petits textes grivois pour une revue légère dont mon père s'occupait. Ni l'un ni l'autre ne signaient ces petites choses destinées à arrondir leurs fins de mois. Il est probable que les singeries musicales paternelles m'influencèrent plus tard dans mon goût pour les allitérations et la musique contemporaine !
Dans le volume 2 de l'Anthologie "Avant-garde" éditée en double dvd par Kino à partir de la collection Raymond Rohauer (édition américaine multizones lisible sur un lecteur dvd français, sous-titres anglais non optionnels), je découvre enfin le Traité de bave et d'éternité de l'inventeur du lettrisme, aux côtés d'un magnifique Paul Léni, Rebus-Film n°1, d'un des deux films de Jean Epstein que j'ai maintes fois mis en musique avec le Drame, La chute de la Maison Usher (l'autre, La glace à trois faces, figure avec Le tempestaire sur le Volume 1), du Pacific 231 de Mitry avec la musique d'Arthur Honegger, et de films de Willard Haas, Marie Menken, Sidney Peterson, James Broughton, Gregory J. Markopoulos, Dimitri Kirsanoff et Stan Brakhage que je n'ai pas encore eu le temps de regarder. Le volume 2 couvre la période 1928-1954.
Les deux premiers tiers du film de deux heures d'Isidore Isou (1951, une version expurgée de 78 minutes figure sur ubu.com) est une déambulation dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés tandis que le poète, devenu cinéaste pour l'occasion, déballe une loghorrée de provocations incisives et mégalomaniaques, critiques explosives du cinéma bourgeois anticipant le situationnisme de Debord, humour dévastateur qui trouve son apogée dans la dernière partie où les outrages graphiques à la pellicule sont enfin accompagnés de poésie lettriste. Le film fait partie de ces objets rares, culte pour certains, dont on a entendu parler, mais qui furent longtemps difficiles à voir ou entendre, comme Pour en finir avec jugement de dieu d'Antonin Artaud ou Radiophonie de Jacques Lacan, comme le film La dialectique peut-elle casser des briques ou maints chefs d'œuvre du cinéma expérimental.

vendredi 21 mars 2008

Themroc, c'est pas de l'amour, c'est de la rage !


THEMROC de Claude Faraldo est diffusé ce soir sur ARTE à 23h30.
Le film, sorti en 1972 et difficilement visible depuis, a laissé un souvenir inoubliable à tous les jeunes gens de l'époque.
Michel Piccoli y est grandiose.
Une fable anarchiste sauvage, dialogue inintelligible, avec la troupe du Café de la Gare, mais passé l'extrait vidéo dans le métro, je vous laisse découvrir ce film qui ne ressemble à aucun autre. L'année précédente, Claude Faraldo, récemment disparu, avait réalisé Bof... Anatomie d'un livreur dont Jean Guérin avait signé la musique avec les camarades Bernard Vitet et Jean-Louis Chautemps. Ici le son d'Harald Maury a évidemment la part du lion... Bonne soirée !

mardi 11 mars 2008

Toot, Whistle, Plunk and Boom


Si Lucie me conseille ce film de Walt Disney tourné en 1953, c'est qu'il présente l'évolution des instruments de musique à travers les âges. Pourquoi une trompe s'enroula sur elle-même et fut affublée de pistons devenant la trompette, comment les instruments à anche gagnèrent leurs clefs, etc. Et ça fait Toot, Whistle, Plunk and Boom, alors que je devrais être soit en train de me reposer après la journée de folie que nous avons passée samedi à ne pas réussir à boucler le Journal des Allumés, soit à m'entraîner en vue des "répétitions" pour les concerts de jeudi (avec Donkey Monkey au Triton) et vendredi (avec Nicolas à L'Échangeur).
Je dois réécouter quelques morceaux enregistrés par les deux filles et préparer les modules musicaux que je projetterai sur la surface blanche située au-dessus de moi. J'ai retrouvé le vieil écran perlé de mon père, une longue boîte allongée d'où il se déplie sur ses bras articulés avec une odeur chimique qui m'a toujours fait tourner la tête. Elsa m'apportera son PowerBook la veille, car FluxTunes ne tourne pas correctement sur les puces Intel. Il ne s'agit pas de répétitions à proprement parlé, mais de mises en place, tests d'alliages de timbres et de quelques principes nous permettant d'improviser librement. Idem avec Nicolas avec qui j'interprèterai un duo à partir des œuvres Jumeau Bar, White Rituals et L'ardoise.


Un autre petit film d'animation de la même année présente "la mélodie". Même professeur hibou, même choeur des élèves et le graphisme est aussi réussi. Il est intéressant de noter que ce fut le première tentative 3D de Disney, même si la version présentée est hélas en 2D. Ces deux films n'appartiennent pas à l'excellente et indispensable collection des Silly Symphonies sortie en DVD à l'origine sous boîtier métallique. Lucie m'indique enfin le blog Cartoon Modern dont l'auteur livre des images passionnantes de cette période...

lundi 3 mars 2008

Quelques DVD vus et entendus


Au retour des vacances, nous avons bondi sur Ratatouille pour nous remettre à la cuisine française et au cinéma américain, c'est drôle, fin et ça se regarde sans faim (Jonathan Rosenbaum m'a confié l'avoir glissé dans son Top10 !). Mon grand-père disait que c'est lorsque l'on n'a plus faim que cela devient intéressant, parce que l'on ne mange plus que par gourmandise. Cuisine de l'amour, amour de la cuisine...
Le documentaire We Feed The World fait l'effet inverse (Éditions Montparnasse). Le message est clair : sus au gâchis et à la mondialisation assasine ! Dans les années 70, j'ai composé la musique du film L'avenir du futur de Marcel Trillat que Brigitte Dornès monta et dont elle soigna particulièrement la bande-son comme à son habitude. Beau cadeau qu'elle me fit ! Albert Jacquard, je crois, y racontait qu'il faut 7 kg de protéines végétales pour constituer 1 kg de protéines animales, donc nos porcs affament le Tiers-Monde en consommant ses céréales. Le message est clair, on pourrait largement nourrir toute la planète, au lieu de laisser crever de malnutrition 17 000 enfants par jour. De nouveaux réflexes s'imposent. Le film explique bien les mécanismes économiques inadmissibles qui sont à l'œuvre, même si sa réalisation reste plan-plan. L'entretien avec Jean Ziegler figurant en bonus et l'intelligent petit livret qui l'accompagne sont carrément plus éloquents. L'image des serres, où l'on cultive toutes sortes de fruits et légumes hors saison, qui recouvrent le sud de l'Espagne aux abords d'Almeiria, restera pourtant gravée dans nos mémoires. Froid dans le dos. Quitte à aborder un tel sujet, je préfère L'île aux fleurs, court-métrage nettement plus inventif.


Côté dessins animés, Persépolis est évidemment plus costaud (TF1 Vidéo). L'adaptation de la bande dessinée de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud est parfaitement réussie, même si je préfère la version du bouquin qui recèle tellement plus de détails bouleversants. Le film est remarquable et devrait être vu bien au delà de ses qualités graphiques. La résistance de la jeune héroïne est exemplaire, face à son pays, à sa famille, à sa recherche d'elle-même. Chiara Mastroiani et surtout Danielle Darrieux (90 ans, pas croyable !), qui ont prêté leurs voix, y sont absolument géniales, la prestation de Catherine Deneuve est plus fade. À voir et revoir. Comme les 16 courts-métrages Pixar présentés chronologiquement, autant de petites merveilles d'intelligence drôlatique. Le studio, qui a aussi produit Ratatouille, aborde toujours les concepts moraux de manière habile. Monstres et Cie reste d'ailleurs un de nos longs-métrages préférés produits par le studio dirigé par Steve Jobs, le type à la Pomme.


Les deux films fantastiques réalisés par Georges Franju, couplés dans le coffret des Cahiers du Cinéma, sont très inégaux. Si Judex nous emballe, Les Nuits Rouges sont une catastrophe. Le Black Book de Paul Verhoeven (Fox pathé Europa) est un excellent thriller d'espionnage, même si les derniers plans affadissent le film, aussi horripilants que la fin de La liste Schindler. A-t-on toujours besoin de rapprocher la Shoah de l'État d'Israël ? L'Histoire ne justifie nullement la politique colonialiste engendré par le sionisme. Je regarde Le temps du ghetto, premier long-métrage de Frédéric Rossif (1961, Éditions Montparnasse), images époustouflantes de Varsovie tournées par les Nazis, documents rares à couper le souffle, passionnant.

Plus anecdotique, Let the Sunshine In (Arte Vidéo) rassemble quelques pépites sur les représentations de la comédie musicale Hair avec une tripotée de bonus sur les hippies, le féminisme, des concerts filmés par Philippe Garrel, etc. Plus dérangeant, le second volume des films de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub rassemble leurs films "italiens" (encore Éditions Montparnasse). Je suis curieux de revoir De la nuée à la résistance, Fortini/Cani et de découvrir Sicilia ! pour constater si mon regard a changé. En lisant le livre que Noël Burch paru chez L'Harmattan, je suis pris de doutes. Son De la beauté des latrines honnit ce qu'il a encensé au profit d'une culture populaire selon le principe que le cinéma d'auteur et la cinéphilie riment fondamentalement avec machisme. C'est très intéressant, mais je crains qu'à vouloir démontrer son point de vue politique original, pourfendant le haut-modernisme et le formalisme, la théorie de Noël n'apparaisse comme une nouvelle doctrine. Le cinéma a beau être une vaste entreprise fabriquée par et pour les mâles reléguant les femmes au rang d'objets de désir, ne peut-on apprécier les films pour des raisons variables, inégales, injustes, partiales, formelles ou politiques ? Certains cinémas méritent certes d'être boycottés, mais je reste attaché à la complémentarité et au pluralisme, recherchant mon plaisir dans une démarche polymorphe parfois critiquable, mais si jouissive. Sa démarche a le mérite d'insister sur le sens des œuvres et donc sur ce qu'elles impliquent comme manipulation invisible des consciences.