Au retour des vacances, nous avons bondi sur Ratatouille pour nous remettre à la cuisine française et au cinéma américain, c'est drôle, fin et ça se regarde sans faim (Jonathan Rosenbaum m'a confié l'avoir glissé dans son Top10 !). Mon grand-père disait que c'est lorsque l'on n'a plus faim que cela devient intéressant, parce que l'on ne mange plus que par gourmandise. Cuisine de l'amour, amour de la cuisine...
Le documentaire We Feed The World fait l'effet inverse (Éditions Montparnasse). Le message est clair : sus au gâchis et à la mondialisation assasine ! Dans les années 70, j'ai composé la musique du film L'avenir du futur de Marcel Trillat que Brigitte Dornès monta et dont elle soigna particulièrement la bande-son comme à son habitude. Beau cadeau qu'elle me fit ! Albert Jacquard, je crois, y racontait qu'il faut 7 kg de protéines végétales pour constituer 1 kg de protéines animales, donc nos porcs affament le Tiers-Monde en consommant ses céréales. Le message est clair, on pourrait largement nourrir toute la planète, au lieu de laisser crever de malnutrition 17 000 enfants par jour. De nouveaux réflexes s'imposent. Le film explique bien les mécanismes économiques inadmissibles qui sont à l'œuvre, même si sa réalisation reste plan-plan. L'entretien avec Jean Ziegler figurant en bonus et l'intelligent petit livret qui l'accompagne sont carrément plus éloquents. L'image des serres, où l'on cultive toutes sortes de fruits et légumes hors saison, qui recouvrent le sud de l'Espagne aux abords d'Almeiria, restera pourtant gravée dans nos mémoires. Froid dans le dos. Quitte à aborder un tel sujet, je préfère L'île aux fleurs, court-métrage nettement plus inventif.


Côté dessins animés, Persépolis est évidemment plus costaud (TF1 Vidéo). L'adaptation de la bande dessinée de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud est parfaitement réussie, même si je préfère la version du bouquin qui recèle tellement plus de détails bouleversants. Le film est remarquable et devrait être vu bien au delà de ses qualités graphiques. La résistance de la jeune héroïne est exemplaire, face à son pays, à sa famille, à sa recherche d'elle-même. Chiara Mastroiani et surtout Danielle Darrieux (90 ans, pas croyable !), qui ont prêté leurs voix, y sont absolument géniales, la prestation de Catherine Deneuve est plus fade. À voir et revoir. Comme les 16 courts-métrages Pixar présentés chronologiquement, autant de petites merveilles d'intelligence drôlatique. Le studio, qui a aussi produit Ratatouille, aborde toujours les concepts moraux de manière habile. Monstres et Cie reste d'ailleurs un de nos longs-métrages préférés produits par le studio dirigé par Steve Jobs, le type à la Pomme.


Les deux films fantastiques réalisés par Georges Franju, couplés dans le coffret des Cahiers du Cinéma, sont très inégaux. Si Judex nous emballe, Les Nuits Rouges sont une catastrophe. Le Black Book de Paul Verhoeven (Fox pathé Europa) est un excellent thriller d'espionnage, même si les derniers plans affadissent le film, aussi horripilants que la fin de La liste Schindler. A-t-on toujours besoin de rapprocher la Shoah de l'État d'Israël ? L'Histoire ne justifie nullement la politique colonialiste engendré par le sionisme. Je regarde Le temps du ghetto, premier long-métrage de Frédéric Rossif (1961, Éditions Montparnasse), images époustouflantes de Varsovie tournées par les Nazis, documents rares à couper le souffle, passionnant.

Plus anecdotique, Let the Sunshine In (Arte Vidéo) rassemble quelques pépites sur les représentations de la comédie musicale Hair avec une tripotée de bonus sur les hippies, le féminisme, des concerts filmés par Philippe Garrel, etc. Plus dérangeant, le second volume des films de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub rassemble leurs films "italiens" (encore Éditions Montparnasse). Je suis curieux de revoir De la nuée à la résistance, Fortini/Cani et de découvrir Sicilia ! pour constater si mon regard a changé. En lisant le livre que Noël Burch paru chez L'Harmattan, je suis pris de doutes. Son De la beauté des latrines honnit ce qu'il a encensé au profit d'une culture populaire selon le principe que le cinéma d'auteur et la cinéphilie riment fondamentalement avec machisme. C'est très intéressant, mais je crains qu'à vouloir démontrer son point de vue politique original, pourfendant le haut-modernisme et le formalisme, la théorie de Noël n'apparaisse comme une nouvelle doctrine. Le cinéma a beau être une vaste entreprise fabriquée par et pour les mâles reléguant les femmes au rang d'objets de désir, ne peut-on apprécier les films pour des raisons variables, inégales, injustes, partiales, formelles ou politiques ? Certains cinémas méritent certes d'être boycottés, mais je reste attaché à la complémentarité et au pluralisme, recherchant mon plaisir dans une démarche polymorphe parfois critiquable, mais si jouissive. Sa démarche a le mérite d'insister sur le sens des œuvres et donc sur ce qu'elles impliquent comme manipulation invisible des consciences.