À une époque où je sortais plus que je n'accumulais, je fonçais voir les nouveaux films le mercredi, voire même à la séance de 14 heures pour être certain de ne rien avoir entendu auparavant qui risque d'influer sur mon appréciation. Je ne lis d'ailleurs jamais aucune critique avant de m'être fait ma propre opinion et j'évite autant que je peux de déflorer les films dont je parle dans mes billets ou mes articles (pardonnez-moi ci-dessus l'extrait du film de Maïwenn). Il m'arrive de temps en temps de me laisser entraîner au Cin'Hoche, la salle d'art et essai municipale de Bagnolet qui passe une excellente sélection de films récents en version originale, mais le plus souvent je les découvre sur mon écran dans la salle de cinéma que je me suis construite il y a déjà huit ans. J'attends souvent qu'ils passent sur les chaînes satellite auxquelles je suis abonné, et si je ne peux pas résister à la tentation, je les commande sur des sites américains, le taux du dollar étant actuellement si bas qu'ils donnent chaque fois l'impression de faire une affaire.
Tout ce préambule pour expliquer que j'ai regardé quelques gros films populaires à commencer par Redacted de Brian de Palma que m'avait conseillé Jean Rochard qui s'était rattrapé de son énervement contre le petit dernier des frères Coen (rien d'étonnant, je suis moi-même peu friand de leur maniérisme brutal). Redacted commence par un remarquable générique en forme de caviardage, la censure transformant sans cesse le sens de la phrase sans que l'on n'ait vraiment le temps de lire, mais seulement de deviner. La suite est un astucieux montage de séquences comme filmées par des équipes différentes, sous des angles choisis, film amateur en dv, documentaire à la française, télé américaine, diffusion de scènes scandaleuses sur le Web, caméra de surveillance, etc. La guerre en Irak est traitée avec un regard acéré et critique sans aucune concession à la politique bushienne. De Palma montre surtout qu'aujourd'hui plus aucun événement n'échappe à sa surexposition, qu'il soit (plus ou moins) réel ou totalement fabriqué. Au delà de ce film, seule la culture politique (voire cinématographique, mais ce souhait est encore plus improbable !) de chaque spectateur lui permettra de comprendre toutes les situations surmédiatisées et de faire peut-être le tri entre le bon grain et l'ivraie.
Je ferais mieux de taire Bienvenue chez les Ch'tis dont la lourdeur n'a d'égal que la vulgarité, racisme et homophobie aidant, Juno dont la légèreté morale est suffocante, avec scénario, pourtant oscarisé, d'une convention et d'une platitude achevée, ainsi que The Darjeeling Limited de Wes Anderson dont les précédents m'avaient été encensés par une bande d'étudiants américains et qui se révélèrent être en effet de grosses couillonnades potaches dont le succès critique m'épatera toujours, sans parler de l'esthétisant et soporifique The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford d'Andrew Dominik qui ressemble à du James Ivory au Far West (ce qui me rappelle que j'ai commencé à regarder le film muet de Koulechov, Mr West au pays des Soviets, mais je ne sais pas si la curiosité me tiendra en éveil non plus jusqu'au bout...). Grosse déception avec There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson dont j'avais apprécié essentiellement Magnolia, grande fresque pétrolifère d'un classicisme achevé où l'on ne reconnaît nulle part la personnalité de P.T.Anderson, pas plus que l'on n'est épaté par la direction d'acteurs qui le caractérisait dans ses précédentes œuvres.
Je préfère largement The Host du coréen Bong Joon-ho (Bong est le nom de famille), film de monstre plein d'humour et de clins d'œil acerbes sur la pollution, les origines des virus, le SRAS, l'ingérence américaine et les manipulations médiatiques (on y revient toujours !). Le scénario repose sur un accident réel, survenu en 2000. Le film a incité les écologistes de Corée du Sud à demander une enquête sur la pollution causée au pays par les bases militaires américaines : Albert McFarland, un entrepreneur de pompes funèbres travaillant pour les forces américaines en Corée, qui aurait ordonné en 2000 le déversement de formaldéhyde dans la rivière Han qui traverse Séoul, fut condamné à deux ans de suspension et mis en liberté sous caution, voir le détail des références difficiles à comprendre par un occidental sur Wikipédia). Sous ses fausses allures de film d'épouvante, nous assistons à une comédie politique (c'est le plus gros succès coréen de son histoire avec 13 millions de spectateurs !).
Je terminerai par deux films nettement plus stimulants que l'ensemble sus-cité, le premier vu à la télé, soit Pardonnez-moi de Maïwenn Le Besco, le second découvert grâce à la Scam, soit le documentaire de Mosco Boucault, Roubaix, commissariat central, affaires courantes. Ces deux films posent la question de la véracité : comment Maïwenn réussit-elle à tourner avec tant de naturel alors qu'elle joue plus ou moins son propre rôle et comment Boucault arrive-t-il à filmer des individus dont le témoignage risque de leur porter préjudice ? Roubaix suit les enquêtes d'un commissaire new look en proie à la misère des petites gens. À la méthode manipulatrice des interrogatoires policiers répondent les mensonges des suspects. Aux termes de l'enquête les assassins seront piteusement démasqués. C'est très fort, on en reste bouleversé longtemps après que l'on ait rallumé la salle. Même constat avec Pardonnez-moi, stupéfiant règlement de compte familial qui joue également du filmage comme élément scénaristique. Son auteure sera-t-elle capable de relever son nouveau défi de filmer ''le bal des actrices'', sa seconde fiction documentaire actuellement en fabrication ? Face à l'industrie étatsunienne, l'artisanat local a de beaux jours devant lui, ça résiste bien !