70 Cinéma & DVD - novembre 2008 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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samedi 29 novembre 2008

Bonjour Philippine !


Dans ma famille, on y joue depuis tout petits. Si une amande contient deux graines, chacun en mange une et, le lendemain matin, le premier qui dit à l'autre "Bonjour Philippine !" reçoit un cadeau. Dans le premier long métrage de Jacques Rozier, les deux filles qui se disputent les faveurs d'un garçon le crient en même temps à leur réveil, ce qui n'aidera pas Michel à faire son choix.
Comme je suis un admirateur inconditionnel de ce cinéaste longtemps maudit, j'ai joué avec moi-même en mangeant les deux graines et... J'ai perdu. J'avais annoncé il y a quelques mois la publication du coffret DVD de Jacques Rozier (ed. Potemkine), mais je ne l'ai reçu qu'hier matin suite à un cafouillage d'Alapage et un rattrapage de la Fnac. Ou bien j'ai gagné, parce que je vais pouvoir me gaver des quatre films enfin édités, accompagnés des courts Rentrée des classes et Blue Jeans, ainsi que d'entretiens avec Jean-François Stévenin, Jacques Villeret, Bernard Menez... Si cela avait été une intégrale, auraient également figuré les courts-métrages Une épine dans le pied, Dans le vent, Le parti des choses, Roméos et Jupettes et quelques autres. Je possède heureusement Paparazzi (présent sur le DVD Zone 1 Criterion du Mépris de Jean-Luc Godard), son Cinéastes de notre temps sur Jean Vigo (coffret), la filiation est claire, et en VHS Comment devenir cinéaste sans se prendre la tête, Nono et Nénesse et Molina. C'est avec l'intégrale Jacques Demy la meilleure préfiguration des fêtes de fin d'année.
Depuis que Jean-André Fieschi me l'a fait découvrir lorsque j'étais étudiant à l'Idhec (comme Rozier le fut également), je me suis repassé tant de fois Adieu Philippine que je le connais par cœur. Je me récite les dialogues, je les cite, en fredonne la musique, me remémore le faux plan séquence sur les boulevards et jamais ne m'en lasse. Jubilatoire, le montage, la musique... Comme deux autres de mes films fétiches, Les parapluies de Cherbourg de Demy et Muriel de Resnais, c'est un des rares qui osa suggérer la guerre d'Algérie en toile de fond, sujet tabou dans le cinéma de l'époque. Nous sommes en 1960. Si Adieu Philippine est une comédie, comme tous les films de Rozier, il sait aussi être grave à nous coller la chair de poule. Rupture de rythme quand Dédé revient de 27 mois et demi en Algérie et qu'il dit qu'il n'a rien à raconter, ou que Michel se retourne vers Juliette et Liliane qui se marrent alors qu'il y part et que c'est sérieux... Le regard tendre sur les filles, les doutes de son héros, la drôlerie de Pachala interprété par le sublime Vittorio Caprioli, la valeur documentaire de ses fictions (le plateau d'une émission de variétés de Jean-Christophe Averty avec Maxime Saury, les studios de l'ORTF pendant Montserrat de Stellio Lorenzi, le Club Méditerranée...), l'inventivité des plans et de leur assemblage font de son premier long-métrage un chef d'œuvre de la nouvelle vague, son emblème. Lorsque Georges de Beauregard qui vient de produire A bout de souffle demande à Godard s'il connaît d'autres petits génies dans son genre, celui-ci lui indique illico Rozier qui sera à la limite de ruiner le producteur. Le cinéaste acquerra la douloureuse réputation de dépasser chaque fois le planning au montage et verra toutes ses œuvres devenir des supplices et des films-cultes. Entre le début du tournage et sa reprise des mois plus tard, les jeunes comédiens ont grandi, ce qui produit de drôles d'effets de décalage.
Je vais revoir avec joie Du côté d'Orouët qui a révélé Bernard Menez (musique Daevid Allen Gong !), Les naufragés de l'île de la Tortue avec Villeret et Pierre Richard, et le sublimissime Maine Océan dont nous ressassons les dialogues depuis vingt ans, et "Chtonk le billet !". Menez, Luis Rego et le trop méconnu Yves Afonso sont les dignes héritiers de Michel Simon, Carette, Jouvet ou Le Vigan. Que d'la bombe, comme disent les djeunz ! Indémodables, les films de Rozier dessinent chaque fois une époque et ses mœurs, ils donnent une pêche d'enfer et du baume au cœur. Avec ce coffret magique, on espère que Rozier va enfin se défaire de sa réputation imbécile de cinéaste maudit (chaque fois qu'Adieu Philippine est sorti, ce fut le bide malgré les critiques dithyrambiques) et lui donner les moyens de terminer Fifi Martingale (présenté en 2001 dans une version inachevée) et Le perroquet bleu (à moitié tourné). Après avoir attendu si longtemps cette édition, j'en piétine à nouveau d'impatience.

jeudi 27 novembre 2008

Le retour du ballon rouge


Mes souvenirs m'appartiennent-ils en propre ou sont-ils la reconstitution d'une mémoire induite par les traces graphiques ? Rue Vivienne dans les années 50. Je marche seul sur les trottoirs. L'été je porte une culotte courte, l'hiver un pantalon. Pour traverser, j'attends que le feu passe au rouge. Parfois j'attrape la main d'un monsieur et je reprends mon indépendance de l'autre côté de la voie. J'ai cinq ans lorsque nous quittons le IIème arrondissement pour le XVème.
Rue Léon Morane dans les années 60, devenue depuis rue des frères Morane. Après l'école communale Lacordaire, je fais mes trois dernières années à Saint Lambert, de la neuvième à la septième. Le matin, j'emprunte la rue de la Croix Nivert, croise la rue de la Convention, passe devant la station Shell du père de Chrétien, bifurque un bout de Lecourbe et rejoint la cour de l'école. Au retour, je préfère passer par la rue de Javel où habite mon copain Paul Makloufi. Au bout de la rue, Fructus tourne à droite, moi je rentre tout droit. Nous habitons au rez-de-chaussée du numéro 15. Mais la ville a changé. Nous sommes entrés dans l'ère moderne. Avant, c'est l'ancien temps.
Dans Le ballon rouge tout ressemble à mes premières années, Paris, les rues vides, l'autobus à plate-forme, les automobiles, les vêtements que nous portions... Tous les enfants de cette époque semblent se reconnaître dans Pascal, le fils du réalisateur Albert Lamorisse, qui partage la vedette avec le ballon. Le film "restauré numériquement en haute définition" est superbe (Malavida). Voilà qui me change de l'à-peu-près en ligne sur Google Video ou de la copie 16mm que j'ai rangée à la cave aux côtés de Bim le petit âne. Chaque fois que je le vois, j'ai l'impression d'assister à la projection d'un film de famille. Mon père tournait chaque année quelques mètres de pellicule avec sa caméra. Mes huit premières années tiennent sur une bobine d'une cinquantaine de minutes. Après il faudra attendre la naissance d'Elsa pour qu'à mon tour je me mette à filmer. Le ballon rouge est remarquablement mis en scène, comme si tous les nôtres en constituaient les rushes, des bouts d'essai. Le DVD propose également Crin Blanc, son précédent petit chef d'œuvre, mais les sympathiques compléments de programme ne sont hélas pas à la hauteur, documentaire sur le héros de Crin Blanc d'un côté, souvenirs de Pascal Lamorisse de l'autre, chacun tentant de transmettre son expérience à sa propre fille. Peu importe si ces deux documentaires n'en finissent pas, le second a le mérite d'évoquer les autres films du cinéaste, en particulier Le vent des amoureux pendant lequel il périt dans un accident d'hélicoptère. Les deux moyens-métrages, et particulièrement Le ballon rouge, restent des merveilles indémodables.
Si pour être de partout il faut être de quelque part, pour être de son temps il faut apprendre à se conjuguer à tous.

mardi 25 novembre 2008

Coffrets DVD vus et revues


Chaque film correspond à l'humour du jour, ou de la nuit. Il n'est nul besoin de faire de ségrégation entre une œuvre d'art et un produit de divertissement, art and entertainment, à condition de noter la différence entre l'intérêt réel et une détente décervelante. Il y a des soirs où un bon blockbuster fait mon affaire, d'autres où j'ai besoin de voir un film qui laisse des traces après la projection. Tropical Thunder, The Dark Knight, American Gangster, Mad Detective, Gangster Number One, The Oxford Murders m'ont permis de penser à autre chose, à rien en l'occurrence, m'arrachant in fine à mes occupations stakhanovistes. Tous sont des films d'action anglo-saxons, mais tous ne sont pas égaux devant la loi du cinématographe. In Bruges cache par exemple un film beaucoup plus personnel qu'il n'en a l'air, me rappelant Fuller pour les chromos et Cassavetes pour son humanité. On peut se laisser porter par l'industrie américaine ivre d'effets spéciaux et apprécier une comédie légère, un film d'animation, un pamphlet politique ou un truc qui ne ressemble à rien.
Commençons par quelques coffrets qui m'ont particulièrement touché. J'aurais voulu faire un billet sur les 15 films et 9 court-métrages d'Aki Kaurismäki (11 DVD, Pyramide Vidéo), mais si j'attends d'avoir tout vu, je risque de ne jamais le faire ! La question se pose chaque fois que l'intégrale se dessine. Si j'ai des réserves sur les déclinaisons musicales kitschissimes des Leningrad Cow-Boys, qu'ils aillent en Amérique, rencontrent Moïse ou les chœurs de l'Armée Rouge, les films qui s'étalent de 1983 (Crime et châtiment) à 2006 (Les lumières du faubourg) révèlent un cinéaste plein d'humour critique et de franche tendresse. Il donne à ses personnages de démunis une humanité puissante loin de toute mièvrerie ou de l'apitoiement chrétien que les nordiques véhiculent souvent lourdement. Kaurismäki est un réalisateur incisif et caustique, révélant les laissés pour compte d'une société à qui il interdit d'éteindre ses Lumières. Au loin s'en vont les nuages et L'homme sans passé en sont deux récents fleurons exemplaires.
Les Éditions Montparnasse éditent nombreux documents passionnants et engagés comme le documentaire d'Arnaud Ngatcha et Jérôme Sesquin, Noirs, l'identité au cœur de la question noire, qui donne quelques clefs sur la colonisation. Le film n'a pas l'originalité de ceux de Jean Rouch dont un incontournable coffret de 4 DVD rassemble Les Maîtres fous, La chasse au lion à l'arc, Jaguar, Moi un noir, Petit à petit, La pyramide humaine regroupés dans les astucieuses rubriques Ciné-Transe, Ciné-Conte, Ciné-Plaisir, Ciné-Rencontre et Ciné-Rouch, pour 11 heures de programme et de nombreux compléments inédits. Sur le terrain, loin des mondanités parisiennes, Jean Rouch était un incroyable conteur donnant à voir et à entendre des hommes dont les us et coutumes d'un autre continent interrogent les nôtres. Claque assurée !
Toujours chez Montparnasse sort le troisième volume de l'intégrale Straub et Huillet, cette fois consacré aux films allemands. La Chronique d'Anna Magdalena Bach est un must absolu en matière de film musical. Comme pour l'opéra Moïse et Aaron, la musique est enregistrée en direct, ici par des musiciens baroques dirigés par Nikolaus Harnoncourt, avec Gustav Leonhardt dans le rôle de Bach. Les affres du musicien décrites par son épouse, documents à la clef, nous montrent que le statut de l'artiste n'a pas tellement bougé depuis cette époque. Les deux autres disques présentent Leçons d'histoire d'après Les affaires de Monsieur Jules César de Bertolt Brecht et Antigone sous-titrée L'Antigone de Sophocle d'après la traduction d'Hölderlin retravaillée pour la scène par Brecht. Les films de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub posent question à nos pratiques de spectateur, proposant une lecture si contemporaine qu'ils révèlent les archaïsmes du cinématographe. L'angle d'approche est si personnel qu'il nous brusque et nous oblige à voir le monde avec des yeux neufs, comme si nous découvrions le cinéma pour la première fois. Le Volume 2 rassemble les films italiens De la nuée à la résistance, Ces rencontres avec eux, tous deux d'après Cesare Pavese, Sicilia! d'après Elio Vittorini dont une version théâtrale inédite et Fortini/Cani d'après Les chiens du Sinaï de Franco Fortini. Le volume 1 présentait les deux premiers films et les trois films inspirés par Arnold Schönberg. Il reste encore deux coffrets à paraître. Je reviendrai aussi sur le premier du Cinéma de Mai 68, une histoire lorsque j'aurai avancé dans son visionnage, mais qui s'avère tout à fait exceptionnel comparé aux autres productions récemment éditées sur le sujet.


Aux États-Unis, donc Zone 1 mais avec sous-titres français, sont parus les trois premiers films du grand documentariste Errol Morris, Vernon, Florida, série de portraits d'Américains aussi typiques qu'excentriques, Gates of Heaven, sur les cimetières d'animaux et ceux qui les peuplent, et The Thin Blue Line, une enquête policière si bien menée qu'elle innocenta le présumé coupable et gagna un Oscar à Holywood... Pas étonnant pour un ancien détective privé, même si le héros libéré lui fit tout de même un procès après... Morris succomba ensuite au succès avec des films un peu plus commerciaux.
En France, Gaumont a édité un luxueux coffret, premier volume de 7 DVD sur le cinéma premier, avec des films rares des pionniers Alice Guy, première femme cinéaste au monde, Louis Feuillade, dont on connaissait plutôt Les Vampires et Fantômas que les nombreux courts-métrages, et Léonce Perret...


Terminons avec le premier coffret consacré à Douglas Sirk par Carlotta qui vient d'en publier un second. Comme toujours chez cet éditeur, chaque film est accompagné de compléments de programme exceptionnels. Le secret magnifique est suivi du film de John M. Stahl dont il est le remake. Tout ce que le ciel permet dont Todd Haynes s'est inspiré pour Loin du paradis, est accompagné d'un entretien avec ce dernier et d'études sur la filiation de Sirk, en particulier Fassbinder. Le temps d'aimer et le temps de mourir présente entre autres deux entretiens avec son réalisateur et Mirage de la vie la version antérieure de Stahl dont il est aussi le remake, un entretien avec Christophe Honoré, etc. J'avoue n'avoir découvert cet immense cinéaste que récemment grâce aux conseils de plusieurs amis dont Mark Rappaport. Les mélodrames n'étant pas d'emblée ma tasse de thé, j'étais passé à côté ! Tout en finesse, Sirk dissèque les êtres humains et les sociétés qui les ont engendrés. Les personnages sont pris dans un réseau de contradictions qui est le propre de la condition humaine. Les a-priori sur l'âge, le racisme, la guerre volent en éclats. Le Technicolor est à couper le souffle, les cadres d'une invention rare, les acteurs formidables. Bouleversant !

samedi 22 novembre 2008

Jacques Lacan, poète circonlocutoire


Ouf ! Voilà qui me rassure. Dans le film Jacques Lacan, la psychanalyse réinventée, Françoise Dolto, Pontalis et d'autres psychanalystes racontent qu'ils ne comprenaient souvent pas grand chose à ce que racontait le second génie de l'inconscient, mais qu'il leur semblait pouvoir devenir intelligents s'ils persévéraient. Fin des années 70, grâce à Dominique Meens qui me demande de l'enregistrer pour lui, je suis renversé par Radiophonie, sept questions de Robert Georgin auxquelles répond longuement Jacques Lacan pour les Après-midis de France Culture. Tout m'échappe, mais j'ai le sentiment d'être en présence d'une mine d'or et me laisse bercer par la poésie de la langue. Je place alors le psychanalyste aux côtés de Jean Cocteau et Jean-Luc Godard, ces trois voix devenant fondatrices de mon passage à l'âge adulte.
Je jouis des effets circonlocutoires qui permettent de tourner autour du sujet sans jamais viser le centre, mais s'en approchant au plus près au fur et à mesure des révolutions. La poésie, qu'elle soit verbale, sonore ou picturale, a cette force de ne jamais se périmer, contrairement à la science démentie à l'instant même où toute théorie est émise. La poésie vise juste, parce qu'elle va puiser ses racines au plus profond du moi, reflet égocentrique de toute organisation sociale. Dans son histoire féline, Cocteau écrivait que les poètes ne mentent jamais, ils témoignent.

Jacques Lacan fut peu enregistré, encore plus rarement filmé. Son dernier séminaire, à Caracas, se trouve en mp3 sur Ubu.com, comme ceux intitulés L'envers de la psychanalyse, ... Ou pire, Encore, Les non-dupes errent, L'insu que sait de l'une-bévue s'aile à mourre, un hommage à Lewis Carroll et Alice, un Petit Discours à l'ORTF et le premier impromptu de Vincennes. Télévision, one-man show extraordinaire de 1973 tourné par Benoît Jacquot (texte sur un petit fascicule paru au Seuil dans la collection du Champ Freudien que le psychanalyste dirigeait, et également présent sur Ubu), est avec Radiophonie la trace la plus importante en marge de ses Écrits ! Ce film, de très loin le plus passionnant de tous, n'a pas encore été porté en DVD, bien qu'il exista en VHS. Arte Vidéo édite aujourd'hui la Conférence de Louvain accompagnée de Jacques Lacan, la psychanalyse réinventée, documentaire d'Elisabeth Kapnist, écrit avec Elisabeth Roudinesco, ponctué par une musique inopportune de Michel Portal sur des plans vides. Ce film n'est pas à la hauteur du précédent, Jacques Lacan parle, réalisé par Françoise Wolff que le précédent cite abondamment et qui se terminait par un petit entretien où Lacan semble énervé par son interlocutrice. La conférence est exemplaire du fait qu'un jeune étudiant néo-situationniste l'agresse patissièrement, anticipant la tradition des entarteurs belges, tandis que celui-ci retourne la salle en défendant le révolté contre les endormis. Mais Télévision reste le chef d'œuvre qu'il serait urgent de rééditer.

jeudi 20 novembre 2008

Jodhaa Akbar en 5.1


Il y a sept ans, en faisant mes courses indiennes dans le haut de la rue du Faubourg Saint-Denis, j'achète quelques dvd hindi sur les conseils d'un vendeur tamoul. J'avais découvert des extraits de films de Bollywood grâce à une compilation de chansons programmée sur Canal Plus et je recherchais désespérément Eena Meena Deeka du film Aasha. À l'époque, s'intéresser à ces films populaires était le comble de la ringardise. Je doute que pour beaucoup les choses aient changé. J'adore leurs films kitsch des années 50-60, en particulier ceux qui se réfèrent au rock 'n roll, trépidants et drôles. Réaliser une comédie musicale (ou un drame musical) fait soustraire certains paramètres à la réalité, apportant toujours un peu de poésie, comme certains films en noir et blanc, par exemple. Rentré chez moi, je déballe les petites merveilles et suis sidéré de l'accélération cardiaque que me procure Lagaan d'Ashutosh Gowariker, d'autant que je n'ai aucune appétence pour le sport filmé et le cricket en particulier. Son film suivant, Swades, est aussi didactique, toujours prônant une certaine forme d'indépendance patriote. Gowariker utilise toujours son travail pour porter un message, c'est sa faiblesse, mais cela lui permet de se distinguer. Car les films de Bollywood obéissent à des règles très strictes auxquelles les cinéastes essaient d'apporter chaque fois un petit quelque chose : amours contrariées, trahisons, retournements de situation, happy end, rebondissements du feuilleton, même si le film est d'un seul tenant... Jodhaa Akbar, qui sort le 4 décembre en double ou triple DVD, dure 3h25 (Bodega).
Le nouveau film de Gowariker est un peu ramollo, peut-être parce que la composition musicale manque d'authenticité, trop world à mon goût, mais il offre un spectacle populaire typique du genre. Bollywood porte bien son nom. Le spectacle, grandiose et coloré, rappelle les grandes fresques hollywoodiennes. "Au 16e siècle, l'Hindoustan est dominé par la dynastie des empereurs musulmans moghols. le dernier héritier, Jalaluddin Muhammad Akbar, un farouche guerrier, multiplie les batailles pour repousser les frontières de l'empire. Afin d'unifier le territoire qui deviendra l'Inde, il consent à épouser Jodhaa, une princesse rajpoute hindoue..." Au delà de l'évocation épique et de la guimauve sentimentale de rigueur, on notera le pouvoir grandissant des femmes et la tolérance entre religions qui y est prônée, renvoyant l'Inde à l'une de ses problématiques les plus aigües.
Mais ce qui m'intéresse avant tout dans ce film, puisqu'à l'affût de la spécificité de chaque œuvre, c'est l'utilisation du son et du 5.1 en particulier. La partition sonore fait partie du script. Loin de vouloir se faire oublier comme souvent, le son se signale par une panoplie d'effets spéciaux en corrélation avec le scénario ou la musique. Lorsqu'une voix tourne tout autour des comédiens, le 5.1 rend le vertige. Les sabots des chevaux ne sont pas synchrones avec la cavalcade, préférant rythmer la musique comme un riff de percussion. Les hors-champ peuvent se localiser dans un contre-champ occupé par les spectateurs. On entrevoit les possibilités du système s'il était utilisé à des fins plus critiques. Son utilisation ici lui confère un rôle à part entière, comme les jeux de couleurs, une voix off ou un sous-titre.
L'édition en 3 volumes offre un documentaire de trois heures, Les cinémas indiens, du nord au sud, réalisé par Hubert Niogret, très intéressant, même s'il est fatiguant de s'avaler autant d'extraits d'entretiens à la queue leu-leu, et une rencontre avec Gowariker. Jodhaa Akbar est aussi le premier film bollywoodien qui sort en Blu-ray, mais c'est un format qui pour l'instant m'échappe. Ah oui, j'oubliais les scènes de bataille avec quatre-vingt éléphants ou le dressage par Akbar à mains nues, impressionnant ! Je me suis souvenu de mon voyage dans le Teraï au Népal : lorsqu'un pachyderme passait le ciel s'obscurcissait.

mardi 18 novembre 2008

Emile Cohl, l'inventeur du dessin animé


Vient de paraître un magnifique livre sur Émile Cohl, l'inventeur du dessin animé, 170 pages grand format, préfacé par Isao Takahata (le réalisateur du Tombeau des lucioles et de Mes voisins les Yamada) et agrémenté de 2 DVD Gaumont Pathé Archives comportant l'intégralité des films existants (mais seulement 1/5 de l'œuvre) de ce personnage illustre et méconnu (ed. omniscience), Émile Cohl, dont je reproduis ici Fantasmagorie, premier dessin animé de l'histoire du cinéma. C'était le 17 août 1908 au Gymnase sur les Grands Boulevards. Cohl suivait les traces d'un autre Émile, Reynaud celui-là, inventeur du théâtre optique en 1888, et de Georges Méliès, "inventeur du spectacle cinématographique" en 1896, comme il est gravé sur sa tombe au Père Lachaise. En 1908, Émile Cohl avait déjà 51 ans et une longue carrière de caricaturiste.
Je connaissais ses dessins à transformations, on appelle cela aujourd'hui du morphing, mais j'ignorais qu'il avait inauguré autant de techniques variées : l'animation en volume avec Les allumettes animées, le premier film de marionnettes avec Le tout petit Faust, le premier dessin animé en couleurs avec Le peintre néo-impressionniste, le premier dessin animé éducatif avec La bataille d'Austerlitz, la pixilation avec Jobard ne peut pas voir les femmes travailler, le papier découpé, etc. Je suis sidéré de retrouver près de 70 films à côté de deux documentaires... Quant au livre signé Pierre Courtet-Cohl (son petit-fils disparu depuis) et Bernard Génin, il est merveilleusement mis en page, avec une quantité extraordinaire d'illustrations, d'anecdotes et d'informations passionnantes. Il réalisa également la première série de dessins animés avec Le chien Flambeau et le premier dessin animé tiré d'une bande dessinée et pas n'importe laquelle : Les Aventures des Pieds Nickelés ! Oublié, atteint de paranoïa, il mourra le 20 janvier 1938, la veille de Méliès qui était son cadet de quatre ans !

Lorsqu'en 1974, étudiant à l'Idhec, je réalisai La nuit du phoque en collaboration avec Bernard Mollerat, nous décidâmes d'imaginer un scénario où nous tenterions tout ce que nous n'avions pas encore eu le temps d'essayer pendant nos trois années d'études : éclairer toute une rue de nuit, diriger des enfants et des animaux (appréciez le collage), tourner à plusieurs caméras, travailler en infra-rouge, pasticher les chorégraphies de Busby Berkeley en filmant en plongée depuis un belvédère au centre d'une forêt (de vrais malades !) et les films de Jean-Luc Godard (dialogue impossible se terminant par un snuff movie avec un ver de farine)... Aussi, commencèrent-nous directement par un pré-générique au banc-titre (le générique se trouve en plein milieu du film !) et nous testâmes quelques animations simples avec des bouts de carton que nous faisions glisser. Lorsque je m'attaquai au "multimédia", je retrouvai le goût pour l'animation que j'avais un peu laissé tomber. La programmation informatique a grandement joué en faveur du retour en grâce de cet art. En travaillant sur le CD-Rom Alphabet, me revint tout ce que j'avais découvert vingt ou trente ans plus tôt... Je ne sais pas si les animateurs ont pensé à tirer partie de la programmation algorithmique qui leur permettrait de gagner un temps fou par rapport au système image par image, mais surtout d'improviser en jouant avec les objets comme avec des marionnettes...

Le DVD a permis de découvrir ou redécouvrir l'animation confinée aux heures tardives de la télévision dans sa meilleure époque ou à quelques rares émissions. Sans parler de ceux qui ont réalisé des longs métrages et gagné leurs galons en salles, Lotte Reiniger, Ladislas Starevitch, Len Lye, Oskar Fischinger, Norman McLaren, Alexandre Alexeïeff, Jiri Trnka, Yuri Norstein, Jan Svankmajer, Phil Mulloy, Bill Plympton, Barry Purves, par exemple, ont largement bénéficié de ce nouveau support. Il n'y aurait pas de Disney sans Cohl, ni de Miyazaki sans Grimault. Rappelons que La table tournante réalisé par ce dernier avec Jacques Demy ne figure pas sur l'intégrale Demy qui vient de sortir (compilation indispensable dûe à ses enfants Rosalie et Mathieu, mais présentation et bonus décevants en comparaison de ce qu'Agnés Varda aurait "inventé") ; il est heureusement disponible avec Le Roi et l'oiseau.

samedi 15 novembre 2008

Ciné-Romand (4) - avant-première


C'est aujourd'hui-même à 14h au Centre Pompidou (salle cinéma 2, niveau -1), pour le quatrième jour de Cinéma numérique 2 organisé par les Cahiers du Cinéma (voir critique des Cahiers) dans le cadre du Festival d'automne (entrée 4 ou 6 euros, durée 1h26).
La photographie de Ciné-Romand qui illustre ce billet est toujours d'Aldo Sperber dont la nouvelle exposition à La Maison des Photographes (121 rue Vieille du Temple à Paris 3ème jusqu'au 30 novembre) présente de grandes images pleines d'humour et de couleurs pimpantes.
Quant à Françoise Romand, notons qu'elle a réalisé le film en trois semaines, temps qui la séparait du happening qui l'a inspiré. Elle en a fait un film à part entière, recomposant sa filmographie à la lumière d'aujourd'hui en une fantaisie prismatique qui fait ressortir l'unité de son travail. Ciné-Romand est le complément idéal de Thème Je (DVD à paraître en 2009). Il déplace le phénomène d'identification, qui vise habituellement les acteurs, vers les spectateurs. La mise en abîme va jusqu'à la projection du film en salle. Ne ratez pas cette occasion exceptionnelle, en présence de l'artiste !

mardi 11 novembre 2008

Sa Majesté des mouches


L'éditeur Carlotta fait toujours bien les choses. Le complément de programme est aussi passionnant que le film qu'il accompagne. Peter Brook y raconte comment il réussit à réaliser son premier film en 1963 d'après un roman de William Golding. Il évoque la magie du casting et répond aux questions que l'on est à même de se poser : que sont devenus les enfants qui jouaient dans Sa Majesté des mouches, film hors normes, unique, analyse bouleversante de la condition humaine ? Tout semble monstrueusement naturel, comme le retour fulgurant à l'état sauvage de ses gosses abandonnés sur une île déserte suite à un accident d'avion.
L'histoire de l'humanité passe par le conte à valeur de mythe. C'est hélas ainsi que l'on fait naître les mythes. Le vernis de la bonne société craque pour laisser place à tout ce qu'elle contient et encadre, une organisation tribale, injuste et brutale sous la coupe d'un chef charismatique, à l'image de ce que l'Allemagne avait représenté. Quelques scènes hystériques construisent le rituel et instaurent une religion aussi absurde que n'importe quelle autre. L'intolérance prend le dessus et la mort est son exutoire. L'animalité de l'homme (Brook a refusé d'ajouter des rôles féminins qui auraient immanquablement sexualisé le scénario !) renvoie à la puissance des forts sur les faibles au combat de la force et de l'esprit. qui paieront souvent de leur vie. Beaucoup y laissent la vie. Le roman de Golding est sans ambiguïté : la civilisation, représentée par un montage d'images fixes évoquant l'éducation rigoureuse britannique et la guerre froide, ponctue le générique d'ouverture. La civilisation n'est ne serait qu'un fragile garde-fous où la liberté peut rapidement glisser vers la sauvagerie, la superstition et la violence. Devant la justesse des questions posées par mc, je préfère corriger le texte initial (en barrant et en signalant les ajouts en gras, pour que son commentaire reste cohérent). Mes corrections n'apaiseront probablement pas la virulence de sa critique, mais elles me permettent d'assumer un texte écrit un peu trop rapidement avec prise médicamenteuse déconseillée pour la conduite et l'usage de machines.


Dans Le cinéma en liberté, Peter Brook insiste qu'il ne peut y avoir de liberté pour l'auteur d'un film qu'avec un budget riquiqui, et d'évoquer les mérites du cinéma numérique. Il décrit ensuite comment, quarante ans plus tard, le chasseur dictatorial est devenu trafiquant d'armes en Amérique du Sud, le démocrate est féru d'écologie, et Piggy un brillant et généreux homme d'affaires spécialisé dans le commerce de friandises avec l'ex-URSS ! Le casting était-il aussi pointu ou les rôles auront-ils marqué les comédiens en herbe ? La société des mâles, rejouant la guerre du feu, est démasquée. Les jeunes acteurs sont tous exceptionnels, le noir et blanc propice au nouveau mythe, la jungle aussi paradisiaque qu'infernale. Le commentaire de mc en dit plus que je ne l'expose, veuillez vous y référer en cliquant sur Commentaires.
Le dvd est accompagné d'une partie pédagogique lisible exclusivement sur un ordinateur. Riche et dense, elle ouvre de sérieux débats dans le cadre scolaire, et dans la vie précaire que nous menons sans pouvoir présumer de l'avenir. Mais Sa majesté des mouches est surtout un grand film, indémodable, nos sociétés continuant à perpétuer les mêmes valeurs sous-jacentes, et faisant tout ce qu'elles peuvent pour faire oublier que l'homme, tout pensant qu'il est, est l'animal qui s'est arrogé tous les pouvoirs.

samedi 8 novembre 2008

Ciné-Romand (3) - le film


J'ai réécrit hier le texte qui suit pour annoncer l'avant-première du film de Françoise, dans une semaine exactement, samedi 15 novembre à 14h au Centre Pompidou (salle cinéma 2, niveau -1), pour Cinéma en numérique organisé par les Cahiers du Cinéma (voir critique) dans le cadre du Festival d'automne (entrée 4 ou 6 euros, durée 1h35). La photo d'Aldo Sperber y figure, parmi d'autres. Igor et moi en terminons le mixage. Nous sommes tous excités comme des puces. Entre le tournage en direct du happening et la projection du film à Beaubourg, il se sera écoulé seulement trois semaines ! C'est un marathon.

Ciné-Romand (le film)

De Mix-Up à Thème Je, Françoise Romand réinvente le documentaire en lui injectant la fantaisie de la fiction. Dans tous ces films, bouleversants d'humanité et de compassion pour ses personnages, elle n'est pas dupe du pouvoir de la caméra et ne cesse de répéter que "tout ça, c'est du cinéma !" Son humour critique et la complicité qu'elle installe avec celles et ceux qu'elle filme, tant dans ses fictions que dans ses documentaires, lui permettent de réaliser une œuvre dont la recherche de l'identité est la clef.
Dans un premier temps, Ciné-Romand fut un happening en appartements autour de ses films. Avec la complicité des voisins d'un quartier et une armée de guides qu'elle nomme des anges, Françoise Romand invente une installation ludique, qui gomme définitivement la frontière imaginaire entre fiction et réalité... La consigne est simple : les hôtes, chez qui sont projetés les films de la réalisatrice, continuent à vivre comme si de rien n'était tandis que les spectateurs les visitent dans la plus grande discrétion. À partir de son travail de réalisatrice, l’artiste génère une création à la croisée du théâtre documentaire et du cinématographe. L'installation est saisissante. Françoise Romand la filme, rajoutant une strate à la mise en abîme dont la projection en salle n'est peut-être pas le dernier avatar.
En filmant les spectateurs des appartements où se jouent naturellement des scènes domestiques, Françoise Romand rejoue une nouvelle fois L'arroseur arrosé, l'une des premières fictions de l'histoire du cinéma, reprenant le rôle de son propre arrière grand-père ciotaden, le gamin espiègle qui pliait le tuyau. En effet, chez les habitants le dispositif se renverse. En s'y invitant subrepticement, les visiteurs, voyeurs par essence, semblent happés par les films qu'ils feignent de regarder. Leurs hôtes, exposés sans filet, voyant défiler une ribambelle de gens qu'ils ignorent, les analysent à leur tour. Par cet effet de miroir répondant au souhait de Jean Cocteau, c'est-à-dire réfléchissant, Françoise Romand transforme l'essai en film, dès lors que ses personnages effacent tout ce qui permettrait d'identifier réel ou fiction ! Chaque personne y joue son propre rôle ou, du moins, une facette souvent enfouie de sa personnalité. Le rideau virtuel qui séparait les deux espaces, d'un côté la vie, de l'autre le spectacle, est fragile voire volatile. Combien d'Alice franchirent ce soir-là le miroir ? Et dans un sens, et dans l'autre ?
Acteurs et spectateurs ont joué dans la même pièce, comme à l'époque du Living Theatre dans les années 60. La question n'est plus de savoir si le public participe, mais qui est le public ? L'évidence devrait nous sauter aux yeux. La différence n'existe pas, il n'y en a jamais eu, il n'y en a pas, il n'y en aura pas tant que les œuvres éclaireront nos propres émotions, nous rassurant ou nous bousculant, nous renvoyant toujours au phénomène d'identification et à sa critique, merci Monsieur Brecht. Quel que soit l'angle, c'est l'impossible qui passe dans le réel ! Documentaire et fiction, non, ni documentaire ni fiction !
En mêlant des extraits de ses films au spectacle du happening, Françoise Romand tisse une toile où la place de chacun n'est plus assignée. On traverse Ciné-Romand comme des somnambules dans une maison de poupées, découvrant la dimension buñuelienne de nos vies, lorsque l'appartenance sociale et la famille façonnent nos gestes et nos pensées, sans que l'on ne sache jamais pourquoi, pourquoi on va au cinéma...

vendredi 7 novembre 2008

Intégrale Demy, un coup de baguette magique !


Je suis aux anges. Geneviève, c'est ma maman, m'a offert l'intégrale DVD de Jacques Demy dont le coffret sortait le jour de mon anniversaire. Une "princesse m'apporte ses vœux" à La Régalade, accompagnés de ceux d'Agnès V. (carte postale en illustration). On reste dans le quartier. Je retrouve des films rares et quelques perles inédites en boni. Je n'ai jamais vu La naissance du jour filmé pour la télé d'après Colette, j'ai oublié Le bel indifférent d'après Cocteau, quasi voisins de paliers ces deux-là. Le Palais Royal était mon jardin d'enfance. Je ne vais tout de même pas rabâcher sur ce coffre aux trésors en rappelant Les Parapluies, Les Demoiselles ou Peau d'âne. J'ai attendu la naissance de ma fille pour les voir et revoir sans passer pour un ringard. Jusque là, je les regardais en douce, je pleurais à l'un, me remontais le moral avec l'autre, rêvais avec le troisième. Cette édition permettra-t-elle de réhabiliter Une chambre en ville, drame musical renversant sur fond de lutte sociale ? Je brûle d'impatience. Tout voir et revoir, oui. Peut-être avons-nous été injustes avec les moins réussis ? Les personnages circulent d'un film à l'autre. Je liste ce que je ne connais pas, les premiers dessins animés, les entretiens, les reportages, les documents sonores du CD qui accompagne ces douze DVD ! Le site Ecran Large donne toutes les détails sur le contenu du coffret (Arte Vidéo).
J'envie la complicité que Françoise entretenait avec le cinéaste d'une humilité confondante. Arrivé en avance pour la projection de Appelez-moi Madame, il pose des questions à Françoise comme si c'est elle la pythie. La projection du film le subjugue. C'étaient les derniers mois de sa vie. Plusieurs entretiens datent de cette époque. Curieux, fin, délicat, elle m'en parle comme s'il était l'un de ses propres personnages, tellement attachant. Comme sa compagne est assise sur le fauteuil basculant avec les jambes repliées, Jacques tire sur sa robe pour la rallonger. Agnès Varda se moque de lui parce qu'il aurait peur que l'on voit sa culotte ! Je deviens midinet en regrettant de n'avoir pas été une petite souris pour assister aux dîners auxquels participaient Delphine Seyrig et Sami Frey. Jacques Demy était un ange discret. Dans tous ses films, il nous fait croire aux fées, puisque l'on est aujourd'hui assez grand pour savoir qu'ils recèlent de terribles secrets de famille, des drames surmontés, des fantasmes d'enfant, transformés en histoires merveilleuses par un des plus grands virtuoses de la baguette magique. Comme tous les contes de fées, les films de Jacques Demy se comprennent différemment au fur et à mesure que l'on grandit.

jeudi 6 novembre 2008

Mind Game, vertigineuse plongée dans le cinéma d'animation



Dans Mind Game du réalisateur Masaaki Yuasa d'après le manga de Robin Nishi, la logique du rêve est aussi difficile à suivre que le scénario de Ghost in the Shell. L'animation explose le cadre et déborde d'imagination. Le film, produit en 2004 par le Studio 4°C, responsable du très beau Amer béton, est une œuvre originale qui rappelle aussi bien Windsor McKay (Little Nemo) que Moebius. Les hallucinations héritent aussi bien de la scène conçue par Salvador Dali pour Dumbo l'éléphant que les références au manga dessinent un époustouflant portrait du Japon contemporain. Cet entre-choc de styles aussi différents dans une même scène dérègle tous nos sens, nous faisant valdinguer dans un trop-plein d'émotions plastiques qui disloque la narration au travers d'un prisme déformant. Le flash rend l'expérience si troublante que lorsque la lumière se rallume dans la salle elle nous replonge aussi sec dans l'obscurité du quotidien. Mind Game est un film sur le vertige, expérience ultime de la mort et retour à la vie, une jeu d'esprit où la peur prend ses racines dans la petite enfance et le courage dans ce qui nous reste d'imagination.

Merci à Karine de m'avoir fait découvrir ce diamant noir.

P.S. : cela n'a absolument rien à voir, mais Jacques Oger m'annonce la mort de Jimmy Carl Black, "the Indian of the group" des premiers Mothers of Invention. Les fans historiques de Frank Zappa comprendront ma tristesse.
Puisque je suis dans les brèves, les Cahiers du Cinéma de novembre ont publié deux articles sur Françoise, l'un pour Appelez-moi Madame (DVD à paraître le 18 novembre), l'autre pour Ciné-Romand (avant-première du film à Beaubourg le 15 novembre à 14h dans le cadre du Festival d'automne, à ne pas manquer, que vous ayez participé au happening ou que vous l'ayez raté !).