70 Cinéma & DVD - décembre 2008 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 30 décembre 2008

True Blood et Towelhead, le retour d'Alan Ball


Il est passionnant de comparer Towelhead, le premier long métrage d'Alan Ball (à paraître le 30 décembre en DVD Zone 1 et seulement l'an prochain sur nos écrans) et sa nouvelle série True Blood (récemment diffusée par HBO), pour laquelle il a signé pour deux saisons et dont la première est diffusée pour l'instant sur Orange.
Alan Ball s'est fait connaître du grand public avec le film American Beauty réalisé par Sam Mendes, puis pour avoir créé Six Feet Under, considérée par beaucoup comme la meilleure série télévisée jamais réalisée. Au bout de cinq saisons, Ball avait eu l'intelligence de mettre fin à cette sensationnelle saga en rendant toute suite impossible par un ultime et génial ressort de scénario. On se souviendra de la première minute de chaque épisode qui voit mourir un des personnages présents après un suspense de soixante secondes, le défunt teintant l'épisode de son environnement social, ou les dialogues rêvés de toute la famille avec le père disparu dès le début, les pubs de l'épisode pilote, Brenda, fille de deux psychanalystes, les amours du fils David avec son copain flic et noir, etc. Les cinq saisons sont à voir d'un bout à l'autre ; la qualité des scénarios, du jeu d'acteurs, de la lumière, jusqu'à son générique, montrent que si le cinéma américain est engoncé dans des poncifs holywoodiens des plus conformistes sa télévision est capable d'une liberté qu'aucune autre industrie ne s'est autorisée. Pour qu'une chaîne française produise enfin une série intelligente et originale, il faudrait laisser les clefs à des auteurs autrement plus inventifs et gonflés.
Bon sang, True Blood, la nouvelle série d'Alan Ball tient ses promesses. Sans dévoiler quoi que ce soit qui ne le soit dès les premières minutes, l'action se passe dans une petite ville de Louisiane, les vampires ont été "légalisés" mais souffrent d'une forme de ségrégation raciale... L'argument permet une fois de plus à Alan Ball d'évoquer la sexualité, la politique et les mœurs de son pays. Ce "très long métrage", inspiré par les romans de Charlene Harris, de plus de dix heures, chacun des 12 épisodes durant 52 minutes, est brillant, provoquant, excitant, magnifiquement interprété, dans des décors extérieurs qui nous emmènent loin des séries claustrophobes. Il semble même que sa durée soit du double, car, cette fois, le dernier épisode nous maintient dans le suspense, l'histoire se poursuivant avec la seconde saison. Le site d'HBO recèle de savoureux bonus (extras) comme "Vampires in America" ou "Vampire Motel Commercial", votre sang ne fera qu'un tour. Si vous n'avez pas encore vu cette première saison, ne vous rongez pas les sangs en regardant les résumés de chaque épisode, vous gâcheriez votre plaisir, attendez patiemment sa diffusion en France ou sa parution en dvd.


Towelhead, également appelé Nothing is Private après des plaintes stupides de la communauté arabe et musulmane qui semble avoir compris le titre à contre-sens, est un film beaucoup plus grave faisant ressembler True Blood à une fantaisie ! Tandis que la série utilise le vecteur de la sexualité pour aborder la ségrégation, le long métrage renverse le procédé, ici le racisme révèle la sexualité, en particulier celle des jeunes filles, sujet rarement abordé au cinéma, du moins avec cette franchise, ainsi que la pédophilie. À sa vision, on comprendra facilement son échec américain ! Towelhead, adapté du roman d'Alicia Erian, La petite arabe, met mal à l'aise, il donne à réfléchir, il dérange. Que peut-on attendre de mieux d'un bon film ? C'est tout le contraire de la plupart de ceux qui vous caressent dans le sens du poil et racontent ce que nous souhaitons entendre, les films prétendument à thèse, en fait porteur d'un message qui ne convainc que celles et ceux qui souhaitent être convaincus, rassurés de ne pas être seuls à penser ainsi. Le même soir, nous avons regardé un film sympa, plein de bons sentiments, The Visitor, c'était reposant, mais il n'y avait pas la charge critique de l'œuvre de Ball, qui a d'ailleurs beaucoup de ressemblance avec son premier succès, American Beauty. Sauf que cette fois, Ball ne s'embarrasse pas de glamour. La tendresse qui s'y exprime n'a rien de démagogique, elle met en jeu les contradictions et les ambiguïtés de chacun, acteurs et spectateurs.

mercredi 17 décembre 2008

Les plages d'Agnès


Aujourd'hui sort Les plages d'Agnès, autoportrait d'Agnès Varda qui feint de se peindre à reculons alors que la "grand-mère de la nouvelle vague" volète parmi ses souvenirs avec toujours autant d'humour, d'intelligence et d'émotion comme elle le fit le long de 33 longs et courts-métrages, après avoir été photographe, avant de se plonger dans le bain de ses installations contemporaines... Mais là ce sont des plages, comme celles d'un disque, ou bien les pages d'un livre qu'on tourne, jeux de mots survolés à tire d'ailes, jeux de plage qu'on partage avec ses enfants et petits enfants, pas seulement la famille, mais aussi celles qu'elles a influencées, ceux qu'elles a croisés. Jacques Demy est évidemment présent partout, mais lors de la projection au Cinéma des Cinéastes je fus particulièrement ému par son évocation de Jean Vilar et de tous les comédiens disparus, comme plus tard Delphine Seyrig... Les deux bandes-annonces résument bien la boule à facettes qui fait tourner sa tête couronnée : à la fois coquète et drôle, elle a laissé pousser ses cheveux teints en conservant une calotte grise sur le dessus de son crâne !


À la fin du film, la cinéaste interrompt le générique pour ajouter quelques plans "volés aux copains". C'est la séquence de ses 80 balais et là, sur l'écran, je me vois au milieu de la fête. À la sortie, Agnès me dit "Tu as vu, on ne voit que toi !". Trop mignonne ! Moi, je m'étais laissé porter par les vagues, par les jeux de miroirs sur la plage du Nord, par la beauté de Sète, par le sable sous les pavés de la rue Daguerre, par les retrouvailles à Venice et Santa Monica, par les embruns de Noirmoutier, avec une irrésistible envie de découvrir les quelques films que je ne connais pas encore...

vendredi 12 décembre 2008

Ambivalence d'André Malraux


Le mystère Malraux paraîtra en DVD le 7 janvier prochain aux éditions Montparnasse, accompagné d'un extrait télévisé de quatre minutes du discours à Jean Moulin, modèle du genre, en complément de programme. Le film réalisé par René-Jean Bouyer est le récit d'un aventurier qui a su garder secrète sa vie personnelle pour se fabriquer une légende. Ses intimes ont du mal à soulever le voile tant le mystère leur est toujours resté opaque. L'histoire est aussi excitante et mystérieuse, toutes proportions gardées, que celles d'un Henry de Monfreid ou d'un Jacques Vergès. Orgueilleux, mythomane, exalté, remarquablement intelligent, son ambition répond à ses origines modestes et à son absence de diplômes. S'il s'invente un rôle de commissaire politique en Chine ou se proclame colonel dans la Résistance, André Malraux n'en aura pas moins été écrivain, pilleur d'œuvres d'art à Angkor, journaliste anticolonialiste, chef de l'escadrille España pour la République espagnole, cinéaste, résistant et combattant, Ministre des Affaires Culturelles gaulliste (on lui doit les Maisons de la Culture) après avoir été trotskyste dans ses jeunes années. Admirateur fervent du général de Gaulle et héros de la politique spectacle, son ambition eut raison de ses convictions... Les manuscrits exposés laissent entrevoir sa manière de composer ses livres, montés comme au cinéma. Il se passionne pour l'art, probablement afin de conjurer la mort qui l'entoure. Ses deux frères disparaissent pendant la guerre, l'un fusillé, l'autre torturé et déporté, deux de ses fils se tuent en automobile, leur mère est broyée par un train, Louise de Vilmorin meurt alors qu'il vient de la retrouver... Si les femmes tiennent une place importante dans sa vie, il dit ne jamais avoir connu l'amour. C'est un être analytique et calculateur, mal dans sa peau, trop préoccupé par son image. Le film, narré sobrement par Edouard Baer, mêle habilement les documents d'archives, les reconstitutions rappelant Errol Morris (gros plans, vues de dos ou lointaines) et les témoignages. Pour la première fois, s'expriment sa veuve Madeleine Malraux, son fils Alain Malraux, Sophie de Vilmorin, son psychiatre le Dr Bertagna, la famille de Josette Clotis, son grand amour disparu dans un accident ferroviaire... Atteint du syndrome de La Tourette, il sombrera dans l'alcoolisme et la dépression, alors qu'on lui attribuait une dépendance à l'opium. Si le film ne s'attarde pas sur son retournement de veste, il n'a rien d'une hagiographie et son aventure fait partie des grands mythes du XXème siècle. On aurait pourtant apprécié un peu plus de psychologie, car entre les lignes se devine l'histoire d'une traîtrise, celle de ses origines sociales pour commencer.

mercredi 10 décembre 2008

Le relief de l'invisible


Adolescente, Elsa refusait de lire des bouquins. Je n'avais de cesse de lui répéter qu'elle risquait de s'ennuyer dans la vie, rien n'y faisait. De toute façon, elle m'avait bien expliqué que j'avais souvent raison, mais qu'il était nécessaire qu'elle fasse elle-même les bêtises pour apprendre à grandir. Que voulez-vous répondre à cela ? En ce qui concerne la lecture, je dois reconnaître que je m'y étais moi-même mis très tard. Cela ne m'a jamais empêché de dévorer encyclopédies et dictionnaires. Dans les moments de conflit avec ma fille, il m'est arrivé de regretter de ne pas avoir eu aussi un fils, un petit garçon comme j'avais été, curieux de tout... C'est idiot, mais c'est comme ça ! Nos exemples sont imparfaits, pire, ils sont le terreau des névroses de nos enfants. Aujourd'hui, les choses ont changé, Elsa mène sa vie comme elle l'entend, elle lit plus que moi, et j'adore discuter avec elle de tout et n'importe quoi. Les réflexions politiques ou psychanalytiques appartiennent à la première catégorie, les tracas du quotidien à la seconde ! Nos conversations me rassurent, et je ne sais pas si mon insistance a fini par porter ses fruits ou si la jeune femme s'est transformée malgré moi, à son rythme, with a little help of sa mère and her friends. Cela n'a plus d'importance. Un jour, elle fera suer ses mômes, reproduisant plus ou moins ce qui l'énervait en nous...
Je ne sais plus pourquoi je pensais à cette difficulté de l'accompagnement en regardant un des épisodes de la série réalisée par Pierre-Oscar Lévy, Gabriel Turkieh et Jean-Michel Sanchez. Chaque film est construit de la même manière, longue plongée avant depuis l'objet à distance de l'œil jusqu'à pénétrer au plus profond de la matière et whiiiiiit ! On revient en arrière vitesse grand V en repassant par toutes les étapes du grossissement. Une aile de papillon, la peau de notre main, la carapace d'un crabe, un engrenage en acier, un cheveu, une dent, une fleur, un pou, un champignon, une mouche, du béton, de l'alu, du plastique, du maïs, etc., l'inventaire tient du poème lorsque se découvrent des paysages à couper le souffle. Cela me rappelle un court métrage qui fonctionnait aussi dans l'autre sens, nous faisant reculer dans les étoiles. Nous prendrions-nous pour Stephen Hawking à tenter d'unifier relativité générale et théorie des quanta ? L'exercice est séduisant. Ici la danse des atomes à portée de vue, en passant par tous les intermédiaires, toutes les échelles de grossissement, dans un mouvement fluide et ininterrompu, sans interpolation. Le rêve devient vérité, puisque c'est ce qu'on voit ! On voit tout. Du moins tout ce que caméras à haute définition et microscopes électroniques nous permettent de regarder en l'état. La "réalité" plonge dans l'inimaginable. Les 22 films, réunis en DVD sous le titre Le relief de l'invisible (Idéale Audience), montrent l'unicité et la diversité de la matière, à nous en donner le vertige. Quoi de mieux ?

jeudi 4 décembre 2008

La maîtresse des ombres


Le coffret DVD de Lotte Reiniger édité par Carlotta fait partie des indispensables de l'animation avec les films de Émile Cohl, Windsor McKay, Len Lye, Oskar Fischinger, Ladislas Starévitch, Walt Disney, Alexandre Alexeïeff, Norman McLaren, Jiri Trnka, Youri Norstein, Paul Grimault, Hayao Miyazaki, Isao Takahata, Jan Svankmajer, Nick Park, Tim Burton et quelques autres... Si les objets dérivés qui les accompagnent brancheront exclusivement les petits (flipbook, poster, cartes postales, album à colorier et crayons de couleur), les deux DVD sont une mine d'or pour quiconque a gardé ses yeux d'enfant et le goût pour l'émerveillement.
Les aventures du Prince Ahmed, premier long métrage d'animation de l'histoire du cinéma (1923-1926, onze ans avant le Blanche-Neige de Disney), est un film en papier découpé, animation de silhouettes dûe à la magicienne Lotte Reiniger, qui influença grandement Michel Ocelot des décennies plus tard. C'est de la dentelle, du rêve à l'état pur, les mille et une nuits garanties sur facture, soit 34,99€ pour le film plus 18 courts métrages, 2 documentaires exceptionnels, l'un allemand, l'autre anglais, bonus passionnants qui éclairent l'art de la dame. On est saisi par le travail d'orfèvre, la sensualité des mouvements, l'atmosphère créée par les flous, la profondeur des paysages, l'évocation magique des formes découpées. Lotte Reiniger travaillait avec son mari le réalisateur Carl Koch à la prise de vue, l'architecte français Bertold Batosch, auteur de L'idée, aux animations, et, pour les arrière-plans manipulés séparément, Walter Ruttmann l'auteur du célèbre film expérimental Berlin, symphonie d'une grande ville, l'équivalent allemand de L'homme à la caméra de Vertov. Le couple Reiniger-Koch était ami de Jean Renoir, pour lequel ils réalisèrent le théâtre d'ombres de La Marseillaise et qui l'appelait "la maîtresse des ombres", et de Bertolt Brecht. Ils s'exilèrent à Londres à la montée du nazisme.


Les aventures du Prince Ahmed est présenté dans une version remasterisée absolument magnifique, avec la musique originale d'époque de Wolfgang Zeller et, dans la version française, Hanna Schygulla lisant les cartons de sa voix sensuelle et envoûtante. Les courts-métrages renvoient à l'univers des contes (Perrault, les frères Grimm, Andersen, 1001 nuits...) et à la musique (Carmen, Papageno...).

lundi 1 décembre 2008

Romand par Nova