70 Cinéma & DVD - février 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 23 février 2010

José Berzosa en bonus de Thème Je


Dimanche Pauline Fort filme José Berzosa commentant Thème Je, le quatrième film de Françoise Romand qui sortira cette année en DVD, après Mix-Up ou Méli Mélo, Appelez-moi Madame et Ciné-Romand (dist. Lowave). En plus de Rencontres, tourné à l'Idhec en 1977 et retrouvé récemment dans les archives de Harvard à Boston, Françoise a décidé d'ajouter cet entretien amusant où son ancien maître espagnol critique les scènes qui le choque dans l'autofiction qu'elle a réalisée de 1999 à 2004. Elle remonte le volume d'un coup de téléphone occulté dans le mixage initial. On revoit le plan litigieux... Ce n'est pas la seule séquence qui dérange dans Thème Je. Le film fait beaucoup rire en projection publique, il met parfois mal à l'aise en comité restreint. Passé ses énormes qualités cinématographiques, sa réputation de "film maudit" justifie largement sa publication en DVD. C'est à mon avis le meilleur de Françoise depuis ses deux premiers, celui qui éclaire l'ensemble de son œuvre.
À table, j'interroge José sur Luis Buñuel qu'il a connu à Paris et Mexico. Comme Frédéric Rossif lui avait demandé de tourner un sujet sur Buñuel, Don Luis accepte à condition que José joue le rôle du premier diacre de Priscillien dans La Voie Lactée et de ne jamais apercevoir sa caméra. Lorsqu'il entend le mot "Moteur !", notre ami reste pétrifié de devoir réciter son long monologue en latin ! Le premier assistant, Pierre Lary, l'emmènera boire un café pour le détendre pendant qu'une centaine de personnes attendent dans la forêt éclairée en nuit américaine... Qu'il raconte son tournage au Vatican avec Françoise ou qu'il commente avec élégance les couleurs que j'arbore, José, qui pour venir nous voir a enfilé des lacets oranges à ses souliers, ne manque jamais d'un humour pince-sans-rire que l'autre Espagnol n'aurait pas désapprouvé. J'ai toujours beaucoup ri à La voie lactée, surtout après avoir lu dans L'avant-Scène Cinéma les explications de Buñuel sur les hérésies. Ça tombe bien, Thème Je est un film hérétique dans l'histoire du cinéma.

P.S. : photo réalisée sans trucage.

lundi 22 février 2010

Wallander assassiné par le doublage


En prime time, Arte continue de diffuser des films étrangers en version française (ou allemande) plutôt qu'en version originale. Quelle honte pour une chaîne prétendument culturelle ! Nous avons tenté de regarder la première enquête de Wallander, production anglaise adaptée des romans suédois d'Henning Mankell, mais le doublage est insupportable. Les comédiens français jouent comme s'ils étaient dans une série américaine de l'après-midi. C'est déjà bizarre d'entendre parler anglais plutôt que suédois, mais Kenneth Branagh, excellent dans le rôle de l'inspecteur Wallander, comme la plupart des acteurs anglais y entretient un accent du nord de l'Angleterre. Les somptueux paysages d'Ystad sont les mêmes que dans la série suédoise tournée simultanément, production totalement indépendante de celle de la BBC.
Dans les films correctement doublés avec de bons comédiens bien dirigés, le malaise persiste pourtant. Le test est facile à faire avec un dvd en plusieurs langues. D'une part les voix y sont mixées plus fort, d'autre part l'ambiance qui les entoure n'est jamais soignée comme dans l'original. L'espace dans lequel évoluent les personnages rend plausible la reconstitution. Si la scène se passe en extérieur ou en intérieur, si la pièce est grande ou petite, meublée ou vide, la réverbération n'est pas la même. Dans un film doublé, tout est aplati, au même niveau. Question de budget évidemment. Il est aussi un fait dramatique, ou du moins déterminant, pour comprendre la logique des chaînes de télévision. L'âge moyen d'un téléspectateur d'Arte est passé de 55 à 58 ans, quand sur France 2 on arrive à 64 ans de moyenne ! La nouvelle m'a époustouflé. Les jeunes ne regardent plus la télé, mais ça c'est une autre histoire...
Il reste que voir un film qui se passe en France ou en Suède avec des acteurs américains parlant anglais peut paraître absurde. Cette convention peut néanmoins se laisser accepter si la qualité de la production est à la hauteur, et puis là, par contre, on n'a pas le choix ! Regarder Wallander en doublage français relève du massacre quand la BBC diffuse les six épisodes, trois par saison, en streaming et déjà en DVD. Attention, ceux vendus actuellement en France ne sont pas ceux avec Branagh, mais la production suédoise qui n'a rien à voir.


Après dix minutes du supplice infligé par la version française j'ai donc décidé d'acquérir la version originale anglaise. La qualité de la réalisation de ces premières minutes (ci-dessus la scène d'ouverture) avaient au moins suscité le désir. Tournées avec une caméra Red One, les images somptueuses du sud de la Suède donnent l'impression d'avoir été filmées en 35mm. C'est beau l'image de la Red ! Le premier épisode signé Philip Martin vaut surtout par l'intelligence des plans, leur rythme échappant au découpage frénétique à la mode qui camoufle l'absence de vision ; les angles font sens, les flous entretiennent le climat, les arrière-plans en disent long sur la société, les sous-entendus psychologiques ne nécessitent pas d'être appuyés...
On est loin des séries françaises où la moitié des plans ne servent à rien d'autre qu'à rallonger la durée. Le remarquable travail de Martin qui a chapeauté la série est difficile à suivre par les réalisateurs et réalisatrices qui assurent sa succession. La musique, aussi banale dans sa facture que dans son utilisation, n'est pas non plus à la hauteur. Mais les polars suédois savent entretenir le suspens sans perdre de vue la réalité sociale qui sert de terreau aux affaires criminelles. Les comédiens anglo-saxons travaillent leurs rôles, loin de la paresse hexagonale la plus courante. Il y a une différence énorme entre un cinéaste qui prend parti et les tâcherons qui accumulent les plans. La télévision n'est plus le parent pauvre du cinéma dès lors qu'on laisse le champ libre à l'imagination.

mercredi 10 février 2010

Bande-annonce de Ciné-Romand


Après le happening à Barbès en 2007 (1 2) et à La Bellevilloise en 2009 (3 4 5 6), après la publication du DVD dans son magnifique étui conçu par Étienne Mineur, après le site réalisé par Caroline Capelle et Sébastien Pons, c'est au tour d'une nouvelle bande-annonce de Ciné-Romand d'être mise en ligne à l'occasion du lancement du film aux États-Unis par Microcinema. Françoise Romand avait déjà réalisé un trailer plus explicatif. Celui-ci, énigmatique, ouvre une piste féministe. J'en ai composé la musique. À l'image on reconnaîtra Serge Dupire, Florence Thomassin, Marc Lavoine, Anne Jacquemin et Feodor Atkine.

lundi 8 février 2010

Ce Qu'il ne Fallait pas Démontrer


Catastrophé, je tente de m'accrocher désespérément au film qu'Alain Fleischer a le toupet de signer, aussi vain que vide, mais on finira par en avoir l'habitude. Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard est une monstrueuse arnaque où les protagonistes semblent sortis d'une maison de retraite pour vieux réalisateurs atteints d'Alzheimer. Godard ou Straub sont à côté de leurs pompes, rabâchant de vieux poncifs quand leur ennui de se retrouver dans cette galère n'éclate pas à l'écran. Tout est d'une paresse extrême, sorte de captation complaisante qui laisse craindre le pire opportunisme sous prétexte d'enseignement aux étudiants du Fresnoy. Comme le coffret édité par les éditions Montparnasse propose également une série d'entretiens intitulée Ensemble et séparés, sept rendez-vous avec Jean-Luc Godard, je compte sur ces bonus occupant trois des quatre DVD pour faire remonter le niveau de l'échange. C'est au mieux un portrait en creux. Godard n'a jamais été à l'aise dans le tête-à-tête. Quoi qu'on en dise, ses rencontres avec Fritz Lang (Le dinosaure et le bébé) ou Marguerite Duras (Océaniques) sont plus émouvants que passionnants. Il n'est pas à la hauteur de ses brillantissimes conférences de presse ni surtout de l'œuvre immense qu'il laissera, résumant à lui seul tout ce que fut le cinématographe depuis son invention. Dépouillés de la prétention usurpatrice d'en faire un film, la plupart des entretiens ajoutés plongent Godard dans une obscurité qui en dit long sur son implication dans cette affaire. Ses réponses sur Israël et les Juifs qui ont fait couler beaucoup d'encre sont d'ailleurs assez fumeuses et ne peuvent convaincre aucun anti-sioniste, a fortiori ses détracteurs. Son esprit de contradiction a perdu son mordant, il esquive le plus souvent au lieu de faire front. Il est toujours meilleur dans la colère, lorsqu'il prêche le faux pour connaître le vrai, comme face à Jean-Michel Frodon. André S. Labarthe dans le "film" rame en pure perte pour le sortir de l'ornière. Si Dominique Païni monologue en toute fatuité, l'universitaire Jean-Claude Conesa renvoie la filmographie de Godard à ses balbutiements en l'autopsiant. Nicole Brenez a l'intelligence de proposer des images rares, mais trop courtes, sur lesquelles elle interroge humblement "Jean-Luc". Jean Douchet et Jean Narboni, insistant avec la plus grande tendresse, arrivent finalement à le faire parler en évoquant quelques anecdotes. Aucun interlocuteur n'étant à la hauteur, tant de choses ayant été dites sur lui et son œuvre, le cinéaste est renvoyé dans les cordes au lieu d'occuper le ring. Quelle posture emprunter lorsque l'on a déjà été réduit à s'auto-parodier ? En 9h30 les amateurs n'apprendront pourtant pas grand chose et pour une leçon de cinéma on repassera. Mieux vaut voir ou revoir n'importe quel film de Jean-Luc Godard et, si vous êtes courageux, l'incontournable Histoire(s) du cinéma, un monument, le film des films.

dimanche 7 février 2010

Dessein animé


Dimanche je suis flemmard. J'ai passé trop de temps à regarder l'excellente compilation de films d'animation illustrant l'article d'Annick Rivoire sur Poptronics où elle relate le Labo 2010 du 32ème Festival du Court-Métrage de Clermont-Ferrand. Lorsque l'on s'intéresse aux œuvres audiovisuelles imaginatives, l'animation est un lieu de prédilection. Peu importe les techniques utilisées, la transposition du réel est autrement plus passionnante que les effets des superproductions hollywoodiennes. Le résultat demande souvent un travail acharné et laborieux. Manipuler des bouts de papier ou des marionnettes pendant des journées entières semble générer un humour grinçant ou une mélancolie poétique. C'est souvent drôle ou poignant. Je "fais court" pour vous laisser le temps d'admirer les films commentés par Annick Rivoire.
Le soir j'entame la liste des comédies transgressives américaines du livre de Jonathan Rosenbaum avec Avanti! de Billy Wilder. Certainement un peu trop long (2h18), le film est truffé d'allusions sexuelles et politiques, écornant le machisme et les différences de classes avec un humour qui n'a jamais quitté le réalisateur. Même si One, Two, Three, avec son anti-communisme primaire digne de Ninotschka, reste mon favori, Avanti! a été très mésestimé à sa sortie en 1972, le contexte de la libération sexuelle rendant peut-être la satire de Wilder un peu vieux jeu à l'époque. L'héritage de Lubitsch était pourtant aussi bien assumé que la révolution de mœurs qui suggérait alors qu'il fallait mieux être bien dans son corps plutôt qu'obéir aux critères de beauté et de sveltesse toujours en vogue aujourd'hui.

mardi 2 février 2010

Un Américain pas tranquille


Jonathan Rosenbaum, ex-journaliste au Chicago Reader prétendument à la retraite, encensé par nombreux cinéastes comme Jean-Luc Godard, auteur entre autres du passionnant Mouvements : Une vie au cinéma (Moving Places: A Life in the Movies), dont le site est à la fois une mine d'archives de ses écrits et un blog dont l'actualité permet de découvrir sans cesse des perles anciennes ou contemporaines, en particulier en DVD, a récemment publié un livre broché sur la rétrospective de comédies américaines transgressives qu'il a présentée à la dernière Viennale, le Festival du Film International de Vienne en Autriche. Cet "Américain pas tranquille", qui lui a donné son titre éponyme, The Unquiet American, en référence au célèbre roman critique de Graham Greene, The Quiet American (Un Américain bien tranquille), ne mâche pas ses mots, ne fait jamais dans le "politiquement correct", creuse ses sujets dans des déserts inexplorés, remonte les chemins battus à rebrousse-poil et sait garder son indépendance de vue dans un paysage critique de plus en plus convenu.
Les 184 pages, agréablement illustrées, sont en anglais pour le programme des 55 films choisis dont il s'explique avec un humour caustique et une conscience politique sans ambiguïté, et bilingues (traduction allemande) pour les textes critiques repris, corrigés ou inédits. Si je suis ravi de partager une partie de ses goûts pour des œuvres mésestimées comme Hellzapoppin ou Les 5000 doigts du Dr T, je suis excité de découvrir des films dont j'ignore tout, soit parce que je suis passé à côté sans les voir, soit par leur absence de distribution en France. Rosenbaum se défend tout d'abord de participer lui aussi à la promotion de l'industrie du cinéma de la plus grande puissance mondiale, véritable ligne de front de l'impérialisme américain, alors qu'il existe tant des chefs d'œuvre inconnus partout ailleurs sur la planète. S'il finit par céder à la demande des organisateurs Hurch et Horwath, il pervertit le sujet en choisissant la transgression comme angle d'attaque.
Ainsi classe-t-il sa sélection en cinq catégories subjectives : les Américains à l'étranger (The Three Caballeros, un des Disney les plus expérimentaux avec la Danse des éléphants de Dumbo, The Fountain of Youth, rare comédie d'Orson Welles tournée pour la télévision, La huitième femme de Barbe-Bleue de Lubitsch, Avanti! de Billy Wilder, Les hommes préfèrent les blondes de Hawks, Ishtar d'Elaine May, réalisatrice de films dits commerciaux qu'il souhaite réhabiliter, Mr Freedom, bijou pop de William Klein, Matinee de Joe Dante), les rapports de classe et tensions ethniques (Christmas in July de Peston Sturges, la comédie musicale Hairspray de l'inénarrable John Waters, Laughter d'Harry d'Abadie d'Arrast, Joan Does Dynasty de Joan Braderman, Chameleon Street de Wendell B. Harris Jr, Rushmore de Wes Anderson, The Heartbreak Kid d'E.May, Lost in America d'Albert Brooks, Bulworth de Warren Beatty), les problèmes culturels (When The Clouds Roll By de Victor Fleming et Theodore Reed de 1919, Artistes et modèles de Tashlin, Down with Love de Peyton Reed, Kiss Me Stupid de Wilder, When Pigs Fly de Sara Driver, When It Rains de Charles Burnett, The King of Comedy de Scorcese, Idiocracy de Mike Judge, Flaming Creatures de Jack Smith...), l'anarchie déconstructive et romantique (1941 de Spielberg, Two Tars de James Parrott, Sherlock Jr. de Keaton et Arbuckle, Real Life d'Albert Brooks, Will Success Spoil Rock Hunter? de Tashlin, des dessins animés de Tex Avery et Chuck Jones, des courts métrages de Owen Land, Adaptation de Spike Jonze...), les dilemmes sexuels (Adam's Rib de Cukor, Hot Times de Jim McBride, The Ladies Man de Jerry Lewis, Turnabout de Hal Roach, Female Trouble de Waters, Lord Loves a Duck de George Axelrod, Monkey Business de Hawks, Seven Chances de Keaton...).
Si je me donne le mal de taper tous ces noms, c'est qu'ils représentent autant de pistes pour le cinéphile et l'amateur désespérément à la recherche de comédies de qualité, autant de biscuits pour l'hiver qui n'est pas près de finir. Suivant ses conseils à l'image près, je pars à la pêche aux inconnus, arpentant les arcanes du Web, fouillant dans les fonds de catalogue, demandant mon chemin à des figurants à la mine patibulaire qui portent bandeau sur l'œil, sabre au clair et fleur au fusil. C'est saignant comme un steak bleu, king size débordant de l'assiette étatsunienne, quand la fâcheuse coutume est de vous le servir trop cuit lorsqu'il atteint les écrans européens.