En suivant scrupuleusement la liste des comédies transgressives américaines indiquée par Jonathan Rosenbaum dans The Unquiet American, nous découvrons évidemment des joyaux que nous ignorions. Le dernier en date fut The Three Caballeros, un dessin animé de long métrage, réalisé par Norman Ferguson en 1944, un des meilleurs de chez Walt Disney, qui mélange prises de vue réelles, avec chanteurs et danseurs sud-américains, et les personnages de Donald Duck, Joe Carioca et Panchito Pistoles. Ce film expérimental est un cocktail explosif de kitsch et de psychédélisme débridé. On frise Tex Avery pour les gags absurdes et la scène éthylique imaginée par Salvador Dali dans Dumbo pour les traitements graphiques.
Les films de Lubitsch ne sont pas tous aussi drôles ou pétillants d'intelligence les uns que les autres : nous avons été emballés par Angel, un petit bijou avec Marlene Dietrich et Melvyn Douglas, et par La huitième femme de Barbe-Bleue avec Gary Cooper et Claudette Colbert. Les dialogues y sont étincelants, les situations jubilatoires, c'est du grand art. Trouble in Paradise (Haute pègre) et Cluny Brown (La folle ingénue) ne sont pas du même niveau, mais sont très plaisants ; par contre, nous avons été déçus par Heaven Can Wait (Le ciel peut attendre). Ce sont toutes des comédies de mœurs où les femmes s'affranchissent de la condescendance masculine, où les allusions sexuelles sont légion et où les conventions bourgeoises volent en éclats. Je n'évoque ici que les films projetés ces dernières semaines, il nous reste quantité de Lubitsch muets à découvrir, périodes allemande et américaine, et je ne parle pas des merveilles que nous connaissons par cœur comme The Shop Around the Corner, Ninotschka, To be or not to be, voire Design For Living (Sérénade à trois) et That Uncertain Feeling (Illusions perdues)...
Nous ne connaissions Preston Sturges que de nom, mais The Palm Beach Story (Madame et ses flirts) est un chef d'œuvre lubitschien avec Claudette Colbert et Joel McCrea et Christmas in July (Le gros lot) une jolie fable sociale. Tous ces films sont des screwball comedies mettant la plupart du temps en scène des couples qui s'aiment et se cherchent des noises. Dans le genre, Adam's Rib (Madame porte la culotte) de George Cukor est probablement le meilleur de tous ceux interprétés par le tandem Katherine Hepburn - Spencer Tracy. Parmi les descendants du maître Lubisch dont il a été l'élève, Billy Wilder est un des plus représentatifs. Si mon préféré reste One Two Three, nous passons un agréable moment devant Avanti! et, plus encore, The Fortune Cookie (La grande combine) avec Jack Lemon et un Walter Matthau au meilleur de sa forme.
Will Success Spoil Rock Hunter? (La blonde explosive) de Frank Tashlin, avec Jayne Mansfield, Tony Randall et Groucho Marx, ne vaut pas certains de ses films avec Jerry Lewis, mais il annonce l'univers de la pub de Mad Men et écorne avec humour l'univers de la communication comme le fait dramatiquement Wilder dans le remarquable Ace in the Hole (Le gouffre aux chimères), démonstration implacable de la manipulation de l'opinion à des fins mercantiles, cinquante ans avant notre ère.
The Fountain of Youth est une curiosité télévisuelle où Orson Welles mélange prises de vue fixes et mobiles en mettant à profit ses talents de conteur. Il nous reste à voir pas mal de films de la liste ou ceux cités dans les articles publiés par Rosenbaum dans son livre-catalogue et dont j'ai scrupuleusement noté les titres. Mon billet ne fait que les survoler, livrant des pistes aux amateurs de comédies, genre que les filles réclament souvent en projection et que j'ai eu longtemps du mal à fournir ! J'ai gardé celles d'Albert Brooks et d'Elaine May pour la fin. Rosenbaum prétend que Brooks est dix fois plus drôle que Woody Allen, mais trop original pour avoir du succès. Real Life est un pastiche de télé-réalité de 1971 tordant et prémonitoire, intelligent et corrosif, tandis que, moins réussi, Lost in America attaque le mythe américain de la liberté en un double petit bourgeois d'Easy Rider ! De même, Elaine May réalise un pendant au Lauréat de Mike Nichols avec The Heartbreak Kid, une comédie noire avec le génial Charles Grodin, et Ishtar, une comédie ratée avec Warren Beatty Dustin Hoffman, Isabelle Adjani et Grodin, qui a le mérite d'aborder l'ingérence de la CIA à l'étranger au travers d'une loufoquerie où les deux principaux protagonistes incarnent un couple de chanteurs ringards envoyés à Marrakech pour un contrat miteux.
Entendre Françoise pliée de rire deux soirs de suite mérite d'être souligné ! La comédie de science-fiction Innerspace (L'aventure intérieure) de Joe Dante nous a donné envie de voir ses autres films dont le succès n'a jamais égalé celui des Gremlins. Comme pour nombre de films choisis par Rosenbaum, cela s'explique par leur côté politiquement incorrect et leur originalité. Nous sommes montés d'un cran dans le délire avec la politique-fiction The Second Civil War où l'État d'Idaho, fermant ses frontières à des enfants réfugiés pakistanais après un conflit nucléaire avec l'Inde, déclenche une Seconde guerre de sécession, attisée par les médias télévisuels. Si cette satire hilarante et incisive renvoie furieusement aux présidents des États-Unis passés et à venir, ainsi qu'aux différentes guerres qu'ils n'ont cessé de mener, elle met en scène avec un humour dévastateur le spectacle qu'organise quotidiennement les médias qui nous gouvernent.
Pour ne pas rester scotchés uniquement sur les films américains, fussent-ils critiques, et désertant la liste Rosenbaum, nous avons regardé Le temps qu'il reste (DVD France Télévisions Distribution) du Palestinien Elia Suleiman, nettement moins drôle que les précédents ''Chronique d'une disparition'' et surtout ''Intervention divine''. Le film a beau être juste et personnel, il reste un gout de déjà vu qui sied peut-être aux gags répétitifs de Suleiman, mais déçoit au regard des inventions auxquelles il nous avait habitué. Évidemment satirique avec l'occupation israélienne, il a le mérite de savoir se moquer aussi bien de son peuple...
Sur les écrans, le blockbuster Precious est un film sympa et moins consensuel que les clichés dramatiques d'un Ken Loach. Lee Daniels sait filmer avec légèreté une situation tragique, même si les séquences glamour sont un peu lourdes. Il y a tout de même de jolies trouvailles comme lorsque Precious se voit en blonde dans le miroir ou qu'elle s'identifie physiquement avec les héros du petit écran. Arriver à réaliser une comédie dramatique sur le viol, l'inceste, l'obésité n'est pas une mince affaire. Dans ce pamphlet social, le casting essentiellement féminin et noir ainsi que les rebondissements du scénario donnent une bouffée d'air frais au cinéma américain contemporain.