Après Toto le héros (1991) et Le huitième jour (1996), le cinéaste belge Jaco Van Dormael a attendu treize ans avant de réaliser son troisième long-métrage. Alors que le Festival de Cannes sélectionne quantité de navets, Mr Nobody (2009) a été refusé en sélection, mettant en danger sa sortie en salles, repoussée de plusieurs mois pour sortir discrètement en janvier 2010. Le scénario, fruit d'un travail quotidien pendant six ou sept ans, a dû être repris à la demande des distributeurs. Comme jadis Dans la peau de John Malkovich, l'édition DVD (Fox Pathé Europa) lui permettra peut-être de devenir un film culte au fur et à mesure des années. Car Mr Nobody échappe à la logique du cinéma de papa et fiston réunis, celui que nous infligent tant l'entertainment américain à destination des adolescents du monde entier formatés sur leur modèle et les balourdises hexagonales dont les ficelles ressemblent à des cordes à nœuds. Ce n'est pas non plus le cinématographe de grand-papa, même si l'invention plastique n'a rien à envier au temps du muet, car Mr Nobody est une autre manière de voir un film, si personnelle qu'elle n'augure pas même le cinéma de l'avenir. On peut éventuellement le rapprocher de l'excellent Eternal Sunshine of the Spotless Mind de Michel Gondry ou de l'épouvantable L'étrange histoire de Benjamin Button de David Fincher, en termes de préoccupations scénaristiques.
Impossible à raconter sans gâcher le plaisir du futur spectateur, Mr Nobody, 2h17 avec des comédiens anglophones, est un film d'anticipation, de construction complexe, basé sur les principes d'incertitude et les théories de Schrödinger, ce qui fit dire à des jeunes spectateurs qu'il s'agissait d'un film quantique ! Puisqu'il faut une explication à tout, la psychanalyse viendra au secours de la science pour justifier des univers parallèles que composent nos possibles "tant qu'on n'a pas choisi". Les images, les effets spéciaux, les décors sont à la hauteur de cet ambitieux projet qu'ils servent avec intelligence. Le recours à de nombreuses citations musicales sont justifiées par le propos et Jared Leto est formidable dans son rôle à transformations. J'en ai déjà trop dit, il vaut mieux vous souhaiter le plaisir de la découverte...