70 Cinéma & DVD - décembre 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 28 décembre 2010

Scorsese surestimé


Certains réalisateurs vivent sur la réputation de leurs premiers succès sans que la critique n'ose remettre en cause leur talent. Voilà bien quinze ans que Martin Scorsese réalise des films plan-plans totalement surévalués, tout comme les derniers Clint Eastwood, manichéismes pompiers aux allures politiquement correctes. Je vous ferai grâce de la soupe révisionniste Invictus, préférant chroniquer le tout récent feuilleton scorsesien, énième variation fantasmatique sur la mafia nord-américaine avec ses rivalités communautaires et ses réflexes machistes en diable. Cinéma de curé moderniste, la série Boardwalk Empire, en cours sur Orange Cinéma, a au moins le mérite de mettre en scène d'excellents acteurs servant de bons dialogues. Mais le thème du brave gangster n'est pas très nouveau. Quand je lis que tournage et montage furent un calvaire pour Scorsese obligé de couper une heure de film, je me demande comment il peut justifier ses incessants mouvements de caméra qui ne servent à rien et les poncifs du scénario dont les ficelles me laissent anticiper chaque plan jusqu'aux effets sonores. On a plutôt l'impression que tout est étiré au maximum pour arriver à tenir les 52 minutes hebdomadaires. De certains longs métrages on dit qu'ils auraient fait un bon court. Ici la série ferait peut-être un long acceptable, à condition de réfléchir, par exemple, à la place de la caméra, à la morale d'un travelling et à l'opportunité de la musique, cette prothèse encombrante qui formate presque tous les films américains, et à leur suite les français qui ont l'espoir de faire illusion.
Il aurait été dommage que je m'arrête au premier épisode, le pilote tourné par "le maître" étant de loin le plus mauvais des douze épisodes. Comme dans toute série on finit par s'attacher aux personnages, mais tous leurs gestes sont prévisibles. On en ressort vide. On n'a même pas rigolé un bon coup. Aucune de nos convictions n'aura été ébranlée. C'est le propre du cinéma à message. Car Boardwalk Empire ressemble surtout à une paraphrase balourde et paresseuse de l'actualité américaine. Toutes les crapules sont républicaines, elles élisent un imbécile à la présidence, la prohibition fait le jeu de la pègre, les politiciens sont mouillés jusqu'au cou, les escrocs s'appellent Ponzi. Les rôles d'Al Capone ou Lucky Luciano dans leurs jeunes années se résument à un boute-en-train farceur et un impuissant élégant. Une tête au-dessus de la mêlée, Steve Buscemi règne magnifiquement sur Atlantic City filmé à grands renforts de grue sur décor rabâché d'épisode en épisode. Les autres comédiens sont malheureusement sous-employés, excellents mais monotones, tels le nègre de faction joué par Michael Kenneth Williams (Omar dans The Wire), la bonne âme Kelly McDonald, le cassé de la grande guerre Michael Pitt, etc. Tout sonne démagogique, du vote des femmes à la pleutrerie du Ku Klux Klan, de l'affranchissement des Noirs aux compromissions des politiciens, car rien n'est exploité, mais toujours saupoudré.
Tout cela pourrait être recevable si la critique ne se gargarisait des films de ces réalisateurs qui furent jeunes il y a bien trop longtemps et ne perpétuent aujourd'hui que le pire du cinéma, sa récupération industrielle et propagandiste de la grandeur des USA, répétant inlassablement les mêmes recettes pour un public rassuré de pouvoir reconnaître quand connaître exige un effort. Toute cette poussière est agitée au détriment de films dont les entrées sont hélas à la hauteur du budget dépensé, tant pour leur production que pour leur publicité. Faute de savoir se renouveler, le cinéma est-il en train de devenir un art du passé ? Les réalisateurs et réalisatrices indépendants sauront-ils et elles braver le formatage et le conformisme qui s'est emparé de l'écran ? Le cinéma d'aujourd'hui n'est en définitive qu'à l'image de la société qui l'engendre et dont il répète éternellement le portrait, perdu, cynique, frileux, ou pour résumer, à court terme.

mardi 14 décembre 2010

À quoi rêvent les têtes de veau


Hier soir au Brady était projeté le court métrage de Sonia Cruchon, À quoi rêvent les têtes de veau, une fiction freudienne de 16 minutes où elle règle le sort du loup en deux coups de fourchette à peau, et même de seconde peau... Car sa tête de veau, Sonia l'a mitonnée aux petits oignons. Attrapant le taureau par les cornes, elle a soigné son premier film comme le meilleur praticien, comprenant que nous nous faisons tous et toutes du cinéma. On se raconte des histoires, comme jadis nos parents pour que nous nous endormions. Le film, bouleversant de poésie brute, dresse un pont entre les interrogations de l'enfance et les énigmes de l'âge adulte. Entre les deux, on esquisse des réponses, qui, si elles rassurent, se révèleront forcément fausses.


Alors si vous désirez tout savoir sur le sexe des anges, pourquoi Dreyer aimait les moulins à vent, combien de visages peut prendre une vie sage, si la mémoire nous joue des tours, vous ferez chou blanc. Le film est une œuvre ouverte que chacun assaisonnera à sa sauce. Rite de passage ou jeu de cache-cache avec les sens, le cinéma est la réunion d'images et de sons qui se complètent, le montage jouant à saute-mouton avec le temps et la lumière se gardant bien de mépriser les zones d'ombre. À quoi rêvent les têtes de veau est un film personnel nous permettant d'y trouver nos propres références, et de rêver, longtemps après que la salle fût rallumée.

samedi 11 décembre 2010

Le cadeau idéal


Quitte à succomber aux incontournables coutumes familiales le coffret DVD de cinq disques de Pierre Étaix m'apparaît comme le cadeau idéal pour Noël. Si déjà vous avez signé la pétition de soutien à l'époque où un producteur indélicat bloquait tous les films du réalisateur depuis des années, probablement en attendant qu'il meurt, vous ne pouvez vous dédire sans acquérir le magnifique objet accompagné d'un épais livret, maintenant que le procès est gagné, qu'Étaix a retrouvé ses droits et que l'on peut enfin profiter de ses merveilleux films.
Dans tous les cas vous découvrirez l'œuvre d'un grand cinéaste, fils spirituel de Jacques Tati dont il fut gagman et assistant sur Mon oncle et héritier français de tous les grands du muet. Je spécifie français parce qu'à travers tous ses films Étaix dresse un portrait critique de notre peuple. Son cinquième long métrage, Pays de cocagne (1969), fut d'ailleurs si mal pris qu'il freinera terriblement le cinéaste dans sa carrière. Sa causticité est pourtant tendre et forcément (et non pas d'entrée férocement !) drôle, les personnages de ce documentaire de création étant filmés avec le même acuité que ceux de ses fictions.
Je me souviens du soir où mes parents étaient rentrés enchantés du cinéma où ils avaient vu Le soupirant (1962), un distrait maladroit en quête de femme, qui voudrait rassurer ses parents. Comme lorsque j'eus douze ans, les enfants préféreront Yoyo (1964), un conte de fées moderne où l'on retrouve l'univers du cirque cher à Étaix. C'est d'ailleurs sa compagne, Annie Fratellini, qui joue dans Le Grand Amour (1969). Tant qu'on a la santé (1965), constitué de quatre parties indépendantes, ne dépare pas à la collection où le comique d'observation est à son comble et où la fantaisie sait se jouer des gestes les plus banals. Événement rare, le son est toujours traité à l'égal de l'image. L'humour et l'élégance rivalisent d'ingéniosité.
Le coffret présente une ribambelle de courts métrages, un passionnant documentaire sur Étaix et, chose surprenante, le fantastique court de Furtado, L'île aux fleurs, dont le choix politique oriente notre lecture de tous les films de Pierre Étaix qui se moque allègrement de nos habitudes bourgeoises, de la société de consommation, du populisme, du machisme, de l'ennui des nantis, en gardant un flegme décalé, inhabituel pour l'époque et la région.
Le titre d'Intégrale est malgré tout usurpé, mais j'avais heureusement enregistré L'âge de Monsieur est avancé (1987) à la télé en VHS. Je le croyais à tort adapté de Guitry... Le plus merveilleux, c'est que j'ai ri à tous les films, seul ou accompagné, et qu'ils m'ont nourri comme toutes les meilleures comédies.