70 Cinéma & DVD - octobre 2012 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 25 octobre 2012

Le génie de Max Linder


Cherchant un titre pour chroniquer la sortie du triple DVD de Max Linder je ne pouvais trouver d'autre qualificatif que génial. J'avais commencé par "initiateur drôle et inventif", mais le père du premier personnage burlesque de l'histoire du cinéma, qui influença fondamentalement Charlie Chaplin, mais aussi tous les acteurs comiques chez qui l'on retrouve sa trace indélébile, des Marx Brothers à Jacques Tati et Pierre Étaix, ne peut se réduire à son humour, son élégance, ses scénarios décapants ou ses inventions cinématographiques. Quiconque découvre Max Linder n'en croira pas ses yeux, à défaut de ses oreilles puisque nous sommes à l'époque du muet. Les musiques de Jean-Marie Sénia et Gérard Calvi accompagnent néanmoins les films magnifiquement restaurés que les Éditions Montparnasse ont eu l'excellente idée de sortir pour les fêtes qui s'approchent.
Les deux longs métrages, En compagnie de Max Linder, présenté à Cannes en 1963, et L’Homme au chapeau de soie, réalisé en 1983 également par sa fille Maud, sont complétés par dix courts métrages parmi les cinq cents tournés et dont il ne subsiste qu'une centaine. Les veinards en trouveront une cinquantaine d'autres aux États Unis, mais il faut fouiller, et il existe un film d'Abel Gance de 1924 avec Max Linder intitulé Au secours !. Si Max était le fils de vignerons bordelais, le premier long réunit trois films inégalables tournés aux États Unis en 1921 et 1922, Sept ans de malheur, Soyez ma femme et L'étroit mousquetaire. Le second long est un portrait au travers d'extraits et de documents d'époque exceptionnels rassemblés et commentés par Maud qui n'a jamais connu ses parents. En 1925, l'acteur-réalisateur s'est suicidé alors qu'elle n'avait que seize mois, entraînant dans la mort sa très jeune épouse. Hyper jaloux, bipolaire, dépressif, Max Linder avait 41 ans...


Des dix courts métrages de ses débuts, tournés entre 1910 et 1915, je retiens particulièrement Max prend un bain pour des raisons très personnelles même si je les aime brûlants, Max a peur de l'eau pour le contraire et l'irrévérencieux Max et sa belle-mère, malgré l'insupportable piano de Sénia dont les conventions éculées nuisent formellement à l'intemporalité des films. Maud Linder n'aura de cesse de réhabiliter ce génie du burlesque, oublié peut-être parce qu'il était français et que l'empreinte sur Charlot n'était que trop visible ? Si ses films et son personnage respirent une incroyable modernité, il s'agit plutôt de perpétuité, concession octroyée aux chefs d'œuvre.
On connaît le cinéma Le Max-Linder, sur les Grands Boulevards à Paris. Pour présenter son travail dans les meilleures conditions, Max Linder en avait dessiné les plans en soignant le moindre détail, du trajet emprunté par les spectateurs à la place de l'orchestre accompagnant les films, mais la salle fut reconstruite dans les années 80...

mardi 16 octobre 2012

Limousine et limousine


Suite du compte-rendu de séances de la veille.
J'avais boudé Cosmopolis (2012), après le précédent opus de David Cronenberg sur Freud totalement inutile, me disant qu'il fallait bien se faire une raison comme pour Tim Burton, Spike Lee, Martin Scorsese ou Francis Ford Coppola dont les bons films datent de plus de vingt ans. Erreur, fatale erreur ! On ne devrait jamais écouter personne en matière de goût (à bon entendeur salut ;-). Comme Holy Motors il a divisé la critique et rencontré un succès mitigé depuis le Festival de Cannes. Sauf que Leos Carax a tourné une pâtisserie indigeste, poésie maniériste déconnectée qui n'arrive même pas à la cheville du malheureusement décrié Pola X où Scott Walker fait une apparition remarquable et pourtant peu remarquée, et évidemment de son unique chef d'œuvre qu'est Mauvais sang. Réalisé avec peu de moyens d'après un roman de Don DeLillo, Cosmopolis est une réflexion étonnante sur le monde actuel, un o.v.n.i. sec comme une trique sur le vertige mortifère créé par l'écart des richesses, la perte de repères, l'année dernière à... New York puisqu'il nous a fait penser aux premiers Resnais. Relation énigmatique dont je n'ai pas trouvé l'explication, Cosmopolis commence où se termine Holy Motors sur la question de savoir où dorment les limousines. Carax la brique après avoir feint la déglingue, Cronenberg la déglingue après avoir feint les briques. Celle du premier n'est qu'une loge de théâtre tandis que le second en fait la citadelle où se réfugient les gloires éphémères de l'économie.

lundi 15 octobre 2012

Compte-rendu de séances


Petit survol récurrent de quelques films projetés depuis le précédent compte-rendu, en marge de ceux ayant fait l'objet d'un article particulier dans cette même colonne et que l'on retrouvera évidemment en rubrique "Cinéma et DVD". Je crois que le dernier datait du 2 février 2012.

D'abord ceux qui nous ont emballés et qui auraient mérité que je m'y attarde si je n'avais tant de boulot...

Sport de filles de Patricia Mazuy (2012), la lutte des classes et des sexes dans le milieu du dressage hippique et de la compétition, intelligent, original, avec Marina Hands, Bruno Ganz, Josiane Balasko...
The Angels' Share (La part des anges), le dernier Ken Loach (2012), presqu'une comédie, très sympa, invisible sans sous-titres anglais ou français, c'est ce qui fait aussi son charme...
Mio fratello è figlio unico (Mon frère est fils unique) de Daniele Luchetti (2007), indiqué par ma fille comme le précédent, portrait rare de l'Italie coincée entre fascisme et communisme au travers de l'histoire de deux frères, amis, ennemis...
Voir L'école du pouvoir (2009) à la télévision (en fait sur Arte+7 grâce à Internet) nous a donné envie de voir d'autres films de Raoul Peck. Le profit et rien d'autre (2001) est un formidable documentaire sur la situation économique planétaire jouant sur les idées plus que sur les chiffres ou les anecdotes, sa poésie critique en constituant un modèle pédagogique. Lumumba (2000) est plus classique, trop démonstratif en comparaison des deux autres, mais tout aussi passionnant.
Auf der anderen Seite (De l'autre côté) de Fatih Akin (2007) m'a également donné envie de voir ses autres. Les récits imbriqués des personnages et du temps sont élégamment maîtrisés pour résoudre les drames qui se répondent. Fatih Akin sait jouer des aller et retours entre ses origines turques et l'Allemagne pour mettre en scène l'immigration tout en fustigeant leurs carcans réciproques. Je suis heureux d'y retrouver Hanna Schygulla rencontrée pour un film que je ne tournerai probablement jamais.
The King of New York d'Abel Ferrara (1990), en DVD chez Carlotta, n'a rien perdu de sa force. Christopher Walken y est épatant de sobriété sans perdre une once d'énergie cathartique. Le bien et le mal y sont retournés comme des gants.
Polar plus récent, Hodejegerne (Headhunters) du norvégien Morten Tyldum (2011), sur un scénario de Jo Nesbø, est palpitant et plein de rebondissements.
Alpeis (Alpes) est le troisième film (2011) de Yórgos Lánthimos qui avait réalisé le bouleversant Canine. Avec un scénario aussi original, heureusement moins éprouvant, le cinéaste grec continue de nous étonner. Les membres d'une société secrète, apprentis acteurs du réel, offrent leurs services à des familles en deuil pour remplacer les défunts selon des règles draconiennes...
J'avais ajouté ici un couplet sur Cosmopolis et Holy Motors, mais vu la longueur de ce billet je le reporte à demain.

Suivent quelques films agréables comme L'enfant d'en haut d'Ursula Meier (2012) qui avait signé Home. J'écris agréables, parce que nous avons eu du plaisir à les regarder, mais ce sont des films qui reflètent la dureté sociale et économique de notre époque. Il en va ainsi du dernier des frères Dardenne, Le gamin au vélo (2011). Dans ce registre, De bon matin de Jean-Marc Moutoux, lourd et prévisible, n'a hélas pas la force de Violence des échanges en milieu tempéré.
Excellente surprise, par contre, avec L'ordre et la morale de Mathieu Kassovitz (2011) sur la prise d'otages d'Ouvéa en Nouvelle Calédonie. Aucune démonstration d'hémoglobine, mais un film politique sévère et remarquablement monté, probablement le meilleur de son auteur, révélation d'un scandale étouffé de l'armée française comme on croit que seuls les Américains osent le faire. On comprend mieux la cabale dont il a été victime et la colère de Kassovitz.
J'ai regardé l'excellent thriller inuït On The Ice de Andrew Okpeaha MacLean (2011) le même soir que le suspense baleinier à l'eau de rose Big Miracle (Miracle en Alaska) de Ken Kwapis (2012). À l'entr'acte j'ai dégusté deux boules de glace de l'inégalable Berthillon !
Sympathique hommage familial, bien qu'assez pervers à y regarder de près, de Mathieu Demy avec Americano (2011).
La comédie L'amour dure trois ans de Frédéric Beigbeder (2012) se laisse voir parce qu'elle est dans l'air du temps.
La vie d'une autre de Sylvie Testud (2012) ne laisse pas un souvenir impérissable, l'amnésie de Juliette Binoche étant peut-être contagieuse, mais c'était chouette.
Dark Horse (2011) n'est pas le meilleur de Todd Solondz, mais c'est tout de même un jalon de plus dans sa chronique dépressive de l'Amérique.
Le quai des brumes de Marcel Carné (1938) va ressortir au cinéma grâce à une restauration époustouflante de l'éditeur Carlotta. Dialogues formidables de Prévert. Le réalisme poétique au service du mélo. "T'as de beaux yeux, tu sais ?"

Tous ces films ont le mérite de ne pas être horripilants contrairement à Starbuck de Ken Scott (2012) qui ne tient pas la distance malgré une idée marrante, le lourdingue 38 témoins de Lucas Belvaux (2011), les étirés D'amour et d'eau fraîche d'Isabelle Czajka (2010) ou 17 filles de Delphine et Muriel Coulin (2010) qui n'en finissent pas de filmer leurs héroïnes pendant qu'elles réfléchissent, le vicieux Etz Limon (Les citronniers) d'Eran Riklis (2008) qui, sous couvert d'ouverture, est aussi machiste que pro-israélien, toute demie mesure faisant le jeu du colonialisme.
Double déception avec le saignant The Countess (La Comtesse) de Julie Delpy (2009) dont je venais de voir Two Days in New York (2012), bien mieux qu'on en a parlé, et avec Two days in Paris réalisé selon le même schéma avec nombreux acteurs communs cinq ans plus tôt. J'ai préféré de loin les romances Before Sunrise (1995) et Before Sunset (2004) de Richard Linklater, tournés à dix ans d'intervalle avec l'actrice et Ethan Hawke.

Quant à l'enthousiasme de la critique pour Damsels in Distress de Whit Stillman (2012), certainement pas ! Ampoulé, suranné, aussi potache que du Wes Anderson. Loin de la réussite de Metropolitan (1990).
Idem avec Compliance de Craig Zobel (2012) qui n'a plu que parce qu'il est annoncé que c'est une histoire vraie. Tant de crédulité laisse pantois. Quel ennui lorsqu'on anticipe les plans à venir. Un peu comme avec Gone (Disparue) de Heitor Dhalia (2012).
Il y a pire : deux Blanche-Neige, un de Tarsem Singh (2012), l'autre avec chasseur de Rupert Sanders (2012), John Carter de Andrew Stanton (2012), The Raven (L'ombre du mal) de James McTeigue (2012), The Avengers de Joss Whedon (2012), là je sombre dans les blockbusters amerloques, encore que Captain America The First Avenger de Joe Johnston (2012) soit plus supportable, et que Men in Black 3 de Barry Sonnenfeld (2012) soit une surprise plutôt rigolote. Pour en prendre plein la vue, ajoutez la trépidante action de Sherlock Holmes A Game of Shadows de Guy Ritchie (2011) et ne boudons pas Chronicle de Josh Trank (2012), plus malin qu'il n'en a l'air, avec des super héros immatures qui remettent les fantasmes de l'Amérique à leur place.

Pardonnez ces jugements à l'emporte-pièce qui n'engagent que moi. Pour qu'un film me plaise j'ai besoin que son scénario surprenne, que ses plans soient réfléchis et opportuns, que la direction d'acteurs soit à la hauteur, que les idées qu'ils suscitent n'enfoncent pas le spectateur dans ses convictions tout en défendant celles pour lesquelles je me bats. Ce ne sont que des pistes pour celles et ceux qui me font l'honneur de me lire quotidiennement. À chacun ensuite de tracer son chemin !

vendredi 5 octobre 2012

Dérapage contrôlé (2)


La cinéaste Françoise Romand a mis en ligne sur Vimeo la version intégrale de Dérapage contrôlé tourné à Agen en 1994, douze minutes étonnantes et intemporelles réalisées avec humour et plein d'espoir. Dans les studios du Florida répètent plusieurs groupes de jeunes musiciens. Une élue de droite, à l'origine du projet, tient un discours d'une intelligence rare dans le monde de la culture tandis qu'un de ses collègues du même parti rabâche de vieux clichés de classe.


En mai 2006 j'avais signalé ici-même la version courte publiée sur YouTube, mais avec le recul, plus de quinze ans après les faits, la perspective historique rend le film encore plus actuel que jamais. Il y a deux sortes d'œuvres, les millésimées et celles dont la date de péremption est inscrite sur le couvercle. Depuis Mix-Up ou Méli-Mélo, tous les films de Françoise (DVD ou VOD sur UniversCiné) se bonifient avec le temps...

La cinéaste termine actuellement un film sur les afficheurs Ella et Pitr et travaille à une comédie de long métrage...