70 Cinéma & DVD - mai 2014 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 29 mai 2014

Le couple en bataille


Some Velvet Morning, le dernier film de Neil LaBute est un huis-clos où s'affrontent un homme et une femme dans un rapport de perversité largement plus retors que La Vénus à fourrure de Roman Polansky. Neil LaBute filme la méchanceté des hommes comme personne, dressant toujours un parallèle avec la mise en scène, sorte de mise en abîme des manipulations dont ils sont les auteurs ou les pantins. En compagnie des hommes (In the Company of Men), Entre amis et voisins (Your Friends and Neighbors), Nurse Betty, Fausses Apparences (The Shape of Things), Harcelés (Lakeview Terrace), Panique aux funérailles (Death at a Funeral) sont des portraits grinçants de notre société moderne où les apparences sont le nerf du sujet. Le réalisateur affectionne les coups de théâtre qui font tomber les masques de ces pervers narcissiques dont les victimes sont la matière première de leurs œuvres diaboliques. Également homme de théâtre, il dirige remarquablement ses acteurs aux dialogues toujours acérés (DVD Zone 1, New Video Group).
Filmé entre autres le soir-même de la dernière élection présidentielle, La bataille de Solférino est un tour de force virevoltant où le jeu des comédiens et la caméra portée rappellent les films de Cassavetes sans perdre le style des comédies dramatiques françaises. Justine Triet, dont c'est le premier long métrage, tire un portrait de famille éclaté(e) où le couple en prend pour son grade, la folie de l'époque déstabilisant ces parents immatures avec, comme chez LaBute, un net penchant pour les femmes tout de même moins azimutées que la gente masculine. La réalisatrice manie un humour corrosif dans les situations qui pourraient tourner au vilain, mais sa tendresse évite les jugements manichéens, produisant une distance qui nous laisse libre de penser malgré la vitesse des répliques et une tension longtemps entretenue. L'immersion de la fiction dans des circonstances documentaires rappelle Lelouch sans le côté fleur bleu de l'anecdote. De plus le film bénéficie du recul historique après quelques mois passés, mettant en scène le réel dans des séquences qu'aucune équipe de reportage télé n'a jamais su capter. Habituellement seuls des documentaristes comme Depardon ou Wiseman savent filmer l'envers du décor. Avec le temps qu'exige l'analyse, Justine Triet dévoile les fantasmes des militants qui déchanteront aussi rapidement que le couple dont l'inconscient se devine derrière les corps et les cris (DVD Shellac Sud).

vendredi 16 mai 2014

Welcome to New York, un tour de passe-passe


Gros buzz orchestré par Vincent Maraval, producteur du film d'Abel Ferrara sur DSK rebaptisé Deveraux. Le film est au Festival de Cannes au marché du film et sort exclusivement en VoD demain samedi sans presque aucune projection de presse. En cette époque d'overdose d'informations le secret fonctionne à plein et les fantasmes vont bon train. Le risque est pourtant qu'on n'ait plus rien à dire lorsqu'on aura assisté aux multiples scènes d'orgie et à la reconstitution de l'affaire.
À l'annonce de l'affiche "Vous savez qui je suis ?" il conviendrait de répondre "un simple avatar", énième tour de passe-passe du storytelling qui cache les vrais enjeux... Car si la vie privée des personnages publics s'y réclame de la fiction, l'analyse politique du réalisateur colle forcément à une version officielle qui fait l'impasse sur la réalité du capitalisme et du néolibéralisme pour dessiner un portrait à charge d'un homme de pouvoir que les outrances connues de son entourage, même éloigné, font passer simplement pour un malade, obsédé sexuel qui ne reconnaît plus ses limites. Or le modèle, et il s'agit bien d'un modèle puisque DSK était sur la voie de la présidence de la République, n'est que celui d'une société qui a elle-même perdu ses repères en favorisant une poignée de puissants qui se pensent intouchables au détriment de presque toute la population.


Un soir que je dînais avec un commissaire aux comptes du gouvernement celui-ci nous expliqua que tous les hommes politiques, les députés, les maires, etc. commettent des irrégularités condamnables par la loi. Si la droite pratiquait l'enrichissement personnel, la gauche (pas son actuel semblant qui siège au gouvernement !) en faisait profiter le parti. Le pouvoir des commissaires aux comptes était limité à un coup de règle sur les doigts du contrevenant qui mettait la pédale douce pour trois ou quatre ans. Lorsque son arrogance lui laissait penser qu'il était au-dessus des lois, il tombait. Ils sont rares, mais ces cas sont célèbres. La proposition d'élections au tirage au sort (stochocratie) sera pour l'avenir à prendre avec le plus grand sérieux.


L'affaire du Sofitel est une anecdote scabreuse révélatrice de tout un monde, celui de la finance qui croit pouvoir tout se permettre. Dominique Strauss-Kahn défendait une politique identique à celle que le gouvernement prétendument socialiste nous inflige. Au moment des faits il est directeur général du Fonds monétaire international (FMI), rouage essentiel de l'escroquerie dont les peuples sont actuellement victimes, organisateur de ce qu'il est coutume d'appeler la crise. Ferrara rejoint néanmoins Scorsese et son Loup de Wall Street en mettant en scène le gâchis. Or ce gâchis fascine dangereusement les masses exploitées dont la revanche accoucha dans l'Histoire des pires cauchemars. La société du spectacle aveugle les victimes en leur faisant miroiter l'opulence des bourreaux au lieu de repenser le système sous un angle où le partage et la solidarité permettraient de nous sauver de la catastrophe annoncée.