70 Cinéma & DVD - septembre 2015 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 25 septembre 2015

Spartacus et Cassandra


Théo est en seconde en section cinéma. C'est chouette ces spécialisations qui ne sont pas téléguidées par le monde de l'entreprise ! À son âge ma fille avait carrément choisi de changer de lycée pour suivre "cirque et études" à Georges Brassens, cirque le matin, lycée l'après-midi, mais avec le même programme que les élèves des autres établissements. On pouvait donc y passer moins de temps pour se livrer à des activités plus épanouissantes ? Après 1968 il y avait juste une fille parmi des milliers de garçons à Claude Bernard parce qu'elle faisait dessin, et un seul garçon à Lafontaine parce qu'il avait choisi musique ! Cela marquait le début de la mixité. Pour les activités extra-scolaires on ne pouvait compter que sur soi. J'allai à la Maison des Jeunes écouter des conférences, des copains avaient créé un ciné-club au lycée, j'y avais organisé le premier concert de rock... Après le bac j'étais rentré à l'Idhec un peu par hasard, réussissant le concours contre toute attente et surtout la mienne. Je ne réalise pas souvent de films, mais le cinéma exerce une influence considérable sur tous mes travaux. Théo m'a donc conseillé de regarder Spartacus et Cassandra qui lui avait beaucoup plu. Le film vient de sortir en DVD.


Spartacus et Cassandra est un vrai documentaire, pas un reportage télé comme on nous en sert trop souvent, de la radio projetée sur grand écran. La banalité donne une image exécrable du documentaire. Pourtant lorsque le sujet suggère sa forme ou qu'un cinéaste, comme ici Ioanis Nuguet, soigne autant le style que le récit le documentaire acquiert ses lettres de noblesse.
Spartacus et Cassandra est un film sur l'enfance et l'adolescence, de celles qui nous habitent et nous font vivre, ou qui nous échappent et nous figent dans des rituels de mort prématurée. Le réalisateur a choisi de ne rien livrer d'autre que ce qui est perçu par son personnage principal, un gamin Rom, retiré à ses parents par la justice et confié avec sa petite sœur à une bonne fée, jeune et dégourdie. Les zones de mystère ne manquent pas de nous interroger, mais l'on sait bien que ces questions viennent nous tarabuster plus tard. Spartacus a déjà fort à faire avec son père à la rue et sa mère complètement paumée. La circassienne Camille dresse un pont entre les gens du voyage et le monde des rêves, offrant aux deux petits Roumains la possibilité d'échapper à la misère et à la délinquance. Nuguet, que l'on suppose intime de la trapéziste, jongle avec sa caméra pour trouver des angles où la fantaisie et l'imagination réfléchissent le réel. Il soulage les moments difficiles où la tristesse et la révolte s'emparent de Spartacus pour fabriquer un conte dont les enfants sont les premiers auteurs, paradoxalement plus sages que leurs deux parents. Tels Les contrebandiers de Moonfleet ou La nuit du chasseur, ce film initiatique apporte aux enfants la lumière en chassant les ombres maléfiques que les adultes agitent en toute inconscience.

→ Ioanis Nuguet, Spartacus et Cassandra, DVD blaq out avec en bonus un entretien avec le réalisateur, l'atelier slam, un cours de trapèze, la poule trapéziste, etc., 18,90€

mardi 22 septembre 2015

Mr. Robot hacke jusqu'à sa propre vie


Sur le thème du hacker en révolte contre la société libérale, les trois premiers épisodes de Mr. Robot laissent espérer une série rêvée pour les geeks et les nerds fans d'informatique. Le jeune autiste sniffeur se retrouve prêt à supprimer toute trace de dettes dans une gigantesque entreprise qui tient tout du monstre bancaire. Les trois épisodes suivants glissent hélas vers un thriller banal quand les quatre derniers de cette première saison reprennent des couleurs grâce à un abîme psychanalytique inattendu.


Ces trois tonalités successives s'essoufflent parfois faute de creuser l'anarchie politique que l'équipe de la Fsociety promeut et l'égocentrisme du personnage principal rend superficiel les caractères qui gravitent autour de sa paranoïa. Trouver le ton d'une série n'est pas toujours facile et le conserver est à double tranchant. On s'en lasse autant que l'on s'y habitue. La réussite tient dans un savant équilibre entre l'addiction et le renouvellement, les conventions et les surprises. Cette nouvelle série TV reste néanmoins intéressante grâce au personnage principal interprété par Rami Malek, zorro des zéros et des uns, et un Christian Slater dont la distance évasive se comprend tardivement.

lundi 21 septembre 2015

Les good vibrations de Love & Mercy


Amateur des Beach Boys, mais peu friand des biopics romançant la vie d'artistes, j'ai été bouleversé par Love & Mercy, le film de Bill Pohlad, producteur à succès (Brokeback Mountain, Fur, Into The Wild, Fair game, The Tree of Life, 12 Years a Slave, Wild) dont c'est le second comme réalisateur vingt-cinq ans après Old Explorers. Si l'histoire de Brian Wilson est étonnante et pathétique, j'ai été happé par l'invention de la bande-son, tant par les idées d'arrangement du leader des Beach Boys, que je connaissais déjà, que par la concrétisation 5.1 de ses hallucinations vocales qui le hantent et l'assomment. Les aller et retours entre deux époques de sa vie sont interprétés par John Cusack et, plus jeune, par Paul Dano qui l'incarne de manière fascinante. Sortis des séances de studio (Brian Wilson craignait les tournées) et de ses périodes de dépression qui le torturent jusqu'à le clouer au lit pendant trois ans, nous assistons au duel de sa future (seconde) femme interprétée par Elizabeth Banks et du terrible Dr Landy dont Paul Giamatti endosse parfaitement le rôle de pervers narcissique plus fou et dangereux que son patient.


Brian Wilson est sourd d'une oreille depuis que son père, sévère figure de l'éternel rival incapable de donner l'amour que son fils lui réclame, l'a jeté contre un mur. Son désintérêt pour la stéréo s'en explique très bien. Or la réussite du film tient justement à la personnalité musicale de Brian Wilson, au son qui l'entoure et à celui qu'il entend malgré tout dans sa tête et le fait souffrir. Oreille absolue, précision quasi maladive du détail, recherche de sonorités inouïes, goût pour des instruments peu usités, voire des bruits et cris d'animaux intégrés dans les enregistrements, les sons le font vivre et l'épuisent. Les drogues participant au dérèglement de tous les sens ont aussi leur part dans le délire qui lui fera accoucher du chef d'œuvre des Beach Boys, l'album Pet Sounds. Le film Love & Mercy me donne envie d'écouter The Smile Sessions (5 CD), l'album solo dont il a rêvé longtemps et qu'il n'a finalement publié qu'en 2011, empêché par les rivalités internes au groupe, ainsi que les Pet Sound Sessions (encore 4 CD !), matériel exceptionnel qui a grandement motivé Bill Pohlad. La personnalité complexe de Brian Wilson est à l'image de ses inventions musicales, loin de celle de surfers de la côte ouest que cherchaient à donner ses camarades.

vendredi 11 septembre 2015

TV, chap.2 : Cinéastes de notre temps


Cinéastes de notre temps (1964-1972) produite par Janine Bazin et André S. Labarthe offrait la meilleure des émissions jamais réalisées sur la cinéma, avec en réalisateurs Jacques Rozier (pour Vigo), Eric Rohmer (pour Dreyer et Le celluloïd et le marbre), Jacques Rivette (pour Renoir avec Eustache au montage), Claude de Givray (pour Jacques Becker et Guitry), Jean-Louis Comolli (sur les cinémas québécois et hongrois, pour Perrault avec Labarthe), Noël Burch et Jean-André Fieschi (La Première Vague, Delluc et Cie, L'Herbier), Fieschi solo (pour Pasolini l'enragé, Rouch), Labarthe lui-même (pour Pagnol, Ford, von Sternberg, Jerry Lewis, Melville, Autant-Lara, McLaren, Le dinosaure et le bébé avec Godard face à Fritz Lang, pour King Vidor, Cassavetes, Cukor, Berkeley avec Hubert Knapp, pour Robbe-Grillet et Shirley Clarke avec Burch), Michel Mitrani (pour Ophüls), François Weyergans (pour Bresson), Jean Douchet (pour Astruc) et Astruc (pour Murnau), Jacques Baratier (pour René Clair), etc., la liste complète compte 45 épisodes dont Buñuel, Gance, Stroheim, Truffaut, Walsh, Hitchcock
La sélection de la seconde saison (1989-2001) intitulée Cinéma de notre temps ne m'enthousiasma pas autant, même si les réalisateurs sont Claire Denis (pour Rivette), Ackerman (sur elle-même), Assayas (pour Hou Hsiao-Hsien), Marker (pour Tarkovski), Limosin (pour Cavalier), Pedro Costa (pour Straub et Huillet), Julie Bertucelli (pour Iosseliani), etc., collection néanmoins aussi exceptionnelle et absolument indispensable (un coffret DVD est paru, mais la plupart des films sont bloqués pour des raisons de droits, car ils abritent quantité d'extraits). Y figurent encore Lynch, Scorsese, Kiarostrami, Cissé, Chabrol, Oliveira, Loach, Cronenberg, Moullet… Alors commencez par suivre les liens ;-)
Le principe initial était de réaliser les sujets dans le style des cinéastes abordés, et des auteurs comme Labarthe faisait preuve d'une imagination incroyable, qui n'existe plus aujourd'hui que sur une petite chaîne confidentielle (où enfin des femmes réalisent !). Son Bleu comme une orange aborde la question de la couleur face au noir et blanc avec en solistes Soulage, Franju, Averty, Warhol, Brassaï, Charbonnier, Trauner, Varda et Klein, excusez du peu ! Pour illustrer le son dans son Samuel Fuller il termine avec 1'30 d'une fusillade où l'image n'affiche qu'un carton : "le son".
L'INA numérise ses archives à tours de bras, mais sans en regarder sérieusement le contenu ! L'Institut National de l'Audiovisuel dort sur un trésor. La plupart des 70 documentalistes travaillent machinalement, désinvestis par une hiérarchie absurde. Pendant ce temps et tandis que le numérique (pratique, mais fragile) envahit tous les secteurs audiovisuels les studios américains sauvent leur patrimoine sur une pellicule argentique 35 mm Kodak spéciale. Ce n'est pas une blague, mais la longévité du vieux support est le seul garanti !

jeudi 10 septembre 2015

TV, chap.1 : Quand la pluralité appauvrit le paysage


Du temps où n'existait en France qu'une seule chaîne, les téléspectateurs assistaient à une programmation extrêmement variée qui ne méprisait pas son public, ne reléguant pas les uns au sport et aux divertissements, les autres aux magazines d'actualité ou aux rediffusions répétitives des mêmes films. Le pouvoir ne contrôlait effectivement que les informations, laissant les dramatiques aux cinéastes souvent de gauche, communistes pour la plupart. En 1981 les socialistes prenant les rênes du pays et connaissant la puissance de la culture mettent fin à cette période faste. Mitterrand ira jusqu'à vendre La 5 à Berlusconi. La seule frontière était celle du carré blanc, logo indiquant les programmes susceptibles de choquer les enfants (nos parents étaient plus choqués par le carré blanc que par ce qu'il stigmatisait, donc on avait le droit de tout voir !). L'offre se multipliant avec l'avènement du satellite les chaînes deviennent de plus en plus spécialisées, cantonnant le public dans des cases ciblées.
En revoyant quantité d'émissions des années glorieuses de la télévision française on sera surpris de leur qualité exceptionnelle. Des cinéastes comme William Klein ou Michel Mitrani participaient au magazine de référence 5 colonnes à la une… Jean-Daniel Pollet, Ange Casta, Claude Goretta signaient des sujets incroyables de Dim Dam DomLes Shadoks passaient juste avant le Journal de 2O heures. Il faudrait absolument rééditer les films de José Maria Berzosa, Roger Leenhardt, Noël Burch, etc. Des téléastes comme Jean-Christophe Averty, Raoul Sangla, Claude Santelli… mériteraient que l'INA se bouge pour rediffuser leurs œuvres plutôt que les chaînes nationales ressassent toujours les mêmes films. L'idéal serait de dispatcher le fonds historique exceptionnel sur toutes les chaînes thématiques et généralistes, ou au pire créer une chaîne spécialisée dans la télévision du passé, du temps où elle était vraiment créative, car aujourd'hui même Arte obéit au diktat de l'audimat, réduisant considérablement ses ambitions.

vendredi 4 septembre 2015

Show Me A Hero, mini-série du créateur de The Wire


Bien qu'elle relate un événement historique Show Me A Hero, la nouvelle mini-série de David Simon, est d'une actualité brûlante, tant aux États-Unis qu'en Europe, puisqu'elle met en scène le racisme ordinaire. Dans un quartier nord de New York un jeune maire doit appliquer la loi en faisant construire 200 logements HLM répartis dans une communauté blanche de classe très moyenne. La levée de boucliers débouchera sur une situation absurde : la municipalité, étranglée par des amendes énormes pour ne pas suivre les arrêtés de la Justice, est menacée de banqueroute. Les tractations et les coups bas rappellent furieusement ce dont j'ai été témoin pendant les dernières élections municipales où nous nous étions investis Françoise et moi ! Si les plus honnêtes y laissent des plumes, les egos dirigent le jeu. La vie des habitants de la cité en est considérablement affectée. Comme précédemment pour The Wire (Sur écoute), Generation Kill et Treme, l'étude de caractères vériste, le respect des accents, le moindre détail sont si bien analysés que les différences de classe éclatent sur l'écran en une leçon politique, suffisamment fine pour échapper aux balourdises explicatives du cinéma où seuls adhèrent ceux et celles qui sont déjà convaincus.


Le rôle principal est tenu par Oscar Isaac déjà apprécié dans le formidable polar The Most Violent Year et la distribution comprend aussi Bob Balaban (en outre réalisateur de l'excellent et méconnu Parents), Jim Belushi, Catherine Keener, Wynona Ryder, etc. Les chansons de Bruce Springsteen et le rap qui accompagnent la mini-série sont la plupart du temps diffusées in situ, elles ne viennent pas des cintres ! Au moment où l'État français bloque les réfugiés qu'il appelle sans papiers pour ne pas accepter de leur en délivrer, les empêchant ainsi de vivre dans des endroits décents (sans papiers, pas de feuilles de salaire - sans feuilles de salaire, pas de logement), la projection de ces six épisodes est salutaire.

jeudi 3 septembre 2015

Transparent


Le préfixe trans permet quantité de jeux de mots depuis que le mouvement LGBT a fait son coming out. Les titres pulluleront probablement à l'instar de l'excellent film Transamerica réalisé il y a déjà dix ans par Duncan Tucker avec Felicity Huffman. Cette fois la nouvelle série télévisée, fine et caustique, se nomme Transparent en référence à la saga familiale dont le patriarche change de sexe dès le premier épisode. Ses trois enfants ont des vies bien barrées, mais en y réfléchissant sérieusement ne sommes-nous pas tous et toutes dans ce cas ? La famille (et j'm la faille) est une source intarissable de névroses que l'on réussit plus ou moins bien à gérer.


La première saison de 10 épisodes de 26 minutes est drôle, provocante et donne vraiment envie de voir la prochaine. Jill Soloway, sa scénariste et réalisatrice féministe qui a fait ses armes entre autres avec Six Feet Under, s'est inspirée de la vie de son propre père, mais je ne peux m'empêcher de comparer le pitch avec Appelez-moi Madame, le savoureux documentaire réalisé par Françoise Romand en 1986 et qui connut un succès considérable aux États-Unis. Au thème du genre particulièrement en vogue, l'humour juif rajoute une couche de comédie qui ravira les amateurs.

Diffusion en France sur OCS City.