70 Cinéma & DVD - juin 2016 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 27 juin 2016

The Hidden, film-culte méconnu


Comme je suis toujours à la recherche de films qui sortent de l'ordinaire, Jonathan Buchsbaum me suggère The Hidden (1987) en avançant que c'est drôle et qu'on peut le considérer comme "une sorte de" thriller... Le film de Jack Sholder avait reçu, entre autres, le Grand Prix du Festival international du film fantastique d'Avoriaz l'année suivante, mais j'imagine que la renommée de ce genre de film atteint essentiellement les amateurs de ces œuvres de niche. On notera la présence du jeune Kyle MacLachlan découvert dans les films de David Lynch, aussi froid que le sera plus tard l'agent spécial Dale Cooper dans la série Twin Peaks. Pourtant The Hidden rappelle plutôt de Videodrome ou The Naked Lunch de David Cronenberg.


La bande-annonce, comme ma chronique, ne doivent jamais déflorer le film. C'est pour moi toujours un problème de ne rien raconter tout en incitant mes lecteurs à regarder tel ou tel. La surprise doit rester intacte. De même j'évite de lire quoi que ce soit sur un film avant de le projeter. Alors comment se faire une idée et choisir ? Par une somme d'indices, de rapprochements, de termes somme toute assez flous, mais qui précisent la raison de mon enthousiasme. Lorsque l'on accorde sa confiance à un journaliste ou un ami dont les goûts sont proches des siens on arrive à avancer au milieu de la jungle des films anciens et récents à notre portée. Vous trouverez peut-être un peu difficilement ce petit bijou fantaisie, paru en DVD il y a une dizaine d'années, mais il nous a fait passer une bonne soirée.

jeudi 23 juin 2016

Adam Curtis, documentariste à l'œuvre contre les idées reçues


Si vous n'avez jamais entendu parler du documentariste britannique Adam Curtis (plus fourni, mais en anglais dans le texte) cela n'a probablement rien de surprenant et il n'est pas trop tard pour rattraper le temps perdu à regarder des reportages plan-plan comme il y en a tant. Adam Curtis réalise des films presque exclusivement pour la BBC, or le monde du cinéma méprise royalement ce médium. De plus il est anglais et il est difficile de trouver ses films sous-titrés. Deux raisons pour passer à côté d'un incontournable pourfendeur de l'establishment dont les recherches formelles de ses derniers films sont à l'égal des sujets traités. On connaît la réputation des Britanniques en matière de documentaires et cette fois vous serez servi !


Contrairement à ses autres documentaires qui ont recueilli quantité de prix dont de nombreux BAFTA, It felt like a kiss (2009) n'est pas un film en soi puisqu'il fait partie d'un spectacle multimédia de la compagnie Punchdrunk avec la partition du musicien de Blur et Gorillaz, Damon Albarn, interprétée par le Kronos Quartet, mais c'est un des plus drôles, accessible même si l'on ne comprend pas bien la langue de Shakespeare ou de Lennon-McCartney. Dans ses films les plus récents Adam Curtis utilise des images d'archives qui ne semblent pas toujours en rapport avec son sujet, mais qui sous-tendent un discours intelligent et sensible touchant souvent à l'inconscient. La manipulation de l'opinion dans les pays démocratiques est justement le thème de The Century of the Self (2002) ou comment le neveu de Sigmund Freud inventa les relations publiques et la société de consommation en adaptant les théories de son oncle, suivi par Anna, la fille coincée du psychanalyste viennois.


Dans tous ses films, souvent assez longs et découpés en trois ou quatre parties d'une heure, on découvre des séquences incroyables d'images vues nulle part ailleurs. La fiction et le réel se mêlent souvent pour servir son propos. Le travail de montage et de sonorisation est remarquable. Dans ses films les plus récents les cartons rappellent explicitement les travaux de Jean-Luc Godard, mais ailleurs la voix de Curtis accompagne souvent ses montages insolents ; les images et les sons ne sont pas des redondances du commentaire, ils jouent de transversalités en s'inspirant de Brecht et Freud. Pandora's Box (1992) aborde les dangers de la rationalité technocratique et politicienne, The Living Dead (1995) les manipulations de l'Histoire nationale et de la mémoire individuelle, The Power of Nightmares (2004) le parallèle entre l'islamisme du monde arabe et le néo-conservatisme des États Unis avec leur intérêt mutuel de créer un ennemi pour attirer notre sympathie, The Trap - What Happened to our Dream of Freedom (2004) le concept simpliste de liberté sur des êtres devenus robotiques à force de bourrage de crâne, All Watched Over By Machines of Loving Grace (2007) la faillite des ordinateurs à nous rendre la vie meilleure, Bitter Lake (2015) l'alliance perverse de l'Arabie Saoudite avec les États Unis créant un monstre sous prétexte de lutter contre le Mal, etc.
J'ai découvert Adam Curtis par hasard en prenant It felt Like A Kiss pour un film de Bill Morrison dont j'ai acquis depuis le triple coffret Blu-Ray. Le style était très différent, mais l'un et l'autre se servent exclusivement d'images d'archives avec des partitions sonores savamment travaillées. Je pensais plutôt à une sorte d'actualisation du génial A Movie (1958) de Bruce Conner.


Il existe quantité de petits films et la plupart des longs de Curtis sur Vimeo ou YouTube, tous en anglais non sous-titrés, mais relativement compréhensibles selon vos connaissances en anglais. J'en ai reproduits deux ci-dessus, commencez par ceux-là, les plus anciens sont de facture plus classique, mais très au dessus de ce que l'on nous montre la plupart du temps.

vendredi 17 juin 2016

Les quatre saisons de Marcel Hanoun


Re:Voir publie Les saisons de Marcel Hanoun en un coffret de 4 DVD. Cinéaste expérimental, contemporain de la Nouvelle Vague et méconnu du grand public, Hanoun tourne dans un no man's land entre Godard et Robbe-Grillet, Bresson et Straub. Avec les premiers il ne partage pourtant nulle perversité, mais des seconds il possède la rigueur. Même si la bande-son et quelques photos se réfèrent à l'actualité, la poésie de L'été (1968) est résolument mâle, avec à la clef nudité, gros plans ou gambadage de fille dans la campagne.


Pour L'hiver (1969) Michael Lonsdale joue le rôle du réalisateur, qu'il feigne de filmer de la peinture ou des personnages féminins dans Bruges désert. Hanoun met ici plus explicitement son discours de la méthode en abyme. S'appuyant sur la rupture entre l'image et le son, la voix off et la musique classique envahissent le hors-champ. Des coups de zoom insistent sur l'importance du montage. La couleur fait son apparition, s'intercalant avec le noir et blanc. Cette dualité est à l'image des rapports homme-femme de ce second volet, mais le mâle ne peut s'empêcher de donner des leçons. Les femmes sont laissées pour compte et fleurette, des comédiennes. Ce n'est pas pire que chez la plupart de ses congénères, mais ici, comme chez Godard, les cassures permettent de voir et d'entendre, chose devenue rare au cinéma. J'ignore qui a influencé l'autre, mais il y a trop de coïncidences. Les langues et les pistes se superposent. Les acteurs, ayant souvent la bouche fermée tandis qu'off ils sont bavards, nous obligent à nous identifier à leurs pensées plutôt qu'à leurs actes.


Chaque nouvelle saison complexifie le dispositif, précisant le style de Marcel Hanoun sans se soucier du genre. La fiction y pénètre avec Le printemps (1970). Lonsdale encore, rare comédien à oser l'impossible en marge de films plus commerciaux. La fuite remplace la promenade, scandée en panoramiques heurtés. Le documentaire fait une apparition saignante. Montage parallèle de scènes de passage. De rites ? Les voix s'effacent devant la nature. Les règles d'une petite fille marquent définitivement l'arrivée du printemps.


Face à la caméra de Hanoun, Lonsdale, toujours, regarde son film dont on entend que la musique de Mahler. Ainsi commence L'automne (1972) avant que l'image ne disparaisse pendant un coup de téléphone. Tamia joue le rôle de la chef monteuse. Elle tient tête au réalisateur comme à son amant. Les mœurs ont évolué depuis quatre ans. (Je note avec amusement que si Tamia chantera avec notre Drame Musical Instantané après avoir été du Unit de Michel Portal, Lonsdale créera plus tard notre spectacle Buzzati). Les deux personnages évoquant le film virtuel qu'ils montent incarnent en fait le discours de Hanoun. Le contrechamp invisible devient le moteur de l'action. Je note encore que Tamia a des accents de Brigitte Bardot comme certaines phrases off des acteurs sonnent étonnamment godardiennes. La sexualité et la politique sont mises sur le grill, comme l'action et la parole révèlent notre impuissance. Avec cette dernière saison, Hanoun est entré dans le réel, celui de la fiction assumée.



→ Marcel Hanoun, Les saisons, coffret Re:Voir 4 DVD et un livre de 100 pages avec articles signés par Jean-Louis Bory, Dominique Noguez, Emeric de Lastens, André Cornand & Abraham Segal, Paola Melis, 49,99€