70 Expositions - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

lundi 22 janvier 2024

D'ange en danger


Il y a quelque temps j'ai raté une marche en descendant l'escalier. Trois heures du matin. N'ayant pas allumé la lumière, j'ai cru être arrivé, mais non. Et j'ai volé. L'atterrissage s'est passé sans mal, sur les avant-bras qui doivent être solides. Mais j'ai volé, sensation exceptionnelle, dilatation du temps, rêve à moitié réveillé. Ce saut de l'ange m'a rappelé un petit article du 2 avril 2012 à propos d'une affiche collée sur le mur du second étage (et le poème de Jean Cocteau, L'ange Heurtebise)...



D'ange en danger il n'y a que l'air. En équilibre sur le mur de l'escalier, celui-ci s'emberlificotera-t-il les pinceaux ? Dévalera-t-il les deux étages sans pouvoir se rattraper ? Bourré de bonnes intentions, ivre peut-être [...] ? [...] Pendant ce temps notre ange se sera fait la malle sans se faire mal. On l'aura vu se promener sur les quais, toujours aussi maladroit. Il n'y est déjà plus, même si la photo fait foi, deux fois même, c'est certain. Il sera rentré au bercail...


C'est un garçon, clament des amis prêts à gentiment se chamailler pour un oui, pour un nom difficile à trouver. On n'accouche pas d'un ange tous les jours. Il faut savoir savourer son plaisir. S'accorder. Ella et Pitr mettent tout le monde d'accord. Malins. Ah ce que c'est beau, l'amour !

mardi 2 janvier 2024

Iris van Herpen, le passé mis au futur


La vie des profondeurs, L'eau et les rêves, Les forces du vivant, Le squelette incarné, La dynamique des structures, Synesthésie, Atelier alchimique, Mythologie ténébreuse, Nouvelle nature, Voyage cosmique. Ce sont les dix stations de l'exposition Iris van Herpen Sculpting The Senses. Pionnière dans l’usage des nouvelles technologies en matière de haute-couture, la créatrice hollandaise y présente une sélection de plus de 100 pièces dialoguant avec des œuvres d’art contemporain, telles que celles de Philip Beesley, du Collectif Mé, Wim Delvoye, Rogan Brown, Kate MccGwire, Damien Jalet, Kohei Nawa, Casey Curran, Jacques Rougerie, Marinette Cueco, ainsi que des créations de design de Neri Oxman, Ren Ri, Ferruccio Laviani et Tomáš Libertíny, et des pièces provenant des sciences naturelles comme des coraux ou des fossiles créant une résonance unique avec des pièces historiques.
J'ai évidemment reconnu les planches de Ernst Haeckel qui avaient inspiré Sonia Cruchon pour Aksak Tripalium, huitième épisode de mon film Perspectives du XXIIe siècle, et retrouvé mon goût pour les pop-ups ! Le travail alchimique d'Iris van Herpen a bien un pied dans le passé (les arabesques du style Art Nouveau, le Ballet triadique d'Oskar Schlemmer ou des costumes de films muets d'anticipation comme Aelita ou Metropolis m'ont semblé souvent encore plus évidents que les nombreuses références revendiquées), un autre dans le futur (par les techniques employées : découpe au laser, plastique recyclé, fèves de cacao imprimées en 3D, intelligence artificielle, coquillages broyés, etc.). Trois espaces viennent compléter le parcours : une évocation de l’atelier d’Iris van Herpen, un cabinet de curiosités présentant chaussures, masques et éléments de coiffures en regard d’éléments des sciences naturelles et de vidéos et une salle où sont projetées des vidéos des défilés de la créatrice. J'ai pourtant trouvé l'ensemble un peu figé (peut-être ajouter quelques ventilateurs !) en regard de la mobilité des œuvres de cette créatrice qu'il serait plus juste d'assimiler à une sculptrice.


La scénographie de l'atelier de Nathalie Crinière colle bien aux effets de matière organique des robes. La composition sonore créée par Salvador Breed, qui pour la dernière salle a collaboré avec Machinedrum, Gwyneth Wentink, Thijs de Vlieger, Yarck, Marteen Vos, Casimir Geelhoed et Nick Verstand, tous ayant préalablement travaillé avec Iris van Herpen, épouse chaque salle avec délicatesse et intelligence, utilisant le silence et la spatialisation pour ne pas figer le décor sonore. Les couleurs de ce "voyage cosmique" (photo 1) m'ont étonnamment fait penser au Château de Barbe-Bleue de Bartók mis en scène par Michael Powell que j'ai chroniqué récemment dans cette colonne. En revendiquant, par son titre, de "sculpter les sens", l'exposition souligne bien que, au delà des matières, la fiction narrative alimente l'imaginaire de la créatrice.

Exposition Iris van Herpen Sculpting The Senses, Musée des Arts Décoratifs, jusqu'au 28 avril 2024

lundi 25 décembre 2023

Le MUR de Saint-Étienne


Le MUR de Saint-Étienne est un support d'affichage de trois mètres sur huit installé par la ville pour l'association dont les artistes Ella & Pitr sont les programmateurs depuis sa création il y a plus de dix ans, avec bien d'autres qui leur prêtent main forte. Chaque mois ils invitent donc un artiste à l'occuper. Si Ella & Pitr sont là bénévoles, les artistes perçoivent de la mairie une petite rétribution. Parfois ce sont les élèves d'une école qui s'y collent comme ce mois-ci ceux de maternelle et primaire de l'école Marcel Pagnol à La Ricamarie, une commune du département de la Loire. Le MUR est situé rue du Frère Maras à "St-É", au dos de la Bourse du Travail (sur la photo on aperçoit l'ancienne école des Beaux-Arts), tout près de l'atelier du couple stéphanois. Au bas de cette même rue, en face des nouvelles Halles Mazérat, c'est aussi "la rue des gâteaux" où ils collent des affiches avec gâteaux aux anniversaires de leurs potes. Ils ont sous-titré cette opération "Un collage par mois pour la santé publique". Depuis des années Ella & Pitr exposent leurs œuvres gratuitement dans la rue et vendent leurs toiles via la Galerie Le Feuvre & Roze, rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris. Ce grand écart leur permet de vivre en restant libres de leurs facéties picturales ou autres, car ils adorent sortir du cadre. Depuis plusieurs mois ils travaillent à un spectacle scénographique dont la première aura lieu à la Comédie de Saint-Étienne à l'automne prochain. Au sein de leur site web ils ont aussi ouvert une boutique en ligne, Superbalais, où l'on trouve leurs livres et des DVD, des T-shirts et des sweats, des skateboards et des puzzles, des savons et des briquets, des flip-books et des sérigraphies... Il y en a pour toutes les bourses.
J'évoque le MUR de ce mois-ci parce que, comme tout le monde, j'adore la créativité des petits. M'étant demandé pourquoi cette aptitude disparaissait avec l'âge, dans les années 70 j'avais initié un cours de musique pour les enfants à partir de 3 ans. Tous n'étaient pas forcément enclins à pratiquer des instruments de musique, certains préféraient par exemple dessiner, mais je remarquai que leur imagination s'évanouissait essentiellement à partir de 6 ans, soit à l'entrée en primaire, lorsque les réponses arrivent avant les questions.


On peut imaginer que c'est en peignant Tony avec ses deux marionnettes de doigts sur la façade de l'école de la Ricamarie que l'idée de proposer le MUR à ces enfants de maternelle et primaire leur est venue. Pour cette cent-trentième affiche, ce n'est pas la première fois que des artistes en herbe s'y collent et pas la dernière. Ils avaient commencé il y a longtemps avec leurs propres enfants quand ils étaient tout petits et d'autres élèves d'écoles sont depuis intervenus sur le MUR. Pour l'année à venir, il est question qu'il y ait parmi leurs invités les Papotins, ainsi que des autistes et des handicapés. Ils continueront également à collaborer avec des écoles situées en ZEP (zone d'éducation populaire).

vendredi 20 octobre 2023

Le musée du KGB


Premier gratte-ciel de Tallinn, l'Hôtel Viru fut construit en 1972 pendant l'occupation soviétique en intégrant les contraintes politiques matérielles inhérentes à la paranoïa et au contrôle obligatoire du régime. Si le vingt-deuxième étage abritait un immense restaurant panoramique, le vingt-troisième qui surplombait la capitale était interdit d'accès, sauf aux membres du KGB qui y travaillaient sans relâche. Les chambres de l'hôtel pouvaient être écoutées, les allées et venues du personnel surveillées, la ville quadrillée. C'était aussi le lieu où la nomenclature profitait au mieux de son séjour estonien, et pas toujours selon les concepts moraux affichés ! La visite du Musée du KGB vaut d'abord par le commentaire de la guide qui manie l'humour british avec le même zèle que son anti-communisme primaire. Les photographies exposées nous plongent dans un univers kitschissime hallucinant dont la mise en scène rappelle certains films de Fassbinder. Les documents d'époque jonchent les bureaux et les murs. Depuis la terrasse la vue sur la ville d'un côté et sur la mer baltique de l'autre est exceptionnelle.


Sur la porte de la salle des machines l'écriteau indique qu'il n'y a rien derrière cette porte ! S'y côtoient une foule d'appareils d'écoute, le central téléphonique, un magnétophone, des piles de papier et le petit matériel du parfait espion, micros cachés dans des assiettes, antennes de transmission, porte-monnaie piégés, etc. Nous imaginons que nos chambres ont depuis été refaites et qu'il n'existe plus aucun vestige dans le faux-plafond ou derrière le grand miroir devant lequel je tape mon article dans le plus simple appareil.


Le pays récemment "connecté" est un modèle de modernité informatique à tel point que certains l'appellent e-Stonia. Les habitants peuvent payer la moindre chose avec leur carte de crédit. Ils n'ont plus besoin d'avoir un euro en poche. Cela peut poser parfois quelques problèmes comme samedi après-midi où un bug informatique empêcha toute transaction dans Tallinn pendant deux heures ! À l'école, au moment de voter, partout où cela est possible, les ordinateurs proposent une gestion que l'on pourrait considérer centrale, s'étendant comme un filet sur tout le pays. Le wi-fi est pourtant plus souvent absent qu'annoncé dans la publicité touristique. Cette excursion donne un avant-goût de ce qui pourrait nous attendre si tout était informatisé. Passé les bugs, c'est une société de contrôle où tous les services sont interconnectés avec, par exemple, des cartes d'identité truffées d'informations sur les citoyens. Le passé renversé semble avoir malgré tout laissé des traces sur le futur.

Article du 27 septembre 2011

jeudi 17 août 2023

Neo Rauch au Mo.Co. de Montpellier


Nous ne sommes jamais arrivés à la mer. La file des automobiles vers la plage de l'Espiguette au Grau du Roi était impressionnante. Nous bifurquons vers Montpellier où nous nous repaissons à la Brasserie du Théâtre avant d'aller jeter un œil au Mo.Co. dont l'exposition Neo Rauch m'intriguait. Le peintre allemand a grandi en R.D.A., à Leipzig, deuxième ville du pays après Berlin, élevé par ses grands-parents après la mort de son père et de sa mère dans un accident de chemin de fer alors qu'il n'a que quatre semaines. On ressent dans sa peinture à la fois les traces du réalisme socialiste de l'Allemagne de l'Est, où il vécut ses trente premières années avant la Chute du Mur, et un goût prononcé pour le surréalisme, avec des traces de la Renaissance italienne et du Romantisme allemand, tout ce qu'il faut pour rendre son œuvre à la fois insaisissable et particulièrement attrayante. Le titre de l'exposition, Le Songe de la raison, provient d’une gravure de Goya El sueño de la razón produce monstruos, et des monstres ses tableaux en sont remplis, animaux ou humains. J'aime penser à ces derniers comme à des animaux dénaturés, tels que nous appelle l'écrivain Vercors. Fondamentalement allégoriques, les peintures laissent pourtant libre l'interprétation de chacun/e. Sur une cimaise est écrit : "Le tableau naît sous la forme d'une image mentale - un flash intérieur. Le déclencheur peut être un coin de chambre ou un détail du parquet... C'est un fragment au début, rien de plus. La germination commence là. Chaque toile est une aventure. Je ne fais pas d'esquisse, jamais. Pour l'essentiel, c'est un processus inconscient." On retrouve là les surréalistes, mais aussi l'improvisation qui me tient tant à cœur.


En admirant certaines de la centaine d'œuvres exposées, dont quarante grands formats explosant de couleurs vives et contrastées, je me dis que j'aimerais en proposer à certains musicien/nes que j'invite pour mes Pique-nique au labo comme sources d'inspiration, partitions ouvertes que nous puissions interpréter librement, chacun/e à notre guise, mais ensemble. Ensemble, parce que les sujets des tableaux de Neo Rauch ressemblent à des collages dont les éléments prennent sens, entendre toujours ici ce mot au pluriel, au contact les uns des autres. Partout je recherche le sens, même et surtout dans son abstraction. De même que j'aime la poésie sous toutes ses formes parce qu'elle est circonlocutoire, à savoir qu'en tournant autour des choses elle obtient une précision éternelle alors que la science visant le centre se retrouve chaque fois démentie par les nouvelles avancées. Si certains tableaux de Neo Rauch m'apparaissent trop explicites, la plupart entretiennent un mystère qui va puiser aux racines de l'inconscient.

Neo Rauch, Le songe de la raison, exposition au Mo.Co., Montpellier, jusqu'au 15 octobre 2023 / très beau catalogue bilingue anglais-français, 152 pages, 30€
→ Jean-Jacques Birgé + 28 musiciens, Pique-nique au labo, double CD GRRR 2020 / Jean-Jacques Birgé + 20 musiciens, Pique-nique au labo 3, CD GRRR 2023, dist. Orkhêstra / 15€ chaque

mercredi 19 avril 2023

Il était une fois la fête foraine


Sans le courrier de Vincent Dujardin, forain de l'eau, qui cherchait désespérément le CD épuisé de Il était une fois la fête foraine (Auvidis Tempo A 6217 passé au pilon lors du rachat par Naïve), je n'aurais pas exhumé l'album que j'avais réalisé en complément du catalogue de l'exposition présentée en 1995-96 à la Grande Halle de La Villette et dont Raymond Sarti avait imaginé la scénographie. Cet énorme chantier nous occupa des mois avec une équipe dévouée, redoutablement efficace. Reconstituer une fête foraine dans la Grande Halle avec des objets patrimoniaux fut un pari réussi.
J'y participai comme concepteur de tout l'environnement sonore, soixante-dix sources différentes tournant en boucles sur plusieurs centaines de haut-parleurs, et en cosignai avec Bernard Vitet la composition musicale. Je fabriquai les ambiances et les effets ponctuels, commandai les dialogues cinglants à l'écrivain Alain Monvoisin, dirigeai les comédiens, rassemblai les chansons avec l'aide de Serge Hureau et Martin Pénet, élargissai la fête en créant des hors-champs chevalins au delà des palissades qui nous entouraient, etc. Comme aucune boucle n'avait la même durée la reconstitution sonore évoluait tout le temps, faisant vivre le lieu livré aux visiteurs qui oubliaient le côté compassé de l'espace muséographique à tel point que les enfants osaient hurler comme à la foire. Désacralisation qui ne manquerait pas d'en choquer certains, mais qui montrait que les musées pourraient peut-être se penser autrement. Le sujet s'y prêtait. Un badaud vomissait dans un coin sombre à la sortie du pousse-pousse, des gamins nous appelaient depuis le sommet de la plus petite grande roue du monde, plus loin à trente mètres de haut l'avancée dans le vide était accompagnée de remarques idiotes qui semaient l'effroi, et les manèges tournaient, ils tournaient, et les orgues se déclenchaient automatiquement, et les bonimenteurs nous étourdissaient... J'aurais été déçu si le public n'était pas ressorti de là avec une tête grosse comme ça !


Représenter l'expérience de la visite est impossible. En plus du labyrinthe imaginé par Raymond Sarti (son site est plein de croquis et de photos), il manque déjà les lumières de Marie-Christine Soma. Rien ne remplacera jamais l'aventure vécue, même Je l'ai perdue, sublime texte de Jean Cocteau dit par Jean Marais qui clôt le CD. J'ai filmé les préparatifs et j'ai filmé le dernier jour au terme des quatre mois de représentations, mais je n'ai encore jamais rien monté. De nombreuses émissions télévisées ont eu lieu depuis l'expo dont un Apostrophes. Pour le disque, j'ai mixé nos ambiances, textes et musiques en les alternant avec quelques sublimes documents d'archives. Sur la cinquantaine de chansons diffusées dehors, à l'entrée et tout autour de la Halle, j'avais d'abord choisi Encore un tour de chevaux de bois par Nane Cholet en 1935, nimbé d'ivresse et de fumée, où ce lieu de transgression renvoie l'image de notre monde à l'envers. La fille au manège par Renée Lebas en 1944 nous emporte sur des licornes et des Pégase, toujours plus vertigineux. Pour remplacer les monuments de l'exposition qui jouaient leur musique sur carton perforé, nous avions sélectionné trois orgues, un Gasparini, un Limonaire et un Ruth que nous étions allés enregistrer à Lyon et en Suisse avec Silvio Soave. Bernard et moi avions composé de faux ragtimes que faisait sonner le piano mécanique du cinéma forain, l'année de son centenaire !
Les musiques du pousse-pousse, sorte de boîte à musique géante, celles des manèges de petites voitures et de chevaux, se mêlaient aux crémaillères des attractions mécaniques, aux feulements des fauves et aux boniments des comédiens. J'avais réuni une sacrée distribution : Michael Lonsdale au Pavillon des Curiosités, dernière présentation intégrale des cires anatomiques du Cabinet Spitzner avant leur dispersion, Luis Rego pour la Parade des lutteurs, l'équilibriste verbal Jean-Marie Maddedu et l'authentique foraine Menica Brunet-Fabulet aux jeux de massacre, le gourmand Laurent Jouin jouant le confiseur Dédé, le duo chamailleur de Michel Berto et Daniel Laloux, l'incisive Dominique Fonfrède, et toute l'équipe avait prêté sa voix. Benoît Weber était le zélé régisseur de cet incroyable échafaudage sonore. J'avais illustré le livret avec les esquisses de Raymond Sarti qui a toujours su nous faire rêver avant que les maquettes ne se déploient magiquement sous leur taille réelle.

Ce projet était tombé à point nommé comme je rentrai du siège de Sarajevo. J'avais besoin de me changer les idées avec un train fantôme qui ne soit que d'illusion. L'enthousiasme du commissaire Zeev Gourarier nous entraîna pendant l'année que je passai à construire cet incroyable univers "Cagien" à partir d'éléments populaires. Suite au succès remporté, Pierre Lavoie me commanda la musique du CD-Rom Au cirque avec Seurat (notez l'association d'idées forain-cirque, elle est parfois bénéfique !) qui allait inaugurer une séquence de ma vie qui durera dix ans au service du multimédia. Plus tard, toute l'équipe de Il était une fois la fête foraine partit au Japon réitérer ses facéties pour The Extraordinary Museum à Kumamoto et Euro Fantasia au Nagoya Dome. La dernière collaboration qui nous rassembla avec Zeev et Raymond fut l'exposition Jours de cirque en 2003 au Grimaldi Forum à Monaco, mais ça c'est une autre histoire.

Article du 2 novembre 2010 (liens ajoutés ou actualisés)

lundi 10 avril 2023

Thomas Demand, le diable est dans les détails


Sur les conseils de Marie-Laure j'ai visité l'exposition Thomas Demand au Musée du Jeu de Paume. L'artiste fabrique des maquettes en papier grandeur nature, les photographie avant de les détruire, et les reproduis en grand format. Ses mises en scène de décors et d'objets exigent parfois des dizaines de tonnes de carton. Je n'ai pas manqué de croiser des amis architectes, c'eut pu être des scénographes tant cette reconstruction de l'espace est fascinante. Si les sujets sont souvent dramatiques, les œuvres nous tiennent à distance, comme des scènes de crime d'où les victimes ont été déjà extraites. Sont représentés la chambre russe d'Edward Snowden, la salle de bain où s'est noyé un ministre allemand, un bureau de la police est-allemande mis à sac, une salle de commande à l'abandon d'une centrale nucléaire, l'atelier d'un luthier... Mais ce sont pourtant les patrons du styliste Azzedine Alaïa qui plastiquement emportent mon suffrage...


Partout il faut s'approcher des clichés pour admirer le travail incroyable de minutie exigée, l'infinité de nuances des couleurs, et puis ensuite prendre du recul, imaginer le va-et-vient de Thomas Demand, tant dans la forme que le fond. Car tout part d'une photographie d'un évènement ou d'un lieu, pour y revenir agrandie, en passant par une reconstitution 3D d'où il aura extirpé toute présence humaine. Le contexte épuré, ne reste que l'âme de ce qui s'est joué là : objets inanimés, avez-vous donc une âme ? Parfois plusieurs œuvres rassemblées recomposent une histoire dans son déroulé, comme un découpage cinématographique, forcément elliptique. Jouer entre le modèle et sa représentation a donné son titre à l'exposition : Le bégaiement de l'histoire. Le mouvement de va-et-vient est explicite dans les deux minutes du film où le paquebot Pacific Sun est pris dans une tempête tropicale, envoyant valdinguer tous les meubles d'un bord à l'autre.


En regardant Clearing je pense aux pulsions obsessionnelles décrites par Freud dans les Cinq psychanalyses quand il était impossible au patient de passer devant un arbre sans compter le nombre de feuilles ou celui des points dans un livre. C'est évidemment le lot de nombreux artistes peintres renvoyés à leur solitude. Je ne suis pas certain de celle-ci en ce qui concerne l'artiste munichois, m'interrogeant à mon tour sur le nombre d'assistants employés dans son atelier berlinois. J'évoque la peinture, car dans l'élaboration de ces œuvres c'est plus de cela qu'il s'agit que de sculpture et de photographie. Leur interprétation tient du conte arabe où l'histoire se transforme en voyageant d'un conteur à un autre, sorte de flou artistique constitué de milliers de points nets. Ainsi, lorsqu'on ignore le contexte qui a suscité les tableaux de Thomas Demand, frôle-t-on l'art conceptuel ou, attentivement, perçoit-on les signes du drame, puisque le diable est dans les détails* ?

→ Thomas Demand, exposition Le bégaiement de l'histoire, Jeu de Paume, jusqu'au 28 mai 2023

* Gott steckt im Detail est une phrase attribuée en Allemagne à Mies van der Rohe auquel Thomas Demand se réfère dans certains entretiens. Dieu [au sens de perfection] est dans les détails fut auparavant prêtée à Saint Thomas d'Aquin, puis à Gustave Flaubert.

mardi 10 janvier 2023

Le pendule de Foucault


Ma mère me demandait ce que je faisais. Je répondais "je rêve". J'y passais des heures. Les pieds sur le bureau, les coudes sur la table ou les yeux au plafond. Depuis toujours, mon travail est le fruit de ces moments hallucinatoires où je me projetais dans l'espace et dans le temps. Je rêvais du cosmos, je rêvais de la Terre, je rêvais de maisons utopiques où il ferait bon vivre, je rêvais de musique, je rêvais de lumière, je rêvais à quoi rêvent tous les petits garçons épris d'encyclopédisme et, plus tard, de ce qui anime les adolescents pubères. La science était revêtue des habits de la poésie et les machines qui ne servent à rien s'accumulaient sur les étagères ou dans mes petits cahiers. Si je n'ai jamais connu de crise mystique, mes interrogations sur l'origine du monde me donnaient le vertige jusqu'à la nausée. La mort prenait sa source à l'endroit du big bang, ma microscopie tendant vers moins l'infini m'aspirait dans l'abîme. Le plancher des vaches recouvert de bitume était plus rassurant. En visitant la Chapelle du Musée des Arts et Métiers, j'ai retrouvé le Meccano de mon enfance, les premières automobiles et les avions accrochés au plafond comme autant de modèles agrandis des maquettes que je ne saurai jamais terminer, faute de patience ou par manque de pouvoir évocateur qu'ils représentaient face aux idées se bousculant sous ma boîte crânienne. Dans l'opéra de Schönberg, ma sympathie va évidemment à Moïse plutôt qu'à Aaron ! Grand amateur d'expériences en tous genres, j'étais heureux de voir osciller le pendule de Foucault, vérifiant que "pourtant elle tourne" ! Nous l'observâmes aussitôt arrivés en Afrique du Sud où nous étions partis en tournée pour le Centenaire du Cinématographe en 1995, penchés au-dessus de la cuvette des toilettes pour admirer la spirale inversée de l'écoulement de l'eau. Non, définitivement, je n'effectuerai jamais totalement ma croissance.

Article du 14 mai 2010

jeudi 24 novembre 2022

Gerridae


Hier matin Éric Vernhes est venu installer l'édition d'artiste de sa pièce Gerridae. J'ai mis du temps à me décider. Lorsque je passais à son atelier, je la regardais et l'écoutais en me disant que j'allais craquer, mais le lendemain matin je trouvais plus raisonnable de produire un de mes disques avec ce que cela m'aurait coûté. Cela me démangeait. Mon ami a réalisé des œuvres extrêmement variées, ce qui n'est pas courant. La plupart des plasticiens reproduisent infiniment des variations du truc qui les caractérise et qu'ils ont mis du temps à trouver. Si des constantes évidemment existent, Éric renouvelle chaque fois les supports, les matériaux et la programmation puisqu'il s'agit presque tout le temps d'art cinétique. C'est à ce courant que les œuvres interactives sont assimilées. Cela exige de sa part un savoir faire incroyable, de la menuiserie à la ferronnerie, de l'électronique à l'informatique, de la musique au cinéma, de la conceptualisation à la poésie et j'en passe. Gerridae s'insère parfaitement dans mon environnement. Le cadre noir rappelle celui des deux photos d'Un son qu'Éric m'avait offert pour mes soixante ans, sans parler de mon nouveau réfrigérateur qui est noir mat. Quant aux couleurs des leds, autour, qui suivent celles qui s'animent dans le cadre, elles collent merveilleusement avec le kitch flavinien de l'escalier. Le son reste discret, bien proportionné à l'œuvre de 70x70 centimètres et au salon où Gerridae est accroché. Eric a dû percer le mur de 29 centimètres d'épaisseur pour qu'aucun fil ne soit visible sur la façade. J'adore son travail parce que passé l'esthétique réside une éthique, sorte d'histoire ouverte à laquelle le spectateur participe par son interprétation. Les œuvres purement plastiques m'ont toujours un peu ennuyé. Cinéphile jusqu'à la pointe des oreilles, j'ai besoin qu'on me raconte des histoires. Mais je préfère laisser la parole à l'auteur qui présente ainsi Gerridae, agrémenté de photographies et d'un petit film explicite :
Des fragments graphiques évoluent sur un écran. Leur modèle de comportement et d’interaction est inspiré de celui des araignées d’eau (Gerris, de la famille des Gerridae) à la surface d’un étang. Lorsque le spectateur s’approche et effleure le cadre de l’écran, les fragments se stabilisent et s’assemblent en une proposition poétique, cryptique, aléatoire mais néanmoins (si on le souhaite) divinatoire.
L’homme a toujours cherché à voir dans les manifestations naturelles autonomes (formes des nuages, vols des oiseaux…) des “signes” qui l’éclaireraient sur son devenir. Ne comprenant pas les raisons pour lesquelles un objet ou un organisme s’anime, il cherche obstinément une intentionnalité, une volonté extérieure à lui qui s’exprimerait par ce mouvement, puis fait intervenir un médiateur initié, l’oracle, pour transformer ces signes cryptés en messages intelligibles qui s’adresseraient exclusivement à lui-même. Ce réflexe anthropocentriste n’est pas l’apanage des tribus primitives. Même pour nous, l’idée du hasard et de l’absence de déterminisme divin dans l’origine de ces mouvements, telle qu’exprimée par les Epicuriens à propos des atomes, ne s’impose jamais d’elle-même (c’est pour cela que j’ai fait “De notre nature”) et est constamment à redécouvrir. J’en veux pour preuve cette phrase elliptique et mystérieuse, généralement lancée pour clore une discussion et que tout le monde à déjà entendu: “De toute façon, il n’y a pas de hasard…” Cette phrase sous-tend une proposition connexe qui est que, si on s’en donne la peine, “Tout s’explique.” Dans ces moments là, on parle généralement, non pas du mouvement des choses naturelles, mais du mouvement des choses que l’on ne comprend pas en général. Et si l’intention qui préside à ces mouvements n’est pas celle d’un dieu en bonne et due forme, il y a là l’affirmation d’un principe déterministe universel qui régente le monde. Il n’y a donc pas de hasard et pas d’insignifiant. Tout fait signe, tout fait sens. Il ne reste qu’à trouver le bon oracle. Gerridae est partie de l’idée que si tout fait sens, j’aurais alors plaisir à produire les signes, ou, tout du moins, le contexte dans lequel ces derniers peuvent émerger. (C’est, il me semble, le travail de l’artiste que de produire des signes). Dans Gerridae, je crée donc la mare aux insectes qui doit faire signe et je laisse au spectateur le choix du moment ou ceux-ci doivent s’exprimer. Lorsqu’il effleure le cadre de sa main, les “insectes” électroniques se transforment en phrase. J’ai utilisé la structure du Yi King ainsi que des propositions du générateur de texte mis au point par Jean-Pierre Balpe et Samuel Szoniecky pour obtenir des propositions poétiques aléatoires qui peuvent se rapprocher, si l’utilisateur veut le voir en ce sens, d’une divination cryptée. Je souhaite néanmoins qu’il y voit avant tout une poésie qui, tout autant que la prédiction, révèle des aspects insoupçonnés de ce dont elle parle.
L'inspiration du Yi King n'est pas faite pour me déplaire. Matérialiste fervent, je connais néanmoins le pouvoir magique des mots comme de toutes les œuvres de l'esprit. L'inconscient fait partie de cette poésie que je retrouve chez Cocteau, Lacan ou Godard, mes trois voix préférées, même au sens littéral. Question de rythme probablement, d'adéquation entre le sens et le ton certainement. Dans de rares moments où je perdis mes repères, consulter le Yi King m'a aidé à valider mes choix. En lisant John Cage je m'étais aperçu de son étonnante construction, identique à notre ADN avec ses 64 hexagrammes. La récente version du Yi Jing réalisée par Pierre Faure enterre définitivement la vieille traduction de Richard Wilhelm pour mille raisons. Et Gerridae de me susurrer : " l'entendement ne se distingue pas du rêve / ciel au-dessus d'une eau stagnante / le roi cherche dans tous les coins / et parle de l'amour / pas un puits ".

mardi 22 novembre 2022

Christian Marclay au Centre Pompidou


J'ai évidemment foncé voir l'exposition Christian Marclay au Centre Pompidou. Avec Les Choses au Louvre et Black Indians au Quai Branly c'est la troisième qui m'enthousiasme cet automne. Les Choses est la plus stimulante, créant des synapses inattendus. Black Indians est la plus troublante par son évocation de l'esclavage et la responsabilité de la France. Si elle ne réserve pas beaucoup de surprises à celles et ceux qui connaissent bien le travail de Christian Marclay, elle plaira aux amateurs de musique et de cinéma, de cassettes et de vinyles, d'absurde et d'infini. J'ai rencontré Marclay au tout début des années 80. Nous avions le même producteur de disques, Jürgen Königer, du label Recommended Records/No Man's Land. C'était la première fois que je voyais quelqu'un scratcher des disques, avec des pédales d'effets sur les platines et des bricolages inattendus comme les disques qu'il avait découpés et réassemblés, et ce bien avant la plupart des DJ. J'adore le 25 centimètres More Encores et l'on pourra admirer là les disques vinyles avec annotations, utilisés lors de performances. Il fut, comme moi, très influencé par Revolution 9 des Beatles sur le double blanc, et par John Cage que nous avons tous les deux eu le plaisir de rencontrer à six ans d'intervalle !


Plus tard j'ai acquis un des coffrets Footsteps ou son jeu de cartes Shuffle, tous deux montrés à Pompidou. Ce ne sont évidemment pas les clous de l'expo. Le montage audiovisuel Doors est une première. Des personnages entrent et sortent dans le mouvement. L'effet répétitif est fascinant parce qu'aucun plan ne ressemble à un autre et que les raccords sont parfaitement fluides, créant des effets comiques ou dramatiques qui sont propres au cinématographe. Il y a évidemment des liens avec la succession vidéographique des Telephones présentée ici, ou l'horloge The Clock, composée de milliers d'extraits de films sur 24 heures, cette fois hélas absente. À côté de ces installations telle aussi Surround Sounds, où les onomatopées vous entourent, sont exposés de nombreux collages, des instruments impossibles (accordéon Virtuoso de sept mètres, guitare molle Prosthesis, guitare tordue Vertebrate, batterie Drumkit trop haute, trompette tuba Lip Lock aux embouchures collées comme un baiser, tabouret cor Stool - sur lequel le corniste Nicolas Chedmail eut jadis l'occasion de s'asseoir !), des disques découpés, des pochettes imaginaires, des sculptures constituées de bandes magnétiques, etc. Zoom Zoom, partition longue de 20 mètres constituée d'onomatopées et mangas, conçue pour Shelley Hirsch, chanteuse new-yorkaise que j'aime beaucoup, rappelle évidemment Stripsody de Cathy Berberian. Les visiteurs pourront même expérimenter Playing Pompidou, une expérience en réalité augmentée interactive audio et visuelle depuis le parvis du Centre ainsi que depuis n'importe où dans le monde en scannant un code grâce à la technologie Landmarker de Snapchat ; Christian Marclay et le AR Studio de Snapchat basé à Paris ont transformé la façade du bâtiment en un instrument de musique !


On sera enchanté de revoir les quatre écrans de Video Quartet, probablement mon installation préférée, ou Guitar Drag, qui avaient été projetés à la Cité de la Musique dans une rétrospective de 2007 que j'avais chroniquée ici-même, extraits vidéo à l'appui. Adepte du montage en temps réel ou différé, des collages hétéroclites, des œuvres qui grincent et interrogent à la fois leur temps et leur medium, je suis aux anges avec Marclay.
Tout cela a été rendu possible grâce au groupe Mirabaud qui investit des sommes considérables dans l'art. Que Christian Marclay soit suisse, même s'il réside à New York, est une opportunité pour ce groupe bancaire et financier international basé à Genève. À une époque où l'économie capitaliste est de plus en plus fragile, la spéculation sur les œuvres d'art bat son plein. En France les fondations Vuitton, Pinault, Emerige, Cartier et quelques autres font la loi en contrôlant le marché. Quelques rares artistes vivants en profitent, les plus lucratifs sont souvent morts il y a longtemps et parfois dans un dénuement absolu.

→ Exposition Christian Marclay, Centre Pompidou, jusqu'au 27 février 2023
→ Catalogue, ed. du Centre Pompidou, 45€ comme la plupart des catalogues d'exposition

lundi 31 octobre 2022

Les choses et Machins machines au Louvre


Appelons cela une réaction en chaîne. David Fenech m'apprend que Pierre Bastien et Pierrick Sorin joueront vendredi dernier à l'Auditorium du Louvre. Comme j'annonce que j'irai, Étienne Brunet nous emboîte le pas. Arrivé en avance, je fais un tour curieux à une exposition ouverte depuis peu. Or la programmation de Machins Machines est directement liée à l'expo Les choses que je découvre avec ravissement. L'absence de chronologie ainsi que l'exquise variété et le choix malin des œuvres me font penser à Jean-Hubert Martin avec qui j'avais travaillé sur Carambolages au Grand Palais, mais la commissaire est Laurence Bertrand Dorléac. À suivre ! J'y retrouve la notion de plaisir dans cette vision d'auteur qui prend les choses au sérieux en abordant cette histoire de la nature morte avec un véritable point de vue. Les visiteurs semblent aussi intéressés que Monsieur Hulot.


Comme je n'avais encore rien lu sur Les choses, je suis enchanté par ma déambulation. J'hésite même à décrire quoi que ce soit pour vous laisser le plaisir de la découverte. Allez-y sans tarder ! Ci-dessus des œuvres critiques de la société de consommation : les quatre photos cousues de Coca Cola d'Andy Warhol, Déchets bourgeois. Et s'il n'en reste qu'un je serai celui-là d'Arman et l'ombre de l'Oiseau de paradis de Martial Raysse. L'intelligence des textes des cartels entérine mon désir d'acquérir le catalogue. Je fais bien. La moitié est constituée d'un chosier inédit : des auteurs de toutes sortes choisissent un mot-clef et le décline chacun/e à sa façon. J'aurais adoré participer à cette aventure avec du son. Si j'ai été happé dés le début par Georges de la Tour, Andreï Tarkovski, Buster Keaton, Daniel Spoerri, Christian Boltanski ou des antiquités égyptiennes, je flashe sur l'explosion renversée du film Zabriskie Point de Michelangelo Antonioni sur le grand écran à la sortie. À la question de Lamartine “Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?”, je me sens animiste.


Ci-dessus Still Life de Ron Mueck, Nature morte au vieux soulier de Joan Miró, Vénus endormie de Giorgione rêvant de B.H. (Bernard Heidsiek) et de F.D. (François Dufrêne) de Jean-Jacques Lebel, Sans titre de Luc Tuymans et 200 kg de Bazooka Bubble Gum de Felix Gonzalez-Torres.

Dans ce temple de l'art, on vomit l'argent (van Reymerswale, Hieronimus Francken II, Boilly, Dubreuil, Lüthi, Ferrer, Barbier), on expose la bidoche (Oudry, Houdon, Desportes, Chardin, de Zurbarán, Goya, Rembrandt, van Beyeren, Courbet, Buffet, de Ribera, Serrano, Gauguin), on apprivoise la mort (Taylor-Johnson, les frères Chapman, Gijsbrechts, Champion, Bonnecroy, Richter, Géricault, Schütte, Burke, Gober, Raynaud), on vit simplement (Coorte, Manet, Redon, Cézanne, van Hoogstratten, van Gogh, Matisse, Bonnard, Foujita, le douanier Rousseau, Chirico), on rit des temps modernes, on s'en inquiète (dans le hall Le pilier des migrants disparus de Barthélémy Toguo grimpe vers le sommet de la pyramide du Louvre). Avec autant de sérieux (Chancel, Kudo, Strand, Resnais et Queneau, de Saint-Phalle, Chevalier) que d'humour (Giacometti, Tanning, Oppenheim, Broodthaers, Filliou, Manzoni, Tati, Dine, Duchamp, Picasso, Brown, Léger, Darrot), ces cent soixante œuvres en disent long sur l'histoire de l'art à travers les choses. Perec aurait adoré.


J'en sors donc chargé du lourd catalogue de 450 pages que, pour une fois, je dévorerai du début à la fin, et je rejoins l'Auditorium où, à l'entrée, Pierrick Sorin a installé cinq de ses petits théâtres optiques burlesques. Sur scène, pour leur ciné-spectacle qu'ils n'ont pas joué depuis dix ans, il filme Pierre Bastien aux prises avec ses instruments mécaniques, intégrant ses pitreries chorégraphiques aux roues dentées et liquides en apesanteur. Le duo, se laissant aller à ses improvisations audiovisuelles, fonctionne à merveille...


Pierre Bastien agrémente sa musique minimaliste de petits chorus de trompette augmentée. Il confectionne toutes sortes de sourdines créatives comme un harmonium aux accords délicieusement mineurs ou un verre d'eau qui fait des bulles de son. Sur un châssis de Meccano il fixe des mini-tubes d'orgue, des languettes de papier volantes, des plectres qui tournent, tournent et nous enchantent. Et ses tourne-disques renvoient de la lumière comme les pas de danse esquissés par Pierrick Sorin suggèrent de mignonnes ritournelles... Un très beau spectacle.

→ Exposition Les choses. Une histoire de la nature morte, Le Louvre, jusqu'au 23 janvier 2023
Le catalogue (détail sur le lien), 39€

lundi 10 octobre 2022

Black Indians au Quai Branly, de l'esclavage à la parade


Je m'attendais à voir des parures de plumes, de sequins et de perles aux couleurs explosives comme dans la série TV Treme de David Simon. Elles y sont, somptueuses, magiques, éclatantes. Mais j'ai d'abord été saisi par l'histoire de la colonisation de l'Amérique du Nord et de l'esclavagisme qui l'accompagna. La présentation de l'exposition Black Indians au Musée du quai Branly, conçue par Steve Bourget, laisse penser que tout tourne autour du Mardi Gras lorsque défilent les Black Indians, les Baby Dolls, les Skull and Bone gangs, accompagnés par les fanfares des Second Lines. On sera comblé, mais avant d'en arriver là on admirera les coiffes et carquois, calumet et mocassins, manteau et tunique des Amérindiens des Plaines, et les instruments de musique africains que le blues et le jazz développeront, les luths devenant par exemple banjos. Plus avant, je découvre la place de la France dans la conquête du Nouveau Monde, ses guerres et la perte progressive du continent ravi aux autochtones au profit des Anglais. Cette partie largement développée dans l'exposition l'est curieusement beaucoup moins dans le magnifique catalogue. Par contre on y lit des contributions essentielles comme Le Mardi gras de l'anthropocène de Rebecca Snedeker rappelant l'origine conservatrice des défilés et leur avenir compromis par la montée des eaux ou Supposons qu'ils ne veuillent pas de nous ici ? de LaKisha Michelle Simmons retraçant la topographie raciale d'uptown et downtown.


Tout commence en 1682 par la prise de possession du bassin du Mississipi par René-Robert Cavelier de La Salle au nom de Louis XIV. En 1718 la Nouvelle-Orléans est fondée par Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville et, un an plus tard, arrivent les premiers esclaves au bord de L'Aurore dans le golfe du Mexique. De 1763, fin de la guerre de Sept Ans au profit des Anglais, à 1803, vente de la Louisiane aux États-Unis, la France disparaît du continent. Mais dès 1724, la promulgation du Code noir entérine l'esclavagisme dans sa forme la plus cruelle. Pour une fois la chronologie est opportune, nous permettant de comprendre comment on en est arrivé là. L'exposition dresse le portrait terrible du racisme qui permet d'exploiter au maximum la population afro-américaine après avoir spolié les Amérindiens de leurs terres. C'est d'ailleurs pour commémorer l'aide que ceux-ci apportèrent aux esclaves en fuite que les Black Indians s'en inspirèrent pour leurs costumes, probablement influencés aussi par la culture du peuple africain des Yorubas. Face à l'évangélisation forcée, la prophétie du Bison blanc des Amérindiens et les traditions africaines accouchent du culte vaudou. Si les mariages entre Amérindiens et Afro-américains sont évoqués, les viols par les blancs semblent avoir été occultés. C'est pourtant un sujet de préoccupation important pour les Nord-américains enclins à interroger leur patrimoine génétique sur l'existence de sang rouge ou noir. Les suprémacistes blancs avaient formé des milices criminelles tel le Ku Klux Klan, toujours en activité même si nettement moins virulent. Après la conquête de l'Amérique par les Européens, ce sera au tour des Afro-américains de s'affranchir de leurs maîtres esclavagistes.
À la fin du XVIIIe siècle, la révolution haïtienne, avec Toussaint Louverture, fut la première révolte d’esclaves réussie du monde moderne. Les assassinats de Martin Luther King, Malcolm X, de nombreux Black Panthers jusqu'au meurtre récent de George Floyd, la violence quotidienne qui perdure, ainsi que l'ethnocide et la déportation subis par les Amérindiens (les natives), montrent que la ségrégation et les inégalités sont encore extrêmement vivaces aux États-Unis, comme les a filmées Raoul Peck dans sa remarquable série TV Exterminate all the brutes.


En 1964 le Civil Rights Act met fin à la ségrégation et la discrimination, mais ce n'est donc qu'officiel, la population noire est toujours stigmatisée. On l'aura constaté avec l'ouragan Katrina où les quartiers pauvres de La Nouvelle-Orléans ont été plus terriblement inondés, même si 80% de la ville ont été touchés. Spike Lee en avait tiré le documentaire en quatre parties When The Leeves Broke et j'avais cité un témoignage morbide tiré d'un livre de Mark Jacobson montrant la misère de la population. Tout cela est présent dans l'exposition, ponctué par des œuvres contemporaines de Vincent Valdez, Michael Ray Charles, Philip Guston ou Charles Fréger, avant d'arriver au clou du spectacle, la dernière salle, œil du cyclone de la scénographie des Studios Formule (Juliette Dupuy) et Vaste. Jusqu'ici on avait tourné autour, épousant la forme de la rampe qui monte aux collections permanentes du musée. Les objets, les costumes, les films, les cartels nous avaient progressivement amenés à la dernière salle, lumineuse, contrastant avec les précédentes. Des fils tombent du ciel comme des harpes de couleur. Ceux qui défilent ont eux-mêmes cousu et brodé leurs costumes incroyables au prix de grands sacrifices, parfois aidés par les institutions caritatives appelées Social Aid and Pleasure Clubs. Après toutes les misères endurées pendant des siècles, jusqu'à la crise sanitaire de la Covid, la parade des Black Indians marque un acte de résilience, une manière de défier la pauvreté et la mort.
Lors de notre périple initiatique autour des USA en 1968, ma petite sœur et moi avions fait un passage éclair dans l'ancien quartier français de La Nouvelle-Orléans, mais n'ayant pas trouvé comment nous loger, nous avions repris le Greyhound Bus un peu avant minuit. Heureusement, me souvenant encore de Sidney Bechet qui m'avait laissé souffler dans son saxophone soprano lorsque j'avais cinq ans, je retrouve l'atmosphère de fête de La Nouvelle-Orléans, formidable remède aux pires mésaventures.



Exposition bilingue Black Indians de La Nouvelle-Orléans, Musée du Quai Branly Jacques Chirac, jusqu'au 15 janvier 2023
Catalogue Black Indians de La Nouvelle-Orléans, Actes Sud, 43€ à la boutique du musée où j'ai aussi acheté le triple CD Haïti Vodou (1937-1962) sorti chez Frémeaux et Associés, ainsi qu'un joli hochet péruvien de noix de chacha qui sonne très joliment.

mercredi 27 juillet 2022

Ernest Pignon Ernest à Landerneau


Comme j'étais en Bretagne j'en profitai pour faire un saut à Landerneau où le Fonds pour la culture Hélène & Édouard Leclerc expose Ernest Pignon Ernest jusqu'au 15 janvier 2023. On avait pique-niqué le long de l'Élorn près du pont habité de Rohan. Aucune cabine téléphonique dans la ville pour expliquer aux enfants comment on faisait avant les portables. Je ne me souviens plus si c'était ces miséreux ou Rimbaud sur un mur qui la première fois me fit découvrir une affiche de l'artiste, mais c'était à la fin des années 70 lorsque je travaillais avec Michel Séméniako et Marie-Jésus Diaz pour UniCité. Ernest Pignon Ernest reste pour moi la référence la plus ancienne du street art en France, l'art urbain, même s'il a collé un peu partout sur la planète. Son œuvre est intimement liée à son engagement politique. À l'époque j'étais compagnon du route du PCF, même si je n'adhérais pas au révisionnisme proto-stalinien ni au Programme Commun. Lorsqu'on dit que E.P.E. fait des œuvres en situation, il préfère répondre qu'il fait œuvre des situations. À l'instar des Jean-Luc Godard il aime retourner les phrases comme une chaussette pour s'approprier l'espace public où il colle...


Le conservateur Jean de Loisy a sélectionné trois cents œuvres, dessins, photographies, installations, montrant son engagement critique et la virtuosité de ses traits. E.P.E. commence par des pochoirs, passe aux dessins à la pierre noire et aux sérigraphies qu'il place toujours dans des lieux en rapport avec le sujet. L'ombre portée de l'homme foudroyé par l'éclair nucléaire de Hiroshima ne le quittera jamais. Ses Pasolini portant sa propre dépouille sont symptomatiques de la souffrance subie par les plus fragiles, de l'injustice que la société impose à ceux qui ruent dans les brancards en refusant de se taire. Il colle donc Pasolini assassiné à Rome, Matera, Naples, dans des lieux qui riment avec la vie et la mort du cinéaste-poète...


Chaque salle porte un titre. Ecce Homo, Soulèvements, Naples (Anabases et catabases), Derrière la vitre, Dans l'atelier, Pasolini (Si je reviens), Le poète fait son pays, Mystiques, Droit au cœur, Victor Segalen. Les esquisses montrent le travail minutieux de l'artiste, ses recherches du moindre détail, pour qu'il exprime ce que visent les poètes. Il en fait leurs portraits. Artaud. Desnos. Genet. Maïakovski. Neruda. Mahmoud Darwich. Jacques Stephen Alexis. Des anonymes. Il installe les grandes mystiques qui ont laissé des écrits, Marie Madeleine, Hildegarde de Bingen, Angèle de Foligno, Catherine de Sienne, Thérèse d'Avila, Marie de l'Incarnation, Louise du Néant, Madame Guyon. Le corps est sanctifié. Le visage creusé. Il marche sur les traces de Leonardo da Vinci, déterrant les cadavres, mais de manière métaphorique. Il exhume les victimes, morts vivants d'une société inique qui les dépouille. À Calais, Soweto, Ostie...


E.P.E. lutte contre l'oubli. Je reconnais Maurice Audin, jeune mathématicien communiste assassiné en Algérie par les militaires français. Sa femme, qui a passé sa vie à se battre pour que la vérité sur sa mort éclate, habitait à deux pas et le parc du Château de l'étang où je marche quotidiennement a été rebaptisé Parc Josette-et-Maurice-Audin. Je pense souvent à lui, comme aux autres figures dessinées par Ernest Pignon Ernest. Nous partageons ces images pieuses, fondamentalement laïques et révolutionnaires.

mardi 14 juin 2022

James Turrell, le magicien de la lumière


[Il y a 24 ans] je composai l'habillage de Europrix avec Étienne Mineur alors directeur artistique de l'agence autrichienne NoFrontiere. Nous réalisions ensemble les clips télé, la scénographie du Musée de l'Industrie où la manifestation se déroulait, et tout ce qui tourne autour, soirée télé en direct, etc. Comme j'avais terminé les enregistrements et la mise en espace et qu'Étienne était comme d'habitude au four et au moulin j'allai visiter, avec Claire Mineur, sa compagne, la Sécession, le Musée Hundertwasser, la pâtisserie Demel, les baraques de saucisse au fromage et tout ce qui fait le charme de Vienne.
Claire m'entraîna au Musée des Arts Appliqués où était exposée une rétrospective James Turrell. Le choc fut inexprimable. J'en garde encore aujourd'hui un souvenir hallucinant. Nous pénétrons dans des couloirs totalement obscurs pour être soudain confrontés à des rectangles monochromes de couleur vive dont on ne comprend absolument pas d'où vient la lumière. Un trait d'une autre couleur souligne parfois le cadre, mais sommes-nous proches ou loin de la source, quelle est sa véritable taille ? Tout fait énigme. Nous flottons dans un nulle part qui n'a de rapport avec aucun ailleurs. La stupeur est à son comble dans Wide Out, large espace bleu où les visiteurs laissent leur ombre en rémanence sur leur propre pupille. Déchaussés, nous ne planons pas, nous volons. Aucune installation lumineuse n'égala jamais l'expérience vécue ce jour-là. Depuis je cherche désespérément les manifestations de Turrell dans l'espoir de partager cette inexplicable émotion avec celles et ceux à qui je la raconte en vain.


Regardez la vidéo tournée à Wolfsburg en suivant les sous-titres. Elle permet de comprendre un peu mieux la dimension de cette œuvre à vivre exclusivement en s'y immergeant corps et âme...

Article original publié le 17 décembre 2009
Photo : James Turrell Milk Run II

mercredi 18 mai 2022

Allemagne années 1920 au Centre Pompidou

...
En visitant l'exposition Allemagne / Années 1920 / Nouvelle Objectivité / August Sander au Centre Pompidou, deux images me sont apparues. La première est celle de la récente série allemande Babylon Berlin, thriller sur fond social particulièrement réussi, d'autant que certains éléments de la réalisation telle que la musique font référence à notre époque sans souci de réalisme. Le pont entre les années 1920 qui firent le lit du nazisme et aujourd'hui où la question réside dans la date de la catastrophe annoncée est à double sens. La seconde est la froideur qui se dégage des œuvres, qu'elles tentent de rationaliser la crise ou de faire grincer la machine broyeuse des individus (les Douze Maisons du temps de Gerd Arntz, deux d'entre elles reproduites ci-dessous, sont explicites de l'exploitation de l'homme par l'homme et de l'emprisonnement des prolétaires). Là encore ces deux extrêmes sont poreux. Nul n'échappe à l'air du temps. Le photographe August Sander classifie ses portraits en fonction de leurs métiers ou de leur appartenance de classe. Les peintres et les cinéastes mettent en scène la décadence d'un monde dans le déni, les Années folles camouflant l'arrivée de la Grande Dépression. Quelques films jalonnent l'exposition qui reflète bien la République de Weimar : Berlin, symphonie d'une grande ville de Walther Ruttmann, Jeunes filles en uniforme de Leontine Sagan, Les hommes le dimanche de Robert Siodmak et Edgard George Ulmer, L'opéra de quat' sous de G.W. Pabst d'après Bertolt Brecht...


Les tableaux d'Otto Dix sont fascinants, miroirs sans complaisance d'une société en pleine déliquescence. Celui que j'ai photographié (en haut de l'article) est cyniquement intitulé À la beauté. Le grand carton pour Le triptyque d'une grande ville ou ses portraits sont du même acabit. Réaction à la rigueur économique, la sexualité se débride. L'homosexualité et l'avortement revendiquent leur dépénalisation. Mais ces combats de mœurs cachent les véritables problèmes. Un peu comme de nos jours sous toutes nos latitudes. Les progressistes se contentent de mesurettes sympathiques alors que le climat est sur le point de bouleverser l'équilibre planétaire. Dans les médias, une une chasse l'autre, en évitant soigneusement d'analyser l'origine du mal. Il y a deux poids deux mesures dans les crimes contre l'humanité selon les intérêts économiques des pays concernés et de leurs industriels. Quant aux autres espèces vivantes, on se contente de chiffrer leurs disparitions.
Je retournerai voir cette exposition maintenant que je regarde autour de moi avec les yeux d'il y a un siècle. On dit que l'Histoire est un éternel recommencement. La loi des cycles s'est imposée jusqu'ici, mais le rapport du GIEC est clair. Nous jouons avec le feu en rendant impossible tout retour "en arrière". Il va falloir faire rapidement preuve d'imagination et de solidarité si nous voulons éviter le pire.

→ Exposition Allemagne / Années 1920 / Nouvelle Objectivité / August Sander au Centre Pompidou jusqu'au 5 septembre 2022

mardi 26 avril 2022

Exposés à la Biennale de Venise avec Roger Ballen


Comment nous sommes-nous retrouvés exposés cette année à la Biennale de Venise, dans le Pavillon de l'Afrique du Sud ?
Les rebondissements sont bien l'apanage de notre métier. Tout d'abord rien n'eut été possible sans les rencontres d'improvisateurs que j'initie depuis dix ans au Studio GRRR. Je devrais remonter encore plus haut, lorsque ma passion tardive pour la musique, j'avais quinze ans, me fit opter inconsciemment pour le faire plutôt que pour l'écrit, contrebalançant mes incompétences par une pratique vivante inédite, privilégiée par un instrumentarium émergent et la syntaxe cinématographique qui deviendra mon terreau. Cette phrase est tout de même moins longue que mon histoire ! En 2020, le double CD Pique-nique au labo relate cette aventure "récente" où pas moins de 28 invités me firent l'honneur et la joie de répondre à mon invitation. Parmi les 22 séances, le 18 décembre 2019, le clarinettiste-cassettophoniste Jean-Brice Godet et le contrebassiste Nicholas Christenson participent à l'album Duck Soup. J'avais rencontré le premier à l'occasion de l'hommage à mon camarade Bernard Vitet fin 2013 et le second sur les conseils de Jean Rochard qui me suggéra vivement d'enregistrer avec le jeune Minesottien de passage à Paris sans que je l'aie jamais entendu.
Lors de ces sessions d'improvisation, nous tirons au sort le thème de chaque pièce au fur et à mesure. Comme j'avais été emballé par le travail de Roger Ballen à la Halle Saint-Pierre, je proposais à mes deux acolytes de choisir à tour de rôle une photo parmi les deux livres que je venais d'acheter, Le monde selon Roger Ballen et Asylum of the Birds. Celles-ci devenaient aussitôt nos partitions. On peut les admirer sur la page consacrée à l'album, lui-même en écoute et téléchargement gratuits. Nous n'avions demandé aucune autorisation à l'auteur, mais Olga Caldas nous suggéra de lui écrire à Johannesburg. Notre travail lui plut tant qu'il nous demanda à son tour l'autorisation d'utiliser certaines de nos musiques pour une prochaine exposition. Suit la triste période de crise virale où chacun se retrouve replié sur lui-même. Et puis voilà qu'il y a quelques semaines Roger Ballen nous annonce qu'il aimerait accompagner ses light boxes par trois de nos pièces pour le pavillon sud-africain à la Biennale de Venise !


Sur son Théâtre des Apparitions exposé à l'Arsenale et que nous n'avons pu admirer pour l'instant, intitulé pour l'occasion Into The Light, Roberta Reali (Art in Italy) écrit "Les photos imprimées sur toile rétro-éclairée dépeignent dans un splendide noir et blanc des silhouettes obtenues par un procédé « dada-chalcographique » à partir de la poussière déposée sur les vitres d'un ancien asile de femmes (2010-2013). Ballen est le metteur en scène et témoin de scènes surréalistes pleines d'humour noir, où le jeu des pulsions ancestrales est représenté par une métaphore d'une réalité contemporaine en pleine décadence dystopique. [...] Les fantômes des guerres, mutilations et tortures dont a été témoin l'Afrique du Sud, patrie d'élection du New-Yorkais, trouvent une pleine liberté d'expression. [...] Une armée d'homoncules, d'hominidés, d'humanoïdes, de post-humains, de demi-dieux, d'animaux, de golems, de gargouilles, de Lilith, de lémuriens, de cauchemars, de succubes - et d'autres êtres monstrueux, primordiaux, qui se réfèrent de temps à autre à la poétique de Bosch, Dubuffet, Füssli, Goya, Schärer, Schiele, Erwin, Arbus etc. - est transposée au moyen d'une expérimentation technico-formelle hautement maîtrisée, dans le cadre d'une danse macabre et sauvage régie par les lois de la nature au rythme vital d'une puissante sexualité, déviée et chthonienne, marquant l'alternance dionysiaque et brutale d'Éros et Thanatos..."
Roger Ballen nous raconte qu'il a évidemment choisi les musiques que nous avions composées pour Shadows and Strangers, The Back of the Mind and You can't come back, toutes trois inspirées par The Theatre of Apparitions. Là, Nicholas est à la contrebasse, Jean-Brice joue de la clarinette, de la clarinette basse et des cassettes enregistrées, quant à moi je me sers d'une flûte et de la trompette à anche, de mon clavier et du synthétiseur Lyra-8, et je trafique les sons avec le H3000.
Alors si vous passez par Venise, racontez-nous ce qu'à votre tour vous aurez vu et entendu !

samedi 1 janvier 2022

L'année dernière à Pompombad


Que s'est-il vraiment passé l'année dernière ? Si je remonte le temps il y a à boire et à manger, à craindre et espérer, à vivre et à mourir, à hue et à dia. Comme s'il fallait forcément se coincer les doigts dans la charnière du réveillon ! Le passage rime avec cotillons et Amphitryon, mais aussi avec postillons, ganglion, trublion, tourbillon et nous en oublions volontairement. Porter le masque pour ne pas cracher la mort, retourner à l'hosto pour s'avaler une gélule radioactive, ça sent le sapin et pourtant on aura convaincu les coupeurs de bois de passer leur chemin. Chacun aura vu minuit à sa porte. Malgré l'année maussade j'ai eu la chance d'accueillir le soleil dans ma maison. Comme une nouvelle naissance, puisqu'elle en porte le nom. Et si l'on vous affirme que je n'ai jamais été à Marienbad, ne les croyez pas, et si l'envie m'en reprenait, je n'irai plus en avion, mais à pied, à cheval ou en voiture à bras. Hier c'était Pompom, pas la girl, cheerliedder ou Betty Boop, ni le prof larbin des banques, mais l'escalier roulant qui monte, qui monte, qui monte et vous chatouille les neurones.


Alors Baselitz, je l'ai préféré à la fin, parce que je suis resté sur la mienne. Ce n'est pas le bouleversant Basquiat dont j'avais justement regardé le film de Sara Driver quand il était bébé. Pas ému, juste intéressé. Faut bien le dire, au risque qu'on ne me croit plus, mon pire cauchemar. C'est la seule chose qui conte, la crédibilité. Quoi qu'on en pense. La tête en bas, les pieds en l'air, j'ai raconté récemment comme je pratiquais pubère, pour réfléchir. Cela me plaisait. Penser à l'envers. Avec mon truc de poche qui prend des photos j'ai cherché des angles qui me laisseraient un souvenir, pas sur ma faim que j'ai assouvie plus tard chez Shodai Matcha rue Volta...


Entre temps nous avions fait un saut dans un autre. Il y a quelques années j'avais vu des meubles d'Ettore Sottsass à vendre chez XXO. Au-dessus de mes moyens. Couleurs franches, formes évidentes, utiles. Je m'use les yeux avec la mienne qui m'accompagnera tout l'après-midi de ce dernier jour de l'année où le ciel est bleu et la température printanière. Faut-il s'en inquiéter ? Probablement. Du climat. Pas de l'amour, ah ça non ! Comme il faisait beau nous sommes remontés à pied, avec une petite visite à Méliès, Modigliani, Salvador, Piaf, Bernard et Wilde. Le corbeau sortait de Six Feet Under. Plus loin, des petits oiseaux gazouillaient. J'ai programmé The Lost Daughter de Maggie Gyllenhaal, un film très déstabilisant, mais est-ce la fonction du cinéma de nous rassurer ? Don't Look Up. Si nous n'attendons rien, qu'est-ce qui nous attend ?


Pour bien commencer la matinée, j'écoute Diga Diga Do par l'orchestre de Duke Ellington pour la revue Lew Leslie's Blackbirds Of 1928, juste avant que ça explose ! Mes jambes et tout mon corps sont incapables de résister. C'est mon truc. Le vinyle n'a jamais été publié en CD, alors j'ai ressorti ma vieille cassette...
Quelle qu'elle ait été je vous souhaite une année meilleure que la précédente...

mardi 5 octobre 2021

C'était le Grand Bazar


J'ai raté Grand Bazar au Château d'Oiron. Le dernier jour de l'exposition était dimanche. Je ne savais pas que Jean-Hubert Martin, mon commissaire de prédilection, avait choisi les œuvres dans la collection Antoine de Galbert. J'avais eu la joie de composer la musique de Carambolages au Grand Palais à sa demande. Quant au collectionneur et mécène Antoine de Galbert, c'est un grand vide à Paris depuis qu'il a fermé La Maison Rouge pour retourner à Grenoble. Oiron est une ancienne commune du centre-ouest de la France située dans le département des Deux-Sèvres en région Nouvelle-Aquitaine. J'aurais dû l'inscrire dans mon périple estival, mais j'ignorais que cela avait commencé fin juin, et c'est déjà fini. Jean-Hubert Martin avait d'ailleurs marqué le lieu en réalisant Curios & Mirabilia en 1993, la collection permanente d'œuvres contemporaines dialoguant avec le style XVIe siècle du château en s'inspirant des cabinets de curiosités. Celle-ci, on pourra toujours la voir. J'ai commandé le catalogue du Grand Bazar, il ne me restait plus que cela à faire. J'avais évidemment celui du Château d'Oiron et de son cabinet de curiosités publié en 2000. C'est allongé sur mon divan que je fais ou refais les visites. Chacun peut ainsi se faire son cinéma. Je repense aussi à la clôture de La Maison Rouge à laquelle nous avions participé avec le violoncelliste Vincent Segal et le saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang sur des images de l'artiste mexicaine Daniela Franco pour Face B, ou à la visite en musique de Vinyl, disques et pochettes d'artistes avec Vincent... Grand Bazar, c'est Istambul, mais c'est aussi le duo d'Antonin avec Ève Risser que j'avais filmé en 2012 !


Le catalogue de ce Grand Bazar présente donc plus de 170 œuvres de la collection Antoine de Galbert installées pour dialoguer avec la collection permanente d'art contemporain Curios & Mirabilia rassemblée en 1993 par Jean-Hubert Martin qui elle-même dialoguait avec la fabuleuse collection de Claude Gouffier, grand écuyer d’Henri II, et la galerie de peintures murales Renaissance dans le style de l’École de Fontainebleau, boiseries peintes et sculptées du XVIIe siècle. L'histoire n'est jamais terminée. Jean-Hubert Martin adore plus que tout faire du montage, confronter les œuvres les unes aux autres, parce qu'elles se parlent à travers les siècles et les continents. La notion de plaisir dans les expositions muséographiques est trop souvent négligée au profit de la pédagogie et de la chronologie. J.-H. Martin est un homme de spectacle, un provocateur facétieux, un chercheur sensible, une sorte de nouveau baroque. Ainsi La petite danseuse de Gilles Barbier ne quitte pas des yeux Le Solitaire de Théo Mercier. Des reliquaires du XVIIe et XVIIIe siècles côtoient Dr Faustus Table and Chair de Bob Wilson dans la salle des Faïences tandis qu'ailleurs Teddy II de Bertrand Lavier et Le nounours crucifié d'Annette Messager ont l'impertinence de Hammer & Sickle with Fur de Léonid Sokov ou Triptychos Post Historicus ou La Dernière Bataille de Paolo Ucello de Braco Dimitrijevic dans la salle des Jacqueries. Kruis, le crucifix d'insectes de Jan Fabre, n'a rien à envier à celui en os du début du XXe siècle, à celui en têtes de mort d'Asie du Sud-est du XIXe ou au calvaire du marinier de la fin du XVIIe. Quelle chance eurent les visiteurs de découvrir ou revoir les petits diamants mandarins de Céleste Boursier-Mougenot dans From here to ear jouer de la guitare électrique ou des cymbales lorsqu'ils picorent leur grain ! Sur la photo (les deux pages en haut de l'article) on aperçoit également Silhouette et Si/No de Markus Raetz. Dans la salle or et bleue du Roi (photo ci-dessus) un pavé écrase un lingot d'or (Rencontre de Stéphane Thidet) et une liasse de billets traverse en boucle un sac Vuitton (Pickpocket's Trainer de Javier Téllez). Des trophées de Christophe Touzot (Crash Test), Benoit Huot (Tête de taureau, Shaman à tête de cerf, Nativité) et Nicolas Darrot (C3P0, un de mes artistes favoris dont étaient également exposés Méduses, Faim de tigre, Injonction 1) ornent la salle d'Armes parmi les Corps en morceaux de Daniel Spoerri. Ce ne sont que quelques exemples.


Jean-Hubert Martin aime les listes dont il joue comme des rimes. Il a choisi de regrouper certaines œuvres par thèmes : L'œil, Le visage théâtre d'expression, Monstres, Victimes et blessures, Les petits monstres, Lilliput, Nature morte. Les images sont souvent brutales, parfois comiques, toujours évocatrices de notre monde, de ses lumières, de ses ombres, de ses illusions. L'art lève la peau, exhume les squelettes, dévoile les secrets. Dans l'escalier Father Ape Squatting d'Enrique Marty rit sournoisement de celles et ceux qui grimpent vers l'inconnu. Au fur et à mesure que je feuillète, revenant en arrière, comparant moi-même certaines reproductions au fil des pages, je perds la tête. J'aime le vertige que procurent ces vues de l'esprit matérialisées par la geste humaine.

samedi 5 juin 2021

Souvent il arrive que... broder !


Si broder c'est aussi enrichir une histoire de détails imaginaires, les ouvrages des dix brodeuses invitées à exposer chez elle, à Montreuil, par la réalisatrice Dominique Cabrera invitent à rêver. Rêver au temps qu'il faut pour construire chaque pièce, minuscule ou gigantesque. Rêver à ce que ces femmes nous racontent parce qu'elles ont pris le temps d'y penser. Dominique Cabrera a imaginé cette très belle exposition comme l'esquisse d'un film à venir. Faire un film exige encore plus de patience, entre le moment où on l'invente et celui où on le montre, l'attente est interminable. Les brodeuses, Marine Ballestra, Nadja Berruyer, Isabel Bisson Mauduit, Monique Cabrera, Aude Cotelli, Fabienne Couderc, Anouk Grinberg, Valérie Ménec, Lili Rojas, Valérie Rouzaud, Sophie Wahnich ont développé des œuvres d'une grande beauté, d'une profondeur parfois abyssale, d'une variété inattendue.


Pour pénétrer dans la grange, il faut traverser une cour, une chambre, un couloir, un jardin. Là règne l'obscurité. Le fil est fragile. Il ne supporte pas la lumière du jour qui altère ses couleurs. Suivre le fil d'Ariane nous fait rebondir de brodeuse en brodeuse. La scénographie de Raymond Sarti et les lumières de Lorenzo Marcolini transforment la grotte en palais des mille et une nuits. Les œuvres brillent dans le noir. On peut être certain que cette initiative fera des émules...

→ Exposition de broderies contemporaines Souvent il arrive que... broder !, 9 rue du 18 août à Montreuil (métro Mairie de Montreuil), 4/5/6 et 11/12/13 juin 2021, vendredi 15h-19h /week-end 10h-19h + PROLONGATION 18-19-20 juin !!!
contact : souventilarrivequebroder@gmail.com
→ Dominique Cabrera vient également de publier avec Julie Savelli le livre Dominique Cabrera, l'intime et le politique (De L'incidence Editeur). À ses débuts, en un autre temps, j'eus la joie de composer la musique de ses films Chronique d'une banlieue ordinaire et Traverser le jardin...

mercredi 2 juin 2021

L'opéra cassé


Ces temps derniers, je chronique beaucoup de musique, celles des autres, la mienne aussi. Trois albums en mai, la reprise est plus qu'excitante, stimulante. S'il en était aussi de mon cœur, serait-ce indécent ? La chance m'a toujours souri. J'ignore les regrets et les reproches, ne préférant conserver en mémoire que les meilleurs souvenirs. Le passé n'a que peu d'intérêt en regard de l'avenir. Pas question de piétiner, je vectorise. Ces derniers mois j'ai appris à apprécier le présent. C'est plus ambigu lorsque je joue avec mes camarades. Le travail du somnambule est dangereux. Je risque à tout moment de trébucher au bord du toit. C'est seulement à la réécoute que le plaisir s'épanouit, exactement comme n'importe quel auditeur. Par contre, rencontrer les amis est ce qui me motive le plus. On rit, on mange, on boit, on partage, on s'engueule parfois, avec la bienveillance de l'amitié.

Hier matin j'ai terminé le mixage d'une pièce de 13 minutes commandée par Romina Shama pour le Musée Transitoire dont la seconde édition se tiendra à Genève du 10 juin au 10 juillet. Romina avait enregistré un texte qu'elle lisait, mais cela se sentait. Elle avait aussi tenté de l'improviser, mais seule on se parle à soi-même et cela s'entend aussi. Alors je lui ai proposé d'oublier ce qu'elle avait écrit et de simplement me le raconter. La magie a opéré. De courtes respirations ponctuaient ses phrases qu'elle prononçait parfois hésitante de sa voix voilée, distillant une sensualité sans rapport avec le texte lui-même, sorte de discours de la méthode pour cette commissaire d'exposition. Comme elle l'avait intitulé L'opéra cassé je lui ai proposé de déstructurer le texte avec des algorithmes bègue ou renversé, mais j'ai tout étouffé dans un maximalisme qui me réussit souvent très bien. C'était devenu L'oreille cassée avec trois Doliprane. Le flow des enchaînements se perdait. Je devais retrouver celui de sa pensée. J'avais pourtant allégé la composition avec des parties instrumentales. L'orgue de cristal, les cloches de verre et une structure Baschet rappelaient les serres où seront présentées les œuvres plastiques. Cela ne suffisait pas. À chaque nouvelle version je dégraissais le mixage. Jusqu'à retrouver l'os.

Discutant de mon travail avec Amandine Casadamont qui tient le rôle de commissaire sonore, je lui expliquai que ces modifications ne me contrariaient pas tant qu'elles étaient justifiées par le propos. Je privilégie toujours le id à l'ego. Dans Le Journal d'un inconnu, Jean Cocteau met en exergue du chapitre D'une histoire féline : "Ne pas être admiré. être cru." Le sujet m'importe peu, c'est l'objet qui nous guide. Sans objet le sujet n'a aucun intérêt. Il pérore. À quoi bon ? Pour que l'œuvre s'épanouisse, la syntaxe exige que le verbe s'immisce entre les deux. C'est cela aussi le montage.

Romina et Amandine m'encourageant avec la plus grande bienveillance, j'ai réussi à transformer l'essai. Les fruits trop mûrs sont tombés. Comme tout le monde y trouvait son "conte", j'ai éteint le studio et j'en ai profité pour envoyer ma newsletter de juin, assemblé le nouveau tabouret de piano, accroché le tableau de Sun Sun Yip intitulé La première pierre au mur du salon (est-ce un rôti ou un cerveau ?... que les végétariens nous pardonnent !), répondu à quelques amis et à 18h30 je suis finalement allé boire un coup. Voilà exactement douze heures que j'étais debout ! Un verre d'eau fraîche. Ce n'est pas une plaisanterie, à peine une provocation, du moins lorsque je dis que j'aime l'eau autant que l'alcool. Là-dessus Christophe Charpenel m'envoie une magnifique série de photos qu'il a prises ici pendant la séance avec Lionel Martin le 11 mai. J'ai laissé mes index faire le reste. En somnambule, là aussi, encore une fois, mais assis. Je sais de quoi je parle. Lorsque j'étais petit, il m'arrivait de courir la nuit autour de la table les yeux fermés. Sans rien casser.