Sommes-nous déçus ou furieux de la nouvelle expo beaubour(g)ienne ?

Les tentatives muséographiques de récupérer le cinématographe deviennent une constante inquiétante. Nous avons pris l’habitude de voir, et parfois d’entendre, une majorité d’œuvres vidéographiques indigentes, programmées par des curateurs (sympa comme francisation pour les commissaires d’exposition, on passe du commissariat à la cure ; à quand la récure ? Elle s’impose…) d’une inculture cinématographique qui n’a d’égal que l’arrogance des artistes qu’ils défendent. Il suffit de diffuser en boucle quelques minutes mal cadrées d’un plan séquence où, de préférence, rien ne se passe, à savoir rien d’autre que le temps qui s’écoule, pour que cela fasse œuvre. Agrémentez la projection sur écran géant ou sur un petit moniteur de quelque mobilier ou scénographie mettant en valeur le lieu d’exposition ou se rapportant vaguement à ce qui se trouve sur l'image, et vous obtenez une « installation » ! Un siècle de découvertes cinématographiques est relégué aux oubliettes, ou pire, cité en extraits retravaillés par le génie de l’artiste nouveau (comme on dit du Beaujolais).

On avait l’habitude de voir les films dans des églises laïques où le public communiait dans le noir, confortablement assis, laissant le temps aux œuvres de s’installer, encadrées par leurs génériques de début et de fin. On nous propose aujourd’hui de les consommer dans la bousculade des galeries, de les prendre en cours et en extraits, en les intégrant au dispositif de la visite plus ou moins guidée. Le Centre Pompidou revendique aujourd’hui cette approche en mettant en avant l’alibi de la révolution numérique et en réintégrant le 7ième Art dans l’Histoire de l’Art ! C'est dire hélas ce qu'est devenu le cinéma contemporain, une rémanence, un jeu vidéo, un produit. Ou bien, son succès populaire aurait-il fait des envieux ? Notons que la plupart des artistes vidéo sortent d’écoles de beaux-arts pour s’afficher dans les musées. La caméra est somme toute un outil comme un autre, chacun peut s'en saisir. Voilà bien des années que les commissaires d’exposition ont du mal à trouver des peintres ou des sculpteurs qui révolutionnent le milieu de l’art. Dans une actualité où les idées se font rares, où la morale fait le plus souvent défaut (entendre le « une œuvre est une morale » de Jean Cocteau), l’enveloppe est un bon cache-misère. Dommage qu’il n’ y ait pas plus de jeunes cinéastes comme Agnès Varda ou Chris Marker à s’intéresser à ces nouvelles formes d’expression ! Leur travail muséographique possède une réelle profondeur. Je sais aussi qu’il existe des Isaac Julien qui font honneur au medium, mais la grande majorité de ce qui est exposé est déprimante d’inanité.

À vouloir resituer ma colère dans son contexte, j’en perds de vue la visite d’hier après-midi. Le commissaire Philippe-Alain Michaud, dans une pagaille revendiquée, propose comme thématique, avec en sous-titre « Art, cinéma », des films expérimentaux qui ont fait l’objet de nombreuses rétrospectives, anthologies et éditions dvd. Le tout est saupoudré d’œuvres picturales et sculptures appartenant au Centre, histoire de rentabiliser les acquisitions patrimoniales. Ce qui est impardonnable, c’est le peu d’effort réalisé pour permettre au public de s’y retrouver. Plutôt que de diviser arbitrairement la visite en « défilement », « projection », « récit » et « montage », prétendues « données fondamentales de l’expérience filmique » illustrées là de manière totalement absconse, n’aurait-il pas été plus juste d’essayer d’analyser comment on en est arrivé là ? Comment des cinéastes, des photographes, des peintres ou des poètes ont-ils eu l’idée de s’évader du récit traditionnel, de la représentation du réel, du temps imposé par le formatage des séances ? Et ce depuis un siècle ! Le cinéma expérimental a sa propre histoire, sa chronologie, fut-elle éclatée… Comment s’inspire-t-il des autres arts plus qu’il ne les suscite ? Quel fut son propos et quel est-il aujourd’hui ? Les enjeux économiques sous-tendus ne sont même pas sous-entendus, ils sont ici escamotés.

L’exposition « Le mouvement des images » est un fourre-tout sans rigueur. Elle n’est qu’un des multiples exemples mettant en scène la panique des curateurs perdus au milieu d’une époque où seul l’argent règne, où son absence est occultée (l’expo « Los Angeles 1955-1985 » à l’étage du dessus ne vaut guère mieux, bout à bout de pièces de troisième catégorie, sans parler de la misère des expos qui se succèdent au Palais de Tokyo). Incapables de comprendre les nouvelles technologies et ce qu’elles pourraient apporter (soit pas grand chose si la révolte ne gronde pas dans le corps de l’artiste), les responsables ne peuvent qu’accrocher la technologie elle-même aux cimaises, gober les reconstitutions rituelles kitchissimes qui sont légion, mélanger le tout dans un shaker jusqu’à vous donner mal au cœur et à vous abrutir devant l’accumulation emphatique où n'est laissée aucune place à la respiration et aux interrogations. Car tout est mâché, recraché, servi pour 10 euros l’entrée à la foule sommée de se laisser aller et de s’en délecter. Junk Food. La dialectique a cédé sa place au grand remix. Beuark ! Excusez-moi, je n’ai pas pu me retenir…

Les six photogrammes, extraits du film A Movie, n'ont aucun lien avec les expos du 4ième et du 6ième étage. Dommage, on aurait dû commencer par là. Un film. Le chef d'œuvre de Bruce Conner défile comme le plus bouleversant patchwork de l'âme humaine, montage rythmé par la musique répétitive des Pins de Rome d'Ottorino Respighi, pellicule identifiée et projetée, la matière celluloïd, le récit d'une expérience filmique unique pour chaque spectateur, la mise en scène de l'inconscient.

À Beaubourg on nous sert, à la place, la scène des tartes à la crème, ce n'est hélas que métaphorique, et très mal joué. On n'y croit pas.