Ma mère me demandait ce que je faisais. Je répondais "je rêve". J'y passais des heures. Les pieds sur le bureau, les coudes sur la table ou les yeux au plafond. Depuis toujours, mon travail est le fruit de ces moments hallucinatoires où je me projetais dans l'espace et dans le temps. Je rêvais du cosmos, je rêvais de la Terre, je rêvais de maisons utopiques où il ferait bon vivre, je rêvais de musique, je rêvais de lumière, je rêvais à quoi rêvent tous les petits garçons épris d'encyclopédisme et, plus tard, de ce qui anime les adolescents pubères. La science était revêtue des habits de la poésie et les machines qui ne servent à rien s'accumulaient sur les étagères ou dans mes petits cahiers. Si je n'ai jamais connu de crise mystique, mes interrogations sur l'origine du monde me donnaient le vertige jusqu'à la nausée. La mort prenait sa source à l'endroit du big bang, ma microscopie tendant vers moins l'infini m'aspirait dans l'abîme. Le plancher des vaches recouvert de bitume était plus rassurant. En visitant la Chapelle du Musée des Arts et Métiers, j'ai retrouvé le Meccano de mon enfance, les premières automobiles et les avions accrochés au plafond comme autant de modèles agrandis des maquettes que je ne saurai jamais terminer, faute de patience ou par manque de pouvoir évocateur qu'ils représentaient face aux idées se bousculant sous ma boîte crânienne. Dans l'opéra de Schönberg, ma sympathie va évidemment à Moïse plutôt qu'à Aaron ! Grand amateur d'expériences en tous genres, j'étais heureux de voir osciller le pendule de Foucault, vérifiant que "pourtant elle tourne" ! Nous l'observâmes aussitôt arrivés en Afrique du Sud où nous étions partis en tournée pour le Centenaire du Cinématographe en 1995, penchés au-dessus de la cuvette des toilettes pour admirer la spirale inversée de l'écoulement de l'eau. Non, définitivement, je n'effectuerai jamais totalement ma croissance.