En sortant de l'exposition Le néon dans l'art des années 1940 à nos jours présentée à La Maison Rouge jusqu'au 20 mai, je ne regarde plus Paris avec les mêmes yeux. Sur l'autre rive du port de plaisance de la Bastille, la gigantesque grue illuminée semble faire partie de la centaine d'œuvres, toutes conçues à base de tubes au néon, gaz rare qui balise la ville de sa lumineuse sémantique. L'Enseigne Tabac de Franck Scurti qui se dandine dans une fumée de rêve ou le Monologue de Marie José Burki accroché dans l'arbre devant la galerie donne des couleurs à la ville lumière sous la grisaille humide. Le commissaire David Rosenberg a sous-titré l'exposition Who’s Afraid of Red, Yellow and Blue ? du nom d'une œuvre de Maurizio Nannucci, pointant d'emblée l'abus de langage, car le néon est rouge et les autres couleurs sont obtenues par d'autres composés, hélium pour le jaune, CO2 pour le blanc, argon pour le violet, mercure pour le bleu, voire fluorescence excitée par rayonnement ultraviolet ! Si les mots tordus dans le verre par maints artistes ont la limite de leur concept, variations infinies du dictionnaire, certains comme Piotr Kowalski joue d'une anamorphose avec Pour qui ? (ci-dessus), de leur réflexion comme Miri Segal avec Sous les pavés, la plage ou de leur accumulation comme Jason Rhoades (ci-dessous).


Les œuvres les plus intéressantes s'échappent du langage pour entrer dans le domaine des sens. Les trois pièces mitoyennes de Chromosaturation de Carlos Cruz-Diez transforment notre vision colorée par effet de rémanence, le clignotement du Néon dans l’espace de François Morellet donne le vertige, la Lightbox d'Andrea Nacciarriti éblouit, le Trou d’homme (Jaune) d'Ivan Navarro (ci-dessous) joue d'une illusion d'optique lorsque l'on grimpe dessus. On retrouvera évidemment les pionniers Lucio Fontana, Dan Flavin, Joseph Kosuth, Bruce Nauman, Mario Merz ou Martial Raysse avec son magnifique tableau Snack, mais comme souvent à La Maison Rouge nombreux jeunes artistes sont accrochés aux cimaises avec des œuvres extrêmement récentes.


Elles nous éclairent sur le monde tape-à-l'œil que nous traversons par leur simplicité, leur torsions ou leurs mouvements. Passé l'astucieux labyrinthe où nous nous perdons, tout au fond du sous-sol, la boucle vidéo de vingt-deux minutes de Delphine Reist fait tomber et exploser les tubes en Averse, interrogeant superbement la fragilité du support, l'éphémère de l'art ou sa pérennisation. Avec toute cette électricité et ces suspensions complexes le régisseur a dû passer des nuits blanches ! Le très beau catalogue rend aussi hommage à l'inventeur du tube au néon en 1912, le Français Georges Claude, militant d'extrême-droite que ses activités collaborationnistes conduiront en prison, là où les néons ne sont que blafards, alors qu'ici on est plutôt à la fête !