Suite à mon article confrontant les tribus disparues de la Terre de Feu et les paradis fiscaux de Paolo Woods et Gabriele Galimberti, j'ai depuis visité deux autres expositions arlésiennes mettant en scène notre société malade. La politique au sens propre, façon de parler, s'efface aujourd'hui devant le malaise social qui s'exprime au quotidien, phénomène plus grave que les retournements de tendance du marché. La société du spectacle montre ou camoufle ce qui arrange ses maîtres.

I was here, tourisme de la désolation
(Rencontres d'Arles, Grande Halle, Parc des Ateliers, jusqu'au 20 septembre)


Les photographies d'Ambroise Tézenas dévoilent des destinations touristiques dramatiques où le voyeurisme morbide tient du fantasme. Comme tout le monde, l'arpenteur s'est inscrit aux visites de ces lieux-catastrophes que la mort a marqués de son empreinte indélébile : tremblement de terre en Chine (photo tout en haut), Mémorial du génocide au Rwanda, prison militaire en Lettonie, traces de l'assassinat de J.F. Kennedy aux USA, voyage à Tchernobyl, le camp de concentration d'Auschwitz-Birkenau, le village martyre d'Oradour-sur-Glane, musée du génocide au Cambodge (photo ci-dessus), etc. Tel les touristes photographiant, la caméra au cou, les fantômes qui peuplent ces paysages, il ne peut saisir que des bâtiments vides où les rares présences visibles sont celles des futurs condamnés de la prochaine catastrophe. Quelle autre projection dans l'avenir se profile dans leurs têtes ? Que se passe-t-il dans la nôtre devant ces images limites?

Le grand incendie
(Galerie du Jour agnès b., 2 rue de la Bastille, Arles, jusqu'au 8 août)


Les places photographiées par Samuel Bollendorff ne sont pas plus conceptuelles que les destinations de Tézenas, même si, pour l'un comme pour l'autre, il est indispensable d'en connaître la légende. Un dépliant vante les qualités des premières tandis que l'on a soigneusement effacé les traces cruelles des secondes. Bollendorff, s'étant aperçu qu'il n'existait aucune statistique sur les suicides par le feu en France, a découvert qu'entre 2011 et 2013 une personne s'y immolait en moyenne tous les quinze jours ! C'est énorme. Les victimes sont rarement des désaxés, mais des citoyens conscients de leur responsabilité, privés de l'exercer. Les textes qui accompagnent les sept grands tirages accrochés comme des fenêtres au dessus du vide sont déterminants, lettres expliquant leur geste, conditions tragiques qui ont poussé ces hommes à s'enflammer et se consumer. Ils condamnaient tous la société dans laquelle ils ne pouvaient plus vivre. Certains ont changé l'Histoire comme le Tchèque Jan Palach face aux chars russes ou le Tunisien Mohamed Bouazizi embrasant le Printemps de Jasmin. Mais quelle influence exerça le sacrifice d'Apostolis Polizonis devant la banque grecque tenue pour responsable de sa faillite ? En 2011 il mourait ici autant de salariés, victimes de l'absurdité de leur entreprise ou d'une administration sourde, que de moines tibétains se révoltant contre le gouvernement chinois. En mémorisant avec son appareil onze lieux où la contestation poussa son cri désespéré, Bollendorff rend hommage à ces sacrifiés dont personne ne voulait entendre les suppliques, renvoyant l'image en creux d'une société dont l'inhumanité a atteint des sommets. Sur le Net on peut regarder le WebDoc interactif que Bollendorff et Olivia Colo ont réalisé.



Woods, Tézenas, Bollendorff et d'autres photographes de leur génération allient la forme et le fond. Ils dénoncent l'absurdité, l'horreur, l'injustice ou l'exploitation sans négliger une recherche esthétique qui soit appropriée.