70 Expositions - mars 2016 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 22 mars 2016

Iconoclash, toujours !


Il est intéressant de revoir treize ans plus tard le petit film que Françoise Romand avait réalisé sur l'exposition Iconoclash organisée au ZKM en 2002 par Bruno Latour et Peter Weibel. Les interrogations sur l'importance des images au travers des siècles n'ont pas changé. La réalité est d'autant plus difficile à cerner que les nouvelles technologies rendent les manipulations de plus en plus invisibles. La critique des images s'exerce au milieu d'un capharnaüm qui brouille les cartes en s'accompagnant d'un storytelling toujours aussi persistant. La simplification tend à faire croire à une complexité camouflant la simplicité des intérêts du pouvoir sur la crédulité des masses. La spirale où nous entraîne notre désir d'apprendre trouve dans l'art une résolution certes plus satisfaisante qu'en politique, mais aussi troublante que dans les sciences. Le point de vue passionnant de Latour se réfère à des siècles de christianisme où les hommes se sont entredéchirés sur ces questions d'images et sur leur destruction. L'effacement est intimement lié au dessin comme la déchirure au dessein.


Iconoclash renvoyait dos à dos les iconophiles et les iconoclastes, sans que les uns se distinguent radicalement des autres, les deux mouvements procédant généralement de la même intention. Si l'inconscient ignore les contraires, la question de l'image ou pas renvoie non à son affirmation ou à sa négation, mais à son sujet, l'image, toujours aussi puissante depuis que les êtres humains s'en sont emparés. La religion, la politique, l'art et les sciences exploitent la crise de la représentation pour fédérer les communautés dans le progrès et la régression. Les artistes exposés, de Rembrandt à Boltanski, sont forcément dans le blasphème ; c'est le rôle de l'art de bousculer les idoles, quitte à les remplacer périodiquement. Les meneurs d'opinion cherchent au contraire à entériner des concepts, à installer des certitudes. Si la fonction des uns est d'interroger ce que l'on voit, celle des autres est d'apporter les réponses avant que l'on ait le temps d'y réfléchir. L'art est bien le dernier rempart contre la barbarie.

dimanche 13 mars 2016

Carambolages : 8. Visite immersive

Si vous avez l'excellente idée d'aller visiter l'expo controversée CARAMBOLAGES au Grand Palais, pensez à télécharger l'appli gratuite avant d'y aller (c'est plus pratique qu'en arrivant dans l'entrée !), lancez le parcours sonore pour charger les 27 séquences que j'ai composées et qui accompagnent les œuvres.
Et n'oubliez pas vos écouteurs !
Visite immersive garantie.


L'appli iOS et Android est également synchronisable avec le catalogue (c'est un accordéon de 19 mètres de long, augmenté de deux fascicules, dans un boîtier aimanté).

Musique composée avec la participation d'Antonin-Tri Hoang et Vincent Segal.

Articles précédents sur Carambolages : 1. Le regard / 2. Synchronisme et mp3 /
3. Suivez le guide / 4. Le parcours sonore / 5. Trois angles / 6. L'origine /
7. N'oubliez pas vos écouteurs

vendredi 11 mars 2016

Ceramix à la Maison Rouge et à Sèvres


On est rarement déçu par les expositions de la Maison Rouge si l'on est en quête de découvertes. Cette fois la Fondation s'associe à la Cité de la Céramique de Sèvres et au Bonnefanten Museum de Maastricht pour monter Ceramix, une gigantesque exposition à la gloire d'un médium trop souvent relégué au rang de bibelot ou de vaisselle. À cheval entre art et artisanat, cela explique évidemment le nombre de femmes artistes qui s'en sont emparées. L'exposition s'étend sur les deux lieux, à la Bastille et à Sèvres où sa présence fera découvrir à beaucoup l'incroyable trésor que recèle la Cité de la Céramique. Si nous avons pu y admirer quantité d'objets fabuleux à travers les âges et les continents, Ceramix se concentre sur l'art moderne et contemporain en commençant par Gauguin et Rodin, glissant vers Picasso, Miró, Dufy et Derain, s'étendant à Fontana et au groupe Cobra, aux Japonais de Sodeïsha, au Funk Art, etc., jusqu'à nombreux artistes toujours en activité.


On admirera ainsi des sculptures de Thomas Schütte, Elsa Sahal, Johan Creten, Klara Kristalova, Ai Weiwei, Ni Haifeng, Bita Fayyazi qui se sont entichés de la terre cuite, du grès, du biscuit, de la faïence, de la porcelaine, de la céramique, éventuellement vernissant ou émaillant, pour des œuvres souvent impertinentes en regard de la tradition et des usages. Les avant-gardes se sont engouffrées dans ce matériau aux possibilités inattendues, explosant de couleurs, brutes ou sophistiquées, miniatures ou imposantes. (en photo : Antoni Tàpies et Louise Bourgeois)


Figuratives, abstraites, informelles, mais aussi politiques, érotiques, monstrueuses, les œuvres sont surprenantes. En en exposant 250 de 100 artistes issus de 25 nationalités, Ceramix (9 mars à début juin) révèle un pan méconnu de l'art moderne et contemporain où l'invention est d'autant plus libre qu'elle est restée longtemps et abusivement reléguée à un art mineur.

mercredi 9 mars 2016

Le bestiaire tropical de Xavier Roux


Entrer dans les serres tropicales du Jardin des Plantes nous propulse illico sur un autre continent. Portés par une douce chaleur nous admirons les arbres, fougères, palmiers qui y poussent régulièrement, mais aujourd'hui nous sommes venus voir Mille et une orchidées. En réalité c'était le dernier jour et nous voulions absolument entendre la musique que Xavier Roux avait composée pour cette exposition magnifique hébergée comme chaque année dans ce lieu magique. Les fleurs embaument et se pâment tandis que, après avoir déambulé enveloppés par les six haut-parleurs soigneusement dissimulés dans la verdure, nous grimpons tout en haut de la grotte pour jouir du meilleur point d'écoute. Je me souviens qu'il y a quarante ans Bernard Vitet avait réussi à avoir les clefs pour y jouer de la trompette le matin avant que la serre s'ouvre au public. Le verre envahi par les plantes produit une acoustique étonnante où les instruments forment un bestiaire incroyable, ou plus exactement parfaitement crédible bien qu'ils ne cherchent jamais la fidélité, mais créent une évocation poétique sensationnelle.


Pour composer Belles exotiques Xavier Roux a utilisé le synchronisme accidentel de trois systèmes stéréophoniques décentrés. Les trois boucles de différentes durées se décalent au fur et à mesure de la journée, renouvelant sans cesse la partition. Les glissés de sa lap steel guitar se mêlent aux sons électroniques pour une symphonie animale dont le silence est l'élément fondamental. Les effets de surprise rivalisent avec ceux de perspective. C'est évidemment très différent de l'album Court-circuit que nous avions enregistré ensemble il y a quatre ans, ou des autres exploits de celui qui se fait souvent appeler Ravi Shardja !

vendredi 4 mars 2016

Carambolages : 7. N'oubliez pas vos écouteurs


Le parcours musical de l’exposition Carambolages s’appuie sur la mise en espace des œuvres, chaque cimaise bénéficiant d’une ambiance sonore qui lui est propre. 27 ont ainsi été dénombrées avec Jean-Hubert Martin, incluant « le mur des réinterprétations » entre les deux étages.
Chacune de ces ambiances met en situation la série d’œuvres de la cimaise, offrant à chaque visiteur muni de son smartphone et d’un casque audio de vivre une expérience immersive axée sur la sensibilité. Les choix musicaux et sonores sont complémentaires plutôt qu’illustratifs, laissant à l’imagination de chaque visiteur la liberté de vagabonder.
La continuité sonore joue de l’alternance dramatique tension/détente en encourageant les surprises. Certaines évocations peuvent paraître évidentes, d’autres, plus énigmatiques, sollicitent l’imagination de chaque visiteur. L’effet Marabout, Bout de ficelle… se niche dans des détails renvoyant les séquences les unes aux autres.
Ces ambiances sonores peuvent être purement musicales (j'en ai enregistré quelques unes en compagnie du violoncelliste Vincent Segal et du saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang), bruitistes (reconstitutions en studio), paysagères ou documentaires (field recording avec traitement électroacoustique).
Techniquement elles sont constituées de boucles stéréophoniques d’environ 1 minute 30 chacune.
Le résultat final est une suite musicale tels les tableaux d’une exposition dont la seule logique est celle de l’imaginaire.


Dans le cadre de ce discours de la méthode que j'ai toujours pratiqué, j'aurais aimé justifier mes choix artistiques, mais cela risquerait de désamorcer les effets de surprise et d'interprétation de chaque visiteur. De même que les titres des œuvres défilent sur des écrans après que l'on ait pu les admirer, donc sans influencer son approche, je reviendrai probablement sur la mienne lorsque l'exposition sera terminée, dan,s quatre mois !
L’application gratuite pour smartphone (iOS et Android), téléchargeable sur le site du Grand Palais et à l'entrée de l'exposition, offre de naviguer par clavier, liste ou plan de l’exposition. La suite des 27 étapes du parcours musical peut ensuite être réécoutée à la lecture du catalogue en suivant les références indiquées sous chaque séquence musicale de l'application. Si vous ne possédez pas de smartphone vous pouvez tout de même en écouter l'enchaînement sur le site de la RMN ou sur drame.org. Mais pour en profiter au Grand Palais pour lequel elle a été conçue, n'oubliez surtout pas vos écouteurs !

Articles précédents sur Carambolages : 1. Le regard / 2. Synchronisme et mp3 / 3. Suivez le guide / 4. Le parcours sonore / 5. Trois angles / 6. L'origine

mercredi 2 mars 2016

Carambolages : 6. L'origine


Dans la plupart des expositions qu'il conçoit, la démarche de Jean-Hubert Martin est foncièrement politique. En mettant en avant le plaisir plutôt que la leçon dogmatique, il permet généreusement aux visiteurs de s'approprier les œuvres, sans distinction de classe, de connaissances culturelles ou d'âge. Ce mouvement s'applique d'abord aux œuvres, puisqu'elles sont issues de tous les coins du monde, de tous les temps, mêlant inconnus et célébrités, autodidactes et érudits... Il a choisi de nous faire découvrir des objets rares, surprenants, qui d'abord nous interrogent. Car Carambolages pose plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. Je me suis longtemps demandé pourquoi les enfants perdaient leur inventivité initiale : c'est simplement lorsqu'à l'entrée au cours préparatoire on leur donne les réponses avant qu'ils aient le temps de poser les questions ! L'exposition du Grand Palais est un retour en enfance avec les attributs de la sagesse.


Conséquence formidable de la fin des années 60 et du début des années 70, Carambolages ramène l'imagination au pouvoir, initiative salutaire en ces temps sombres où la liberté a perdu ses lettres de noblesse. Les jeunes y sentiront le souffle de la révolte qui gronde, celle de l'impossible qu'on oppose au réel et qui pourtant l'incarne mieux que la léthargie de l'orthodoxie. Godard disait que la culture est la règle et que l'art est l'exception. Tout ce qui est montré au Grand Palais et la manière de le présenter est exceptionnel. L'intimité retrouvée face aux œuvres offre de voir l'invisible. Contrairement aux sciences dites exactes, la poésie est éternelle, du moins tant qu'il y aura des hommes et des femmes. L'art est aussi le dernier rempart contre la barbarie.


Journal de bord, discours de la méthode, c'est le sixième billet que j'écris sur l'exposition, mais je n'ai pour ainsi dire évoqué aucune œuvre. En vue de l'illustrer j'ai photographié Annette Messager, Joseph Heinz le Jeune, Damiano Cappelli (regardez l'ombre ! Dans cette expo il faut chercher les détails...), un reliquaire du XVIIe, et puis Bertrand Lavier, Hergé, Joachim-Raphaël Boronali, dit «l’Âne Lolo», Clovis Trouille, Pierre-Alexandre Aveline, Matthieu Dubus, ou les quatre écrans de Jean-Jacques Lebel... Dire que je préfère telle ou telle œuvre serait absurde. C'est l'ensemble qui fait sens, chacune renforçant l'autre par des effets de montage dignes du cinématographe. Passé les successions, se dessinent des rimes, associations d'idées et de formes que le roman graphique de Jean-Hubert Martin fait naître en chacun de nous, selon nos propres références, renvoyant l'émotion à notre vécu pour la projeter dans le futur. Le patrimoine de l'humanité est un vivier inépuisable que nous réinventons sans cesse, par notre regard. Le néon de Maurizio Nannucci est explicite : Listen to Your Eyes. Pour croire ce que l'on voit, il faut d'abord apprendre à voir, l'interpréter. Si tout se passe comme espéré, il y aura autant de versions que de visiteurs...


Le Do It Yourself du grand escalier s'intitule Le mur des réinterprétations. Chacun peut réorganiser l'exposition en agençant à sa guise les 180 magnets au lieu de suivre la continuité imaginée par Jean-Hubert Martin. C'est une pirouette, cacahuète. Une exposition est comme une œuvre : terminée elle appartient au public. À vous de vous en saisir ! Carambolages est une partie de plaisir, aussi drôle que profonde, aussi grave que légère, aussi provocante qu'apaisante, aussi surprenante que passionnante... C'est un nouveau théâtre du monde, bouillonnant évènement annonciateur d'un autre temps !

Articles précédents sur Carambolages : 1. Le regard / 2. Synchronisme et mp3 / 3. Suivez le guide / 4. Le parcours sonore / 5. Trois angles