Un homme demande un prêt à son banquier. Celui-ci, amusé, lui répond qu'il le lui accordera s'il devine lequel de ses deux yeux est un œil de verre. Sans hésiter son client indique le droit. Le banquier, surpris de sa perspicacité, l'interroge sur ce qui l'a mis sur la voie. Le client explique : "c'est le seul où il y avait un peu d'humanité !".
Je relis le programme d'Emmanuel Macron pour savoir à quelle sauce nous serons mangés et n'en constate encore une fois que le vide sidéral, à l'image de ses discours, fades modèles de langue de bois. Les banques ont trouvé le candidat idéal, un homme jeune et malléable qui agira à ce pour quoi il a été formé. Le service de marketing a bien ciblé sa campagne. Le pays sera dirigé comme une entreprise. À sa tête une sorte de Bush Jr, marionnette pratique qui permettra aux principaux actionnaires d'en tirer les ficelles. Rien hélas de nouveau. C'est la continuité exacte du quinquennat précédent, la créature laissée en héritage par François Hollande, un président dépressif dont il ne restera pas grand chose. Le futur président de la République, avec son nez qui le démange, a déjà les tics de Sarkozy, comme si le costume attendait seulement un corps qui le remplisse.
Je n'ai jamais cru un seul instant que Marine Le Pen pourrait l'emporter. Qui que ce soit en face d'elle remporterait la coupe. Il y a quinze ans, j'ai voté Chirac contre son père, la honte ! On ne m'y reprendra pas deux fois. Pas question de lui fournir une légitimité usurpée. Le Capital se joue de la démocratie en nous offrant deux alternatives identiques qu'ils appellent la droite et la gauche avec le Front National comme variable menaçante. Le modèle américain démocrates-républicains s'exporte bien. L'électorat de Le Pen est difficilement extensible. Cet épouvantail rassemblera contre lui la droite traditionnelle, les socialistes de tous bords et ceux qui se laissent impressionner par le spectre du fascisme. La victoire de Macron n'est qu'une question de pourcentage. Chaque fois qu'il y aura un risque de changement possible, ils agiteront la menace d'attentats ou engageront la France dans quelque guerre punitive dont l'intérêt économique est le moteur post-colonial.
C'est bien là que ma tristesse s'exprime. Pas dans l'échec de la France insoumise à ne pas accéder au second tour, mais dans l'énigme que représente pour moi l'espèce humaine. D'abord je pense que face au candidat des banques, Mélenchon aurait perdu dans quinze jours, devant lutter contre une ligue qui aurait rassemblé l'extrême-droite, la droite traditionaliste et les socialistes. Les Communistes qui ne représentent plus grand chose n'ont jamais voulu du pouvoir, préférant rester dans l'opposition. Le travail exceptionnel des militants de la France Insoumise n'est par contre pas perdu. Il servira les luttes sociales qui ne manqueront pas évidemment et il fournira les armes contre le gâchis écologique qui se perpétue. Non, ce qui me désole, c'est l'aptitude de l'espèce humaine à s'autodétruire en entraînant avec elle toutes les autres espèces. Comment cette élection pourrait-elle me déprimer alors que la guerre fait rage partout sur la planète et que chaque jour des dizaines de milliers d'innocents font les frais de politiques aussi absurdes que criminelles ? Je ne m'y ferai jamais.
Le regain d'intérêt de très nombreux Français pour la politique est la bonne nouvelle de cette campagne du premier tour, le second n'étant qu'une mascarade. La prise de conscience de beaucoup pour une mutation écologique fera probablement évoluer nos pratiques quotidiennes. L'intelligence et la clarté des propositions de Jean-Luc Mélenchon et des militants qui l'ont soutenu sont une base de travail pour l'avenir. Il est tout de même formidable d'arriver à convaincre autant de monde sans l'appui d'aucun parti, d'aucun média. L'écart est mince si l'on pense que le héraut de la finance bénéficie d'une armada colossale, la presse et la télévision étant tombées aux mains de ses employeurs, banquiers et marchands d'armes qui n'ont besoin que d'une agence de publicité qui fasse la retape. Mélenchon rivalise d'inventivité, confronté à cette société du spectacle où la forme est une vaseline chargée de flouter les mesures iniques pour que les victimes continuent d'élire leurs bourreaux. Car très peu de personnes tirent les marrons du feu, et ceux-là ont besoin de petites mains qui s'y brûlent et se consument. Mais de plus en plus d'yeux apprennent à s'ouvrir et rien n'est jamais acquis, ni l'horreur, ni l'espoir d'un monde meilleur. C'est un travail. Un travail quotidien.