70 Humeurs & opinions - décembre 2019 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 24 décembre 2019

La violence en exemple


Un air de violence souffle sur l'Hexagone. Beaucoup de gens semblent énervés. Il aura suffi que je conduise une demi-heure pour me faire agresser trois fois et que je sois témoin de deux altercations physiques entre plusieurs automobilistes. Des amis me confient avoir vu le même genre de comportement dans les transports en commun.
Comme toujours, lorsque le mauvais exemple est donné par les plus hautes instances de l'État, les dominos s'écroulent jusqu'au bas de l'échelle. Trop jeune pendant la Guerre d'Algérie, je ne me souviens pas avoir connu d'époque plus inquiétante que celle que nous fait vivre l'actuel gouvernement aux ordres des banques et des grandes entreprises. Jamais la police n'aura bravé la loi comme aujourd'hui, jamais la justice n'aura été aussi inique. La violence sociale des réformes à l'œuvre est relayée par la violence physique des lanceurs de grenades en uniforme ou des voltigeurs. Combien d'yeux ont-ils crevés, combien de mains arrachées, combien de corps matraqués ? Leur sentiment d'impunité me rappelle terriblement les évènements dont mon père avait été témoin en Allemagne à la fin des années 30. Si Macron est réélu, son second mandat sera encore plus carnassier. Si Marine Le Pen l'était, ce qui est évidemment peu probable, il lui aura ouvert la voie pour les pires exactions. Si le mouvement de La République En Marche représente bien la France, c'est celle de Pétain, un ramassis d'opportunistes, et donc d'incompétents, que seule l'arrogance leur permet d'assumer.
Je m'étais faufilé sur une file libre, laissé passer une camionnette arrivant de la gauche (n'y voyez aucune allusion politique !) et rabattu lors du rétrécissement de la voie. Après avoir klaxonné, le type de derrière descend de son véhicule, métaphore récurrente de sa masculinité, pour hurler à ma fenêtre que je l'avais gratté. Je me suis excusé, lui expliquant que mon intention était de dégorger l'embouteillage derrière nous. "Non, vous m'avez gratté ! Avec votre voiture..." insiste le costaud menaçant en cherchant vainement la trace d'un frottement sur nos carrosseries. J'ai évité le pire en faisant profil bas. A quoi bon ? J'ai fredonné à Sacha, assis à côté de moi, les paroles "surréalistes" d'Apollinaire mises en musique par Poulenc : "Grattez-vous si ça vous démange, aimez le noir ou bien le blanc, c'est bien plus drôle quand ça change, suffit de s'en apercevoir !" Plus tard sur le boulevard, une autre scène du même acabit. Deux rues plus loin, un piéton sur le trottoir semble chercher sa direction ; comme il ne bronche pas, je démarre, et là il donne un grand coup de poing sur ma portière. En voyant d'autres usagers en venir aux mains Porte de Vincennes, je me dis qu'il est plus sage de rentrer à la maison et d'attendre que cela se tasse.
Pourtant, cela ne s'arrangera pas de sitôt. L'atmosphère est tendue. Les gens sont malheureux. Ils ne comprennent pas ce qui leur arrive. Certains incriminent les grévistes qui les empêchent de partir en vacances ou d'aller se faire exploiter par leur patron alors que la manœuvre du gouvernement est une provocation sciemment engagée à la veille des fêtes. Peut-être vaut-il mieux rater le ski cette année et que nos enfants aient de quoi vivre lorsque nous ne serons plus là ! Il n'y a pas que la retraite pour mettre en colère. La casse s'exerce sur tous les fronts.Comment les écologistes qui ont voté Macron au premier tour peuvent-ils cautionner la politique gouvernementale ? Comment les socialistes peuvent-ils encore croire une seconde aux promesses du commis des banques ? Les gens s'en veulent. Ou s'ils en sont incapables, ils en veulent à la Terre entière. Certains invoquent la lutte contre le populisme, ils ont raison, Macron ne l'est pas puisqu'il fait cadeau sur cadeau aux plus riches. S'il monte les citoyens les uns contre les autres, il ne faut pas s'étonner qu'à la moindre contrariété ils se tapent sur la figure... Cela ne présage rien de bon si le véritable adversaire n'est pas clairement identifié.

mercredi 18 décembre 2019

Le marché de la compassion


Nous recevons régulièrement d'épaisses enveloppes nous exhortant à contribuer à de bonnes œuvres. De petits "cadeaux" accompagnent souvent ces campagnes de recherches de fonds : cartes du monde, carnets, stylos, etc. Lorsque mes parents étaient sollicités par des démarcheurs en porte-à-porte, ils avaient l'habitude de répondre qu'ils avaient "leurs œuvres" pour se débarrasser des importuns. Aujourd'hui il n'y a plus que les Témoins de Jéhovah, les vendeurs de pommes et patates soi-disant directement du producteur au consommateur (attention, arnaque !), les élagueurs de haies, les couvreurs et les militants du journal L'Internationaliste (branche française de Lotta Continua) pour sonner à notre porte. Je ne compte pas les éboueurs (en évitant les faux) et les postiers pour lesquels je contribue à leurs étrennes, mais je me passerais bien de leurs calendriers qui sont heureusement de plus en plus minces. Surtout je suis sidéré par l'argent que doit coûter ces épais dossiers au profit de Médecins Sans Frontières, Amnesty International, Stop à la Souffrance Animale, Apprentis d'Auteuil, etc. Pas question de jeter ce qui est "recyclable", donc je n'affiche ici qu'une petite partie des stylos récupérés, mais ce sont des tonnes de papier et de plastique qui partent à la poubelle. À ce gâchis s'ajoute mon inquiétude légitime de savoir où va l'argent. Où trouver des informations fiables détaillant ce qui revient réellement aux défavorisés ? Lorsqu'on connaît les salaires de certains responsables d'ONG et la réalité du terrain, on est en droit de s'inquiéter, voire de se révolter. Les organisations humanitaires sont devenues un business.
Dans le Figaro (!) Bruno-Georges David, auteur d'ONG : compassion à tous les rayons ? explique : L'essentiel des communications ne consiste pas en des postures politiques ou des plaidoyers, mais fait appel aux émotions, à la bien-pensance compassionnelle, à la culpabilité. C'est une discussion entre gens du Nord qui se parlent à eux-mêmes en prenant le Sud comme prétexte. (...) Les ONG ne mesurent pas la dévastation que leur dépolitisation et le marketing sont en train de produire dans l'opinion publique et auprès de leurs soutiens. De structures militantes et engagées, les ONG sont devenues des organisations de gestionnaires et financiers dépolitisés. Dans Libération (!!) Sylvie Brunel, auteur de Famines et Politique, raconte sa démission de la présidence d'Action contre la faim (ACF), après avoir été responsable de la recherche à Médecins sans frontières. Dans Télérama, Frédérique Chapuis évoque les 10 000 ONG présentes en Haïti et le scandaleux tourisme humanitaire. Etc.
La plupart des ONG sont devenues les soupapes de sécurité de l'oppression et de l'exploitation. Sans elles les situations révolutionnaires exploseraient. Certaines de ces Organisations "Non Gouvernementales" sont même financées directement par les pays les plus puissants, exploiteurs de main d'œuvre à bon marché, fomentateurs de coups d'État.
Mes parents, encore une fois, ne faisaient pas l'aumône, mais militaient pour que le gouvernement assume ses responsabilités vis à vis des défavorisés. Alors chaque fois que j'écris quelques mots avec leurs stylos "gratuits" je sens monter ma colère. Ils me servent à ne pas oublier les inégalités, les injustices, les crimes dont nos gouvernements sont responsables alors qu'ils tentent de nous culpabiliser. Peut-être avons-nous des raisons de nous sentir coupables puisque nous acceptons cet état de fait et que nous ne renversons pas le système inique et cynique qui gère nos vies et celles de ceux qui en meurent !

lundi 16 décembre 2019

La crise annoncée par les banques


Le Crédit Mutuel m'envoie une lettre dont l'unique objet est "Protection des avoirs", censée nous rassurer en expliquant que le Fonds de Garantie des Dépôts et de Résolution (FGDR) est chargé d'indemniser les clients en cas de défaillance de l'établissement bancaire. "Lorsqu’une banque n’est plus en mesure de rembourser les dépôts de ses clients, le FGDR indemnise ceux-ci jusqu’à 100 000 € en 7 jours ouvrables, dans certaines conditions et limites." On appréciera l'humour : "La garantie des dépôts en protégeant les déposants, contribue à entretenir la confiance et à assurer la stabilité du système bancaire." Il est bien évident que cela ne concerne que la classe moyenne. Pour ne pas s'inquiéter il faut soit ne pas avoir d'économies, en tout cas moins de 100 000€, soit être suffisamment riche pour avoir fait fuir ses capitaux à l'étranger ! Mais si cette perspective arrivait, et il faut prendre très au sérieux cette alerte, sinon les banques ne s'embêteraient avec cela, c'est toute l'économie qui s'écroulerait et les plus pauvres seraient les premiers à en subir les conséquences, comme toujours. Pour savoir ce qui est garanti ou pas, la liste est . Les assurances-vie, par exemple, ne sont pas couvertes par cette protection, mais dépendent du Fonds de Garantie des Assurances de Personnes (FGAP) qui garantit un maximum de 70 000€ par assuré et compagnie ! On notera ironiquement que le fonds de garantie a une capacité d'intervention inférieure à deux milliards d'euros, ce qui à l'échelle de l'encours de l'assurance vie (plus de 1.700 milliards) peut sembler assez limité ! La même question vaut pour le FGDR évidemment. Le spectre d'un krach avec déflation n'est pas à écarter.
Lors d'un dîner huppé il y a deux ans, discutant avec quatre banquiers hautement placés dans la hiérarchie de leurs différentes banques, tous m'affirmèrent avoir diviser leurs avoirs chez leurs confrères (100 000 dans chaque banque) pour ne pas être touchés par une crise qui ne manquerait pas d'arriver, demain ou dans quelques années, mais qui arriverait forcément. Les banques ont toujours choyé leurs gros actionnaires, ne possédant plus qu'environ 10% des liquidités qui leur ont été confiées. Toute l'économie est basée sur l'exploitation des petits par les gros, que ce soit au bas de l'échelle ou en haut. Les banques pratiquent le système de Ponzi dans les grandes largeurs, alors qu'il est interdit et gravement puni à petite échelle. J'en veux pour preuve sa définition-même : Un système de Ponzi est un montage financier frauduleux qui consiste à rémunérer les investissements des clients essentiellement par les fonds procurés par les nouveaux entrants. Si l'escroquerie n'est pas découverte, elle apparaît au grand jour au moment où elle s'écroule, c'est-à-dire quand les sommes procurées par les nouveaux entrants ne suffisent plus à couvrir les rémunérations des clients.
Dans L'argent Zola avait parfaitement démontré le système boursier, gigantesque arnaque qui consiste à rafler la mise en achetant à la baisse après avoir fait chuter les actions en vendant massivement. Les petits porteurs s'affolent, contribuant à la chute des cours, etc.
Dans cette heureuse perspective que serait la chute du capitalisme, système qui a fait plus de ravage que n'importe quelle dictature, les dégâts humains seront hélas considérables. Les adeptes de la collapsologie pensent plus souvent à la destruction de la planète, faute de mesures écologiques draconiennes, mais tout ce que nous subissons est régi par les lois économiques et leur non-respect par ceux-là-mêmes qui les ont promulguées !

mardi 10 décembre 2019

Physique contre dématérialisé


Je ne comprends pas que les labels de musique envoient à la presse leurs nouveautés CD sous pochette cartonnée au lieu du digipack ou du packaging qui sera commercialisé. Si les disques ont encore une petite chance de survivre à la dématérialisation, c'est bien à leur présentation graphique qu'ils le devront. Lorsqu'un journaliste ou un blogueur chronique un album, il a besoin des notes de pochette, des paroles des chansons, du nom des musiciens, etc. Le désir naît de cet ensemble. Je me souviens avoir acheté nombre de vinyles uniquement sur la foi du recto verso 30 centimètres. J'avais trouvé ainsi à leur sortie Electric Storm de White Noise ou le Bonzo Dog Band sans savoir ce que j'allais écouter ! Envoyer un lien vers Internet pour écouter le disque est absurde si l'on espère décrocher un article. J'écoute les disques sur ma chaîne hi-fi, alors que les fichiers mp3 ou wav passent par l'entonnoir des haut-parleurs de mon ordinateur portable. Quant aux films sur DVD ou Blu-Ray, ils perdent en route leurs bonus en plus des informations que contiennent généralement leurs boîtiers. Sans compter l'objet qui me rappelle à lui quand le lien chiffré se perd parmi les centaines de mails reçus chaque jour.
Que justifie alors cette pratique ? Des frais postaux atténués ? Une économie de fabrication tout aussi mineure ? Les raisons me semblent ridicules lorsqu'on sait que, pour la plupart, les ventes sont si dérisoires que le disque est devenu avant tout un objet de communication. Il n'y a vraiment qu'à la fin des concerts que les ventes sont significatives, à condition que l'enregistrement soit fidèle au spectacle auquel on vient d'assister. Envoyer un lien s'explique lorsqu'il s'agit d'inédits exclusivement disponibles sur Internet, comme je le pratique régulièrement sur drame.org. C'est pareil pour les vidéos réclamées aujourd'hui par les programmateurs qui ne croient plus leurs oreilles et ont besoin de voir pour le croire. À l'étranger certains exigent d'ailleurs un support physique pour se décider. Mais s'il s'agit d'objets physiques, seule sa version définitive est véritablement convaincante, permettant éventuellement au chroniqueur de l'attraper par un bout inattendu. Lorsqu'on a mis tant de soin et de passion à produire un disque ou un DVD/Blu-Ray, pourquoi envoyer à ceux ou celles qui en parleront un résumé riquiqui ? C'est dévaloriser son travail et celui de ses collaborateurs.
Dans un autre genre, je ne fais jamais écouter de maquette à un client, essentiellement parce que je suis incapable de mettre tout mon cœur dans quelque chose qui finira à la poubelle. Si le client adore, on est coincé pour la suite ; et si ce n'est pas parfait ses commentaires sont contrariants à juste titre. Je préfère livrer du définitif provisoire, corrigeant gentiment un contresens ou un détail qui ne serait pas à sa place. Évidemment je prends un risque de travailler pour rien, mais ce dans tous les cas ! Alors autant se donner à fond pour être le plus convaincant...

jeudi 5 décembre 2019

Art en grève


Que se passe-t-il aujourd'hui ?

Ce 5 décembre, c’est jour de grève. Cette date marquera le départ d’une mobilisation que nous espérons puissante. La raison de cette grève ? La réforme des retraites, qui pourrait porter un coup fatal à la Sécu. Le contexte ? Depuis 2016, la lutte n’a jamais cessé : loi Travail, ordonnances Macron, réforme de la SNCF, justice climatique, mouvements féministes, antiracistes, Gilets jaunes, mobilisations étudiantes, mouvement des sans-papiers.

C’est quoi cette réforme ?

Comme la santé, la retraite, c’est la Sécu. Dans le régime général, la pension est la poursuite du salaire de référence. Les militant·es qui ont bâti ce système ont commencé à déconnecter le salaire de l’emploi en socialisant les ressources dans une caisse commune. Contre cette avancée, le gouvernement entend imposer un système de retraite par points qui calculerait le montant des pensions en fonction d’un simulacre d’épargne individuelle. Tout au long de sa carrière, chaque travailleur·euse cumulerait des points qui lui permettraient, le moment venu, d’obtenir la stricte contrepartie de son « mérite ». C’est une individualisation de la protection sociale qui met fin au droit au salaire pour les retraité·es.

Pourquoi se mobiliser en tant que travailleur·euses de l’art ?

En attaquant les droits sociaux les plus avancés (ceux des fonctionnaires et des salarié·es du privé), cette réforme va parachever une politique libérale qui tire tout le monde vers le bas. Nous avons les mêmes intérêts que ces travailleur·euses qui, dans les différents secteurs de la société, vont se mobiliser pour défendre des droits remis en cause au nom d’une idéologie qui confond intentionnellement libéralisme économique et liberté individuelle. Pour des raisons historiques, les artistes sont hélas à l’avant-garde de l’absence de protection sociale et, au nom de leur passion ou de leur engagement, voient ainsi la plupart de leurs activités être non reconnues comme du travail. C’est pourquoi notre lutte pour faire reconnaître nos activités comme productrices de valeur économique peut être profitable à tou·tes et permettrait de combattre cette idéologie qui tente de nous faire croire que l’absence de protection sociale favorise la « liberté », la « créativité » ou « l’autonomie ».

Comment faire grève ?

Pour les salarié·es du privé (salarié·es du secteur associatif et des entreprises culturelles) : n’importe quel·le salarié·e peut faire usage de son droit de grève. Pas besoin de préavis, il suffit de ne pas venir bosser. La justification peut être donnée à votre employeur a posteriori.

Pour les salarié·es du public (fonctionnaires du ministère de la Culture, enseignant·es en ENSA ou en fac, contractuel·les, etc) : plusieurs syndicats ont déposé un préavis national. Vous avez le feu vert.

Pour les indépendant·es : en théorie, vous faites ce que vous voulez. En pratique, à vous de juger en fonction de votre situation actuelle. Plusieurs modalités sont envisageables : programmer une réponse automatique sur votre boîte mail (nous allons faire circuler un visuel « Art en grève » sur les réseaux sociaux), en cas d’interruption de votre activité le 5 décembre, en préciser les motifs et vous joindre à la manifestation la plus proche de chez vous, etc.

Pour les artistes-auteur·rices : la situation est la même que pour les indépendant·es, l’essentiel étant de faire en sorte que votre grève soit visible : encart sur votre site internet, communication sur les réseaux sociaux, décrochage d’une de vos œuvres exposées, port d’un brassard inspiré des méthodes des soignant·es (du type « artiste en grève »), blocage d’un événement culturel, etc.

Pour les étudiant·es : toutes les actions matérielles (assemblées générales, blocages) ou symboliques qui vous sembleront pertinentes.

Dans tous les cas de figure : Nous appelons les travailleur·euses de l’art à se fédérer, à se rapprocher d’un syndicat de lutte (CGT, CNT, CNT-SO, FSU, Solidaires, etc) et/ou de l’un des collectifs signataires de cet appel. On est toujours plus fort·es ensemble, dans la solidarité et le partage d’informations juridiques et politiques.

J'ajoute : "ou de n'importe quelle autre manière !"

mercredi 4 décembre 2019

Thou Sonic Friend : Cinemateria


Les Danois ont de la chance. Il y a quelques années ils ont récupéré la chanteuse Birgitte Lyregaard qui avait émigré en France. Tant pis pour nous, tant mieux pour eux. Le trio Thou Sonic Friend qu'elle a formé avec la clarinettiste irlandaise Carolyn Goodwin et le guitariste Peter Tinning est un cousin scandinave proche de mes élucubrations musicales, en plus délicat ! À l'écoute de leur nouveau vinyle, Cinemateria, j'ai cru me reconnaître dans leurs silences ; pour un maximaliste comme moi c'est un comble... J'ignore si leur musique est plus cinématographique que théâtrale, mais elle est si imagée qu'elle nous transporte dans des paysages imaginaires qui ne ressemblent à aucun existant. Parfois on voit la neige qui tombe sur Copenhague, à d'autres moments on se promène au bord de la Seine ou l'on prend le train vers je ne sais où. Chaque pièce est un court-métrage poétique aux couleurs particulières. Lorsqu'elle ne joue pas de la clarinette ou de la clarinette basse, Carolyn fait les secondes voix. Peter utilise des effets. Birgitte bricole et joue des percussions. J'ai enregistré cinq albums avec elle jusqu'à monter le trio El Strøm formé à Paris avec Sacha Gattino et plusieurs spectacles avec Linda Edsjö. Si elle est prête à toutes les facéties vocales, jouant avec les accents et les langues étrangères, Birgitte est une tendre attachée à la mélodie. Dommage que Björk ait été happée par le show-biz, elle aurait pu nous offrir de telles petites merveilles improvisensationnelles. Carolyn et Peter fabriquent des écrins ou rebondissent langoureusement, s'imbriquant comme les pièces d'un jeu d'enfant qui s'emboîtent parfaitement, cube, boule ou triangle. Une évidence.



→ Thou Sonic Friend, Cinemateria, LP Barefoot, env. 19€ sur Bandcamp et en numérique env. 10€