70 Multimedia - mars 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 31 mars 2010

Le cimetière des blogs


Internet est devenu un cimetière de blogs et de sites que personne n'entretient plus et que par conséquent personne ne va plus voir. Les premiers jours, les premiers mois sont excitants, mais très vite la discipline exigée décourage les blogueurs amateurs. Pour suivre l'actualité de mes camarades j'utilise l'agrégateur de flux RSS Netvibes, mais les mises à jour des blogs auxquels j'étais abonné se raréfient. Qui est assez fou pour se plier comme moi à cette gymnastique quotidienne 7 jours sur 7 ? Il n'y a plus que Jean-No pour plancher, sans faiblir, sur de longs articles étayés, avec, il est vrai, une régularité irrégulière. Les billets qu'Étienne Mineur place de temps en temps sont devenus très informatifs alors qu'il nous avait habitués à un défrichage explorateur quasi systématique. C'est le rendez-vous des obsessionnels. Nous avons tous nos rabatteurs qui nous indiquent des sujets, mais là aussi la transmission qui s'est raréfiée passe plus souvent par les mailing lists et surtout Facebook. De plus, elle consiste essentiellement en redirections vers des sites à la YouTube, ce que je me suis toujours interdit, choisissant cette pratique essentiellement pour illustrer un propos plutôt que faire circuler pour la énième fois le petit clip marrant ou révoltant. Seul le parti-pris m'intéresse, le "point de vue documenté" comme l'aurait appelé Jean Vigo. Je suis ceux de P.O.L., Jean Rochard, Poptronics et quelques autres dont les liens figurent dans la colonne de droite. Après bientôt cinq ans, près de 1700 articles, je plafonne à 25000 visites par mois. Les statistiques sont incroyablement homogènes. Lorsque je n'ai rien de particulier à raconter, je me demande ce qui me retient de faire une pause, ne serait-ce qu'une journée, mais comme j'ai à peine pris un seul jour off depuis le début de l'année, pourquoi arriverais-je à lever le pied ici-même quand tout mon travail m'anime et me tient éveillé ? On dit que le temps des blogs est révolu. Ce n'est certes plus une pratique aussi courue, mais qu'avons-nous à faire de la mode ? On peut composer de la musique pour orchestre à l'ère informatique et aller respirer l'air pur quand la ville gagne sans cesse du terrain sur la nature. On peut aussi se passer de tout cela, s'éclairer à la bougie, apprendre quelles plantes sont comestibles ou toxiques, on peut vivre autrement, rien n'est figé à jamais. Je sais qu'un jour tout s'arrêtera. Le blog. La vie. La Terre. Et le reste, mais je n'ai pas assez d'imagination pour le nommer. La question fondatrice serait celle de la transmission...

vendredi 26 mars 2010

(brève) (reconstruction) (muette) = Rester


J'adore recevoir du courrier. Très tôt le matin je traverse le petit jardin pour aller chercher Libé dans la boîte aux lettres. Il m'arrive d'y aller pieds nus, même lorsqu'il neige. Que la factrice commence sa distribution par le trottoir d'en face et les pâtés de maison qui s'y raccrochent me fait pester. Parfois je l'attrape au passage. Elle est sympa. Le plus souvent j'attends 10h30 avant de retourner voir. Le samedi et le lundi il n'y a jamais grand chose. Service minimum. On n'échappe pas aux factures, c'est donc le reste qui m'intéresse. Si les colis sont trop gros pour la spacieuse boîte homologuée, le facteur spécial camionnette peut sonner à n'importe quelle heure tant que c'est le matin. Si c'est Fedex ou, pire, UPS, alors là c'est n'importe quand, n'importe comment, n'importe quoi ! Comme Françoise est abonnée au Monde la boîte est rarement vide, mais je biche vraiment lorsqu'elle déborde. Cela signifie qu'il y a des paquets avec des bouquins, des disques, des films ou je ne sais quoi.
Hier le colis était long et plat. Pas une taille ordinaire, 38 x 27 cm. L'exemplaire de la plaquette d'Eric Vernhes porte le n°32 sur 150. Les 29 pages sur épais papier glacé couleurs sont accompagnées d'un DVD de 14 minutes, compilation habilement montée des improvisations live du vidéaste au cours de ses collaborations. Bizarrement je rate le nom des musiciens à la fin du film, mais je crois reconnaître Serge Adam à la trompette, Benoît Delbecq et peut-être Marc Chalosse aux claviers, Gilles Coronado à la guitare. Je suis troublé par l'air de famille de ce que j'entends avec la musique d'Un Drame Musical Instantané à la fin des années 80 quand nous avions à peu près la même formation. C'est très émouvant. Le rubato des images colle au son comme celle d'un rêve vécu au quotidien, une sorte de distorsion du réel sans que l'on ait besoin de s'enfiler des psychotropes. Les images imprimées de Rester évoquent un monde intérieur projeté sur l'écran au fur et à mesure que le temps s'écoule. L'auteur, sur la page de garde de l'objet dans son écrin de carton noir, décrit au crayon blanc les choses "en vrai" qu'il m'invite à voir dans son atelier, sa nouvelle bibliothèque indémontable en acier massif et un couple de souris blanches.

mercredi 10 mars 2010

L'homme est un loup pour l'homme


Pas à pas nous mettons en place les protocoles de Mascarade. Pour la première fois, Antoine teste le dispositif d'interface qui nous permettra de contrôler l'instrument audiovisuel en bougeant les mains. Ni les effets sonores ni les représentations graphiques ne sont encore définis. Nous validons le système qui nous permettra de jouer ensemble, chacun avec son ordinateur portable et son projecteur. Pour en simplifier l'apprentissage et réaliser un instrument réellement jouable, un seul programme permettra de générer tous les effets. La main gauche agira sur le volume des différentes entrées, tel une enveloppe ADSR sur un VCA, tandis que la droite pourra transformer le timbre, la hauteur ou les effets avec un système de repères en 3D, un peu comme les interfaces du Theremin ou de l'AirFX.


Devant l'écran, on a vraiment l'impression de faire du Taï-chi-chuan, 太極拳 étymologiquement « boxe du faîte suprême » ou « boxe avec l'ombre ». Dans notre mise en scène des news, si le masque est le faux visage de « maschera », s'agit-il de celui du présentateur ou de sa représentation projetée ? Combattons-nous une ombre masquée ou le masque permet-il de combattre l'ombre ? Les métaphores poétiques sont toujours ambiguës. La première soulignerait notre geste critique tandis que la seconde insinuerait que les manipulateurs craignent les combattants de l'ombre. Les deux sont vraies. L'homme est un loup pour l'homme.

P.S.: Mascarade.TV

mardi 2 mars 2010

L'objet perdu


"L'objet perdu" était le sujet de mon deuxième exercice cinématographique lors de mes études à l'Idhec en 1972. Comme je devais tenir la caméra et faire jouer un comédien épouvantable du cours Simon, j'avais écrit un scénario de filou en filmant l'histoire d'un garçon qui au réveil se regarde dans la glace, perd aussitôt ses lunettes et là tout devient flou ; comme il n'y voit plus rien, il se cogne dans les meubles et chute ; la suite qui se passe dans le noir est suggérée par une partition sonore abracadabrante. Mes choix étaient faits !
Hier midi j'ai perdu mes lunettes de presbyte sur la ligne 11 du métro. Mauvais plan, car j'étais parti pour faire des photos et enregistrer le son au Musée du Louvre. Heureusement, je conserve dans mon porte-feuilles une loupe en plastique mou de la taille d'une carte de crédit qui m'a permis, dans un premier temps chez Matsuda, de choisir un onctueux nattō (Foujita est fermé le lundi) pour me remettre de mes émotions. J'étais complètement désorienté de ne rien y voir, mais l'objet de fortune me permit tout de même de cadrer et de voir les vu-mètres.
Comme j'enregistre la foule des visiteurs dans la salle de la Joconde, je suis surpris de constater qu'au bout d'une demi-heure les commentaires reviennent en boucle, comme si les tableaux suscitaient cycliquement les mêmes réactions, les mêmes mots. Les similitudes finissent par m'angoisser, jusqu'à ce que je comprenne que je suis passé en mode lecture et qu'en réalité j'écoute les voix captées il y a trente minutes et qui, par un semi-hasard, coïncident parfaitement avec les images qui se déroulent sous mes yeux. Je me suis aperçu du subterfuge car, si l'action des visiteurs colle, je ne trouve nulle part autour de moi les lèvres qui expriment synchroniquement leurs dialogues.
En rentrant je demande au guichet de la station Mairie des Lilas si quelqu'un a retrouvé ma paire verte et violette, mais je fais chou blanc. Une base de données peut y être interrogée jusqu'à 19h, ensuite on a encore 48 heures pour tenter les objets trouvés de la rue des Morillons, mais, dans mon cas, j'en serai réduit à en voir de toutes les couleurs, sauf celles-là. Le soir, je découvre mes photos et constate que mon enregistrement remplace magnifiquement le son des Noces de Cana comme l'a suggéré Pierre-Oscar et qu'il se mélange parfaitement avec la musique du XVIème siècle que j'ai composée pour quatuor à cordes la semaine dernière.
"L'objet perdu" et la disparition récente de Séverin Blanchet dans un attentat à Kaboul me font penser à un autre disparu. Le chef opérateur Dominique Chapuis m'avait demandé comment j'avais réussi à obtenir la lumière étonnante de mon film suivant, "Idhec 72, nouveau scandale financier", un reportage sur un pot où régnait l'ébriété, monté sur "America Drinks and Goes Home", le dernier morceau de l'album "Absolutely Free" des Mothers. J'avais avoué avoir confondu de la pellicule 4X avec de la PlusX, mais que le laboratoire avait rattrapé miraculeusement le coup en faisant une autre erreur ! Chapuis s'impatientant m'avait demandé ce qu'indiquait la cellule. Comme je le provoquai en répondant que la caméra était déjà assez lourde pour mes frêles épaules, pourquoi m'encombrer d'une cellule que j'aurais dû tenir avec l'autre main, je l'écœurai définitivement. L'année suivante je choisis l'option montage plutôt que lumière où nous étions deux fois plus nombreux. Nous comprenions mal pourquoi, sachant que le montage est l'école de la réalisation.