70 Multimedia - septembre 2012 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 19 septembre 2012

publie.papier et publie.net sont dans un bateau


publie.papier et publie.net sont dans un bateau, mais personne ne tombe à l'eau. Les deux formules se complètent astucieusement, révélant un fantasme devenu réalité. Les livres des éditions dirigées par François Bon n'étaient jusqu'ici que numériques, voici que les titres sont imprimés à la demande et expédiés dès le lendemain de la commande ! C'est la P.O.D., le Print On Demand comme il y a la V.O.D. pour les films. Sauf que les vidéos restent virtuelles sur votre ordinateur tandis que le bouquin imprimé à l'unité atterrit dans votre boîte aux lettres ou chez le libraire à qui vous l'avez commandé !
publie.net est partenaire de Hachette Livre, qui assure l’impression et la distribution du catalogue. J'ai longtemps hésité avant d'écrire cet article tant c'est bien expliqué sur le site publie.papier, rubriques "comment ça marche" ou "journal de bord".

Après avoir été soigneusement concoctés par l'équipe de publie.net sous l'égide Gwen Catalá, les ouvrages sont déposés par ftp sur le serveur de Lightning Source à Nashville (USA). Hachette centralise les commandes, et chaque matin les livres sont imprimés en bloc sur une machine très rapide, une page blanche avec code optique séparant les titres qui s’impriment les uns à la suite des autres. Il s’agit d’une machine de même type que celles utilisées pour le fonctionnement traditionnel par tirage (ce qui change, c’est l’informatique gérant le changement des titres à l’intérieur du tirage), la qualité du livre fini est identique à celle des livres que vous lisez habituellement. Les pages sont ensuite séparées titre par titre, pliées et triées selon les mêmes procédures que dans l’imprimerie traditionnelle. Les couvertures sont imprimées parallèlement, et selon le même principe, sur une deuxième machine, et pelliculées d’un nylon très fin (23 microns). Une troisième machine assemble les ouvrages, une quatrième enfin les massicote. Le code optique présent sur chaque ouvrage permet son expédition immédiate au libraire ayant déclenché la commande. publie.net est éditeur, et ne pratiquera pas la vente directe pour ses ouvrages, il vous faut les commander via votre libraire habituel, physique ou en ligne...

À la fin de chaque livre un code permet de télécharger la version numérique de l’ouvrage. Pour l'instant les livres les plus simples techniquement sont sortis, textes avec éventuellement photographies, mais très bientôt les créations numériques intégrant du son ou de la vidéo vont suivre le mouvement. Comme on est sur papier, un support ancien qui a fait ses preuves mais limité dans son aspect multimédia, des liens seront fournis pour aller écouter ou regarder sur le Net les parties "mobiles". C'est le cas de mes deux romans, La corde à linge paru en 2011 et USA 1968, tour détour deux enfants à paraître avant la fin de cette année. Le troisième est sur le feu.

Pendant que tournent les rotatives ou qu'émettent des 0 et des 1, de son côté François Bon n'en reste pas là de son travail d'écriture. Il publie coup sur coup Conversations avec Keith Richards, une nouvelle version de Rolling Stones, une biographie et, au Seuil (Fiction et Cie), Autobiographie des objets. Avec ce dernier roman, François Bon interroge les objets de son enfance comme il le pratique régulièrement avec les outils d'aujourd'hui. Les uns et les autres ont révolutionné nos vies. Si vous en doutiez, comment faites-vous pour me lire en cet instant ?! Sur son blog, l'écrivain complète discrètement l'édition papier au gré de son inspiration. Rafraîchissant !

mardi 11 septembre 2012

Anticipation


Paris, dans quelques décennies. La ville est tentaculaire, en proie à l’insécurité et à l’insalubrité. Alors qu’émergent, à sa périphérie, des îlots de luxe pour privilégiés, les quartiers pauvres sont sous la coupe des réseaux mafieux ; les services publics ont disparu, laminés par les intérêts privés. Polar, science-fiction ou, plus brutalement, anticipation de ce qui nous attend à nous laisser bercer par les chimères de la social-démocratie, Serenitas de Philippe Nicholson est un passionnant roman, fiction dont nous reconnaîtrons les racines vénéneuses tous les jours dans le journal. La dette des États laisse imaginer de terribles scénarios, mais les pires risquent de se vivre dans le réel. Les voix qui s'élèvent contre les versions officielles de l'information sont souvent seules, ou du moins éparpillées, telle celle du héros solitaire du bouquin pris dans les mailles du filet. Un soir d’hiver, alors que Fjord Keeling, journaliste au National, a rendez-vous à Pigalle avec un contact qui n’arrive pas, une bombe explose dans la pizzeria d’en face. Douze morts. Fjord était là. Un détail l’a frappé: aucun policier ne circulait dans cette zone habituellement sous haute surveillance. Très vite, le gouvernement, relayé par la presse, accuse les narco-gangs qui gangrènent la capitale et y déversent une nouvelle drogue, la D23... (Carnets Nord, ed. Montparnasse).
Ce matin, Lors m'envoie l'intéressante interview de René Balme, maire de Grigny, accusé du conspirationnisme et d'antisémitisme par Rue89, le site racheté par le Nouvel Obs. Il évoque sa démission récente du Parti de Gauche, la démocratie participative dans sa ville ou les sujets tabous qu'il est dangereux d'aborder sous peine d'être affublé de qualificatifs aussi diffamatoires qu'absurdes.
La date est bien choisie, non ?

mercredi 5 septembre 2012

Rithy Panh dans le texte


L'élimination (ed. Grasset), récit du cinéaste Rithy Panh en collaboration avec Christophe Bataille, est le témoignage poignant d'un homme sincère sur son adolescence terrible du temps des Khmers rouges de 1975 à 1979. L'écriture y est nettement plus soignée que les films du réalisateur qu'il est de mauvais ton de critiquer tant il s'est arrogé l'exclusivité du sujet à la manière de Claude Lanzmann avec ce que ce dernier appelle abusivement la Shoah pour évoquer l'une des destructions de masse systématiques. Le récit palpitant de l'atroce aventure vécue et les comptes à régler avec Duch, l'un des grands responsables du massacre de 1,7 millions de Cambodgiens, ne révèle hélas rien des mécanismes qui l'y ont mené.
C'est seulement dix pages avant la fin, en p.318, que Rithy Panh ébauche : "Une interprétation, malheureusement, se répand : le crime contre l'humanité, au Cambodge, aurait été spécifique. En partie explicable par un certain quiétisme lié au bouddhisme. Par une tradition, aussi, de violence paysanne. Comme si ce génocide était culturel, voire prévisible. Je crois que c'est une analyse facile… qui permet d'évacuer les fautes intellectuelles, les fautes morales, les fautes stratégiques. Avec une telle approche il est plus aisé de passer sur le protectorat français ; l'engagement américain auprès du régime de Lon Nol, et les bombardements implacables ; la faiblesse des gouvernements successifs ; l'idéologie marxiste ; le soutien chinois. La liste est longue ! Plutôt s'intéresser aux variantes du bouddhisme qu'à l'universalité de ce crime de masse qu'on le veuille ou non, l'histoire du Cambodge, profondément, est la nôtre."
Par son manque flagrant d'analyse politique, le livre reste seulement un témoignage passionnant, mais raté en regard de son ambition énoncée p.304 : "Je veux comprendre, expliquer, me souvenir…". Seul le dernier souhait est respecté. En citant des extraits de Jacques Vergès, Alain Badiou ou Noam Chomsky le cinéaste montre à quel point il reste hermétique aux causes profondes du crime délirant qui a dévasté le Cambodge. Il reproche au tortionnaire Duch de n'entrevoir qu'une vérité, mais la souffrance endurée le fait succomber à son tour devant la complexité du processus. On peut le constater dans tous les conflits et les crimes de masse organisés, les victimes sont rarement les mieux placées pour comprendre et analyser l'horreur, voire en tirer les conséquences qui devraient s'imposer. Je me souviens des Sarajéviens me demandant pourquoi les Tchetniks leur tiraient dessus, à moi qui n'avais pourtant aucune compétence pour leur répondre, mais qui venais de l'extérieur. La souffrance et le ressentiment sont trop forts pour garder le moindre soupçon d'objectivité. Cette page terrible de l'histoire de l'humanité apparaîtra au lecteur comme une énigme car Rithy Panh ne fait qu'effleurer les responsabilités réelles de la catastrophe.

P.S.: comme si cela ne me suffisait pas, j'enchaîne avec la lecture de Sobibor de Jean Molla, un roman très fin sur une jeune anorexique qui découvre le secret de ses origines (Folio).