70 Multimedia - février 2020 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 28 février 2020

Mort de Guy Pannequin, le plus méchant des Macloma


Guy Pannequin est mort libre comme il avait toujours voulu gérer sa vie. J'ignore les circonstances, mais la Grande Faucheuse l'a emporté à Bénarès, en Inde où il avait l'habitude de voyager lorsqu'il faisait trop froid dans le Lot. Nous avions découvert les Clowns Macloma au Théâtre Dunois en 1979. Guy, maquillé en noir, était le méchant, celui qui faisait peur aux enfants ; nous adorions l'ambiguïté de son personnage. Francis Gorgé, lorsqu'il ne travaillait pas avec Un Drame Musical Instantané, accompagnait leurs spectacles en direct avec sa guitare et quantité d'effets sonores aussi drôles que provocants. Ce furent QQQ, La repasseuse et Imbroglio. Lorsque le trio de clowns prit la direction du Théâtre Déjazet, nous y jouâmes souvent. C'est là que nous avons monté à Paris L'homme à la caméra, mais aussi L'argent de L'Herbier et l'intégralité des Fantômas de Feuillade. En 1989 nous avions engagé Guy pour Zappeurs-Pompiers 2 co-écrit avec la chorégraphe Lulla Chourlin (Card). Il se donnait à fond, tant et si bien qu'il se cassa le pied pendant les répétitions, but the show must go on ! et il assura la création au Cargo à Grenoble pour les 38e Rugissants.


Francis, qui a continué à le voir jusqu'à lui envoyer encore hier matin un message qu'il ne recevra jamais, se souvient des esclandres hors scène de notre ami. Au restaurant j'ai ainsi appris la différence entre pétoncles et Saint-Jacques ! Sur son site, assezvu.com, Francis livre un extrait d'un ouvrage de Bernard Bennech sur les Macloma non publié. Lui qui n'a jamais été meilleur qu'en onomatopées et borborygmes salés, en gestes menaçants et corps déglingué, donne un interview passionnant. Les Macloma avaient cédé à la proposition du Cirque du Soleil où ils officièrent une dizaine d'années, mais le retour en France fut décevant. Chacun partit de son côté, et Guy a finalement arrêté son cirque à Bénarès. Et pour une fois, il ne nous fait pas rire.

lundi 24 février 2020

Et Charles Ives laissa l'univers incomplet


Je ne suis pas aussi emballé qu'Antonin par la mise en scène de Christoph Marthaler du spectacle sur Charles Ives, mon compositeur "classique" préféré avec Edgard Varèse, mais je suis resté scotché à l'écran pendant les deux heures dix de la projection. Marthaler, au moins, n'illustre pas, il marche à côté. Mais il passe aussi à côté de ce qui inspira le compositeur américain : la Nouvelle Angleterre, les Transcendantalistes, la manière de gagner son pain, la démocratie directe, le risque de déplaire... Si sa chorégraphie intrigue, n'est pas Beckett qui veut. Son utilisation du gigantesque plateau de la Halle de Bochum est évidemment spectaculaire, mais les corps animés finissent par paraître démodés. C'est tout le problème de la mode. Charles Ives y a échappé toute sa vie. Où qu'on l'attende, il est déjà ailleurs. L'inventeur de presque tout ce qui fait notre contemporanéité ne l'a souvent pratiqué que le temps d'une pièce, arpentant les possibles comme la surprise infinie que lui procurait la nature. Détachés du contexte, les acteurs jouent le contrepoint de la musique comme si c'était une entité abstraite. Le romantisme flagrant de Ives est gommé au profit de grimaces qui ne sont pas les siennes. Certains seront irrités par cette scénographie à la fois minimaliste et grandiloquente, d'autres adoreront en pensant que c'est moi ! Quoi qu'il en soit, c'est quelque chose, ce qui est devenu rare.


La musique, exclusivement due à Charles Ives, y est exceptionnelle. Extraits ou intégrales, les pièces choisies offrent une approche cohérente de l'œuvre. De la Symphonie de l'Univers, prévue à l'origine pour 4250 exécutants à la Concord Sonata, de La Question Sans Réponse aux pièces pour piano en quarts de ton, des hymnes au psaumes, du second quatuor aux chansons, tout y est, y compris l'enregistrement de Ives lui-même hurlant They Are There au piano. En écrivant « Au cas où je ne finirais pas cela, quelqu'un aimerait peut-être travailler l'idée, et les esquisses que j'ai déjà faites auront plus de sens pour ceux qui les regarderont en ayant lu l'explication. », Charles Ives laissait libre quiconque d'interpréter, d'arranger, de prolonger son rêve. Comme Christoph Marthaler, le chef d'orchestre Titus Engel et la scénographe-costumière Anna Viebrock ont participé activement à la création de Universe, incomplete à la Ruhrtriennale 2018, avec l'aide de seize performeurs, capables de chanter et danser, de l'Orchestre Symphonique de Bochum (hors-champ jusqu'au salut), le Rhetoric Project (un ensemble mobile), le Quatuor de Percussions de Cologne et des étudiants percussionnistes.
J'ai replongé mon nez dans les six ouvrages que je possède sur lui ou de lui, comme mon exemplaire de ses Essays Before A Sonata, publiés à compte d'auteur, où Ives a écrit quelques mots de sa main au crayon noir, probablement en 1920. Conçue de 1911 à 1928 pour plusieurs orchestres, l'Universe Symphony présente trois parties sans pause : Le passé (du chaos à la formation des eaux et des montagnes), Le présent (la Terre et le firmament, évolution de la nature et de l'humanité) et L'avenir (le paradis, l'élévation de tout vers la spiritualité). Dès l'ouverture, je retrouve la partie pour vingt percussionnistes dans une version différente de celle complétée par Larry Austin en 1994 qui m'avait tant impressionné...


Il n'y a pas tant de vidéos sur Charles Ives... L'objet est incontournable, d'autant qu'un second DVD accompagne celui du spectacle. Le documentaire d'Anne-Kathrin Peitz, The Unanswered Ives, Pioneer in American Music, est remarquable. Composé de larges extraits musicaux, de témoignages de première main, d'archives locales et de la visite de la ville natale du compositeur, Danbury dans le Connecticut, le film dresse un portrait très juste de celui qui fut aussi l'inventeur de l'assurance sur la vie, le laissant libre de créer sans mettre en danger la subsistance de sa famille ! Il pouvait ainsi financer d'autres compositeurs, leurs partitions, des concerts. Arnold Schönberg écrit de lui : « Il existe un grand homme vivant dans ce pays, un compositeur. Il a résolu le problème de se préserver lui-même et d'apprendre. Il répond à la négligence par le mépris. Il n'est forcé d'accepter ni la louange ni le blâme ; son nom est Ives ». Il n'y a pas de musique américaine sans lui. Il en est le père, admiré par Henry Cowell, Nicolas Slonimsky (premier à enregistrer Ives en 1933 avec la Barn Dance et In The Night, en même temps que la première de Ionisation de Varèse), Elliott Carter, Lou Harrison, Bernard Hermann, John Cage, Frank Zappa, John Adams, Ornette Coleman, John Zorn et tant d'autres qui s'en inspirèrent des minimalistes aux maximalistes ! À son copiste il avait écrit "Les fausses notes sont justes", de crainte qu'il les corrige. Comme Gustav Mahler, Charles Ives aimait intégrer des citations dans ses pièces. Il laissa une œuvre immense, inachevée, écrite entre 1891 (sublimissimes Variations on America pour orgue, qui préfigurent la musique de film avant l'invention du cinéma !) et 1928, année où il ne se sentit plus capable de composer quoi que ce soit. Problèmes de santé (cœur, diabète générant un tremblement de la main...) ? Désespoir face à la brutalité du monde avec la Première Guerre Mondiale ? Ayant pris sa retraite des assurances Ives & Myrick en 1930, la plus importante du pays, il s'occupa de travailler sur ce qu'il avait déjà imaginé, de révision en revision. Il mourut en 1954 sans avoir pu entendre une grande partie de son œuvre.

→ Charles Ives, Universe Incomplete / The Unanswered Ives, Christoph Marthaler – Titus Engel – Anna Viebrock, 2 DVD Accentus, 32€
À noter que le documentaire est sous-titré en français, mais bizarrement pas le spectacle, dont les quelques interventions en allemand ne sont pas traduites !

mercredi 12 février 2020

L'intelligence artificielle en MOOC


Peur de l'IA ? J'étais terrorisé, non par l'intelligence artificielle qui est le sujet du MOOC de Class'Code, mais par son générique que je devais composer en plus de tout le reste. Le reste, ce sont toutes les vidéos, bande-annonces, Questions, Découvertes, en musique et bruitages comme d'hab... Il fallait différencier les humains des machines, sur trois écrans simultanés avec une piste différente pour chacun. J'aime bien tester des choses inédites. Faire ce qu'on sait faire, c'est gérer. Faire ce que l'on ne sait pas faire, c'est créer. Je me suis tout de même planté dans mes expérimentations vocales transposées en midi. Cela ne marchait pas du tout. Je suis reparti dans une autre direction. J'ai enregistré le programme du synthétiseur qui m'avait servi pour la bande-annonce, mais à un autre tempo et sur d'autres accords. Son timbre ressemble à une voix qui répète un truc du genre " I A ". Ensuite j'ai ajouté ma propre voix. J'ai mis le synthé à gauche, mon scat au milieu et j'ai demandé à Sonia d'enregistrer la voix féminine de son côté pour la diffuser à droite. A priori cela devrait faire l'effet escompté. En attendant j'ai soigné les panoramiques de l'ensemble...
Quatre bandes-annonces sont déjà en ligne sur YouTube...


Class'Code propose une formation "pour tous de 7 à 107 ans, pour se questionner, expérimenter et comprendre ce qu’est l’Intelligence Artificielle…. avec intelligence !" Il y a 3 modules : Vous avez dit l’IA ? C’est quoi l’intelligence artificielle ? (acquérir une première compréhension de que l’on entend par IA et de ce que ce n’est pas), Boosté à l’IA ! Du machine learning et des données (comprendre les principes du machine learning et la place cruciale que joue la maîtrise des jeux de données), Humains et IA… L’intelligence artificielle à notre service ? (comprendre les enjeux et les leviers pour que l’IA soit au service de l’humain). Chaque module est composé de 4 parties : se questionner, expérimenter, découvrir, s’approprier. Chaque partie propose des vidéos et expériences interactives, des fiches pédagogiques, des ressources complémentaires, un forum.
Les inscriptions sont déjà ouvertes sur FunMooc ou Class'code et cela commence le 9 avril 2020.
Notre équipe de 4 minutes 34 avait déjà travaillé avec l'INRIA (Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique) sur l'enseignement en Sciences Numériques et Technologies (SNT) pour un autre MOOC (Massive Open Online Course, ou FLOT pour Formation en Ligne Ouverte à Tous, ou CLOM pour Cours en Ligne Ouvert et Massif). On trouve là 7 petits films. Ou comment s'amuser en travaillant ! Sonia Cruchon et Sophie de Quatrebarbes ont écrit les sketches interprétés par Guillaume Clemencin, Mikaël Cixous a réalisé les animations, Nicolas Le Du a filmé tout cela et l'a monté. Sophie s'est occupée de la production tandis que Sonia et Nicolas réalisaient. J'ai donc la responsabilité du son et de la musique. Chaque fois que j'œuvre sur ce genre de projets je dois trouver un style, une charte sonore qui colle au sujet. La couleur du son est liée au sens de ce que l'on doit exprimer. Je fabrique et synchronise sur les images montées par Nicolas. Ce n'est pas toujours simple de sonoriser la bande-annonce avant d'avoir abordé le corpus global ! Il est donc important d'anticiper en imaginant ce à quoi cela ressemblera...