70 Multimedia - octobre 2021 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 21 octobre 2021

Thierry Dehesdin, clichés du tout début des années 70


En crapahutant dans mes archives à la recherche d'inédits musicaux que je pourrais exploiter pour l'album de mon Centenaire, je tombe sur les milliers de diapositives qui constituaient le fond du groupe de light-show H Lights. Dans des boîtes et des paniers sont rangés un peu pêle-mêle des liquides séchés d'Antoine Guerreiro et Luc Barnier, des effets cinétiques de Krishna Lights à Londres, mes propres recherches en matière de polarisation et de chimie sur celluloïd (j'illustre de temps en temps mes billets avec certaines d'entre elles), quelques acides de Michaëla Watteaux, des archives des années 50 (monuments, scènes coquines, reproductions de tableaux...), tous les dessins d'Antoine, des repros de comics et de posters, des images que j'ai rapportées de mes voyages, ainsi qu'une quantité pharaonique de diapositives prises par Thierry Dehesdin que nous mettions en scène avec toute la troupe. Le format était généralement 24x36, mais nous avions parfois des 4x4 ou des 6x6. Si j'en parle aujourd'hui, c'est que Thierry a scanné celles qu'il préfère et m'en a fait gentiment copies et tirages. En voici trois (© Thierry Dehesdin) qui rappellent furieusement les années hippies (personne n'utilisait le mot "baba cool", apparu beaucoup plus tard). La bande ressemble à un groupe pop en séance photos, plus vraie que nature. Aux abattoirs de La Villette, je me cache sous mon haut de forme et ma cythare inanga aux côtés de Luc masqué, Mia en robe de chambre, Philippe Danton et Antoine en capes. La suivante a été prise dans la maison de campagne d'Annabel Clin (à gauche sur le cliché) à Vert, une maison incroyable avec jardin à la française et jardin anglais, des mezzanines, des voûtes, le luxe pour nos élucubrations psychédéliques !


J'ai rencontré Thierry en terminale, au Lycée Claude Bernard à Paris comme la majorité des protagonistes. Ayant appris que son père possédait un studio, je lui propose d'en profiter le week-end pour faire des photos à projeter avec le light-show que j'ai fondé, en 1969 à mon retour des États-Unis. Robert Dehesdin avait hérité d'un lieu improbable, surréaliste pour la bande d'énergumènes que nous formions, et prestigieux puisque situé Place Vendôme, juste à côté de la bijouterie Chaumet ! Le grand-père avait été chapelier et quelques couvre-chefs trônaient encore dans l'atelier. Les images que je reproduis ici n'y ont pas été prises et je crains de ne pouvoir montrer ici les autres, car nombre sont des nus. Ils étaient certes cadavériques, censés interprétés les habitants du Royaume des Morts, mais nous sommes tout de même tous et toutes à poil ! À cette époque, la nudité nous paraissait aller de soi et nous n'avions aucune difficulté à poser dans le plus simple appareil. Thierry, toujours patient et souriant, savait mettre tout le monde à l'aise. Je me souviens que c'était le seul à toujours rester sobre. La troisième diapositive vient d'une séance dans le carré botanique du Jardin des Plantes. C'est la séquence des Lotophages où figurent ici Laura Ngo Minh Hong, Francis Gorgé et Éric Longuet (je n'arrive pas à me souvenir du prénom de la jeune fille à droite qui était alors la petite amie de Luc). Éric porte une tunique et un collier qui m'appartenaient et je pense qu'il avait emprunté la jupe à l'une des demoiselles. Thierry a profité de la cohorte de modèles pour tester toutes sortes d'effets spéciaux que le numérique a souvent rangés aux oubliettes : prismes, infra-rouges, halo, etc. Les diapos étaient présentées en tryptique, avec un projecteur supplémentaire au centre pour jouer des effets d'animation, ce dont je m'acquittais avec les paumes de mes mains.


C'est grâce à lui que je suis entré à l'Idhec. Alors que j'avais décidé d'arrêter mes études, je suis rentré à la maison en racontant que Thierry avait l'intention de tenter le concours d'entrée à l'école de cinéma. Ma mère m'y poussa et l'on connaît la suite. Ma vie en fut radicalement changée. L'année suivante, Michaëla Watteaux et Luc Barnier réussissaient de même. Nos bourses d'études nous permirent de louer un appartement où nous avons vécu en communauté, tous les trois plus Antoine qui était aux Beaux-Arts comme Francis, Philippe Labat et Éric... Avec Luc, Antoine Guerreiro, Bernard Mollerat, Philippe Danton, Francis Gorgé, nous avions composé un spectacle de deux heures que nous ne jouâmes qu'une seule fois. L'audition devant Sylvia Monfort, alors directrice du Carré Thorigny, n'ayant pas été à la hauteur de nos espérances et nos nouvelles attributions nous emportant vers de nouveaux rivages où les images rythment le temps à raison de 24 par seconde, le light-show s'éteint en 1974. Thierry me rappelle que les conditions pour montrer "Brrr, j'ai grand regret de n'avoir pas pris double manteau" n'étaient pas à notre avantage. La salle était vide, il n'y avait pas de retours, donc n'entendant rien sur la scène Francis et moi jouions de plus en plus fort, ce qui devait redoubler d'agressivité aux oreilles de Madame Monfort dont ce n'était pas forcément la tasse de thé. Nous n'avions pas non plus imaginé qu'il faudrait rejouer le spectacle tous les soirs identique à lui-même et cette pensée, nouvelle, nous terrorisait. Elle ne me lâchera pas.
Bernard, Philippe Labat, Éric ont disparu prématurément. Je pense souvent à eux. Que sont devenues Annabel et Laura [retrouvée depuis !] ? Perdues de vue, comme Jean-Pierre Laplanche [retrouvé aux USA], Elisabeth Graine [retrouvée sur FB], Catherine, Carole et d'autres qui apparaissent sur les autres clichés. J'envoie copies à ma petite sœur Agnès... Michaëla réalise des comédies pour la télévision, Luc est un monteur recherché (d'Assayas aux Chtis, [mais disparu en 2012]), Antoine est devenu ethnologue, Philippe Danton un fameux botaniste, Francis alors le grand spécialiste de QuickTime. Thierry (à la recherche de tous ses anciens modèles / écrire ici si vous avez une piste !) est toujours photographe.

Article du 19 novembre 2008

mardi 12 octobre 2021

Biennale Némo des arts numériques au 104 : Au-delà du réel ?


La thématique de la nouvelle Biennale des Arts Numériques Némo se focalise sur l'invisible, soit les données, les ondes, l'ADN, etc., en tentant de l'interpréter graphiquement ou de manière sonore. La plupart de ces transpositions audiovisuelles et performatives tiennent plus du Palais de la Découverte que d'un musée d'art contemporain, mais les mathématiques n'étaient-elles pas considérées comme un art chez les Anciens ? Nombreuses œuvres présentées interrogent notre époque et le chaos intellectuel qu'elle suscite. Il n'est plus question de savoir si la catastrophe va arriver mais quand elle se produira. On notera le point d'interrogation du titre de l'exposition sise au Centquatre-Paris jusqu'au 9 janvier 2022, Au-delà du réel ?, pirouette astucieuse quasi brechtienne questionnant nos faibles pouvoirs de divination ou d'imagination.


Autour du ballon gonflable représentant la planète Mars par Luke Jerram et du tunnel de miroirs Passengers de Guillaume Marmin sont organisés des zones thématiques : La Terre en colère, Vous n'êtes pas invisibles, Natures dénaturées, Bureau d'expertise des phénomènes invisibles, Combien d'anges peuvent danser sur une tête d'épingle ?, Traqueurs traqués, Forensic Architecture. Partout les machines prennent le relais d'une humanité en faillite. The Nemesis Machine - From Metropolis to Megalopolis to Ecumenopolis de Stanza étale sa vision tentaculaire de notre cité de contrôle tandis que les écrans de Richard Vijgen font apparaître l'embouteillage satellitaire ou l'asphyxie de notre environnement...



Partout les humains jouent avec le vivant en apprentis-sorciers, laissant s'échapper des éprouvettes des monstres auxquels l'avenir devra faire face, dans la meilleure des hypothèses. Le réchauffement climatique rebat les cartes s'il ne les brûle pas irrémédiablement. Le rhinocéros blanc d'Alexandra Daisy Ginsberg (The Substitute) prend vie, les pixels se multipliant en se faisant de plus en plus minces, ses ruminements perdant progressivement leurs glitches, mais Sudan, le dernier de son espèce a hélas bien disparu en 2018. Traité par Heather Dewey-Hagborg (Probably Chelsea), l'ADN de la lanceuse d'alerte Chelsea Manning accouche d'une vingtaine de visages possibles, autant de masques qui soulignent l'à-peu-près de notre science. L'orgueil de notre espèce n'a pas de limites.


La plastique des œuvres cache souvent leur propos. Des jeunes femmes s'échangent des selfies devant Earthworks du duo Semiconductor, transposition psychédélique de l'Anthropocène. Plus loin elles se pâment devant les propriétés biréfringentes du mica anisotrope de MicaPenrose de Léa Barbazanges... Notons que les artistes féminines sont ici plus présentes que dans les musées et galeries d'art contemporain les plus en vue.


Samedi dernier, la soirée d'ouverture se terminait avec plusieurs performances audiovisuelles où la musique électro et les projections lumineuses ressemblaient tout de même à ce qui se faisait il y a déjà vingt ans. Même à oublier le fabuleux pionnier Nicolas Schöffer (1912-1992), cela n'enlève rien au pouvoir de fascination qu'exercent la puissance des watts et le stroboscopisme des images. La noise et les miroirs-écrans de Falaises, concert réalisé par Alexis Langevin-Tétrault, Guillaume Côté et Dave Gagnon, échappèrent aux rythmiques techno qui précédèrent et suivirent sans pour autant faire danser personne. Pourquoi la musique est-elle toujours en retard sur les autres arts dans son appréhension par le public ? Le dispositif de Max Cooper, installé en sandwich entre deux écrans géants, produisait un bel effet de relief, mais les images manquaient cruellement de sens. Jean Cocteau rappelait que "certains s'amusent sans arrière-pensée". Heureusement, Némo court jusqu'à janvier avec de nombreuses performances où la dramaturgie reprend le pas sur l'hypnose. Nous aurons cruellement besoin de lucidité face à la catastrophe planétaire qui se profile.