70 Multimedia - décembre 2021 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mercredi 22 décembre 2021

Des livres incopiables


Je n'ai pas encore eu le temps de les lire, mais j'ai feuilleté les quatre petits ouvrages publiés par l'éditeur indépendant Tendance Négative après qu'Étienne Mineur m'ait indiqué Un Étrange phénomène de H. G. Wells, le dernier paru. Si Étienne est un des plus célèbres infographistes, il s'est toujours intéressé au papier, réalisant de magnifiques pochettes de disques pour mon label GRRR ou pour les DVD de Françoise Romand. Récemment il s'est d'ailleurs mis à produire des spirogami, incroyables sculptures en papier découpé au laser et présentées en spirales sous cloche de verre. J'ai la chance d'en posséder deux de la collection précédente, mais celle de 2021 est encore plus fascinante. Depuis 1995 nous avons en outre collaboré ensemble à de nombreux projets multimédia.
La particularité du fascicule de H.G. Wells est la nécessité de plier certaines pages pour pouvoir les lire, analogie de la feuille de papier pliée pour rapprocher deux points distants. Cette facétie est dictée par le récit, Un étrange phénomène "devançant d’une quarantaine d’années la théorie du « trou de ver », sorte de raccourci à travers l’espace-temps, dont l’existence n’a été suggérée par Einstein et Rosen qu’en 1935" ! Chaque publication de Tendance Négative obéit à des lois suggérées par les romans. Un Petit homme de Fiodor Sologoub est un ouvrage à géométrie variable dont les pages et le texte rétrécissent petit à petit, comme le haut fonctionnaire petit de corps et d’esprit a l’obsession de réduire sa femme à sa mesure. Le papier peint jaune de Charlotte Perkins Gilman nécessite un coupe papier pour découvrir ce que cache le papier peint où se projettent hallucinations et apparitions fantomatiques de ce "récit psychologique empreint d’un engagement féministe d’avant-garde, charge contre le patriarcat et l’obscurantisme médical de la fin du XIXe siècle". Les pages du Horla de Guy de Maupassant semblent s'effacer au fur et à mesure. Tous deux épuisés, L’Étrange histoire de Benjamin Button de F. Scott Fitzgerald était constitué d'un miroir et différents papiers, Carmilla de Sheridan Le Fanu était mordu et recouvert de sang...
Si je lis romans et essais autant que possible sur ma liseuse, ces livres, comme les disques dont le livret ou le graphisme sont liés à l'objet matériel, ou les livres d'images, de photos et de bandes dessinées, justifient qu'on les acquiert dans leur forme "archaïque", a fortiori, la plus pérenne.

lundi 20 décembre 2021

Le Don est un affluent de la Vilaine


Pablo Cueco tape fort, cette fois pas sur son zarb, mais sur sa machine à écrire qu'on imagine faite de petites lames de rasoir très fines. Son roman noir, Le Don, risque-t-il de se faire interdire comme le livre de Claude Guillon et Yves Le Bonniec paru en 1982, Suicide, mode d'emploi ? Car Pablo y révèle toutes les recettes d'un tueur en série pour ne jamais se faire prendre tout en se livrant à sa passion. La sympathie pour l'auteur de l'ouvrage, Pablo dans la peau de l'assassin, ressemble plutôt à celle qu'entretient Ray Shoesmith dans la récente série Mr Inbetween qu'au tueur débile du film Henry, portrait d'un serial killer. Ceux qui connaissent les chroniques de Pablo Cueco dans le Journal des Allumés du Jazz ou ses précédents Double Vue (avec son père Henri... Henri ?! Tiens tiens) et Pour la route (mais je crois que je vais éviter le vélo depuis que j'ai terminé ma lecture) ne seront pas étonnés par l'humour noir de ce roman qui joue sur les morts. L'accumulation n'a d'analogie qu'avec celle des "première minute" de la série Six Feet Under. Une hécatombe. C'est drôle et méchant (le Don est un affluent de la Vilaine !), mais aussi, juste et réconfortant, vous avouerez...

→ Pablo Cueco, Le Don, illustrations de Rocco, ed. Qupé, 15€