70 Musique - mai 2006 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 22 mai 2006

Il reste quelques places dans le chœur des lapins !


Silence radio sur le show lapins, mais ça se présente très bien... Les oreilles frémissent, les lumières clignotent... Faites participer votre Nabaztag à cette soirée exceptionnelle au Centre Pompidou samedi prochain. Des places ont été réservées pour vous par le Web Flash Festival pour que vous puissiez aller l'admirer sur la scène de Beaubourg et témoigner qu'il a effectivement chanté dans le premier opéra pour lapins communicants !
Sorti du terrier, j'ai travaillé sans relâche sur la musique du film sur la colonisation du Maghreb. J'ai ressorti mes instruments traditionnels : flûte, percussions, piano à pouces (senzas), cythare inanga. J'ai également dû composer de la musique militaire (cuivres et percussion), de la musique religieuse (orgue) et des pièces pour piano rappelant le début du siècle dernier. J'ai adoré remonter ma trompette à anche pour un morceau. Il me reste encore à diriger mon orchestre virtuel pour des passages plus solennels, je ne sais pas encore par quel bout le prendre. Je me rends compte qu'une musique trop complexe ne convient pas à ce genre de film, je suis obligé d'épurer, de simplifier au maximum, et surtout je joue à l'image ou je teste juste après avoir enregistré une prise, en diffusant le film sur un second écran...
Pendant que la musique militaire joue à tue-tête, je reçois un coup de fil d'Espagne de Michel Houellebecq. Je n'entendais rien, j'étais gêné, j'ai fini par couper le son. Cela faisait bien sept ans que nous ne nous étions pas parlés de vive voix, depuis la soirée de lancement de Machiavel au Glaz'Art. Ses hésitations vocales, son débit verbal, ses silences me rendent toujours très calme ! Michel répondait à ma demande de publier en CD notre duo Établissement d'un ciel d'alternance, deux prises formidables d'environ trente minutes chacune, enregistrées en novembre 1996. Je ne sais pas si je devrais le produire moi-même chez GRRR ou le donner en licence à une boîte plus importante. J'hésite. Nous n'avons jamais été très satisfaits par le disque sorti chez Radio France. Le spectacle que nous avions créé quelques mois plus tard pour le Xième anniversaire des Inrocks à la Fondation Cartier avait suscité un important travail de réécriture suivi de deux séances de répétitions que j'avais enregistrées live sur un DAT deux pistes. Le son est excellent, la balance parfaite et l'ensemble me fait halluciner, sérieusement ! Je m'allonge sur le divan et je plane. Tant sa poésie que sa manière de dire ses textes y est épatante, habitée, et d'une simplicité étonnante, évidente. Nous devons nous voir bientôt pour discuter également d'un nouveau projet...

lundi 15 mai 2006

Rencontre avec John Cage


À partir d'un échange de commentaires sur le billet sur Varèse.
Jonathan, défendant l'importance de John Cage, me rappelle que j'ai écrit "Toute organisation de sons pouvait être considérée comme de la musique !" C'est ce sens qui m'a fait pensé à Cage, surtout 4'33", dit-il.

Touché ! Au début d'Un Drame Musical Instantané, nous nous posions toutes ces questions, surpris par l'immensité du champ des possibles. En 1979, j'avais téléphoné à John Cage et l'avais rencontré à l'Ircam alors qu'il préparait Roaratorio, une des plus grandes émotions de ma vie de spectateur. Nous étions au centre du dispositif multiphonique. Cage lisait Finnegan's Wake, il y avait un sonneur de cornemuse et un joueur de bodran parmi les haut-parleurs qui nous entouraient. Cage avait enregistré les sons des lieux évoqués par Joyce. On baignait dans le son... Un après-midi, je lui avais apporté notre premier album Trop d'adrénaline nuit pour discuter des transformations récentes des modes de composition grâce à l'apport de l'improvisation, nous l'appelions alors composition instantanée, l'opposant à composition préalable... J'étais également préoccupé par la qualité des concerts lorsque Cage y participait ou non. C'était le jour et la nuit. Nous avions parlé des difficultés de transmission par le biais exclusif de la partition, de la nécessité de participer à l'élaboration des représentations... Plus tard, le Drame avait joué une pièce sur des indications de Cage. C'était pour l'émission d'une télé privée, Antène 1, réalisée par Emmanuelle K. Je me souviens que nous réfutions l'entière paternité de l'œuvre à Cage ! Nous nous insurgions contre les partitions littéraires de Stockhausen qui signait les improvisations (vraiment peu) dirigées, que des musiciens de jazz ou assimilés interprétaient, ou plutôt créaient sur un prétexte très vague. Fais voile vers le soleil... Cela me rappelle les relevés que faisait Heiner Goebbels des improvisations d'Yves Robert ou de René Lussier ; ensuite il réécrivait tout ça et leur demandait de rejouer ce qu'ils avaient improvisé, sauf que cette fois c'était figé et c'était lui qui signait. Arnaque et torture ! Pourtant j'aime beaucoup les compositions de Goebbels.

Cage est, avec Mingus, le seul compositeur que nous ayons abordé avec le Drame... Je regrette que ce ne soit pas édité, surtout le Let my children hear music de Charlie Mingus, la dernière création que nous avons faite avant le départ de Francis du groupe en 1992, très inspirés... Nous avions choisi d'adapter un disque de Mingus en grand orchestre et de jouer les morceaux en trio, une sacrée gageure ! Il existe un enregistrement assez décent des répétitions. Quant à l'émission d'Antène 1 de 1982, enregistrée à deux caméras dans ma cave rue de l'Espérance, il est possible qu'elle réapparaisse un de ces jours en bonus d'un dvd... Une des deux caméras était une paluche, un prototype fabriqué par Jean-Pierre Beauviala d'Aäton, qu'on tenait au bout des doigts comme un micro, l'ancêtre de bien des petites cams. J'ai réalisé Remember my forgotten man avec celle que Jean-André Fieschi m'avait prêtée, possible que ça ressorte également un jour.
Sur la première photo où Bernard joue du cor de poste, on aperçoit à droite la paluche tenue par Gonzalo. Sur la deuxième, il filme Francis...

samedi 13 mai 2006

Nabaz’mob, opéra pour 100 lapins communicants (2)


Les contraintes techniques sont parfois déterminantes pour composer. Ainsi les lapins Nabaztag qui seront présents sur la scène du Web Flash Festival le 27 mai sont incapables de jouer ensemble de façon synchrone, ils se décalent sur une durée de 10 secondes. C'est énorme, puisque si nous leur envoyons une seule note en wi-fi le résultat sera 100 répétitions de cette note jouée en moyenne tous les dixièmes de seconde, comme un tremolo de mandoline ! Nous obtenons des effets intéressants de mouvements browniens, magmas mouvants de petites notes cristallines, le timbre choisi pour le premier mouvement étant l'ordinaire de Nabaztag, une sorte de glockenspiel. Envoyer une mélodie au format midi produira donc des effets d'accords se transformant lentement au gré des intervalles de hauteur et de durée.
Mais nos lapins ont leur propre comportement et peuvent choisir entre tel ou tel fichier midi. Option dont nous userons allègrement dans le second mouvement pour constituer une suite d'accords plus ou moins consonants à partir de mélodies monodiques, cette fois constituées de notes longues. De longs accords aléatoires succèdent donc au premier mouvement dont les grappes énervées alternent avec des silences où le seul son provient de la chorégraphie d'oreilles de la meute.
Pour le troisième mouvement, nous envisageons de reproduire des extraits d'œuvres de musique classique, totalement transformées par l'effet de déphasage du système. Les passages sélectionnés par nos soins, mais dont les 100 lapins useront à leur discrétion, sont constitués d'abord de courtes phrases d'introduction pour se terminer par une collection de codas qui finiront par mettre toutes nos bestioles d'accord.
La chorégraphie lumineuse achèvera le tableau, retransmis également sur grand écran en fond de scène.
Le résultat va dépendre des simulations testables avec le petit programme qu'est en train de fabriquer Antoine...
Je livre ci-dessous le premier communiqué envoyé à la presse :

Nabaz'mob, opéra pour 100 lapins communicants
de Antoine Schmitt et Jean-Jacques Birgé
Coproduction Web Flash Festival et Violet (créateurs du lapin Nabaztag)
Une initiative originale de Guylaine Monnier

Répondant à l'appel de la société Violet, 100 lapins Nabaztag apportés par leurs propriétaires respectifs se donnent rendez-vous, dans l'esprit des flashmobs, sur la scène du Centre Pompidou pour interpréter, tous ensemble, un opéra spécialement composé pour l'occasion par Antoine Schmitt et Jean-Jacques Birgé.
Convoquant John Cage, Steve Reich et Conlon Nancarrow, cette partition musicale et chorégraphique ouverte en trois mouvements, transmise par wifi, joue sur la tension entre communion de l'ensemble et comportement individuel pour créer une oeuvre à la fois forte et engagée.

Le 27 mai 2006 à 20h
au Centre Georges Pompidou (Paris)
Soirée d'ouverture Flash Festival
(entrée libre dans la limite des places disponibles)

P.S.: voir, entre autres, les billets des 11 mai et 23 septembre, et le site consacré à Nabaz'mob (English version).

vendredi 12 mai 2006

Compositeur, forgeur de sons, visionnaire


C'est le titre de l'exposition Edgard Varèse qui se tient au Musée Tinguely de Bâle en Suisse jusqu'au 27 août. L'édition anglaise du catalogue est publiée par Boydell & Brewer (Melton, Suffolk), 500 pages réunissant de nombreux témoignages, photos, manuscrits, etc. Les découvertes se succèdent : une fugue à quatre voix en Mib majeur sur un sujet d'Ambroise Thomas, des pages d'Œdipe et le Sphynx annotées par Hugo von Hofmannstahl, une liste manuscrite des œuvres de jeunesse perdues (Trois poèmes des brumes / La rapsodie romane / Mehr Licht / Gargantua / Prélude à la fin d'un jour / Les cycles de la Mer du Nord /...), la recopie de Varèse d'un passage de Salomé de Richard Strauss qu'on retrouvera "cité" dans Amériques, une lettre de Debussy, une dédicace de Luigi Russolo sur une page de garde de L'art des bruits, des tableaux peints par le compositeur, les conditions d'adhésion à son Laboratoire de Musique Nouvelle, ses gongs et sirène, des ondes martenot, un Theremin et un violoncelle Theremin, le livre d'Asturias annoté pour la composition d'Ecuatorial, ses projets multimédia pour L'Astronome et Espace, des photos avec Antonin Artaud tandis qu'ils travaillaient à Il n'y a plus de firmament, une page de Tuning Up (œuvre découverte pour la première fois dans la remarquable "intégrale" de Riccardo Chailly, double album Decca 460 208-2, dans laquelle figure aussi Un grand sommeil noir et Dance for Burgess), des bouts de conférences dont une sur Schönberg, des études sur le poème d'Henri Michaux Dans la nuit, tout cela réuni grâce à la Fondation Paul Sacher.
Le chef d'orchestre Peter Eötvos raconte que Frank Zappa enregistra Hyperprism, Octandre, Intégrales, Density 21.5, Ionisation, Déserts et une version remastrerisée du Poème Électronique (ainsi que les Interpolations de Déserts) avec l'Ensemble Modern qu'il dirigeait. "Le premier ionisateur", Nicolas Slonimsky, qui avait près de cent ans à cette époque, dirigea à son tour une version de Ionisation, puis ce fut au tour de Zappa. Ces enregistrements de l'automne 1992 n'ont jamais été publiés.

J'ai découvert Varèse en 1968 grâce au premier album de Zappa, Freak Out. Sur les notes de la double pochette étaient retranscrits en anglais la phrase d'un français : "The present-day composer refuses to die" ("le compositeur d'aujourd'hui refuse de mourir", sentence que l'on retrouvera ensuite sur tous les disques de Zappa). Rentré en France, j'achetai les deux seuls 33 tours disponibles du Bourguignon émigré à New York, dirigés par Robert Craft. Le choc fut aussi phénoménal et déterminant que venait de l'être celui des Mothers of Invention. Toute organisation de sons pouvait être considéré comme de la musique ! Je réécoutais sans cesse Déserts et Arcana. Ces masses orchestrales produirent sur moi un effet que je n'ai eu de cesse de rechercher depuis, d'abord avec mes synthétiseurs, puis avec le grand orchestre du Drame ou le Nouvel Orchestre Philharmonique, mais je ne fus heureux du résultat qu'avec la création du module interactif Big Bang réalisé avec l'aide de Frédéric Durieu (accessible sur le site du CielEstBleu, premier chapitre de Time). Entre temps, je lus et relus avec ahurissement les Entretiens avec Georges Charbonnier (ed. Pierre Belfond), chaque pensée de Varèse est visionnaire, il rêve de ce qui est devenu aujourd'hui possible grâce aux nouvelles technologies (synthèse, échantillonnage, opéra multimédia, musiciens issus du jazz, etc.). Je pense souvent à lui en regrettant qu'il n'ait pas connu les avancées techniques qui lui auraient permis de mettre en action ses idées prémonitoires. Je trouvai quelques autres ouvrages parmi lesquels ses Écrits ou le livre de Fernand Ouelette, mais les plus belles surprises furent l'acquisition d'un 33 tours où figuraient la première de Ionisation dirigé par Slonimsky en 1934 (avec le premier enregistrement de Barn Dance et In the Night de Charles Ives, ainsi que Lilacs de Carl Ruggles), la réédition du fameux disque original EMS 401 supervisé par Varèse lui-même et commenté par Zappa (Idol of my youth) ou les pièces dirigées par Maurice Abravanel. L'interprétation de Chailly m'a d'autre part convaincu plus que celles de Pierre Boulez ou Kent Nagano...

C

J'en ai déjà parlé, mais Edgard Varèse m'a même semblé apparaître comme l'initiateur du free jazz ! En 1957, il dirige des jam sessions dont il utilisera des extraits dans le Poème électronique. Y participent Art Farmer (tp), Teo Macero (t sax - futur producteur de Miles Davis), Hal McKusik (cl, a sax), Hall Overton (p), Frank Rehak (tb), Ed Shaughnessy (dms), ainsi que Eddie Bert (tb), Don Butterfield (tuba) et Charles Mingus (cb) lui-même, à qui la paternité du free jazz est habituellement attribuée. On sait aussi que Charlie Parker avait exprimé le désir de prendre quelques leçons avec Varèse en 1954 sans que cela puisse se concrétiser (lire From Bebop to Poo-wip..., le passionnant article d'Olivia Mattis dans le catalogue)... Il y a quelques années, Robert Wyatt me confia une copie de ces enregistrements, cassette que lui avait remise le réalisateur Mark Kidel. L'écoute de cette bande est en effet plus que troublante.