70 Musique - avril 2007 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

dimanche 15 avril 2007

Donkey Monkey, blue rondo à l'alsa sauce nippone


Le cd d'Eve Risser et Yuko Oshima sort sur le petit label suédois Umlaut dirigé par le contrebassiste Joel Grip, ça ne facilite pas vraiment les choses (pour l'instant, on peut commander sur le site), mais si c'est si chouette qu'il devrait trouver sa place illico sur toutes vos étagères. La pochette kawaï ressemble à de la pop japonaise. La musique de Donkey Monkey est un truc inclassable, hyper pêchu, qui mêle rock, jazz, pop, free, contempo et qui emballe le public chaque fois que les deux filles délicieusement rigolotes jouent quelque part. Lorsqu'elles entament Phoolan Devi qui ouvre l'album, elles savent qu'elles emporteront le morceau ; c'est une sorte de Blue Rondo à l'alsa sauce nippone, un machin hyper structuré qui laisse une place à l'impro et qui donne le tournis, entre Conlon Nancarrow et Jerry Lee Lewis pour la pianiste alsacienne, beat métal pour la native de Nagoya, euphorie garantie pour le public.


Jeudi soir, au Lavoir Moderne Parisien, elles ont préféré changé l'ordre des morceaux, pour voir, expérimenter toujours. Moins déjantées que lorsque je les ai entendues la première fois chez Anh-Van, elles étaient peut-être un peu intimidées par le parquet de musiciens dans la salle dont la mâchoire pendait en les regardant. Axant tout sur la musique, elles ne se sont pas laissées démontées pour autant, traversant le paysage comme un bolide improbable qui tient de la Gaffomobile et de l'avion à réactions. Leur autre tube, Ouature, qui donne son nom à l'album, est encore un objet hybride, sorte de pop jap avec pot-pourri années 60 et vagabondages sur les fûts. Elles hurlent le "couplet" en japonais, tandis que le public reprend le refrain "Ouature Ouature Ouature" en chœur dévot. À leur interprétation de Wrong Key Donkey de Carla Bley, free jazz explosé et tendre, succède un Rain satisque qui se fraye un chemin parmi les gouttes. Après les samples de Yuko Oshima dans Cé Lui Ké Parti, les mélodicas tuyautés de Sphère Kid #1 ponctuent le piano préparé d'Ève Risser. J'adore les préparations de la pianiste, au demeurant flûtiste (pas de flûte néanmoins au répertoire de Donkey Monkey ; je serais pourtant curieux de l'entendre souffler/siffler). Fan du piano préparé depuis les Sonates et Interludes de Cage et le 33 tours de François Tusques au Chant du Monde en 76, j'ai programmé mon VFX pour retrouver quelque chose de cette variation de timbres gamelanesque en superposant trois pianos sur le même clavier, un "normal", un modal et un en quarts de tons renversés (merci Mr Charles Ives). Le disque se termine avec un tendre Cours melon qui laisse un goût de revenez-y. Alors, en attendant la prochaine apparition sur scène de "ces merveilleuses folles jouant de leurs drôles de machines", on peut toujours se le passer en boucle...


Le 12 avril, la seconde partie du concert programmé par Denis Charolles dans le cadre du festival La Belle Ouïe était tout aussi épatante. Marc Ducret présentait (pour l'avant-dernière "mondiale" ?... Et pour la première fois à Paris depuis la formation de l'orchestre il y a quatre ans !) Le sens de la marche, onze musiciens dévoués à la cause du guitariste compositeur. Entre Frank Zappa et Bill Frisell, la délicatesse des arrangements, la maîtrise du timbre, l'énergie dégagée devraient enthousiasmer les programmateurs dont le peu d'imagination et la frilosité est désespérante. Aucun festival n'a jamais engagé ce magnifique projet qui risque de s'arrêter prochainement. Le sens de la marche, pas de disque non plus, est pourtant le plus beau travail d'ensemble qu'il m'ait été donné d'entendre live depuis longtemps, instrumentation originale (5 cuivres, 3 claviers, plus le trio de base ici en photo, Ducret Chevillon Echampard), verve des solistes et compositions savantes (quand donc donnera-t-on à Ducret les moyens de son imagination et de ses talents de compositeur ?) pour une musique tout aussi enthousiasmante que la délicieuse prestation de notre duo d'élection !

samedi 14 avril 2007

Blog à Muziq


Depuis le numéro 9 qui vient de sortir (le prochain paraîtra en juillet), je participe au magazine Muziq en compagnie d'une belle brochette d'autres pigistes (p.69). Chacun de nous treize héritons d'une page pour partager avec les lecteurs les disques qui nous ont emballés, treize pages que le rédacteur en chef Frédéric Goaty appelle des blogs en référence à ces espaces personnels où chacun s'exprime librement. La commande est hiérarchique, un CD phare suivi de quatre ou cinq autres parus depuis moins de trois mois, éventuellement un livre ou un DVD en relation avec la musique, toutes les musiques. Le magazine est en trois parties, les Entrées avec des sujets les plus variés (Frank Zappa, Michel Delpech, Dee Dee Bridgewater, Odeurs, Alain Kan, etc.), les Plats qui donnent sa couleur à chaque numéro orienté thématiquement, cette fois les Grandes Musiques Noires (entretien avec George Clinton, , et, pour terminer, la farandole des Desserts, une centaine de chroniques donc. Quelque chose d'aussi sympathique que les débuts du Monde de la Musique émane de ce journal lancé comme un pari et qui tient bien la route. Si l'éventail reste ouvert et que vient s'y écrire toute l'effervescence du monde, si les musiques permettent d'entrevoir les sociétés qui les ont enfantées, si les nostalgies modernes n'étouffent pas les rêves d'aujourd'hui, si les musiciens eux-mêmes se l'approprient, alors Muziq pourrait devenir le magazine tant attendu du public comme des professionnels. Une fenêtre sur le passé, une porte sur l'avenir.

jeudi 12 avril 2007

L'arnaque


Lorsque j'ai donné à Urich21 les bandes que j'avais enregistrées à Amougies, je ne pensais pas que cela allait provoquer autant de foin sur les forums des fans de Pink Floyd et de Frank Zappa. Il semble que les morceaux mis en ligne par Urich21 aient été téléchargés des milliers de fois et fait couler beaucoup d'encre, pensez, Zappa improvisant Interstellar Overdrive avec Pink Floyd pendant vingt minutes ! C'est plutôt sympathique de partager ses trésors, pensai-je. Et puis hier matin, Urich21 m'écrit : "En rire ou en pleurer... Quand de vieilles cassettes se transforment en vinyles translucides et multicolores... et en dollars...". Je vais voir le lien qu'il m'indique et reconnais notre modeste contribution : astronomy domine / green is the colour / careful with that axe, eugene / tuning up with frank zappa / interstellar overdrive (zappa on guitar) // Pink Floyd Meets Frank Zappa - Limited to 1000 pieces - Yellow wax - Near Mint // Festival Actuel, Amougies (Belgique), 2ième Jour, 25 octobre 1969. Du tac au tac, je lui réponds : " En rire, définitivement ! Tout le monde n'a pas accès à Internet, le prix est décent, le travail graphique existant, le found footage fait des ravages chez les compositeurs, les sociétés d'auteur font leur boulot à l'envers, notre générosité continue à s'exprimer ailleurs, certains revendent leurs cadeaux, quoi d'autre ?" J'avais confondu le coût du port avec le prix du disque. Je croyais avoir lu 4 dollars lorsqu'il s'agissait d'une enchère mise à prix 100 dollars ! Nos louables intentions se transforment en arnaque de charognard. D'accord la présentation graphique est chic, mais il y a des gogos qui vont payer une fortune pour un concert que l'on trouve en libre accès sur le Net. La malversation est claire, le piratage honteux. Ce n'est évidemment pas le seul exemple, les propositions sont légion. Si la circulation des œuvres est au moins aussi importante que la défense des droits d'auteur, la vente de ces pépites (pour collectionneurs fanatiques qui ont déjà acheté tous les albums commercialisés et en veulent toujours plus) est inadmissible et relève de la malhonnêteté envers les artistes comme du public, jetant une ombre sur notre initiative.

lundi 9 avril 2007

Les vices platinés de Christian Marclay


Franck Vigroux m'envoie ce petit sujet sur Christian Marclay pour m'éviter d'aller à la Cité de la Musique où l'artiste suisse scratcheur est exposé jusqu'au 24 juin (Replay), essentiellement des vidéos si j'ai bien compris. Bien avant que ne se manifestent les hip-hopers, j'avais découvert Marclay grâce à mon producteur allemand Jürgen Königer de Recommended Records / No Man's Land qui produira le vinyle 25cm More Encores en 1987 : chaque morceau y est scratché d'une manière cohérente avec chaque artiste esquinté, Johann Strauss, Zorn, Chopin, Frith, Armstrong, Cage, la Callas, Hendrix, Birkin & Gainsbourg ou lui-même ! Plus tard, j'achèterai le coffret Footsteps où figure l'un des disques de son expo de 89 à la Shedhalle de Zurich. Sur ce 30cm sont enregistrés des pas tandis que les visiteurs marchaient sur les exemplaires disposés par terre. Avant de faire écouter aux amis mon exemplaire qui porte encore les scotchs double face collés à son revers, j'ai pris l'habitude d'en rajouter une couche en le piétinant rageusement. Au fil des années, l'écoute s'en est toujours trouvée bonifiée. Christian eut un soir la gentillesse de nous faire une démonstration de tous ses outils de concert. J'adorai les deux diamants sur le même disque, les pédales de disto et les décentrages...
Quelques années plus tard, je fus fasciné par le groove des DJ qui œuvraient dans la soul funk et nous trouvâmes alors le collaborateur idéal en la personne de Nem. À notre première rencontre, il apporta Miles et Ligeti, un bon signe en regard des inspirations des autres DJ que nous croisions... Il scratcha ensuite à mort sur les disques du Drame comme le font aujourd'hui Franck et quelques autres. Ils disent tous que le scratch est génial où que l'aiguille se pointe sur la surface du microsillon. Nous avons passé notre vie à faire du montage une technique de composition, tant en live qu'en studio, et en expirimentant sans cesse de nouvelles idées abracadabrantes. Signalons aussi le virtuose Kid Koala qui swingue comme personne sur sa platine (cd Carpal Tunnel Syndrome, cd Some of my best friends are djs).
Mais comme vous vous pouvez le constater sur ce petit film, Marclay est avant tout un artiste plasticien qui pervertit les instruments de musique et le matériel de reproduction, et ça ne tourne jamais vraiment rond.

mercredi 4 avril 2007

Chanson aujourd'hui : soumission ou subversion ?


Demain jeudi à la Dynamo de Banlieues Bleues à Pantin je participe à une rencontre organisée par Zebrock intitulée "Chanson aujourd'hui : soumission ou subversion ? " Passée la question des paroles que l'on a coutume d'affubler de l'adjectif "engagées", se pose celle de la musique elle-même. Les mots ne prêchent souvent que les convaincus, mais ils ont le mérite de réfléchir les phénomènes de société. De nouvelles formes musicales qui ne se fonderaient pas sur le moule dominant imposé par l'industrie offriraient-elles aux auditeurs de penser par eux-mêmes ? Encore faudrait-il que le public y ait accès, tout ce qui n'est pas issu des modèles dominants étant confiné dans une niche riquiqui de plus en plus marginalisée... Pour résister à l'uniformisation, il ne suffit donc pas de prôner de louables intentions et revendiquer un monde meilleur, il faut aussi refuser les formes imposées par une industrie culturelle aux mains des grands trusts internationaux dominés par le monde anglo-saxon. Il faut inventer l'alter-mondialisme de la culture, se battre pour un pluralisme des formes. La subversion passe obligatoirement par la critique, paroles ET musique. La soumission n'est pas que dans les termes, elle se fond dans les formes.
La rencontre (9h à 18h, entrée libre) annonce La chanson, dans ses mots et ses formes, contribue-t-elle encore à interroger la société, à transgresser ses codes, à dénoncer les injustices ? Mise en perspective du couple sulfureux musique et politique. Les autres participants sont Christian Olivier (Têtes raides), D' de Kabal, Denis Charolles, Agnès Bihl, Hervé Bordier, Ignatus, Jean-Paul Jouary, Cécile Prévost-Thomas, Saïd (M.A.P.), Hamé (La Rumeur), Marc (La Canaille), Ahmed (La Caution), Olivier Cachin, Pascale Bigot, Rosa Moussaoui... Le Hall de la Chanson (Serge Hureau ?) fera même une conférence chantée sur Monthéus !
Les deux directions de Zebrock, association d'action culturelle dans le champ des musiques populaires en Seine Saint-Denis et en Ile-de-France, sont Le Grand Zebrock qui fait un gros travail d'accompagnement artistique des jeunes groupes franciliens (organisation de concerts, découverte de nouveaux talents, Scène Avant-garde de la Fête de l'Huma) et Zebrock au bahut (édition annuelle d'un livret avec cd, d'ailleurs très bien réalisé, rencontres d'artistes, etc.). Les Amplifiées dont la rencontre demain est le volume 6 proposent une rencontre entre le public et des professionnels.