70 Musique - mai 2007 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 31 mai 2007

Deux unes pour Sextant #3


Sextant est enfin dans les kiosques depuis ce matin ! Comment ne pas être impatient après des mois de retard, et comblé, sachant que je suis en couverture du n°3 de la revue acoustellaire musicalle et culturelle. En réalité, je partage les unes avec le violoncelliste Vincent Courtois, puisque la revue semestrielle peut s'attraper par un bout ou par l'autre... Hyper classieuse comme dirait l'homme à la tête de chou, elle est imprimée tête-bêche, 34 pages dans un sens, 34 dans l'autre, la moitié chacun ! De mon côté, j'ai choisi d'être accompagné par mon compagnon de trente ans, le trompettiste et compositeur Bernard Vitet, ainsi que par les artistes Nicolas Clauss et Antoine Schmitt (petite coquille sur son nom dont le c a sauté sur la couve) qui œuvrent tous deux dans le secteur des nouvelles technologies. Vincent Courtois (qui, petite anecdote, habite à 50 mètres de chez moi, dans la même rue) est quant à lui entouré de la chanteuse Jeanne Added, du saxophoniste Marc Baron et du plasticien Thomas Jankowski.
La revue "acoustellaire" offre en bonus 2 cd-audio sur son site, gratuitement téléchargeables avec le code livré en pages centrales. Celui que j'ai préparé réunit 7 inédits d'Un Drame Musical Instantané : La peur du vide (le trio fondateur Birgé-Vitet-Gorgé live à Paris en 1983) / deux chansons écrites pour ma fille Elsa Birgé 'Cause I’ve Got Time Only For Love lorsqu'elle avait 6 ans (avec la participation d'Hervé Legeay à la guitare) et Écris-moi une chanson lorsqu'elle en avait 9 / Machiavel Meeting (concert mémorable au Glaz’art fin 1998, avec Bernard Vitet, Philippe Deschepper, Étienne Auger, DJ Nem, Hervé Legeay, Didier Petit, Olivier Koechlin) / Le silence éternel des espaces infinis m’effraie (duo électro avec Bernard, 1999) / deux pièces de l'an 2000 avec Bernard, Deschepper et Nem (Stomp et roots).
Le site de la revue présente la maquette des 68 pages en Flash et offre des extraits des entretiens, plus des photos inédites et le livret du CD.
Comme pour les deux précédents numéros consacrés à Henri Texier, Benoît Delbecq et Steve Arguëlles, les entretiens sont extrêmement fournis et documentés. La mise en pages est intelligente et soignée. Si la qualité se maintient, au delà d'être une revue, Sextant (6 euros en kiosque) pourrait devenir une collection de référence.

samedi 26 mai 2007

La musique de l'Afrique est en nous


Depuis que je rédige ma chronique cd pour le magazine Muziq, ce que Fredo appelle un blog papier (nous sommes près d'une quinzaine à pratiquer ce sport, une page, 6000 signes, liberté totale si ce n'est que les albums doivent être parus depuis moins de trois mois), je reçois des dizaines de disques à écouter. Je commence à comprendre l'angoisse des journalistes condamnés à réduire la pile qui encombre leur surface de travail. Comme je n'essaye pas de constituer ma discothèque qui a déjà atteint les limites du supportable ni d'arrondir mon salaire en revendant les services de presse chez les soldeurs, je précise mes goûts pour que l'on m'envoie uniquement ce qui est susceptible de m'emballer. Comme Diaghilev l'exigeant de Cocteau un soir place de la Concorde, j'aime par dessus tout être étonné.

Il m'arrive de sauter de joie en ouvrant le courrier ou de me demander quelle mouche a piqué celle ou celui qui a préparé le paquet. Ainsi, détestant le vibraphone, sauf lorsqu'il est utilisé en orchestre pour des effets de timbre ou mélangé à d'autres instruments de percussion à clavier (j'adore par dessus tout le marimba, mais aussi le balafon, le célesta, le piano, les cloches tubulaires, les poelles à frire, les pots de fleurs et même le glockenspiel !), j'avais gardé pour la fin le nouveau disque d'Alex Grillo, charmant garçon, mais néanmoins vibraphoniste. Très agréable surprise, La musique de l’Afrique est en nous (Césaré, dist. Orkhêstra) est un album déjanté comme je les aime. Les paroles caustiques du poète Daniel Biga fonctionnent parfaitement avec les rythmes de Grillo, les sons de bois et de crin du violoncelliste Didier Petit et les manipulations délicates de Christian Sebille à l’ordinateur des pompes joyeuses. Les voix de la bande des quatre sont superposées à une vaisselle éclatante où chacun relèvent ses manches pour confectionner un pan bagnat bruitiste digne des meilleures évocations radiophoniques de France Culture. Cette comédie burlesque interdit de rire sans arrière-pensée. L'esprit parfois potache des bricolos délirants est contrebalancé par un plaisir de faire communicatif qui produit une invention juvénile que l'on aimerait entendre plus souvent chez les autres pros du son. Le petit pain rond qui tourne sur la platine est riche en couleurs, savoureux en langue, épicé à souhait, un vrai bonheur.

Quelques lignes dans Muziq ne feront pas vendre plus de trois ou quatre exemplaires de plus des disques évoqués. Une page dans Libé ne fait guère mieux. Hélas ! Il n'y a que le Journal de 20 heures qui puisse éventuellement faire effet, ou alors, que toute la presse en parle, cela deviendra l'affaire du bouche à oreilles... Quelques lignes ici ou dans Muzik permettront peut-être à quelque musicien d'esquisser un sourire. Les conditions économiques des intermittents se dégradent sans cesse. Être artiste aujourd'hui, qu'est-ce que cela signifie encore ? Transmettre. Informer. Le fruit d'un travail est souvent sanctionné par quelques lignes dérisoires qui pourront être reprises dans un dossier de presse. Ce sont parfois les seules traces qui resteront. La mémoire est volatile. Ici ou ailleurs, chaque fois, s'inscrivent seulement quelques lignes de solidarité. Quelle importance ! La musique est en nous...

jeudi 24 mai 2007

Dernière du Vrai-Faux Mariage au Cabaret Sauvage


Elsa m'envoie l'annonce du Vrai-Faux Mariage de La Caravane Passe dont c'est la dernière de la saison au Cabaret Sauvage demain vendredi à 20h45. Pour l'illustrer, je trouve un extrait vidéo de leur passage sur France 3. Au programme, vrais danseurs, faux mariés, et grosse fiesta en fanfare, un spectacle-concert où le public est invité à la fête de mariage de Sacha et Mona, avec La Caravane Passe et toute la Clique de Plèchti (magicien, acrobates, clowns, danseurs...). Le flyer prévient : attention, ULTRA FESTIF !!! Baroque, burlesque, déjanté, c'est une hystérie musicale aux accents blues, rock, polka et tango balkanique. Après le spectacle qui a rameuté chaque mois quelques 1300 spectateurs, DJ Tagada mixe le son de l'Est et du monde entier pour une gypsy thérapy qui dure toute la nuit. C'est au Parc de La Villette, 59 bd Mac Donald, M° Porte de la Villette, info : 01 42 09 01 09, PAF : 12 à 18 euros.
Curieux phénomène que ces soirées arrosées de vodka où les spectateurs dansent jusqu'à plus soif ! Les amateurs de raves ont trouvé un défouloir à la mesure de leur folle énergie. À côté de l'orchestre (trompette, fiscorn, sax, contrebasse, batterie), Yann-Yvon Pennec (Sača) et Môh Aroussi (Mona) incarnent les mariés, et les spectateurs les invités de cette soirée survoltée. Cerise sur le gâteau, Elsa occupe l'un des rares moments où la mélodie ralentit le tempo lorsqu'elle se lance au-dessus de la foule, se contorsionnant sur son trapèze au centre de la piste.

mercredi 23 mai 2007

Didascalies de Luc Ferrari


Le répétitif Tautologos III est la dernière pièce de Luc Ferrari enregistrée de son vivant, en juillet 2005. Action-silence. Je l'ai entendue de mes propres oreilles, une vérité pleine et entière : Luc Ferrari est un compositeur majeur du XXe siècle, un auteur empruntant le double sens, jonglant avec mathématique et philosophie.
Rencontres fortuites et Didascalies, la seconde des trois pièces pour violon alto, piano et SM ("SM voulant dire Son Mémorisé et rien d’autre") qui donne son titre à l'album paraissant chez Sub Rosa (dist. Orkhêstra), le présentent tel un Zappa électroacoustique, adepte du montage et de la citation. Il est l'équivalent français de John Cage par son minimalisme dramatique, ses collages improbables et son attachement au réel. Il tient tant de Satie que de Varèse sur qui il réalisa d'ailleurs un fameux film aujourd'hui invisible (en 1965 et 1966, il cosigna ainsi avec Gérard Patris toute une série d'émissions intitulée Les grandes répétitions sur Messiaen, Stockhausen, Scherchen et Cecil Taylor). Ses abstractions instrumentales répondent à de mini-scènes anecdotiques, humoristiques, érotiques, où son inimitable voix donne les règles du jeu. Il parlait du nez. Ses œuvres distillent leur parfum comme une nuée de souvenirs tantôt rémanents, tantôt évanescents. L'auditeur, ne sachant plus à quel sein se vouer, les interprète à sa sauce. Didascalies, ces petites indications de jeu, de tenue vestimentaire que le compositeur ou le metteur en scène écrivent en italiques pour leurs acteurs, est un titre qui lui va comme un gant. C'est un de ses meilleurs disques.

Luc Ferrari possédait son propre studio, mais, en 1982, il avait créé La Muse en Circuit. Il réalisait des Hörspiels, mais savait écrire magnifiquement pour l'orchestre. Il nous faisait l'impression d'un dandy, Bernard l’appelait le Gainsbourg de la musique contemporaine. Sur la radiophonie de Crimes Parfaits (Un Drame Musical Instantané, lp À travail égal salaire égal de 1981 et cd Machiavel de 1999), j'avais monté une de ses phrases que j'ai ensuite souvent citée : "Malheureusement, c'est comme ça qu'on le joue !".


Le 24 février 1992, nous avions enregistré avec lui une improvisation intitulée Comedia dell'Amore 224 qui figure sur notre album Opération Blow Up (dist. Orkhêstra). Pour illustrer sa participation parmi nos 14 invités, il avait envoyé une photocopie qu'il avait signée de Boucher et de lui-même. On l'y entend murmurer : "C'est la nuit, et voilà".

mardi 22 mai 2007

Livraison de planeurs


Orkhêstra distribue trop de bons disques (sans évoquer GRRR !).
La numéro 13 datée du 3 mai présente la réédition en cd remasterisé des Yeux fermés & Lifespan (Elision Fields) de Terry Riley, le premier répétitif révélé par In C, une pièce minimaliste dont l'instrumentation libre a permis une étonnante diversité d'interprétations. Le succès est venu avec Rainbow in Curved Air en 1969. Depuis vingt ans, il écrit essentiellement pour quatuor à cordes, avec la complicité privilégiée du Kronos Quartet. Le cd qui vient de paraître est la musique de deux films peu mémorables de 1972 et 74, réciproquement de Joël Santoni et Alexander Whitelaw. C'est du Riley variétoche, l'entendre en toute sympathie, car c'est plein de volutes de fumée hallucinogène, de boucles hypnotiques qui inspireront des groupes comme Soft Machine, d'orgue électronique, de piano, de saxophone soprano. Les instruments se tuilent en un délicieux mille-feuilles sucré à souhait qui fait tourner la tête. Jusqu'ici j'avais toujours pensé que c'était dans l'ordre inverse, le vertige suggérant la pâtisserie...
La musique de 48 Cameras, collectif implanté en Belgique, appartient à cette même famille des planeurs expérimentaux. Ils collaborent avec de nombreux invités par la voie des télécommunications. After all, isn’t tango the dance of the drunk man ? (Interzone) s'écoute facilement, allongé dans des coussins profonds.
Post-Minimalism rassemble 19 compositeurs de 4 pays en 2 cd (Trace). La musique répétitive a un jour été rebaptisée minimaliste sans que je m'en aperçoive, offrant un espace plus ouvert au retour à la tonalité, déployant un large éventail d'œuvres aux formes simplifiées, mais dont la variété s'expose ici dans un "post" qui n'exprime que l'émergence d'une troisième génération. La première a rendu célèbres Riley, Reich et Glass ; Adams et Bang on a Can appartiennent à la seconde. Quel mouvement lui répondra-t-il, comme eux-mêmes se révoltèrent en leur temps contre l'omniprésence des post-sériels ?
Enfin, les déçus du Volta de Björk pourront se rabattre sur Orphica du grec Mikhail (Q’mass), déclinaison réussie du mythe. Une voix haut perchée, des arrangements qui oscillent entre symphonie virtuelle et rythmiques électroniques ciselées à l'or fin, ce baroque helléniste suggère qu'une page est tournée et qu'il est peut-être temps de défricher de nouveaux paysages utopiques.

P.S. : j'évoquerai bientôt les deux disques distribués par Orkhêstra qui m'ont vraiment surpris, La musique de l'Afrique est en nous d'Alex Grillo (Césaré) et Didascalies de Luc Ferrari (Sub Rosa). À suivre.

jeudi 17 mai 2007

Une charade hypnotique


J'attendais le feu vert de Fabrice Journo pour publier la photo de nous quatre le 3 mai au Triton pour la nouvelle formule de Somnambules. L'envie d'évoquer le spectacle me titillait tant j'ai ressenti de plaisir et d'excitation à la performance.
Nicolas Clauss, le grand à gauche, avait corrigé le tir depuis la première mouture début 2006, en travaillant sur la durée : comment avoir suffisamment de matériel pictural animé dans une configuration improvisée où les musiciens ont toujours une approche très approximative du temps qui passe (j'avais tout de même un chronomètre) - comment ne jamais revenir en arrière et structurer son discours avec un début, un développement et une fin - comment jouer en rythme sans être redondant ou platement illustratif (question également valable pour le trio) - comment ne pas faire tomber l'ambiance entre deux pièces, etc. Pari réussi, les images étaient somptueuses, rien que des pièces jamais montrées en spectacle, le déroulement dramatique impeccable avec un rappel imprévu, Les dormeurs, évocation rimbaldienne des tranchées...
Le choix d'un rythmicien comme Éric Échampard, débardeur côté jardin, ne pouvait qu'enchanter Nicolas qui s'en est donné à cœur joie. Mais Éric est beaucoup plus qu'un batteur, je l'ai écrit et répété, c'est un musicien complet, créateur de timbres inouïs. Au risque de le faire devenir écarlate, j'ajouterai qu'il a détrôné Max Roach dans mon Panthéon personnel (une chance, car la probabilité de faire équipe avec le New Yorkais de 83 ans s'amenuise de jour en jour !). Tous deux sont des mélodistes, ils accordent leurs peaux pour les faire chanter. Éric réagit au quart de tour, capable de rattraper toutes mes balles, mes skuds, mes coups tordus, tout un inventaire défenestré à la veille de la mascarade des élections : des accordéons, des hippopotames, des clefs, des pinceaux, un âne mort attelé à un piano à queue, un sapin en flammes, un évêque, des plumes... Sa virtuosité et son sens de l'à-propos justifient toutes mes recherches sur le zapping rythmique qui m'apparaissaient limite lorsque je les expérimentais seul en studio. Jeu en réponses, synchronisme et polyrythmies, explosions de couleurs du dripping au pistolet sans oublier de renverser le pot de peinture sur les passants, spectateurs d'une unique soirée...
Grâce à lui, je peux jouer physiquement de mes deux claviers. Il est si rare que la sueur perle à mon front lorsque je suis en scène. Quelques notes graves de trompette à anche, des stridences flûtistes où le zen chavire vers l'ultrason, mon sax free de quinze centimètres de long et un zeste de guimbarde ne me distraient pas du V-Synth dont j'ai rarement joué en public. Je délaisse mon éternel VFX qui me permet essentiellement d'assurer les transitions. J'ai préparé beaucoup plus de programmes que je n'en utilise. J'essaye de tricoter autour d'un son principal par morceau. Le V-Synth, avec son trackpad, son double beam (des faisceaux infra-bleus que j'intercepte chorégraphiquement) et tous ses contrôles en temps réel, me permettent d'intervenir directement sur les sons, d'improviser totalement la musique qui se joue à quatre, puisque je mixe certains bruits synchrones produits par les modules interactifs de Nicolas.
Nous commençons par Jumeau Bar dont je trafique les sons originaux avec l'Eventide que j'ai entièrement programmé. Après cette introduction bruitiste, nous alternons les passages tendres et les déferlements rockys tandis qu'Étienne Brunet s'empare de sa cornemuse sur White Rituals. La cérémonie peut commencer. Nous faisons la culbute. Mes imitations de guitare hendrixienne passent encore mieux que je ne l'espérais. Heritage nous fait glisser définitivement vers un rock où Bush père et fils sont à la hauteur de leur réputation. On calme le jeu avec Les marcheurs, hommage à Steve Reich, et nous nous laissons aller à l'improvisation absolue sur les dessins d'enfants de L'ardoise.
Étienne Brunet, la sangle au cou, plane au-dessus de la mêlée, saxophone alto traversant trois effets conçus par feu Robert Moog. Ses mélodies aériennes semblent sortir d'un sax préparé comme on dit d'un piano préparé. Les traitements, discrets, actualisent le son sans le déformer, ajoutant des couleurs nouvelles aux éboulements percussifs et aux nuages électroniques. Beaucoup de grâce dans ce chapelet de notes égrainées comme avec un amuse-doigts. La fleur au bec. Parfois vénéneuse...
Je crois avoir retrouvé l'équilibre du trio originel du Drame. Mon premier a les réflexes fulgurants et la complicité inventive de Francis. Mon second accroche nonchalamment ses airs sur la corde à linge, spécialité de Bernard. Mon troisième produit les images du film... Tous ont le sens de la gravité, de l'humour et de la gentillesse, de quoi faire un orchestre comme je les aime. Mon tout ne ressemble à rien et ne demande qu'à se reproduire.

L'enregistrement du concert...

mercredi 16 mai 2007

Their Satanic Majesties Influence


Je résume vite fait. En décembre 1967, les Rolling Stones sortent Their Satanic Majesties Request, 33 tours psychédélique en réponse au Sergent Pepper's Lonely Hearts Club Band des Beatles paru en juin, lui-même inspiré par le Pet Sounds des Beach Boys. Le seul album expérimental des Stones (conçu sous l'emprise du LSD) eut peu de succès, la presse le descendit, Mick Jagger et Keith Richards dirent qu'ils avaient enregistré "n'importe quoi", sous la pression d'un procès pour détention de stupéfiants et dans l'euphorie des diverses substances qu'ils ingurgitaient pour de vrai. Pourtant, pour les nombreux amateurs de trucs brintzingues et d'inventions musicales, c'est le meilleur disque des Stones, aussi incontournable que le chef d'œuvre des Beatles.
Six mois après sa sortie et le joli mois de mai (n'en déplaise à tous les renégats en costume rayé), je découvre le We're only in it for the money des Mothers of Invention qui va me faire entrer en musique. Autre référence au Sergent Pepper's, la pochette de Zappa est un pastiche inversé de celle des Beatles, insert compris. J'ai déjà raconté l'influence déterminante que Frank Zappa eut sur mes jeunes années. Mais en réécoutant hier le disque ébouriffant des Stones, je m'aperçois avec stupeur qu'il m'a certainement beaucoup plus influencé dans ma démarche de compositeur que par le génial barbichu... Aurais-je été inconsciemment préparé par les Beatles et les Stones à découvrir les Mothers ?
Il est probable que la disparition de Brian Jones en 1969, noyé dans sa piscine de la maison construite pour le créateur de ''Winnie l'Ourson'', orienta définitivement le groupe vers le hard-rock. Les arrangements de Their Satanic Majesties..., étonnants de modernité pour l'époque, le restent aujourd'hui. Le clavecin de Nick Hopkins, le mellotron de Brian Jones, ses improvisations débridées à la flûte, ses cuivres déments font sortir les Stones de leur popitude encore trop sage. Ils durciront le ton avec Street Fighting Man et Sympathy for the Devil, entamant leur période la plus fertile... Brian Jones se révèle ici un multi-instrumentiste arrangeur de génie, intégrant toutes les trouvailles du free jazz, de la musique psychédélique et des formules répétitives qui allaient influencer des groupes comme Soft Machine. Les recherches de timbres pullulent, en particulier sur les voix, le mixage dramatique, au sens où on l'entend à la radio pour les émissions de création.
Sur la pochette est collée une photo en relief des Stones. Des volutes de fumée sur fond bleu font office de papier peint, fond rouge pour la pochette intérieure où l'on glisse le vinyle. Tapisserie au verso et, à l'ouverture, collage réalisé avec le photographe Michael Cooper qui a conçu tout le packaging. Je comprends les fans du vinyle. Une chaleur se dégage de l'objet. Je regarde tourner la galette, l'aiguille passe sur le sillon, c'est mesuré, cadré par le bras qui se lève en fin de face. Juste le temps qu'il faut. Se lever pour retourner le disque. Un peu plus tôt, j'admirais la pochette que Warhol avait faite pour l'Academy in Peril de John Cale...


Je me retrouve dans les longues improvisations de Sing This All Together et de sa longue reprise en fin de face A, (See What Happens), où John Lennon et Paul McCartney prêtent leurs voix et jouent des percussions. Depuis le réveil en 1975 (Birgé Gorgé Shiroc, Défense de, GRRR 1001, réédition cd+dvd MIO 026-027) jusqu'à mon récent concert avec Somnambules, je me reconnais dans ces tourneries qui évoluent sans cesse, couches successives inattendues, travail sur la multiplicité de timbres inouïs (réclamés à l'origine par Jagger pour rivaliser avec les Beatles !). Que je joue de mes synthés, de la flûte, des cuivres, des claviers ou de petites percussions, je comprends soudain à quel point ce disque me marqua. J'avais quinze ans, l'âge du passage à l'acte.
Le son du piano d'Hopkins ou les cordes de John Paul Jones sur She's a Rainbow me frappent si je les compare aux orchestrations que nous imaginons avec Bernard. Tout à coup ça dérape. Les cordes grincent. Un truc inimaginable aujourd'hui, sauf peut-être encore chez quelques Radiohead ou Amon Tobin, et chez tous les chercheurs marginaux style Zorn ou Vigroux qui continuent à ramer en avant-garde de plus aucun mouvement ! Reprise des délires hallucinogènes avec Gomper, tablas, flûte, sitar, fouet des rameaux de baguettes, boucles des guitares, harmonica déjanté, origines indiscernables, je retrouve encore ce que j'ai cherché à reproduire malgré moi. Le pompon va à 2000 Light Years from Home que j'ai revu live un jour à la télé en 89, fabuleux, et j'avais oublié le synthétiseur de Bill Wyman (Lire la suite). Tout l'album est truffé de fugitives petites phrases parlées, de filtrages sur les voix, d'instruments étranges qui flirtent quelques secondes avec l'orchestre. Ici et là, je reconnais mon instrumentarium plus que sur aucun autre enregistrement, sauf peut-être certains vieux Art Ensemble of Chicago. Le dernier morceau du disque me rappelle celui d'Absolutely Free des Mothers, fin de soirée éthylique, ici On with the Show, chez Zappa America Drinks & Goes Home dont je fis la bande-son de mon second court-métrage (Idhec 72, un nouveau scandale financier).
Brian Jones ?!, vous avez dit Brian Jones ?

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lundi 14 mai 2007

Lors Jouin joue le barde


On continue dans la détente. Et on s'amuse, et on rigole... " Rikita rozenn gaer a Java, Deus da zansal ha deus da voucha, Da vouezh zo flour pa ganez da sonenn, Da zaoulagad evel diou steredenn... " Ainsi commence le refrain de Rikita (jolie fleur de Java) en version bretonne par le barde Lors Jouin dans l'album fraîchement paru chez Keltia Musique, Chansons de la Bretagne éternelle d'hier et de toujours pour maintenant par rapport à demain (cd + dvd de 26 minutes !). C'est sans aucun doute le disque le plus ringard de l'année, le plus kitsch et le plus authentique. Les Bretons s'y reconnaîtront sans mal, à en pisser dans leurs braies. Les autres auront peut-être besoin de quelque explication pour savoir si c'est de l'andouillette ou du cochon. Les deux certainement.
Lors Jouin joue le jeu sans aucun compromis en collectant ces chansons qui marquent l'histoire de la Bretagne, mais en les interprétant avec la plus grande honnêteté, collant à une réalité souvent complexe, quitte à prendre tous les accents du terroir, à chanter volontairement faux ou désynchronisé pour les clips vidéo, avec un orchestre de synthés et un remarquable accordéoniste. Plus vrai que nature !

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jeudi 10 mai 2007

Bretonnant


Mathilde et Pascale ont poussé les meubles pour danser la gavotte sur le cd de l'Acoustic Quartet de Jacky Molard. C'est Elsa qui m'a fait découvrir ce très bel album du violoniste en compagnie de la contebassiste Hélène Labarrière, du saxophoniste Yannick Jory et de l'accordéoniste Janick Martin, paru chez innacor (l'autre distribution). Il doit exister dans mes archives quelques photos où Jacky et Hélène improvisaient avec Hervé à la guitare et Michèle à l'accordéon tandis qu'Elsa se tordait dans tous les sens sur son trapèze. Elle retrouve dans les rythmes balkaniques cette puissance du groupe, l'ivresse de la fête, la sueur bien portante des pas partagés, mais aussi le blues tzigane qui flanque des frissons tout le long de la colonne vertébrale. La bande à Molard slalome chez ses cousins, ignorant les frontières, assumant leur culture, agrémentant leurs ritournelles d'improvisations jazz, de compositions savantes avec une grande vivacité.
J'ai toujours préféré la musique bretonne au panceltisme world qui écrabouille les racines pour en faire une tisane qui soigne tout, qui soigne rien. Je suis un grand admirateur du Nusrath breton qu'est Lors Jouin et des spirituels Ours du Scorff dont il est l'un des piliers avec Gigi Bourdin. Je fonds devant les pulsions ancestrales que développent les bagadoù, ces orchestres créés à la fin de la seconde guerre mondiale, composés de nombreux sonneurs (bombardes et cornemuses) accompagnés par la batterie bretonne dont les caisses claires cinglantes claquent comme si l'on battait un jeu de cartes en bois tranchantes. Sur scène, Lors alternait aussi des gwerzioù, ballades tragiques qu'il avait collectées dans toute la Bretagne, et des commentaires explicatifs en français à pisser de rire. J'attends donc avec impatience le cd que "le barde" a récemment sorti avec l'accordéoniste Robert Kervran et le dvd qui recèle certainement des trésors !

mercredi 9 mai 2007

Tribal


Volta, le nouvel album de Björk, sort en version "luxe" pour 2 euros de plus que la version classique. L'emballage est soigné, original, un peu attrape-couillon tout de même comme tous les "produits dérivés" qu'elle propose avec beaucoup d'astuce et de malice, mais ils n'apportent pas grand chose hormis le fétichisme de rigueur. C'est méticuleusement packagé et marketisé en fonction de l'engouement que la chanteuse islandaise provoque sur ses fans, prêts à acheter la moindre variation qui paraît régulièrement. À ce titre, le site français vous donnera plus d'informations que vous ne pourrez en ingurgiter. Tout semble avoir été si bien pensé que l'ensemble finit par produire un effet Ikéa un peu nauséeux à force d'avoir été mâché et remâché pour la clientèle hip que nous formons. On y trouve donc son bonheur, textes, paroles, commentaires, photographies, clips vidéo, dates de concert et tutti quanti. Sous sa pochette gigogne, aux couleurs flashy des peintures de guerre que Björk arbore en maquillage, cette édition "limitée" contient 2 disques. Le premier est un CD, le second un DVD. Ce dernier est en réalité la version 5.1 de l'album, une image statique illustrant chaque morceau, un point c'est tout. Par contre, la spatialisation de la musique, comme pour le précédent Medulla, donne tout son sens au travail de studio encore une fois magnifiquement réalisé, les sons électroniques et les voix se prêtant superbement au ping-pong acoustique qu'offre le 5.1.
Le seul bonus est ici, clip réalisé par Michel Ocelot, le réalisateur de Kirikou, mais pas de quoi se relever la nuit et se mettre à danser sous la lune :



Si vous préférez la version live avec musiciens, voici à nouveau l'index 1, Earth Intruders, avec les chanteuses cornistes, les claviers de Timbaland et Nate Dangerhands, le batteur Chris Corsano...



Après deux albums intimistes ou expérimentaux, Björk sort un album dance plutôt tripal, voire tribal, un truc surtout "pas cérébral" qui donne envie de bouger ses jambes tous ensemble, comme un seul homme. Bernard disait que ceux qui aiment le rock aujourd'hui auraient adoré la musique militaire au XIXe siècle. Il est certain que les rythmes ternaires du jazz se prêtent moins à la marche des conquérants et au pas de l'oie. À première écoute, domine donc une impression brutale, à l'emporte-pièces, martiale, mâtinée des sempiternelles ballades accompagnées des cordes pincées de la pipa ou de la kora et des sons cristallins des claviers. Les rythmiques lourdes et les cuivres héroïques flirtent avec Star Wars ou Le Seigneur des Anneaux, ce qui ne me ravit guère à une époque où les clans sont devenus le modèle de la classe politique comme celui des quartiers. L'ambiguïté du propos finit par me rappeler le formalisme faux derche de son époux, le plasticien Matthew Barney. J'avoue n'avoir jamais bien saisi le sens des paroles de ses chansons, sorte de paganisme pro-nature qui contraste avec l'aspect technoïde de sa musique, syntaxe qui noie habilement le poisson pour laisser à la musique le soin de nous emporter loin des rivages de notre île. Car Björk a ce pouvoir magique de galvaniser les énergies, d'exciter nos émotions au delà de ce que nous nous sentions capables de vivre. Si elle nous a habitués à être surpris pas ses inventions vocales, il n'y en a cette fois nulle trace, elle se répète inlassablement sans qu'aucune mélodie ne se distingue non plus du lot. On finit par se lasser de ses éruptions volcaniques qui crachent les phonèmes comme si c'était des coups de butoir. À s'autopasticher les geysers les plus étonnants s'épuisent. Les orchestrations de cuivres avec les cors sonnant comme des trompes africaines, les bruits de la nature échantillonnés, les percussions et les sons électroniques qui zèbrent l'espace du 5.1 donnent pourtant une ambiance intéressante à cette pile électrique. Si l'on aime Björk, on sera tout de même content, mais c'est loin d'être le chef d'œuvre que fut par exemple Homogenic.

mardi 8 mai 2007

Young Mrs Lincoln


À 77 ans, Abbey Lincoln sort un disque intemporel dont la couleur est presque plus pop que jazz, incroyablement émouvant, simple comme bonjour, évident.
Peut-être est-ce le choix de l'accordéon, Gil Goldstein, et du violoncelle, Dave Eggar, qui se joignent au trio guitare, basse, batterie formé par Larry Campbell, Scott Colley et Shawn Elton, ou justement la personnalité du polyinstrumentiste Campbell, compagnon de Bob Dylan, qui donnent, à l'album cette tonalité folk à la grande voix noire d'Abbey Lincoln ? Abbey, de son vrai nom Anna Maria Woolridge, doit probablement son pseudonyme au seizième président des États Unis. La dame porte d'ailleurs des chapeaux qui rappellent souvent le haut de forme de l'abolitionniste assassiné en 1865. Je l'avais découverte dans la discothèque de Jean-André sur l'incontournable brûlot historique We insist ! (Freedom Now Suite) de Max Roach, son compagnon d'alors, paroles d'Oscar Brown Jr, aux côtés de Coleman Hawkins et Booker Little, et sur le tout aussi sublime Straight Ahead enregistré sous son nom l'année suivante, en 1961, avec les mêmes plus Mal Waldron et Eric Dolphy...
Les chansons sèment le frisson et réchauffent le cœur, toujours porteuses du même engagement, de la ferveur des revendications partagées avec ses frères et sœurs de misère, solidarité avec les femmes battues, affirmation de soi en tant que femme. Abbey sings Abbey est le premier disque qu'elle signe en tant que compositrice et auteur en plus de l'interpréter. Bluesy, ses chansons épurées, servies par un accompagnement discret et élégant, ont des accents country, cajun ou sud-américains, car les sentiments et les émotions sont les mêmes pour toutes les femmes, et pour les hommes qui les écoutent, où que nos latitudes et nos longitudes se croisent, dans l'abandon de la musique toujours plus nécessaire à supporter le poids de la vie et du combat qu'elle réclame. Il y a de la revendication dans l'air.
Sortie officielle le 21 mai chez Verve (Universal).

jeudi 3 mai 2007

Pas de billet, aujourd'hui ça se passe en live !


Jeu de piste. La réponse est ICI. C'est ce soir au Triton (Métro Mairie des Lilas). Nicolas Clauss et moi-même invitons Étienne Brunet et Éric Échampard. En ouverture à 21 heures pétantes, un atelier jazz d'élèves de trois conservatoires. Ensuite les images explosent sur l'écran, la musique à la fois rythmique et lyrique se jouent des bruits et des énigmes des peintures en mouvement. Une occasion exceptionnelle ne nous voir et nous entendre en vrai, loin du virtuel de la Toile. À ce soir !