J'enregistre en laboratoire avec Franck Vigroux. Comme le Studio GRRR est déjà conçu pour que je puisse instantanément réaliser tout ce qui me passe par la tête, le premier jour Franck commence par installer son matériel. À chaque projet, il cherche une nouvelle configuration pour ses instruments, ici essentiellement une platine tourne-disques et des petites machines électroniques le plus analogique possible. Il les branche ensemble comme j'avais l'habitude de connecter les modules de l'ARP2600 acquis en 1973, l'année de sa naissance ! Il échantillonne les précieux 45 tours que j'ai descendus de ma discothèque, les filtre, les distord, pour fabriquer une pâte qui devrait constituer l'orchestre improbable de ses rêves.
Ces jours-ci, je fais des cauchemars gore et je ne sais pas pourquoi. Dans la journée je suis serein, intéressé d'apprendre comment un musicien que j'apprécie s'approche des mêmes objectifs avec des outils actuels. Il retrouve à sa manière ce que Bernard fabriquait en manipulant des bandes magnétiques ou ce que je compose avec mes machines, synthés, échantillonneurs, et surtout en traitant des objets acoustiques par l'entremise de mon bardas digital, la plupart du temps en temps réel, j'insiste. Mon système me permet de réduire le temps de latence entre l'idée et l'acte. Je suis extrêmement attaché au geste instrumental, particulièrement lorsqu'autant de machines sont mises à contribution. À nos trois générations séparées chacune de vingt ans correspondent trois méthodes pour arriver à des résultats très proches, la recherche d'une pâte dramatique qui, remodelée, composera sa propre histoire, que j'espère suffisamment ouverte pour que l'auditeur puisse se l'approprier.
En fin de journée, nous avons hier rendu visite à Igor Juget, de la revue Sextant, qui a réalisé l'authoring du nouveau dvd de Franck. Igor nous pose la question du montage qui est déterminante. Qui s'y colle ? Mon camarade s'imagine mal abandonnant la phase 2 de nos compositions ! Je le comprends trop bien et lui confirme ma confiance. La confiance est l'élément essentiel de ma démarche de créateur. Je pourrais toujours lui exprimer mon opinion, mes critiques, tant qu'elles seront constructives, et réciproquement. Je ne me vois pas interdire telle ou telle manipe, car c'est de la liberté de création dont il est question, d'autant que notre investissement est partagé. À l'issue de nos quatre jours de jeu et de bidouillage, je ferai une copie de tous nos enregistrements pour que Franck les emporte dans sa Lozère et continue le travail de son côté. Du mien, je réfléchirai à comment les utiliser également. Le projet prend enfin tout son sens. Nous nous retrouverons probablement pour de nouvelles séances. Il est passionnant d'imaginer comment deux compositeurs travailleront à partir du même matériau, confrontant le résultat dans une forme de production qui reste à définir.