70 Musique - août 2007 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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samedi 25 août 2007

Deezer, nouvelle carotte de la gratuité


La gratuité est avancée aujourd'hui comme jadis les prix avantageux de la Fnac. On avait déserté les petits disquaires, plus chers, qui ont fini par fermer boutique. La Fnac, devenue quasi monopoliste, a ensuite restreint l'offre pour ne plus proposer que ce qui se vend facilement. Cette semaine encore, un vendeur de la Fnac Nîmes nous confirmait que l'enseigne dite culturelle ne travaillait plus avec les distributeurs indépendants !
Les sociétés d'auteurs, qui ont déjà pensé défendre les artistes par une loi impossible à appliquer et par la répression, ont-elles envisagé que le pacte avec Deezer pouvait cacher à terme un étranglement terrible de toute la création ? Quelles garanties ont-elles reçues ? Si la publicité alimente la libre circulation des œuvres sur Deezer ou YouTube, les annonceurs ne seront-ils pas en position de faire pression et de prendre la direction des opérations ? Souhaitons-nous que les œuvres soient transformées en support de pub ?
La gratuité ressemble bigrement à une carotte géante dans une époque où toute denrée vitale a une fâcheuse tendance à l'augmentation. Est-ce une manière de décrédibiliser les derniers acteurs de la critique sociale, empêcheurs de tourner en rond, rêveurs d'un autre monde possible ? En attendant de savoir de quoi sera fait demain, profitez de la libre circulation des œuvres, mais n'oubliez jamais qu'il n'est pas dans les usages du Capital de faire des cadeaux... Et qu'il saura réclamer son dû en temps et en heure !

Le rouleau compresseur du mp3 est à l'œuvre ce que la carte postale est au tableau, la télé au grand écran, la poupée gonflable à toi mon amour, etc. Les leurres fleurissent par milliers, plantes en plastoc qui poussent sans eau, et sans odeur...
C'était jusqu'ici le discours de l'amateur de musique éclairé... Un nouveau pas vient d'être franchi, la gratuité, légale ! Le site français deezer.com signe avec la Sacem et Sesam un accord de rétribution des auteurs indexée sur les revenus de la publicité sur le site. Deezer.com, disponible en 16 langues, créé après la fermeture de Blogmuzik.net en février dernier, propose déjà 250 000 titres à l'écoute. Il ne s'agit pas de téléchargement. Un lien redirige vers l'achat en ligne sur iTunes. Mais la nouvelle est de taille : l'écoute est gratuite, illimitée, légale et accessible via votre navigateur Internet. On peut créer ses propres listes d'écoute, partager les morceaux avec ses potes et même enrichir la base de données avec ses musiques en mp3, que l'on en soit ou non l'auteur !
La promotion des titres par leurs producteurs fera la loi plus que jamais. Le facing, la vitrine, fera la différence entre les blockbusters et le reste, musiques alternatives et bibliothèque babylonienne de toutes les pratiques "amateurs" confondues. Le Net enterrera-t-il les indépendants ou leur fournira-t-il un espace de résistance, à l'instar de MySpace dont les pages se vêtent de plus en plus d'annonces publicitaires ? C'est la grande question, l'enjeu vital pour tous les artistes qui ne rentrent pas dans le moule du formatage et de la culture Kleenex...
Il est pourtant à craindre qu'Internet, entrant dans une nouvelle phase, de services et de commerce, ne laisse que peu de place aux indépendants qui refusent de se conformer aux canons du moment. Lorsque les consommateurs auront tous adhéré aux nouvelles pratiques, il n'y aura plus qu'à les rendre payantes pour verrouiller le dispositif.

vendredi 17 août 2007

Velours et miroir brisé


Les rééditions pullulent à des prix cassés et enrichis de nombreux morceaux inédits. Je viens ainsi de recevoir Joy of A Toy de Kevin Ayers paru initialement en 1969 et the Mirror Man sessions de Captain Beefheart sorti deux ans plus tôt, dans des registres évidemment très différents.
Joy of A Toy est le premier album de Kevin Ayers après son départ de Soft Machine. Robert Wyatt est d'ailleurs à la batterie et les deux autres compagnons, Hugh Hopper et Mike Ratledge, sont de la partie, et non des moindres. Le compositeur contemporain David Bedford a réalisé les arrangements et joue du piano. Les bonus accueillent Soon soon soon avec The Ladybirds, deux versions de The Lady Rachel, trois de Religious Experience (Singing A song in the Morning), dont une avec le guitariste-fondateur de Pink Floyd, le regretté Syd Barrett... Quelques mois plus tard, je me retrouvais à la Roundhouse de Londres aux manettes du light-show de Krishna Lights éclaboussant d'effets cinétiques l'orchestre d'Ayers. Y participaient Lol Coxhill qui tiendra plus tard le sax soprano sur la musique que nous composâmes pour le CD-Rom Au cirque avec Seurat, le guitariste Mike Oldfield auteur de la scie Tubular Bells et Bedford. Je n'arrive pas à me souvenir qui étaient les autres. La voix chaude et tendre du bassiste me fait retomber en enfance.
Celle de Beefheart me réveille heureusement. the Mirror Man sessions ont été remasterisés et augmentées de cinq prises originales de Trust Us, Safe as Milk, Beatle Bones N' Smokin' Stones, Moody Liz et Gimme Dat Harp Boy. Il n'est pas toujours facile de savoir qui joue tant les musiciens du Magic Band ont de pseudonymes. En faisant des recoupements, je comprends que le guitariste Jeff Cotton est Antennae Jimmy Simmons, John French est Drumbo (Drumbo 1, car Art Tripp sera Drumbo 2). Les autres sont Alex St Clair Snouffer à la guitare et Jerry Handley à la basse. La pochette originale avait un rabat, forme découpée en miroir brisé qui s'ouvrait sur une photo du groupe. À l'époque, nous nous réunissions dans ma chambre pour écouter de la musique et fumer des joints ; lorsque personne ne savait quoi mettre, j'avais l'habitude de proposer insidieusement "un petit Beefheart ?". Un des copains avait illico l'idée d'un autre disque ! Je me barbouillais de Beefheart plus souvent seul qu'en communauté...

dimanche 5 août 2007

Les originaux, funky !


Quatre disques acquis pour une bouchée de donut, dans les 10 ou 12 euros pièce, remplissent mon week-end dans les moments volés au traitement de fichiers sonores au fond du studio. Trois cents hier samedi, même punition prévue pour aujourd'hui, mais j'ai commencé jeudi par les plus ennuyeux, les séries de chifffres, degrés d'abord, les heures ensuite. Je sors au soleil, j'ouvre grand les fenêtres, me laissant envahir par la sensualité nerveuse de Betty Davis ou les élucubrations de Sly and the Family Stone.
Je connaissais les disques de la panthère noire du temps où j'habitais rue du Château à Boulogne-Billancourt, mais je ne m'attendais pas à trouver tant d'invention chez Sly. L'un et l'autre ont défriché le terrain à toute une ribambelle de musiciens noirs et fiers de l'être. Sly influence Marvin Gaye, Stevie Wonder, Prince et toute la new soul. Dans certains cas, cela frise même le vol... Lorsque j'étais ado, le rhythm 'n blues était beaucoup trop classique à mon goût, trop religieux. Je guettais la révolte là où mes potes cherchaient à emballer les filles sur fond d'Otis ou d'Aretha. J'étais passé à côté de Sly and the Family Stone, m'étant cantonné aux tubes Don't call me Nigger, Whitey et I want to take you higher... Je découvre émerveillé deux disques réédités, les psychédéliques Stand! et There's a riot goin' on. Swing d'enfer, recherche de timbres inouïs, mélange de pop West Coast et de funk acide, papier de verre velouté, festival vocal, kaléidoscope multiracial. À la même époque, Love mêlait la voix d'Arthur Lee aux trompettes mexicaines et aux cordes symphoniques. Ike et Tina dépotaient salement. Les guitares électriques étaient sorties du bois, déchirant définitivement les usages.
Bombe sexy indépendante, Betty Davis provoque à mort. Cela n'a pas dû plaire aux machos de service, à commencer par son brutal, mais néanmoins génial, mari prénommé Miles. C'est elle qui lui fait connaître Hendrix. Suivra bientôt Bitches Brew. L'électricité ! Leur liaison n'aura qu'un temps. Betty Davis écrit elle-même ses textes et sa musique, elle compose ses arrangements. On ne sait rien de ce qu'elle est devenue ensuite. Écœurée par le business, elle a rangé son cri pour toujours et refuse de répondre aux interviews. Là encore le petit Prince a laissé traîner ses oreilles (af)futées.
Livrets très épais pour les deux Bette Davis de 1973-74 (lightintheattic.net). Bonus en prime aussi avec les deux Sly de 1969-71 (Epic).
Des disques pour l'été qui semble enfin décidé à se montrer. Il faut l'accompagner !