70 Musique - novembre 2007 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 26 novembre 2007

Le carnaval des animaux


Tandis que j'évoquais un film emblématique de LA question des rapports entre musique et image, à savoir Slon Tango de Chris Marker, sublime court-métrage faisant partie des six bonus du dvd Chats perchés (Arte), Sacha Gattino me parle d'un disque de gamelan thaï interprété par des éléphants. Ça trompe énormément : si Marker a tourné un plan séquence d'un éléphant au zoo de Ljubjana qui danse magiquement sur le Tango d'Igor Stravinsky, David Soldier a produit les deux disques d'un orchestre d'éléphants tout à fait surprenants. Soldier est le fondateur du Soldier String Quartet dont faisaient partie Laura Seaton et Mary Wooten avec qui le Drame enregistra en 1992 Urgent Meeting 531 !
Le site Psyche Van Het Folk présente également des musiques réalisées avec des pierres, de la glace, des plantes, des insectes, toutes sortes d'animaux, mais aussi des harpes éoliennes, un Theremin, de l'ADN, des feuilles d'arbres et une floppée d'instruments extraordinaires inventés par des luthiers souvent plus sculpteurs que compositeurs. C'est rempli d'informations ras la trompe, de liens et de lianes, et l'on peut écouter quelques extraits. On pourra encore acquérir les deux albums de l'orchestre des éléphants sur l'excellent site de Mulatta Records, ainsi que pas mal d'autres dingueries inimaginables. Comme avec le film de Marker, la première réaction est le rire, vite suivi par de fondamentales interrogations aussi métaphysiques qu'artistiques.
Ainsi, de ce soir lundi à mercredi à 19h sur Arte, le réalisateur Stéphane Quinson et le journaliste scientifique Antonio Fischetti proposent la mini-série La Symphonie animale (3x43 minutes) abordant la communication sonore chez les animaux, humanité exclue s'entend (aucun pianiste cher à M. Saint-Saëns en vue, je l'espère) ! Le premier volet est centré autour du son comme moyen d'attaque et de défense, le second traite de leurs bruyantes relations sexuelles et le troisième tourne autour de la transmission dans la famille et de l'apprentissage... Je n'ai rien vu, mais je compte bien les enregistrer sur le disque dur de mon graveur, bien entendu.
Tout à l'heure, à 20h30, je dois filer à l'Ermitage dans le XXème au concert du trio formé par Tony Hymas (tiens, un pianiste quand même !), Bruno Chevillon et JT Bates, de drôles d'oiseaux...

mercredi 21 novembre 2007

Premiers pas à la TV de John Cage et Frank Zappa


La tentation est trop forte. Sur Poptronics, le site des cultures électroniques, Jean-Philippe Renoult révèle un document audiovisuel de YouTube absolument renversant. En janvier 1960, John Cage participe à "I've got a secret", une émission populaire de la chaîne CBS avec une pièce pour tuyau en fer, appeaux, bouteille de vin, mixeur électrique, sifflet, boîte de conserve, glaçons, cymbales, poisson mécanique, canard en caoutchouc, magnétophone, vase de roses, siphon d'eau de Selz, radios, baignoire et piano. Les syndicats lui interdisant d'allumer ses cinq radios pour protéger les droits d'auteur (l'absurdité des lois ne date pas d'aujourd'hui !), le compositeur simule leur mise en route en tapant dessus et l'extinction en les fichant par terre ! "Water Walk" précède ainsi les performances des improvisateurs de la nouvelle musique, les tut tut pouët pouët des savoureuses années 70. L'habile provocation, musicalement réussie, rappelle inévitablement une autre première de télévision, celle de Frank Zappa au Steve Allen Show en 1963 aux prises avec deux bicyclettes et... un orchestre !


Sans ne rien connaître à la musique, et ignorant encore Cage et Zappa, je ferai mes premières armes deux ans plus tard avec "En Panne", une pièce pour ondes courtes, voix et pompe à vélo (coïncidence amusante envers celui qui deviendra mon premier mentor !), que vous pourrez bientôt entendre dans le Pop'Lab que Poptronics m'a commandé avant l'été. En 1975, Joséphine Markovits comparera le travail du quartet, Birgé-Gorgé-Rollet-Shiroc avec l'Art Ensemble of Chicago, probablement à cause des deux cents instruments aussi divers que variés qui m'entouraient. J'ai toujours collectionné tout ce qui peut produire du son. Mon grenier est plein de casseroles, bouts de verre ciselés, trompes en PVC, etc. qu'il est plus juste d'appeler boîte à outils que collection.
Directement ou indirectement, John Cage n'aura pas seulement marqué les musiciens, mais tous les artistes qui se sont interrogés sur le sens de la musique et de l'art en général. Son influence semble encore plus déterminante que celle de Marcel Duchamp qui l'avait lui-même inspiré. Il a donné à l'aléatoire ses notes de noblesse comme s'il avait suivi le synchronisme accidentel de Cocteau.
J'ai raconté ici ma rencontre avec John Cage en 1979. Le film tourné en 1983 par Emmanuelle K sur Un Drame Musical Instantané que j'évoquais à ce propos sera projeté le 1er décembre prochain à 17h30 à Montreuil au même programme qu'Archie Shepp au Panafrican Festival filmé par Théo Robichet et le Don Cherry de Jean-Noël Delamarre, Natalie Perrey, Philippe Gras, Horace Dimayot, dans le cadre d'un passionnant festival de free jazz. Du 30 novembre au 2 décembre en effet, ces iconophonies constructives présenteront, outre des films rares comme New York Eye and Ear Control de Michael Snow et une floppée de merveilles, des concerts avec François Tusques, Alan Silva, Bobby Few, Bernard Vitet, Denis Colin, Noel McGhie... L'entrée à tout le festival est gratuite. Quant à ma rencontre avec Frank Zappa, elle fut publiée en 2004 par Jazz magazine. Les autres musiciens et cinéastes sont de la famille.

jeudi 15 novembre 2007

Velkom Plèchti !


Velkom Plèchti !, le nouveau cd de La Caravane Passe sort le 23 novembre, accompagné d'un dvd rendant parfaitement l'ambiance survoltée du Vrai-Faux Mariage. Réalisé par Elsa Dahmani, il mêle le spectacle joué en public avec des scènes tournées dans le village imaginaire de Plèchti.
La transe balkanique du quintet injecte une bonne dose d'adrénaline dans notre organisme tandis que les chansons en yaourt (le livret abrite un copieux lexique) ajoutent l'humour festif, cocktail tzigano-klezmer qui fait suer sang et eau aux 1300 enragés qui se ruent chaque mois au Cabaret Sauvage. Si au début du spectacle les garçons sont séparés des filles par une corde qui coupe la salle en deux, on raconte que maints couples s'y sont formés. N'est-ce pas la fonction du mariage que de faire des petits ? Le disque devrait cartonner à Noël avec son tube Salade Tomate Oignon (qu'est-ce tu mets dans ton kebab ?), mais les autres morceaux menés par le chanteur Toma Feterman, également banjoiste et trompettiste, sont aussi assaisonnés comme il se doit, purée d'ail et piment rouge. Les quatre autres piliers de l'orchestre sont Olivier "Llugs" Llugany au trombone et au fiscorn (un saxhorn qui se joue dans les sardanes catalanes), le saxophoniste Cyril "Zinzin" Moret, le contrebassiste Ben Body et le batteur Pat Gigon. Au gré des morceaux, les rejoignent le violoniste du Freylekh Trio, Jacques Gandard, le cymbalum Fabian Andreescu, l'accordéoniste Jaško Ramić, et des cuivres en veux-tu en voilà... On en ressort épuisés d'avoir tant dansé ou sauté sur place.
Le Vrai-Faux Film du Vrai-Faux Mariage de La Caravane Passe permet de souffler un peu, cinquante deux minutes où l'on retrouve La Clique de Plèchti : le marié Sacha (Yann-Yvon Pennec) et la mariée Mona (interprétée par le comédien Môh Aroussi), la danseuse Isabelle Paez, le magicien Éric Antoine, la chanteuse Erika Serre et ma petite Elsa devenue grande sur son trapèze où elle se contorsionne au son de Echo Echo, dans le rôle d'Elza Amsterdam. Elsa Dahmani (ça fait beaucoup d'Elsa) a bien attrapé la fièvre du spectacle, kitsch, bordélique et coloré. Le reste du dvd (Tzig'Art/L'Autre Distribution) offre une visite des coulisses amusante, le clip du tube de ketchup et quelques morceaux en public. Nous voilà rassasiés. La Caravane et la Clique de Plèchti sont toujours aussi généreuses.

jeudi 1 novembre 2007

(se) déranger


Lorsque nous avions vingt ans, nous étions en colère. Peu de choses trouvaient grâce à nos yeux sur cette terre. Nous avons visité d'autres planètes, nous avons agité nos bras, nous avons hurlé. Nous avons organisé des mots, des images et des sons pour voir ou entendre ce dont nous rêvions. ''Une mouche se pose sur une page... Les mots sont des actions... Mais qui jouera le rôle de la mouche ?" (écriture aléatoire et improvisation avec Francis, 1972). Il faut absolument que je relise mes carnets de l'époque, remplis à ras bord de dessins, de poèmes, des traces de tous les amis, des premières amours.
Pendant les vingt ans qui suivirent, nous avons eu la sensation de faire partie de l'avant-garde, nous pensions que l'histoire nous donnerait raison. Le concept était gratifiant, le public et la presse appréciaient nos inventions de laboratoire, les risques que nous prenions en scène, notre engagement de tous les instants. Mais le gros de la troupe n'a pas suivi, nous avons foncé au casse-pipe. Nous nous sommes tous isolés. Les spectateurs ont vieilli en même temps que nous. Ils sont devenus paresseux. Nous aussi. Rien de plus pitoyable que les vieux fans de hard rock, de Magma ou de Johnny, restés coincés sur une époque, celle de leur jeunesse. Toutes les époques recèlent des joyaux et ils appartiennent à tous les genres sans aucune exception. Le public idéal n'a pas d'âge, il va des ados jusqu'aux ancêtres, comme lorsque l'on joue en Bretagne. Quand nous avons constaté que la musique improvisée allait perdre son audience, que nous nous étions enfermés dans une tour d'ivoire qui ne pouvait qu'abriter les mêmes mouvements avec, en plus, seulement du bide et des rides, nous avons décidé de faire un pas vers le public, nous avons cherché à plaire. Nos convictions intimes, nos compétences limitées, nos maladresses enviables ne nous permettront pourtant jamais de rentrer dans le moule, mais nous avons tout de même tenté de caresser l'auditeur dans le sens du poêlle, de réchauffer son cœur au radiateur de la mélodie, d'éclaircir nos propos. Nous avons appris à gérer nos connaissances au lieu de continuer à mettre en jeu ce que nous ne maîtrisions pas. C'est plus vrai pour moi que pour Bernard dont l'écriture continue d'explorer des territoires qui lui sont inconnus, même si ses nouveaux espaces d'intervention sont ceux généralement arpentés par le grand public. Il s'est mis à composer des quatuors, des valses, des chansons, des mouvements symphoniques, tandis que j'apprenais à jouer des démarquages de la musique "classique" et que j'appliquais mes théories au design sonore. Notre pari fut plutôt réussi, nous en avons croûté, parfois même abondamment, et nous avons continué à apprendre, ce qui est somme toute la partie la plus souriante de la vie. Aucun regret. Un temps pour tout. Il y a évidemment un "mais", réserve jetant une ombre sur mon enthousiasme. Si nous avons poursuivi notre entreprise de construction, nous avons souvent oublié de démolir. Plaire ou déranger ne participent pas de la même politique. Il arrive que le dérangement plaise, mais cela ne devrait pas nous influencer. Nous pourrions nous endormir. Tout ce qui sort le public de ses habitudes dérange, c'est souvent à cela que l'on reconnaît une œuvre.
Maintenant que je jouis d'une petite reconnaissance qui me permet de vivre de mes élucubrations, il est temps que je me réconcilie avec mes premiers émois, mes premières envies, et que je crée sans souci de la réception qui en sera faite. Les deux mouvements ne sont pas incompatibles. J'adore composer de la musique appliquée, mais j'ai toujours eu besoin de rêver plaies et bosses. Depuis dix ans, je ne produis presque plus d'œuvre musicale indépendante d'une commande. Je ne veux pas ajouter une pièce de plus au bruit ambiant. Ma créativité n'est pas en reste, elle s'exerce ailleurs, par les films, le multimédia (CD-Roms, Internet, les objets communicants...), l'écriture ou la photographie, et puis le regard, prendre de la distance, ne pas prendre ce que l'on nous sert pour argent comptant. Je disais que je recommencerai lorsque j'aurai trouvé une nouvelle musique, une idée qui vaille la peine que je m'y replonge corps et âme. Je tournais en rond, parce que je cherchais la réponse dans l'avenir, alors qu'elle était dans l'histoire, dans mon histoire. Il me fallait une révolution. Je vais donc tout refabriquer de A à Z, empoigner les instruments que je ne maîtrise pas, jouer de la voix, apprendre à réentendre parce que le monde ne sonne plus pareil ou qu'il existe d'autres univers. Avant tout, il faut revenir à la question du "pourquoi", la motivation première. Comme chaque fois que le problème est correctement posé, la solution est lumineuse, évidente. Le "comment" coule alors de source. Il ne reste plus qu'à travailler !