70 Musique - juillet 2008 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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samedi 26 juillet 2008

Démix de Marvin Gaye


Sur le FunWall de mon FaceBook, Marie m'envoie ce petit clip trouvé sur YouTube. Trois mots ésotériques pour qui n'est pas un aficionado du Net. Et de quatre ! Les "amis" de ce réseau de relations font suivre régulièrement ces petits films amusants ou militants. J'évite de me débarrasser vite fait de mes billets quotidiens en recopiant sans commentaire ces amuse-gueule qui circulent par mail ou par ce type de réseau. Avant-hier soir, je tombe ainsi sur Marvin Gaye chantant I Heard It Through The Grapevine dans une version a capella, probablement la piste voix isolée du mixage de ce clip télévisé. Les passages de silence font dépression en regard de l'intensité de la voix. Grâce à Fredo qui dirige l'excellent magazine Muziq où je rédige régulièrement une chronique des cd qui m'ont enthousiasmé, j'avais découvert ses albums What's Going On et Let's Get It On, respectivement de 1971 et 1973.
Adolescent, j'étais passé totalement à côté de la soul qu'écoutaient les dragueurs patentés, lui préférant les élucubrations hirsutes des Mothers of Invention, les avant-gardismes électro de White Noise, les planeries psychédéliques de Pink Floyd et les mélodies des Beatles. J'ai vogué ensuite de style en style, d'époque en culture, espérant toujours découvrir des vallées cachées où les trésors s'accumulent pour le plus grand bonheur des explorateurs. Muziq fait d'ailleurs souvent partie de mes révélateurs, mais pour les musiques actuelles je ne vois toujours rien d'autre que l'immersion indigène où je dois prendre des risques et payer de ma personne !

lundi 21 juillet 2008

La Bible de l'underground


Évoquée à la sortie de la réédition de l'album Défense de signé Birgé Gorgé Shiroc, la Nurse with Wound List intrigue nombre des amateurs de musique expérimentale. En 1979, le groupe anglais Nurse With Wound publie la liste des disques qui les ont influencés, jointe à leur premier disque, Chance Meeting on a Dissecting Table of a Sewing Machine and an Umbrella, et augmentée avec le suivant, To the Quiet Men from a Tiny Girl. Au fil des ans, la liste établie par Steve Stapleton, John Fothergill, et Heman Pathak devient la Bible des amateurs de musique expérimentale. Ainsi le vinyle Défense de, épuisé depuis sa sortie en 1975, acquiert le statut de disque culte et s'arrache à prix d'or sur le marché de l'occasion. Il sera réédité en 2004 par Mio Records sous la forme d'un cd (30 minutes de bonus tracks) et d'un dvd (6 heures inédites du trio + mon premier film, La nuit du phoque, sous-titré en anglais, japonais, hébreu, français !).
Thurston Moore (Sonic Youth) tannera Philippe Robert jusqu'à ce que celui-ci lui cède son exemplaire original. À sa sortie de scène à l'Olympia, la première question qu'il pose aux journalistes présents sera : "Est-ce que Un Drame Musical Instantané ça existe toujours ?" ! Thurston ira jusqu'à enregistrer un étonnant remix des 33 tours du Drame intitulé 7/11, toujours inédit. Le Drame fut fondé en 1976, deux ans après Défense de, avec Francis Gorgé et moi-même, plus le trompettiste Bernard Vitet. Trent Reznor (Nine Inch Nails) et bien d'autres musiciens atypiques n'ignorent rien de la liste.
En 1984, le label United Dairies de Steve Stapleton éditera In Fractured Silence, une compilation où figurent des inédits du Drame (Tunnel sous la Manche / Under the Channel, 12'), d'Hélène Sage, Sema et NWW.
Quant à la liste, elle existe sous différentes formes, divers amateurs l'ayant étayée, illustrée (pochettes des disques) ou annotée (Défense de y est signalé comme une influence majeure de NWW). Encore aujourd'hui nombreux collectionneurs tentent de réunir l'ensemble de la liste magique.

vendredi 18 juillet 2008

Daniel Caux, un défricheur s'éteint


Des pans de mémoires s'envolent. Les défricheurs ne font pas long feu. Après le compositeur Luc Ferrari, le patron de presse Jean-François Bizot, c'est au tour du journaliste et homme de radio Daniel Caux de nous laisser orphelins.
Je l'avais rencontré en 1970 aux mythiques Nuits de la Fondation Maeght, alors que je sillonnais les routes du sud de la France avec ma petite sœur. Je n'avais pas 18 ans, Agnès en avait 15. Ce petit monsieur gentil et passionné avait fait venir Albert Ayler et Sun Ra dont l'orchestre nous adopta. Il y avait là Yasmina (a black woman), les photographes Philippe Gras (tous deux disparus eux aussi) et Horace. La Monte Youg et Marian Zazeela jouaient un interminable raga qui envahissait doucement les jardins... L'année suivante, je lui devrai la découverte de Steve Reich dont les interprètes se nommaient Philip Glass, Jon Gibson, Arthur Murphy, Steve Chambers.
Daniel, qui écrivait dans la revue L'Art Vivant auquel je m'étais aussitôt abonné, jouait le rôle de directeur artistique pour le label Shandar dirigé par Chantal Darcy, galeriste à qui je rendais régulièrement visite rue Mazarine. Les premières syllabes de ses prénom et nom donnèrent leur titre au label et à la galerie d'art. On raconte que tout disparut, stock, masters, etc. avec l'inondation de leur cave... Ce malheur arriva une fois dans la nôtre, engloutissant les derniers exemplaires des vinyles Trop d'adrénaline nuit et Mehr Licht !.
Je continuai à croiser sa silhouette hors des sentiers battus, aux concerts de musique marginale, sur les ondes où il officia longtemps. Nous partagions avec Daniel le goût pour Terry Riley, Harry Partch, John Cage, la techno ou les musiques arabes. Je ne lui ai jamais dit à quel point je lui devais mes premiers pas dans le monde hors du monde.

lundi 14 juillet 2008

"Les maîtres fous" de la musique


Il y a trois ans la chanteuse Pascale Labbé avait sorti un disque inouï enregistré avec les patients de l'institution psychiatrique des Murs d'Aurelle (nûba, dist. Orkhêstra). Loin du cynisme ambiant, des querelles de chapelles, des effets de mode, Les lèvres nues montrait que musique et création ne sont pas qu'affaire de professionnels. La sincérité et l'authenticité des interventions vocales et sonores interrogent la société dans ses us et coutumes, par la transposition de ses conventions et de ses interdits qui canalisent universellement l'expression artistique des individus.
Benjamin Bouffioux a rassemblé à son tour 29 plages de musique en marge sous le titre Bôkan ! (Sub Rosa, dist. Orkhêstra). Tous les jeudis, il anime un atelier musical à La Porte Ouverte en Belgique, centre de rééducation psycho-social pour adolescents de 13 à 20 ans présentant des troubles épileptiques, des troubles mentaux graves, des troubles de la conduite et de la personnalité. Le résultat est renversant. Les jeunes à qui il a confié un micro, des percussions, une guitare, un piano ou un magnétophone se laissent aller sans préjugés et réinventent le son du monde qui les entoure. Ils le réfléchissent à leur manière, en en captant l'essentiel, dans sa beauté et ses tourments, dans son actualité et ses anachronismes. Là où Les lèvres nues pouvait se rapprocher de la sculpture, du théâtre musical et de l'improvisation, Bôkan ! découle directement des univers de la radio, de la télé et des rythmiques festives. Mais tous deux présentent des formes d'art brut musical, franchement revigorantes, qui devraient inspirer nos artistes officiels en mal de devenir.
Comme Les maîtres fous de Jean Rouch mettait en scène un rituel thérapeutique Hauka s'inspirant de la pression colonisatrice de l'occupant anglais au Niger, Bôkan ! brosse une critique acérée de notre environnement mondialiste, tant musical que psychologique, et nous renvoie aux origines de l'inspiration.

Article sur Les lèvres nues et entretien avec Pascale Labbé parus dans Jazz Magazine en 2005 en cliquant sur :

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vendredi 11 juillet 2008

Musique mécanique vivante


Pour ces drôles d'instruments mécaniques Jeff Lieberman et Dan Paluska se sont inspirés des recherches virtuelles en images de synthèse de Wayne Lytle (Pipe Dream, 2001). Au lancement de leur projet, les internautes pouvaient interagir en ligne. Il est possible que l'expérience se reproduise en 2009. Sur le site des Absolutmachines, on trouvera l'Absolut Quartet et l'Absolut Choir, accompagnés de nombreuses explications et vidéos. Le sponsor qui a toujours favorisé les œuvres s'appuyant sur les nouvelles technologies est on ne peut plus explicite, skoll ! L'Absolut Quartet était exposé à New York, l'Absolut Choir à Stockholm. Le Quartet comprend un marimba de 7 mètres de long frappé par 50 balles lancées par un robot à 2 mètres de distance, un glassharmonica (orgue de verre qu'on joue en en frottant les bords) pouvant jouer jusqu'à 40 notes simultanément et quelques percussions robotisées. Le quatrième protagoniste était l'internaute qui pouvait envoyer sa propre mélodie que la machine intégrait à la composition finale. De son côté, le Choeur rassemble 22 émetteurs vocaux de synthèse. Paluska et Lieberman appartiennent également au collectif d'artistes Collision, du MIT à Boston, qui explorent les nouvelles technologies.
Avec ce genre de machines comme pour n'importe quel instrument, le tout est de savoir si l'on peut suffisamment les pervertir pour se les approprier ou si les contraintes imaginées par les luthiers figent les résultats dans un style particulier. À vous de jouer !

P.S. : Frédéric Durieu et moi-même sommes en pourparlers avec une société susceptible de commercialiser notre machine virtuelle FluxTune, version professionnelle dérivée de notre Pâte à Son.

mercredi 9 juillet 2008

Une chambre en ville


En attendant l'édition dvd de l'intégrale Jacques Demy sur laquelle travaille amoureusement la famille Varda-Demy rue Daguerre, offrez-vous le double cd d'Une chambre en ville que Michel Colombier mit en musique en 1982. Si Les parapluies de Cherbourg, Les demoiselles de Rochefort et Peau d'âne sont adulés par tous les admirateurs de Demy et de "comédies" musicales, Une chambre en ville rencontra un succès critique, mais fut un échec populaire incompréhensible. Télérama s'en émut, mais rien n'y fit. Certaines sorties tombent à un mauvais moment, d'autres profitent à un film surestimé. Les succès d'Amélie Poulain ou des Chtis correspondent à une époque de grisaille où le public avait besoin de se changer les idées et d'oublier les tracas de la vie.


Le film de Demy est le plus explicitement politique de son œuvre. Le disque met en valeur ses dialogues comme toujours exceptionnels. Si la musique de Michel Colombier ne possède pas la richesse mélodique de Michel Legrand (par ailleurs plus aussi en verve pour Trois places pour le 26 ni sur le catastrophique Parking, mais quelle idée aussi de laisser chanter Francis Huster !), elle fonctionne dramatiquement à travers la suite de ses récitatifs. Au début du film, la charge des CRS contre les ouvriers des chantiers navals nantais est un morceau d'anthologie.
Dominique Sanda nue sous son manteau de fourrure, la violence de Michel Piccoli en marchand de télés impuissant au collier de barbe rouquin, la prestation extraordinaire de Danielle Darrieux en aristocrate déchue veuve de colonel, les ouvriers métallurgistes joués par Richard Berry et Jean-François Stévenin illuminent ce joyau méconnu ou mésestimé. Les images de Jean Penzer, les décors de Bernard Evein, les costumes de Rosalie Varda participent à la magie de l'œuvre. Le générique des voix est comme souvent absent du livret : Danielle Darrieux qui se double toujours elle-même dans les passages chantés (Mme Langlois), Fabienne Guyon (Violette), Florence Davis (Edith), Liliane Davis (Mme Pelletier), Marie-France Roussel (Mme Sforza), Jacques Revaux (François), Jean-Louis Rolland (Ménager), Georges Blaness (Edmond), Aldo Franck (Dambiel), Michel Colombier (arroseur), Jacques Demy (un ouvrier)...
L'INA permet de découvrir quelques extraits, des moments du tournage, l'enregistrement de la musique, grâce à un reportage passionnant de Gérard Follin et Dominique Rabourdin et à un court sujet de ''Cinéma Cinémas".


En me rendant sur le site de Michel Colombier, j'apprends que le compositeur s'éprit très jeune de jazz et d'improvisation. Si on le connaît pour avoir cosigné la musique de la Messe pour le temps présent avec Pierre Henry pour les ballets de Maurice Béjart, il écrivit énormément avec Serge Gainsbourg et collabora avec Charles Aznavour, Jean-Luc Ponty, Catherine Deneuve, Jeanne Moreau, Stéphane Grappelli. Il fut le directeur musical de Petula Clark (Wings est considéré comme la première symphonie pop) et travailla avec des artistes aussi variés que les Beach Boys, Supertramp, Quincy Jones, Roberta Flack, Barbra Streisand, Herbie Hancock, Earth Wind and Fire, Joni Mitchell, Jaco Pastorius, David Sanborn, Branford Marsalis, Bobby McFerrin, Prince, AIR, Mirwais, Madonna et le Quatuor Kronos.
Attention, ce double cd, commandé sur Screenarchives, est un tirage limité à 1200 copies édité par Kritzerland (extraits sonores).

dimanche 6 juillet 2008

Un goût amer


J'ai réussi à faire le point. Le Diable est apparu tel que Murnau l'avait imaginé. C'est à cette figure que je me référais hier en cherchant dans la glace l'ombre fixée par la chaleur.
Le Faust de F.W.Murnau est le seul film muet que je regrette de n'avoir pas mis en musique à l'époque d'Un Drame Musical Instantané, d'autant que nous en avions composé toute la partition. Tout était prêt, et la chose devait être diffusée en direct à la télévision dans le cadre du Ciné-club de Claude-Jean Philippe. Nous venions de créer L'homme à la caméra de Dziga Vertov avec le grand orchestre du Drame qui avait obtenu un grand succès au Théâtre Déjazet. Mais René Koering qui dirigeait alors France Musique et avait depuis longtemps notre projet sous le coude, la chaîne musicale devant en être partenaire par la retransmission simultanée de la musique, s'est débrouillé pour nous damer le pion. Sa version fut si catastrophique que Claude-Jean Philippe fut contraint d'abandonner le projet de programmer d'autres ciné-concerts en direct. Nous ne jouerons jamais notre Faust, la télévision ne validera pas le travail accompli depuis de longues années. Nos espoirs s'envolaient. Après avoir relancé la mode du ciné-concert dès 1976, avec plus de vingt films au répertoire, nous montâmes encore L'argent de Marcel L'Herbier qui marqua certainement l'apothéose de notre travail cinéphilique et nous voguâmes vers d'autres tropiques. Nous eûmes beau exorciser le malfaisant sous la forme d'un anagramme dans les dernières secondes de La Bourse et la vie, créé dans l'enceinte même de la Maison de la Radio par le Nouvel Orchestre Philharmonique, Faust nous laissa un goût amer. Le Diable s'était joué de nous.