70 Musique - mars 2009 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 26 mars 2009

L'ONJ s'ébroue "around Robert Wyatt"


Le premier album du nouvel Orchestre National de Jazz, dirigé artistiquement par Daniel Yvinec, sortira le 23 avril chez Bee Jazz. Ce n'est pas un disque de jazz, même si ici ou là certains chorus s'y réfèrent. C'est un recueil de chansons de l'auteur-compositeur-interprète pop anglais Robert Wyatt, autour des morceaux qu'il interpréta comme Shipbuilding, Del Mondo ou Te Recuerdo Amanda, de ceux de ses amis Peter Blegvad et John Greaves, et des siens.
La musique est délicate, avec des accents parfois un peu "trad" et des couleurs inattendues que le polyinstrumentisme des dix musiciens génère avec simplicité. Pas d'éclat, mais une musique tendre, toute en demi-teintes, tons pastels, faisant ressortir la beauté des voix convoquées à cette fête. Les arrangements de Vincent Artaud ont l'immense mérite de ne pas essayer de copier les originaux. C'est certainement l'hommage le plus réussi avec l'album italien The Different You. Comme tous les autres invités, Robert Wyatt a enregistré son chant sur lequel l'orchestre a ensuite joué en direct. Dans un précédent article, j'appelai cette technique le playforward en opposition au playback ! Si Wyatt entonne toujours aussi merveilleusement The Song, Kew Rhone, Vandalusia et Te Recuerdo Amanda, Rokia Traoré, Yaël Naïm et Arno, Daniel Darc, Camille et, à ma grande surprise, la comédienne Irène Jacob, peut-être la plus proche vocalement de la fragilité du maître farfadet, s'approprient élégamment Alifib, Just As You Are, O Caroline, Shipbuilding, Alliance, Del Mondo. Un instrumental d'Ève Risser au piano préparé joue agréablement le rôle d'entr'acte.
Encore un peu retenu, l'orchestre recèle des possibilités énormes que l'on découvrira sur scène le 23 mai pour la première en public. On sait que la seconde création de l'ONJ, Broadway In Satin, a déçu à Banlieues Bleues, insuffisamment préparée. Il faut laisser un peu de temps à l'orchestre pour trouver ses marques, ce qu'il ne manquera pas de faire pour la troisième création de la saison, le film muet Carmen dont la musique d'accompagnement sera confiée aux musiciens de l'orchestre... C'est probablement à cet endroit que réside désormais l'enjeu. Dépassant le statut de pupitres inventifs, les dix jeunes musiciens sauront-ils se saisir de l'outil pour le faire exploser ? Vous le saurez dans le prochain épisode de cette série pleine de suspense...
En attendant, Around Robert Wyatt doit être un disque très secret, car, sans m'en rendre compte ou en oubliant tout le reste, je viens de relancer le disque sur la platine pour la septième fois de la journée... Très agréable !

samedi 21 mars 2009

Jack Diéval, Bernard Vitet, Art Taylor... à Belgrade


Après avoir dégoté sur eBay Surprise-Partie avec Bernard Vitet, son premier disque, j'ai trouvé la réédition en 33 tours 25 cm, remasterisation conforme à l'original, de l'enregistrement du quintet de Jack Diéval des 4 et 5 mars 1961 sur Jugoton. Le pianiste est accompagné par Bernard Vitet au bugle, François Jeanneau au ténor, Jacques Hess à la basse et Art Taylor à la batterie. Même si Cosmic Sounds, situé en Grande-Bretagne, a mis deux mois à me l'envoyer, je suis content de poser sur ma platine tourne-disques cet enregistrement dont m'a plusieurs fois parlé Bernard. Les notes de pochette ont été heureusement traduites en anglais, avec certes pas mal de petites erreurs, mais on apprend tout de même que Pennies from Heaven, Moonlight in Vermont et Gloria occupent la première face avec en invités le ténor Eduard Sadjil et le trompettiste Predrag Ivanovi?. Sur la seconde, Theme n°4, My Birthplace et Bon Voyage sont des compositions yougoslaves de ce "modern jazz". Ce disque constitue le volume II du tryptique Sastanak u Studiju (Meetings in Studio) enregistré par la RTB, la Radio Television de Belgrade en charge d'immortaliser les artistes nationaux, ici avec leurs invités français.
Bernard avait l'habitude de jouer avec Diéval pour sa célèbre émission de radio Jazz aux Champs-Elysées. Il jouait également très souvent avec Jeanneau, entre autres au Club Saint-Germain ; on peut les entendre ensemble chez Claude François (!), sur deux titres de la musique du film de Roger Vadim, ''La bride sur le cou'', avec Georges Arvanitas au piano (Jazz et cinéma vol.2, Universal) et évidemment Free Jazz (cd réédité par in situ) avec François Tusques, Michel Portal, Beb Guérin... Pour les concerts de Belgrade à l'origine du disque avec Diéval, Bernard était très flatté de jouer avec Art Taylor qui avait accompagné Miles Davis période Gil Evans, John Coltrane sur Giant Steps, Thelonious Monk, etc.

Pennies From Heaven (Johnston-Burke) - ordre des chorus :
Diéval (piano) - Sadjil (ténor) - Vitet (bugle) - Jeanneau (ténor) - Ivanovi? (trompette sourdine) - Sadjil/Jeanneau - Vitet/Ivanovi? - Sadjil/Taylor/Jeanneau/Taylor - Vitet/Ivanovi? - Ivanovi?

vendredi 13 mars 2009

Le petit manège de la musique des jouets


Sacha Gattino me fait écouter un monde musical dont je croyais tout ignorer, mais que je pressentais pour en avoir tâté moi-même à mes débuts et dans mon travail de designer sonore. Tous ces artistes ont un goût pour la matière organique qui n'a rien de commun avec la virtualité synthétique. Ils pervertissent le réel en une sorte de théâtre de l'absurde empreint d'humour et de tendresse. Les boucles rythmiques et les agrégats chaotiques dessinent le même décor, un paysage brintzingue digne de Lewis Carroll ou Dave McKean.
Je prends des notes pour me retrouver parmi les chansons pop éthérées d'Animal Collective remplies de petits sons sympas, les charmants samples rythmés de la déjantée Moonstruck Parade du Japonais Bisk, les grincements accompagnant la voix enfantine de Coco Rosie que l'on imagine ne jamais pouvoir grandir, le duo de guimbardes de Makigami Koichi et Anton Bruhin, les engrenages mécaniques de Németh, la transe ethno de Badawi a.k.a. Raz Mesinai dont le théâtre musical nous caresse à rebrousse-poil avec ses bris horlogers, les jeux de cloches et les fanfares dérisoires de l'orchestre d'éléphants de Dave Soldier et Richard Lair, les jouets riquiquis d'Emmanuel Dilhac et ceux féroces de Spunk, la causticité de Wevie Stonder... J'en profite pour entamer une nouvelle dégustation du CD du polyinstrumentiste Frank Pahl produit par le guitariste français David Fenech, lui-même auteur d'une tendre et foisonnante Polochon Battle.
Sans remonter à Leopold Mozart, Joseph Haydn, Erik Satie ou Spike Jones, leurs ancêtres se nommaient White Noise, Moondog, Third Ear Band, Robert Wyatt, famille à laquelle appartiennent aussi Pascal Comelade et Pierre Bastien avec qui notre Nabaz'mob partagera l'exposition Musique en Jouets qui ouvrira ses portes le 24 juin au Musée des Arts Décoratifs à Paris...
Je ne peux pas adhérer totalement à ce mouvement qui, à mon goût, manque souvent de gros plans. En opposition, le jazz néglige les effets d'ensemble pour privilégier l'expression individuelle. C'est la raison pour laquelle Pierre Bastien, par exemple, ajoute sa trompette de poche à ses machines en Meccano. Tous ces musiciens peignent des décors féériques. Les jazzmen incarnent les héros. Le rock mise sur la puissance là où le classique joue sur la nuance. Il me faut un peu de tout cela pour trouver ma voie. En quête de perspectives, j'apprécie la transparence. Amateur de coups de théâtre, j'affecte les contrastes. Sacha dessine les scènes, j'en écris le synopsis, mais si nous devions enregistrer un album j'inviterais des acteurs à s'y mouvoir. Mais pour les spectacles vivants que nous projetons, les images de Nicolas Clauss et les sons qui y sont rattachés suffisent à occuper l'espace...
Comment pourrais-je être insensible à ces jeux d'enfants alors qu'avec Antoine Schmitt nous sillonnons le globe avec une ribambelle de cent lapins en plastique et qu'avec Frédéric Durieu, d'Alphabet à La Pâte à Son, j'invente des machines musicales interactives pour que chaque enfant qui sommeille en nous puisse s'épanouir. Ma collection de jouets musicaux est une boîte à outils où j'alimente régulièrement mes rêves sonores depuis 40 ans. C'est donc avec joie et armé de chocolat noir que j'irai me promener dans ces forêts de sucre d'orge et que je hanterai les palais de pain d'épices de ce monde enchanteur. Je sais bien que je ne pourrai m'empêcher de casser du sucre sur le dos des sorcières, de faire mordre la poussière d'ange aux trop gentilles fées pour être honnêtes, je déchaînerai malgré moi des tempêtes à la poudre de coco et ferai semblant d'enfiler mon déguisement, incapable de répéter deux fois le même tour, laissant à Sacha le soin de garder le cap vers cet horizon qui semble si proche mais s'éloigne au fur et à mesure que l'on avance. Ce programme devrait parfaitement coller avec les images mouvantes de Nicolas (ci-dessus une poupée de Money, inédit) qui nous engloutiront corps et biens, paysages obscurs éclairant la scène de leurs rayons de miel et de piments si puissants qu'ils nous emporteront la gueule parce qu'on aime ça plus que de raison. Un théâtre de la cruauté émerge des scènes enfantines les moins innocentes.

jeudi 12 mars 2009

La voix de Jean-Pierre Lentin s'est éteinte


Guy Darol m'apprend la triste nouvelle. Il résume sa carrière : critique musical (Actuel, Le Monde de la Musique, Muziq), journaliste scientifique (Sciences & Avenir, Libération), producteur à France Musique puis France Culture, directeur de Radio Nova, Jean-Pierre Lentin fut l'un des membres fondateurs d'Actuel...
J'avais rencontré Jean-Pierre fin 1969 grâce à Marie-Reine, ma première petite amie. Marrante et radicalement différente des autres filles du lycée (celui d'à côté, la mixité n'étant pas de mise à cette époque), elle avait senti arriver le vent psychédélique qui allait souffler sur notre continent. La première visite chez Dagon, l'orchestre des frères Lentin, était intéressée. Ils possédaient une denrée rare que nous venions de découvrir et qu'il était difficile de se procurer. Dominique, aujourd'hui toujours batteur de la scène alternative, planait tandis que Jean-Pierre, le bassiste, incarnait déjà le patriarche de la bande, sérieux et amusé à la fois. Ils vivaient évidemment encore chez leurs parents dans le XVème où nous passions régulièrement les voir. Le père, Albert-Paul Lentin, qui m'impressionnait par son engagement anti-colonialiste et anti-impérialiste dont ses positions sur la guerre du Vietnam et sur le conflit israélo-palestinien, était alors en train de fonder le journal Politique-Hebdo. Je me souviendrai toujours d'une descente de police où la perquisition avait fini par s'avérer fructueuse aux enquêteurs qui fouillaient l'appartement. L'un d'eux avait lancé un cri de joie : "Ça y est. On les tient... Y en a au moins un kilo !". Il avait les deux mains dans le plat du chat.
Avec mon light-show H Lights, j'accompagnai ensuite Dagon, qui outre Jean-Pierre et Dominique Lentin comprenait le guitariste Daniel Hoffman et le flûtiste Fabien Poutignat (dit Loupignat, fondateur des broches lumineuses Loupi !). J'organisai même les premiers concerts de rock du Lycée Claude Bernard où je suivais mes études avec, le 4 février 1971, ces types hirsutes venus du Lycée Buffon. À la Fac Dauphine, je me joins à eux sur scène, diffusant de vieilles publicités radiophoniques remontées et jouant d'un drôle d'instrument électronique que j'avais inventé à partir d'un amplificateur de téléphone. Les Lentin m'avaient trouvé un déguisement de danseuse des Folies Bergère avec des plumes multicolores qui m'empêchaient de m'assoir ! Je réitérai l'expérience au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, l'ARC, pour l'inauguration de l'exposition Andy Warhol. Au milieu de leur répertoire à la fois carré et déglingué, Dagon interprétait un étonnant Chinese fox-trot de 1931, chanson qui leur servait d'emblème et dont il possédait le 78 tours, Opium (fumée de rêve), qui figure sur le double cd Chansons Toxiques dans l'enregistrement original du ténor Marcel's.
En mai 70, lorsque Actuel est repris par Jean-François Bizot, je passe de temps en temps au journal récupérer le nouveau numéro tout chaud. Mes deux années de différence faisaient tout de même le grand écart avec ce grand frère. Nous aurons l'occasion de nous revoir chaque fois dans des conditions toujours inattendues, comme la dernière chez mon voisin Olivier Koechlin qui avait organisé une soirée à Bagnolet avec des musiciens Gnaouas. J'aimais beaucoup échanger nos découvertes musicales et j'essaie de rédiger ces souvenirs pour que toutes ces disparitions prématurées ne restent pas lettre morte.

mercredi 11 mars 2009

Le silence éternel des espaces infinis m’effraie


Tandis que j'écoutais l'album Cartography d'Arve Henriksen, je me suis souvenu d'un morceau que j'avais enregistré avec Bernard Vitet à Clamart le 21 janvier 1999 et que mon camarade souhaite voir figurer, avec quelques autres inédits, dans la réédition en CD de son disque 33 tours solo Mehr Licht ! pour lequel il cherche un producteur. Il a également souhaité le rebaptiser Le silence éternel des espaces infinis m’effraie après avoir porté plusieurs titres. Nous en avions même réalisé une version interactive, Loopy Loops, mais cela ne nous avait pas convaincu suffisamment pour l'éditer. La version ci-dessous est présente sur C'est le bouquet!, CD d'inédits d'Un Drame Musical Instantané téléchargeable gratuitement avec le n°3 de la revue Sextant qui m'est en partie consacrée (aperçu des 32 pages affichable en cliquant sur un bouton du site de la revue !). Dix ans avant Cartography, je lui trouve des airs de ressemblance avec l'index 3, Migration, mais notre tempo est beaucoup plus vif ; évidemment la trompette d'Henriksen me rappelle bigrement le son de Bernard. Nous avons enregistré le bugle en playback après que j'ai joué les machines en temps réel.

Huit minutes. Je sais bien que prendre le temps d'écouter de la musique sur un blog n'est pas évident. Les lecteurs zappent d'un site à un autre. On butine mais on ne prend souvent pas le temps de se poser. C'est dommage, j'aimerais casser ce rythme infernal, brisé le règne de la vitesse. On peut toujours rêver. Vous pourriez par exemple lancer le fichier son en cliquant sur le bouton Play et l'écouter en continuant à lire. Pièce inédite comme tous les autres morceaux mis en ligne sur ce blog.

mardi 3 mars 2009

Hommage au premier Zappeur, mère de l'Invention


Coïncidence. Tandis que je suis plongé dans le nouveau livre de Guy Darol sur Frank Zappa, Fred Goaty me commande un article "personnel" sur Lumpy Money, le nouveau triple CD produit par la famille Zappa, pour le prochain numéro de Muziq où œuvre également Darol avec autrement plus de z'ailes que moi m'aime. Dès que j'en aurais terminé la lecture, je me replongerai dans la musique qui saurait trop me distraire si je tentais de faire les deux en même temps. L'écriture d'un des meilleurs journalistes musicaux actuels, alliant la rigueur littéraire et un travail d'enquête hors pair, réclame toute l'attention du lecteur tant les mots choisis sortent de l'ordinaire. Cette recherche frise parfois le baroque alambiqué à l'image de son héros, inventeur iconoclaste tous azimuts, dynamiteur de formes et "zappeur" fou ! Si cette dernière expression n'avait pas son origine (1929, dit le Robert Historique) dans l'onomatopée suggérant le bruit d'une arme à feu et, par extension, marquant un évènement brutal, j'aurais sans peine imaginé qu'elle fut inventée par le compositeur américain.
Ce Frank Zappa édité par Le Castor Astral me touche plus que je ne m'y attendais, pour les points de concordance qu'il révèle entre mon parcours et celui de Darol, encore d'heureuses coïncidences. Ce livre me semble d'ailleurs plus destiné aux fans de Frank Zappa qu'il n'est ouvrage de vulgarisation. L'auteur s'y livrant lui-même plus qu'il n'en est coutume dans une biographie classique, je retrouve mon désir de mêler dans mes billets l'intime et l'universel. C'est aussi l'histoire d'une rencontre et d'une passion qui commence avec We're Only For The Money alors que les Beatles étaient jusqu'ici notre référence, l'anglais appris en Grande-Bretagne vers Salisbury, le métier de compositeur qu'il nous fait choisir à notre tour, le partage de notre passion impossible à garder pour soi seul... Bien que j'ai commencé mon voyage quatre ans plus tôt aux USA, à Amougies et durant les années qui suivirent où je côtoyai mon idole, nous avons arpenté ensemble tant de lieux sans ne jamais nous rencontrer...
Et Darol de survoler l'immense territoire de "l'homme-Wazoo" comme il l'appelle dans la première version du bouquin publiée en 1996 avant qu'il ne la revoit et ne l'augmente aujourd'hui (technique éprouvée du remix par son génial modèle) : les influences multiples qui montrent l'étendue de la culture de Zappa, son engagement politique, tant d'évocations qui raviront ceux qui ne connaissent que sa musique, mais ignorent tout du bonhomme. Sans oublier l'auto-portrait émouvant qui fait de cet hommage l'un des plus beaux livres de son auteur.
Pour ne pas être en reste avec les exégètes, Guy Darol offre en prime, ce qui occupe tout de même la moitié du bouquin, chronologie un poil "romancée", discographie sommaire (les albums sous le nom du barbichu ou celui de son groupe, les Mothers of Invention), précieuses filmographie et bibliographie, plus les incontournables liens Internet qui n'existaient pas encore en 1996 lors de la première édition.