70 Musique - juin 2009 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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dimanche 28 juin 2009

Si je t'aime, prends garde à toi !


L'Orchestre National de Jazz sous l'égide de Daniel Yvinec inaugurait vendredi soir sa troisième création à l'Opéra Comique en accompagnant en direct le film muet Carmen de Cecil B. DeMille. La composition, confiée aux dix jeunes musiciens de l'ONJ, charge à chacun d'en écrire un chapitre, est étonnamment homogène, riche en couleurs, pleine de contrastes et d'une fougue propice au drame de Mérimée. Pour une fois, le film projeté au-dessus de l'orchestre n'était pas à la hauteur des inventions musicales dont firent preuve les dix compositeurs-interprètes épaulés par les improvisations électroniques de leur invité Benoît Delbecq. Son intérêt historique, il fut tourné en 1915, ne comble pas les faiblesses des scènes qui ne sont pas d'action. De la même époque, Griffith, Christensen, Pastrone, Rye ou Galeen m'épatent beaucoup plus et j'avoue plus d'une fois avoir déserté le film pour savourer la musique en fermant les yeux. C'est à se demander si une version de concert ou sa publication en disque ne profiteraient pas mieux à cette remarquable partition d'une heure. D'autant que les deux arrêts (numériques) sur image ne mettent pas vraiment en valeur les interventions chantées du guitariste Bernardo Sandoval, second invité de la soirée. On comprend ce qui les a motivées chez Yvinec, besoin de pause dans le continuum orchestral et référence hispanique, mais les images figées, fussent-elles au moment d'un baiser, ne sont pas du meilleur effet scénique et le flamenquiste tombe un peu comme un cheveu sur le gaspacho. La musique mériterait donc une écoute plus focalisée, pour pouvoir apprécier l'apport compositionnel de chacun des membres de l'orchestre. Celui d'Antonin-Tri Hoang structure et articule, par exemple, la scène de bagarre, profitant grandement au film, la fin d'Ève Risser avec guitare Barbie lui redonne une modernité, tout comme les effets joués tout le long en direct par Benoît Delbecq. Les clins d'œil effleurés à Ennio Morricone, la qualité de la section rythmique composée du bassiste Sylvain Daniel et du batteur Yoann Serra nous font voyager parmi les mythes qu'engendre le cinématographe mieux que sur la trame dramatique qui inspira Bizet dont l'œuvre fut créée dans cette même salle Favart le 3 mars 1875.
Espérons maintenant que le champagne servi par le directeur du théâtre, Jérôme Deschamps, à l'issue du ciné-concert ne monte pas à la tête des jeunes musiciens zélés qui l'ont déjà bien grosse. Il est toujours étonnant de constater comment les mauvaises habitudes de certaines professions se perpétuent de génération en génération, et l'excellence des plus récentes ne fait rien pour arranger les choses. J'en veux pour témoignage la manière dont l'orchestre soudé reçut ses deux invités lors des répétitions. Dans toute aventure, il n'est pas que l'art qui permette de durer, mais la façon de le vivre, dans le groupe et face aux autres. Nous avons tout à apprendre de la jeunesse, mais tout autant de nos aînés, et les jeunes musiciens devraient bénéficier au Conservatoire de leçons de maintien qui leur fait souvent cruellement défaut. Il ne suffit pas d'aimer les notes, il faut aussi savoir apprécier ceux qui les émettent, avis de professionnel et d'amateur qui n'engage que moi évidemment, hélas trop souvent !

samedi 27 juin 2009

Le fil magnétique


C'est dans le XVème arrondissement. "Descendre" jusque là m'apparaissait probablement une montagne. Me faisant une douce violence, j'enfourche un Velib' jusque la rue de Lourmel. L'engin roule bien, mais la selle est sévère. Il fait beau.
Il m'aura donc fallu un an pour répondre à l'invitation de Hugues Genevois de visiter le LAM (Laboratoire d'Acoustique Musicale ou encore Institut Jean Le Rond d'Alembert). Pourtant ce n'est pas l'envie qui me manque depuis que le Leipp fait partie de mes bibles. Acoustique et Musique est l'ouvrage de référence pour qui s'intéresse au sujet, une mine d'informations : Données physiques et technologiques, Problèmes de l'audition des sons musicaux, Principes de fonctionnement et signification acoustique des principaux archétypes d'instruments de musique, Les musiques expérimentales, L'acoustique des salles. Depuis sa réédition en 1976, j'y reviens chaque fois qu'une question physique se pose dans mon travail. L'ouvrage, simple et passionnant, se lit comme un livre policier. Je dis cela aussi de L'interprétation des rêves et des Cinq psychanalyses de Freud !


Le laboratoire, fondé par Émile Leipp en 1963, fourmille de physiciens-musiciens qui étudient tous les processus sonores, expérimentent des protocoles bizarres et fabriquent toutes sortes d'instruments acoustiques ou électroniques. Caroline Cance me fait passer des tests amusants et instructifs sur une interface gestuelle avec palette et stylet pour Puce Muse. En sortant, l'un des ingénieurs me montre sa collection d'appareils reproducteurs de son et en particulier un magnétophone à fil en état de marche. C'est l'ancêtre de la bande magnétique. Les premiers ont servi à l'armée, comme d'habitude. J'évoque la bobine qui trône sur une étagère de ma bibliothèque musicale et qui appartenait à mon père. N'ayant même jamais vu de lecteur, j'ignore tout de cet enregistrement. Je l'expose comme le rouleau de piano mécanique signé et numéroté de l'Étude n°7 que j'achetai un soir à Conlon Nancarrow, espérant rencontrer un jour quelqu'un qui possède l'instrument pour le lire. À ma prochaine visite j'apporterai la bobine de fil magnétique en même temps que je leur offrirai la paire de dictaphones Grundig qui appartenait à mon père. Mais il n'existe aucun enregistrement de sa voix plus fidèle que ma mémoire. J'entends son timbre quand il parle posément ou lorsqu'il pleure de rire, à la fois douce et articulée, un peu métallique. Vingt deux ans déjà...

mercredi 24 juin 2009

Les carottes sont cuites


C'est parti pour cinq mois. L'exposition Musique en Jouets au Musée des Arts Décoratifs, 107 rue de Rivoli à Paris, est inaugurée aujourd'hui pour ouvrir demain. Notre opéra Nabaz'mob y est exposé aux côtés des instruments de Pascal Comelade, des synthétiseurs d'Eric Schneider et des machines mécaniques de Pierre Bastien. Seuls Pierre et nous faisons du bruit. Certains me reprennent en disant que c'est de la musique, mais pour moi, depuis Varèse, toute organisation de bruits est musique. Autour de ces quatre grandes vitrines sont disposés les objets du Musée, hochets princiers, toupies, moulins à musique, culbutos sonores, livres-disques, etc. On peut d'ailleurs écouter une grande partie de ces jouets musicaux sur une borne interactive et sur le site de la galerie des jouets. Excellente idée qui tranche avec la plupart des musées de la musique où les instruments restent tragiquement muets faute de pouvoir y toucher ! J'ai prêté une demi-douzaine de 45 tours 17cm, chansons pour enfants qui ont bercé mes jeunes années, et le 33 tours 25cm de Pierre et le loup... Sur un cartel on peut lire aussi : Pâte à prout, banane harmonica, ballon couineur : collection Jean-Jacques Birgé. J'en suis très fier, pensez, ma propre pâte à prout, achetée à Londres chez Hamleys, est sous vitrine au Palais du Louvre !
Partageant l'exposition en deux, une troisième salle abrite des ordinateurs sur lesquels sont montrés des films et des jeux de tous les cinq. Antoine y propose ses Nanoensembles, machines hypnotiques techno-minimalistes. Tout près, on peut jouer avec le CD-Rom Alphabet ou la Pâte à Son dont la conception musicale est de mon fait, ou avec l'Electric Toy Museum pour lequel Univers-Sons a repris la collection de Schneider. Tout ce monde de rêve qui nous fait régresser joyeusement jouxte une salle inattendue où sont accrochées des toiles que Dubuffet a léguées au musée privé.


La vitre renvoyant des éclats de lumière malgré l'obscurité de notre théâtre noir m'empêche de photographier aisément les lapins. Je rentre dans la cage pour les prendre de profil. Chaque disposition est différente en fonction des lieux. Chaque représentation aussi. On en jugera d'autant plus facilement que l'opéra de 23 minutes se joue ici en boucle. Antoine a tout automatisé, horaires du musée en fonction des jours d'ouverture. À raison de 47 heures par semaine, c'est près de 2000 fois que les Nabaztag referont leur numéro de lapins savants jusqu'au 8 novembre !
Je me débrouille mal avec mon nouvel appareil, je reprends mon vieux Nikon pour capter la pause des rongeurs, mais leurs profils ne produisent pas les mêmes couleurs que d'habitude. On dirait de la porcelaine. J'ai oublié que c'était le nouveau clapier dont la matière plastique est brillante. Je n'ai que quatre fois deux secondes pour réussir l'effet que je cherche à produire. Si je bouge, je dois attendre le nouveau cycle. La musique m'envahit. Quelques nouvelles images viennent s'ajouter à la galerie du site Nabaz'mob. C'est pratique. Tout y est. Film, photos, émissions de télé et radio, presse écrite ou en ligne, fiche technique...
Antoine et moi avons décidé de passer à autre chose. L'opéra va voyager et nous planchons déjà sur une suite à Machiavel et Nabaz'mob, radicalement différente même si elle en est la continuité logique. Comme ceux qui nous connaissent auraient pu s'en douter, nous avons choisi de ne pas réaliser d'autres œuvres avec les lapins, bien que nous ayons exploité dans ce cadre qu'une toute petite partie des possibilités de Nabaztag. Savoir nos lapins trépigner aux Arts Décos pendant que nous imaginons quelque chose d'encore plus délirant m'excite au plus haut point...

lundi 15 juin 2009

Quand baroque et jazz mènent à l'impro


Pour fêter les 20 ans d'Antonin, le bon docteur Hoang avait invité quelques amis à un concert en appartement comme il les affectionne. Le fiston, Antonin-Tri, improvisa donc au saxophone alto en trio avec Youen Cadiou à la contrebasse et Gulrim "Gus" Choi au violoncelle devant un auditoire concentré. Pour cette première, rencontre impromptue, que les deux instrumentistes à archet jouent sur des instruments baroques força Antonin-Tri a trouvé des timbres originaux se fondant au moëlleux velouté des cordes en boyaux.
Marie-Christine Gayffier, c'est la maman du héros de la fête (né le même jour que son père !), me rappela comment à L'Île-Tudy je montrai à Antonin enfant la technique de la respiration continue qu'il exploita ici sans en faire toute une montagne. Je tenais moi-même cet enseignement de Bernard Vitet qui m'initia à la paille dans le verre d'eau. Je continue à relever le défi d'initier quiconque en dix minutes à cette pratique permettant de structurer ses phrases sans être victime d'un quelconque essoufflement. Même si c'est ensuite une question de pratique et d'intelligence compositionnelle, nous sommes loin de "l'aspiro-technie" enseignée "jadis" dans les lieux cultes de la musique contemporaine académique.
Après chouquettes et avant gâteaux, nous ne sommes pas restés pour le lapin et cela sans relation aucune avec le fait que je doive en installer cent ce matin-même au Musée des Arts décoratifs, nous nous sommes donc laissés aller à la rêverie, sur des paysages philosophiques peints à coups de notes et de silences, mélange savant de tendresse et d'écoute attentive, sans négliger la fougue d'une jeunesse qui nous laisse enfin nous reposer quelques minutes pour savourer ce que nous réserve l'avenir.