La commande consiste en une partition fortement stéréophonique d'une dizaine de minutes dont le cahier des charges indique les termes "futuriste et cristallin". Mes lapins ont fait des petits ! Comme chaque fois, je passe beaucoup de temps en préparation pour réduire la création à l'essentiel. Si j'ai bien organisé la séance, je dois pouvoir composer rapidement sans être trop freiné par des questions techniques. C'est du moins l'idée qui ordonne les tâches à accomplir. Ainsi, avant même de recevoir les images que je dois mettre en musique, j'inventorie les timbres qui me semblent coller au propos. La liste est toujours plus longue que ce dont j'aurai réellement besoin, palette dans laquelle je vais pouvoir piocher lorsque j'aurai découpé le score en mouvements dramatiques.
Deux synthétiseurs, le VFX et le V-Synth, préalablement programmés, me fournissent chacun un univers correspondant à deux mouvements très différents. J'ai rebranché mon vieux PPG en espérant en sortir des sonorités transparentes, mais mon attente est déçue car je n'y décèle qu'une demi-douzaine de sons de passage. Le XT ne m'offre qu'un seul programme qui me sourît, c'est déjà ça. Je me rabats sur des instruments acoustiques dont je jouerai en temps réel ou que j'échantillonne pour pouvoir jouer de leurs transpositions. Grelots, crotales, bol tibétain, lames, sistres, bâtons de pluie, éclairs, tambour de vagues, fins tubes de verre s'alignent sur le couvercle du piano et envahissent la cabine d'enregistrement. J'ai commandé en Allemagne de magnifiques chimes qui reproduisent exactement le son que j'avais imaginé et qui a servi de modèle à mon commanditaire. Sur les conseils de Sacha, j'ai acquis un ressort sur caisse de résonance et un triangle sur réservoir d'eau, mais le son métallique de ce dernier est trop rustre pour convenir à ma partition. Les deux jours précédents, j'avais déjà étudié les possibilités informatiques de Cubase et des instruments virtuels commandables en midi. Ayant trouvé la règle de 3 qui me permet de diviser le temps régulièrement à partir d'un nombre d'images abracadabrant, je fixe la noire à 17,14 ou l'un de ses multiples...
Il ne me restera plus qu'à rêver la musique aussitôt que j'aurai récupéré les images et à remplir les cases avec l'instrumentarium inventorié. Je dessine d'abord les mouvements généraux, cherchant les grandes lignes pour finalement me rapprocher au plus près de l'objet, soigner les détails. La dernière passe consiste à peaufiner les effets de panoramique, déterminants dans le cas de ce projet que je révélerai le temps venu.