70 Musique - septembre 2009 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 29 septembre 2009

Les Beatles au goût du jour


Je n'ai pas pu résister à l'envie de comparer moi-même la remasterisation des 13 albums des Beatles récemment sortis et la version CD que je possédais déjà. Ayant choisi Revolver comme test parce que je le connaissais peut-être moins bien que Sergent Pepper's ou le double blanc, j'ai envoyé les deux versions simultanément sur deux platines. La différence saute aux oreilles, mais n'en reste pas moins technique. La musique est la même, l'émotion n'y gagne rien. Les voix gagnent en présence comme il est coutume de les renforcer de nos jours. Mais à l'heure où les adolescents ont l'écoute souvent faussée par les mp3, racheter sa discothèque sous prétexte de cette amélioration, certes évidente dans le cadre du test, pousserait à se demander s'il ne faudrait pas aussi s'offrir une dispendieuse chaîne haute-fidélité, ce qui ne peut être à la portée que de vieilles bourses nostalgiques. Si vous êtes un fan absolu des Beatles et que vous possédez déjà tout l'attirail y compris le fauteuil de dentiste, foncez. Si vous n'avez pas encore les disques des compositeurs les plus célèbres du XXème siècle, cette édition est tout indiquée. N'attendez rien du packaging ou des ridicules mini-docs vidéos gravés en prime. Tout cela est une vaste opération marketing du même ordre que l'apparition régulière de nouveaux supports pour vous faire consommer toujours plus, et même racheter ce que vous possédez déjà. Les amateurs des vinyles originaux riront bien de tout ce tintouin et tous sauteront sur l'occasion pour réécouter les merveilleuses mélodies de la bande des quatre (ou cinq).

samedi 19 septembre 2009

Crasse-Tignasse


L'affiche de Crasse-Tignasse collée sur la porte des toilettes de l'Ars Electronica Center à Linz en Autriche me rappelle notre disque passé au pilon par Naïve au rachat d'Auvidis. Une honte ! Toute la collection Zéro de Conduite initiée par André Ricros fut broyée. Nous avions envie de proposer des disques pour les enfants qui ne les prennent pas pour des débiles, réalisés par des musiciens inventifs qui joueraient le jeu avec astuce et sensibilité. Steve Waring, Abbi Patrix, Pied de Poule, Guy Villerd, Yannick Jaulin, Claude Barthémémy et Lucilla Galeazzi, Jean-Marie Maddedu et Michel Godard, Jean-François Vrod, Alain Gibert, Un Drame Musical Instantané œuvrèrent pour la joie des petits et des grands. Car c'était évidemment une manière de partager le plaisir de nos enfants. Heureusement Le K de Buzzati avec Richard Bohringer qui nous avait valu une nomination aux Victoires de la Musique n'était qu'en licence et je récupérai l'album sur mon label GRRR. Il n'en fut hélas pas de même avec Crasse-Tignasse, adaptation remarquable de l'allemand au français par Cavanna qui avait traduit le texte Der Struwwelpeter pour L'École des Loisirs. Le classique du Dr Heinrich Hoffmann est l'équivalent du Petit Chaperon Rouge pour les Allemands. Bernard Vitet, Gérard Siracusa et moi-même montèrent le spectacle d'après le disque que nous avions enregistré, second album de chansons suivant Kind Lieder et précédant Carton. En 1992, Elsa avait 7 ans et c'est vraiment pour elle que je me lançai dans l'aventure. Je fus récompensé le jour où j'entendis les camarades de sa classe fredonner nos chansons à la sortie de l'école...

Nous avions sous-titré l'album "neuf chansons pour les enfants qui veulent avoir peur". S'y succèdent le titre éponyme (ci-dessus chanté par Bernard Vitet, à moi les borborygmes), L'histoire du méchant Frédéric (ci-dessous par mes zigues avec Elsa en larmes et la chienne Pelloche), La très triste histoire de Pauline et des allumettes, L'histoire de Jean-regarde-en-l'air, L'histoire du chasseur féroce, L'histoire de Gaspard-mange-ta-soupe, L'histoire de Philippe-qui-gigote, L'histoire du suceur de pouce, L'histoire de Robert-qui-vole, presque toutes histoires terribles qui finissent très mal. Le pianiste Michel Musseau (ici sur la chanson Crasse-Tignasse) nous prêta main forte pour quelques titres. J'en chante la plupart tandis que le trompettiste Bernard Vitet et le percussionniste Gérard Siracusa s'occupent des autres. Sur scène, Marie-Christine Soma créa les lumières et Raymond Sarti costumes et accessoires. Dans le disque enregistré directement en deux pistes stéréo comme en spectacle je chante, joue des synthétiseurs, des machines infernales et mixe tout l'orchestre en même temps !

Pour le livret qui accompagne le CD Pascal Bussy termine son texte en clamant que " Un Drame Musical instantané a inventé un nouveau genre qui fait basculer la chanson pour enfants dans l'ère moderne : la comptine électro-acoustique ! " Comme nous avions réussi pour les petits, nous décidâmes de nous atteler à un projet pour les grands, ce fut le CD Carton avec son historique partie CD-Rom. Le même plaisir nous récompensa, Bernard et moi. Ces chansons, même les plus hirsutes, tranchaient avec le reste de nos productions. Elles nous réconcilièrent aussi avec la musique populaire que nous n'avions jamais perdue de vue.
Je rachetai de justesse quelques exemplaires de Crasse-Tignasse avant le massacre dont certains sont miraculeusement en vente sur le site des Allumés du Jazz. Cela explique pourquoi je devins producteur de mes propres disques dès 1975 : la plupart sortis sur le label GRRR sont encore disponibles...

jeudi 17 septembre 2009

Scratch acoustique


En commandant un stylophone tout neuf sur le site Thinkgeek, j'ajoutai au panier un drôle de truc qui annonçait "Un vinyle dans votre poche : à tout moment sortez la carte Plastinkuzz DJ Scratch de votre porte-feuilles pour produire d'authentiques sons de tourne-disques." Il suffit de passer son ongle sur la surface rainurée de l'image en 3D et le tour est joué. Les variations de timbre dépendent de la vitesse, de l'intensité et de la direction du grattage. J'adore ce genre d'arnaque, qui n'en est pas vraiment une puisque tout est clairement expliqué. Cela me rappelle "le clou de la fête" ou "le plus grand tour de la foire". On paye ainsi pour voir un clou sur un coussin rouge ou pour se faire trimbaler tout autour de la fête foraine à l'extérieur de l'enceinte ! Après quelques essais, l'affaire est plutôt concluante, à tel point que j'ai décidé d'emporter ma paire de Platinkuzz du designer Artemy Lebedev à Ososphère pour pouvoir scratcher en toutes occasions... Quant au site de gadgets Thinkgeek, j'adore leurs petits aimants hyperpuissants qui permettent d'accrocher des clefs, des outils sur n'importe quelle surface ferreuse ou de préparer un piano comme le fait Ève Risser avec beaucoup de zèle.

mardi 15 septembre 2009

Une pluie de diamants sur un écrin invisible


Début août je composais la musique d'un rideau d'eau pour Peugeot au Salon de l'Auto de Francfort (IAA) à la demande de Dalbin-Event chargé de la mise en scène d'une création artistique pour le stand de la nouvelle RCZ, une deux places très mâle et élancée. Le fabricant automobile désirait une œuvre qui se déploie sur un espace de 3000m2. Phormazero développa un graphisme approprié au système hydraulique et je plongeai dans une partition dont le cahier des charges indiquait "cristallin et futuriste".
Le rideau d'eau développé par Crystal-Group n'utilise aucune projection, ni lumineuse, ni vidéo. Ce ne sont que des gouttes d'eau tombant des cintres jusqu'au bassin qui récupère l'eau et la renvoie dans le système en circuit fermé. On pourrait faire l'analogie avec le déroulement d'un rouleau graphique d'ombres chinoises où les dessins, fixes, sont constitués de gouttes et où leur absence fait office de blanc. Sur l'écran d'eau, comparable à l'écran d'épingles d'Alexeïeff, chaque goutte délivrée par une buse correspond à un pixel. il y en a 960 sur une largeur de 10 mètres, et les images de Phormazero de tomber, de tomber, de tomber, de 5 mètres de haut.
Autour du stand, des écrans géants projettent des clips sur les nouvelles automobiles dont l'émission de carbone est imprimée sur chaque portière. La définition est époustouflante. "Écrans LED Blackface Daktronics 6mm", me souffle Jo Alet qui les a fournis. Partout le nec plus ultra de la technologie... S'il n'y avait les voitures exposées et les mannequins pour les présenter on pourrait se croire au salon de la vidéo !
Une séquence son et eau de 9 minutes 55 secondes joue en boucle. Pour caler mes séquences de musique électronique et électro-acoustique, j'ai calculé une grille au tempo de 17,14 à la noire ou l'un de ses multiples, car chacune des 170 images dure 3,5 secondes. Attaché au geste instrumental, je joue tout au clavier (VFX , VS, PPG, XT...), ajoutant un peu de persil acoustique pour rendre l'œuvre plus organique. J'ai acquis pour l'occasion différents petits instruments dont un triangle à eau. Les chimes rappellent le son de l'opéra de lapins à l'origine de la rencontre avec Éric Dalbin. D'ailleurs j'en fais une longue citation en retravaillant le montage de l'une des séquences. La musique est pensée pour éviter la lassitude sur la durée du salon, douze jours ! Moins la structure générale est repérable, moins elle est oppressante. Jouant des différences de timbres et de tempi, mais aussi d'intensité et de densité, elle est plutôt planante avec des effets de nappes et de rythmes légers. La stéréophonie est exagérée pour donner son volume à l'espace. À chaque instant je réponds au son que fait l'eau en tombant, camouflant ceux de la machine et de l'eau, ou les soulignant. Tous les instruments sont joués en temps réel pour donner de la souplesse à l'ensemble, évitant de contrarier l'effet sensuel du rideau d'eau...
Comme chaque fois qu'un artiste travaille en confiance, le résultat est à la hauteur de nos espérances. Les gouttes d'eau éclairées par la lumière blanche scintillent comme des pépites, une pluie de diamants sur un écrin invisible.
Puisque nous filmons, je suggère d'enregistrer la cascade sans la musique pour la synchroniser ensuite avec la partition. Éric Dalbin et le photographe Yves Malenfer s'affairent à immortaliser l'œuvre car nous espérons bien la remonter dans un environnement plus propice à la méditation !
Le budget d'une telle manifestation s'étendant sur une surface inimaginable est colossal. En dehors de mon enthousiasme pour le travail bien fait, je me demande si, avec la crise de l'énergie, les jours de ce genre de salon ne sont pas comptés. Les voitures électriques et les hybrides se multiplient, mais le temps de l'automobile individuelle est-il encore envisageable dans un futur rapproché ?

lundi 14 septembre 2009

ZÛM


La chanteuse Pascale Labbé sort un nouvel album sur le label nûba (dist. Orkhêstra). En équilibre sur le fil elle pratique l'a capella comme si de rien n'était. Seule, elle se livre nue en créant des sons inouïs où tout semble naturel. Elle retrouve les sons de la nature, de la nature humaine, de la nature sans l'humaine. On se laisse emporter. Est-ce un lointain passé ou le futur qui nous sourit ? Défiant les lois de la physique, la voix devient un incroyable synthétiseur organique. La chanteuse aspire, bourdonne, hulule, souffle, maugrée, murmure, chante, respire, sonne, postillonne et s'étonne. Si l'on n'en croit pas ses oreilles, peut-on se fier à ses yeux ? La pochette réalisée par sa fille, Fani Morières, évoque la planche des ophtalmologistes. Bien voir, bien entendre, faire travailler le muscle. S'écoute sans lunettes ni sonotone. Une seule prise découpée en morceaux pour mieux apprécier la mélopée, onze tranches fines qui gardent longtemps la saveur de l'instant. Dites 33 ! Ce ne sont pas des tours comme ceux du dernier disque de Jean Morières, mais le parfait nombre de minutes pour suivre les méandres de ce CD sans se perdre. Secret bonus, il serait question que d'autres musiciens s'emparent de cette voix magique pour une série de remix des plus surprenants. Sur ZÛM la muse s'amuse en musique.

mercredi 9 septembre 2009

À la poursuite de l'inouï


La fréquentation du public au 30ème Festival Ars Electronica est étonnante. S'il est nombreux, mélangé et enthousiaste, il est aussi curieux de nouvelles technologies. C'est peut-être là que le bât blesse. La programmation est orientée techno plutôt qu'artistique. Ainsi l'Ars Electronica Center ressemble plus à une petite Cité des Sciences qu'à un centre d'art. D'un autre côté, le son est partout mis en valeur dans sa relation audio-visuelle, à ma plus grande satisfaction évidemment. Ce versant de l'Europe a toujours été plus musical que notre Hexagone. On notera néanmoins qu'à l'exposition "See This Sound" au Musée Lentos ce sont les pièces historiques qui font sens là où les contemporaines restent anecdotiques. Mêmes remarques sur l'ensemble de la programmation du festival qui, cette année, propose pourtant le thème passionnant de Human Nature ; même considéré internationalement comme le plus hip de tous les festivals du genre, Ars Electronica ressemble à la majorité des manifestations où les nouveaux médias sont en première ligne, à savoir l'affirmation technologique au détriment du sens et de l'engagement. Ici comme ailleurs on ne fait pas de vagues. Mauvais esprit, je me dis que la ville de Linz, très compromise du temps du national-socialisme, a préféré se refaire une virginité en se tournant vers le futur (Mauthausen et Gusen, deux des plus atroces camps de concentration, sont à seulement une vingtaine de kilomètres de cette ville où Adolf Hitler passa sa jeunesse). Nous n'avons hélas pas de leçon à donner tant l'ensemble de la production actuelle reste tiède et les perspectives bouchées par une politique assassine. En Sarkozie on sait bien que la culture est le meilleur rempart contre la barbarie, et les révolvers sont sortis de leurs fourreaux.


Si voir sauter les balles sur le marimba de Quartet de Jeff Lieberman et Dan Paluska (photo 2) m'a fait plaisir, j’ai apprécié les petites mécaniques d’Arthur Ganson, la Morpho Tower de Sachiko Kodama et Minako Takeno et la projection immersive de Markus Huber sur le sol de l’un des ascenseurs de l’Ars Electronica Center. De l’autre côté du pont qui enjambe le Danube, sous le titre Pursuit of the Unheard, la Great Concert Evening que nous avons eu la chance d'ouvrir avec Nabaz'mob se poursuivait avec la rencontre répétée de musique électronique et de musiciens vivants. Tritan Perich mêlait dix cordes à ses séquences binaires 1-Bit, la symphonie Games, op. 45 de Norbert Zehm (photo 3) orchestrait des musiques de jeu vidéo, Elisabeth Schimana composait pour le synthétiseur de Max Brand (photo 1), ancêtre du Moog, et Christian Fennesz nous assourdissait d’une monotone noise tout aussi virile que les concerts du lendemain avec Alva Noto et Ryoji Ikeda. Ce dernier a le mérite de structurer son discours et de créer des surprises dans son brutal continuum, mais ces images me plairaient plus dans une séquence de film à la Matrix que pendant un interminable concert. On peut surtout espérer pour l'avenir d'autres utopies que les éternelles tourneries technoïdes de vieux garçons en mal de jeux guerriers. Je passe sur l'interprétation des œuvres néoclassiques de Arvo Pärt et Alan Hovhaness par le Bruckner Orchester Linz (en soulignant, pour les amateurs d’exotisme local, que nos lapins citèrent deux fois Anton Bruckner, figure notoire de Linz !), et sur l'enregistrement déplacé de Big Ben par Bill Fontana...


L'absence de dialectique caractérise dramatiquement les expériences des années 80 éternellement reconduites par les apôtres de la techno. Les spectateurs critiques (français pour la plupart, quel hasard !) ne peuvent s'empêcher de se traiter sarcastiquement de "vieux cons" alors qu'il ne s'agit en aucun cas d'une nostalgie du passé, mais de la révolte qu'inspirent le manque de combativité et l'absence de propositions constructives de ces anciens jeunes devenus profs, soutenus par leurs élèves. Ces artistes adeptes des nouveaux médias auraient-ils baissé les bras devant la puissance de l'industrie, du capital et de leurs sirènes ? Où réside leur urgence ? Que réservons-nous à cette nature humaine ? Alibi et sujet d'expériences douteuses ou recherche d'un nouvel équilibre qui devra s'affranchir de la peur qu'engendrent les révolutions ? Quel monde nous prépare-t-on et quelles alternatives pouvons-nous y opposer ? Les artistes de demain ont du pain sur la planche s'ils ne veulent pas prendre de la brioche.

Mise en ligne : le 09/09/09 à 09'09"

vendredi 4 septembre 2009

Frank Zappa & The Mothers in the 1960's


En 2004 Frédéric Goaty me commande un article pour Jazz Magazine sur ma relation personnelle avec Frank Zappa que j'intitule Les M.O.I., l'émoi et moi. J'ai souvent écrit qu'il était le père de mon récit (musical), évitant consciencieusement d'en devenir un spécialiste comme je refusai de le faire pour Robert Wyatt sous prétexte d'une complicité qui risquait de m'enfermer dans une image ne correspondant absolument pas à mon travail de compositeur. Jeune homme j'eus en effet la chance de rencontrer mes idoles et de leur poser les questions qui me préoccupaient. John Cage eut la gentillesse de me recevoir un après-midi au Centre Pompidou pour parler de Trop d'adrénaline nuit, le premier disque du Drame. Le contact avec Jean-Luc Godard fut moins productif (!), mais les rencontres étaient plus simples qu'aujourd'hui. Si j'avais eu la chance de souffler dans le saxophone soprano de Sidney Bechet en sautant sur ses genoux, des évènements abracadabrants de mon adolescence m'offrirent de jouer de l'harmonium avec le Beatle George Harrison chez Maxim's à Paris pour accompagner les Dévôts de Krishna ou de faire le bœuf à la flûte avec Eric Clapton à la guitare sèche dans la villa de Giorgio Gomelsky, le manager des Rolling Stones. Lorsque l'on me demande comment j'ai réussi à me trouver là, je raconte que j'ai appelé John Lennon qui m'a donné le numéro de Harrison, j'ai enjambé une barrière et me suis planté devant Zappa la première fois à Amougies, j'ai été embarqué chez Pink Floyd parce que je balayais quand Gomelsky, énervé, a fichu tout le monde à la porte, de passage à la Fondation Maeght ma petite sœur Agnès et moi étions devenus des mascottes pour le Sun Ra Arkestra, Philippe Arthuys me confia le volant d'une Alpine Renault parce qu'il n'avait pas d'autre chauffeur, etc. Faire le light-show de groupes pop m'ouvrit aussi quelques portes. Plus tard, assister Jean-André Fieschi me permit de côtoyer tous les gens de cinéma dont je rêvais et bien d'autres ; travailler avec Bernard Vitet eut le même effet dans les cercles musicaux... Années de formation excitantes, faciles, évidentes.
Retrouver les débuts de Zappa sur un DVD publié récemment (sans l'autorisation du Cerbère familial) est une bonne surprise. Frank Zappa & The Mothers in the 1960's est le meilleur documentaire sur le sujet qu'il m'ait été donné de voir. En général je préfère les documents aux entretiens, mais les commentaires suivant la chronologie discographique sont ici passionnants et les extraits intelligemment choisis pour illustrer les propos de Jimmy Carl Black, Bunk Gardner, Don Preston et Art Tripp. Les années 60 coïncident avec la période la plus inventive de Zappa : Freak Out! (1966), Absolutely Free, We're Only In It for the Money, Lumpy Gravy (1967), Cruising With Ruben & the Jets (1968) et Uncle Meat (1969)... Il en va souvent ainsi des premiers pas des créateurs. C'est le moment où les rêves deviennent réalité. Le langage est posé. La suite est généralement une relecture, un approfondissement, une recherche de précision, mais la jeunesse possède une fougue et une fraîcheur qu'aucun travail acharné ne pourra jamais égaler. L'excellence est une autre histoire. L'acrobatie consiste à retrouver sans cesse l'état de création dans lequel nous étions lorsque n'existait encore aucun autre enjeu que de savoir ce que nous voulions.
Savoir ce que l'on veut est la clef d'une vie bien remplie. Les moyens d'y accéder découlent ensuite d'eux-mêmes, à condition de les encadrer d'une conscience morale à toute épreuve !