70 Musique - décembre 2009 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 14 décembre 2009

Sun Ra continue à appeler la Terrre


Je ne me souviens plus si j'avais signalé Space is the Place, le DVD du long-métrage de science-fiction très bizarre de John Coney avec Sun Ra, que m'avait indiqué Étienne Brunet, un cocktail black power et free jazz aussi ringard que fascinant.
Cette fois Gary May m'envoie ce clip d'un quart d'heure que j'ignorais, light-show psychédélique réalisé avec le synthétiseur visuel de Bill Sebastian, l'Outerspace Visual Communicator ! Inventé en 1978, l'instrument est équipé d'un doigt électronique et de 400 touches contrôlant couleurs, symétries et mouvements. Le "peintre" manipule ainsi ses rotations, compressions, zooms, etc.
Le clip a été réalisé au Mission Control de Boston en 1986 avec Sun Ra (claviers, voix) et son Arkestra : Ra-keyb (voix), Al Evans et Fred Adams (trompette), Tyrone Hill (trombone), Marshall Allen (sax alto), John Gilmore (sax ténor), Danny Ray Thompson (sax baryton), Eloe Omoe (clarinette basse), James Jacson (basson, percussion), Bruce Edwards (guitatre électrique), John Brown (batterie), June Tyson (voix, danse). Aux commandes de la réalité virtuelle : Michael Ray, Barday, Eddie Thomas (Thomas Thaddeus), Atakatune.
Mes lecteurs connaissent mon attachement pour le light-show qui marqua mes premiers balbutiements artistiques avant de rentrer à l'Idhec et de monter sur scène. Mais saviez-vous que ma petite sœur Agnès et moi avions joué le rôle de mascottes de l'Arkestra au tout début des années 70 ? Assistant aux répétitions des Nuits de la Fondation Maeght en 1970, nous avons tout de suite été adoptés par le percussionniste Nimrod Hunt (Carl S. Malone) qui nous a présentés au reste de l'Arkestra. Le contrebassiste Alan Silva, qui chez Sun Ra ne jouait que du violon coincé entre les genoux, taquinait ma petite sœur en évoquant la comédienne Agnes Moorhead. Au bout de nombreux concerts, je réussis une seule fois à interroger "le maître", comme l'appelaient tous les membres de l'orchestre. Il était, sinon, inapprochable, planant au-dessus de la mêlée comme un être déplacé, on dira littéralement sur une autre planète ! C'est à cette époque que je mis en contact Alan et le saxophoniste Frank Wright que j'avais rencontré chez Giorgio Gomelsky (l'impressario des Rolling Stones !) et qui ignorait sa récente arrivée sur le sol français. Avec le batteur Muhammad Ali et le pianiste Bobby Few ils allaient former le quartet de free jazz le plus puissant et le plus présent de la scène parisienne.
Sun Ra et Harry Partch marquèrent certainement les deux chocs orchestraux de mon adolescence.

jeudi 10 décembre 2009

Offrez 10 Ferrari pour Noël


40 euros le coffret de 10 cd, qui dit mieux ? L'œuvre électronique de Luc Ferrari (La muse en circuit, INA) est joliment présentée (liste des œuvres), agrémentée d'un livret bilingue de 104 pages dont un intéressant entretien avec sa compagne, Brunhild Meyer-Ferrari. J'ai plusieurs fois rendu ici hommage au compositeur disparu en août 2005. Je découvre aujourd'hui maintes œuvres qui m'avaient échappé, inventions, immersions et décorticages sonores, où tous les coups sont permis et où toutes les coupes font sens. Qu'il joue des ciseaux ou sur la durée, Ferrari ouvre radicalement le champ de la musique électroacoustique sur des fictions amoureuses et des reportages sonores composés comme des pièces de théâtre musical documentaire. La voix fait glisser l'ensemble vers le journal sonore ou musical. Le Hörspiel est un concept allemand qu'aucune traduction française ne peut rendre, faute de pratique et de culture de l'écoute. Le terme "jeu d'écoute" ferait penser à un truc pour gamins. C'est cela. Si Luc Ferrari est un chercheur mené par le désir, un promeneur critique, un artiste de chair et de sang, il est resté un petit garçon coquin, avide de savoir et de plaisirs immédiats. Le prix extrêmement modique du coffret permet de découvrir une œuvre sensible, souvent humoristique, toujours intelligente.

jeudi 3 décembre 2009

Salut les copains


Régression absolue. J'ai l'impression de sucer mon pouce en regardant le coffret DVD que sortent les Éditions Montparnasse à l'occasion des fêtes. Le son des années 60, les jingles, les voix d'Europe n°1 et bien entendu les chanteurs et chanteuses qui ont marqué ma prime adolescence à une époque où mes parents louaient leur première télé chez Locatel. Le beau packaging au format 30 cm comme un 33 tours recèle un grand livret de 16 pages et le premier 45 tours 17 cm de Johnny lorsqu'il avait 16 ans. Les chiffres défilent, cela ne me rajeunit pas, mais ne me vieillit pas pour autant. Le regard que nous pouvons porter sur ces petites madeleines éclaire la chemin parcouru par chacun, pour les fantômes en noir et blanc comme pour le spectateur en couleurs. Aucune nostalgie, mais une pêche d'enfer : la radio prenait un coup de jeune en s'inspirant du modèle américain et le transistor révolutionnait l'écoute d'alors comme aujourd'hui le lecteur mp3. Le rythme s'empara de la variété française imposant les canons anglo-saxons qui règneront jusqu'à nos jours sur les antennes. L'excellent texte de Christophe Quillien rappelle que tout commença en 1955 avec Pour ceux qui aiment le jazz, une émission de Frank Ténot et Daniel Fillipacchi. Le 19 octobre 1959, le rock'n'roll, en (in)digne héritier, va déferler sur la France, et la vague yé-yé d'annoncer, parmi d'autres signes, les révolutions estudiantines de mai 68 et du Flower Power. Le monde des jeunes s'est agrandi et SLC est son prophète. Si les ados des temps modernes n'y prennent garde en se laissant bourrer le mou par la grisaille, ils pourraient perdre la fureur de vivre qui anima leurs aînés, malheureusement souvent incapables de leur transmettre. Rien n'est jamais gagné, rien n'est jamais perdu. Le monde est ce qu'on en fait et c'est leur tour.


En vacances à La Baule, j'avais gagné à 9 ans un concours de twist en tandem avec ma petite sœur et j'étais passé à la radio. En 1963, mon premier geste en rentrant du lycée, l'actuel "collège, sera de l'allumer pour écouter Salut les copains. Mes parents désirant m'encourager me promettent de m'acheter un magnétophone si j'obtiens le Prix d'Excellence. Même si j'étais souvent premier de la classe à l'école primaire, mon succès est très improbable, mais l'idée de pouvoir enregistrer mes chansons préférées va me galvaniser. Je rentre un soir en demandant à ma mère où se trouve un magasin de hi-fi. C'est pour eux une catastrophe, ils n'en ont pas les moyens, mais une promesse est une promesse et ils se saigneront pour la tenir. J'ai toujours le vieux Radiola à bande qui marquera mon entrée en musique. C'est mon premier instrument et très vite j'en jouerai comme tel. Salut les copains fut le détonateur, Zappa le cordon Bickford pour que 1968 m'explose à la figure et me débarbouille en me repeignant aux couleurs d'un arc-en-ciel encadré de rouge et noir.
J'ai descendu du grenier le vieux Radiola dont je sens encore sous mes doigts les deux touches mécaniques qu'il fallait appuyer pour enregistrer les chansons présentes sur les trois DVD : Johnny, Polnareff, Claude François, Nino Ferrer, Dick Rivers, Eddy Mitchell, Dutronc, Françoise Hardy, Sheila, Vince Taylor, Gene Vincent, Adamo, Christophe, Petula Clark, Richard Anthony, les Moody Blues, les Surfs, les Them, les Troggs, Marianne Faithful, Otis Redding, Hendrix, etc. Huit heures trente de rêves colorés qui vous électrisent, 140 chansons plus d'épatants compléments d'époque ! J'ai retrouvé les Touistitis, mon premier 45 tours gagné à La Baule, et celui de SLC, avec la voix du virtuel Chouchou "pitchée" dans l'aigu, reçu avec la place gratuite pour le concert des Rolling Stones à l'Olympia le 29 mars 1966, grâce au concours des Copains Menier ! Il fallait 50 emballages de chocolat mais leur taille n'était pas spécifiée, alors ma mère avait eu l'idée d'acheter une boîte de 100 petites barrettes individuelles me permettant d'être dans les premiers à répondre... Cinquième rang, mon premier concert live, toujours grâce à Salut les copains, c'est dire si cette luxueuse compilation me touche ! Elle ravira autant les adolescents d'hier passés à autre chose que ceux d'aujourd'hui souvent nostalgiques d'une époque glorieuse qu'ils n'ont pas connue.