Revenu de Londres, Gary May me conseille deux CD qui pourraient me plaire. Deux chanteuses, l'une est anglaise, l'autre américaine, chacune dresse un portrait de son pays en guerre.
Il me faut plusieurs écoutes du disque de PJ Harvey avant que je ne détecte les détails qui détachent son travail de la production anglo-saxonne de base. Une orchestration plus riche qu'il n'y paraît au premier abord, des contre-champs fugaces en toile de fond, un regard noir sur sa relation d'amour et de haine avec sa terre, une approche originale de la pop-music... Let England Shake finit par s'installer en boucle sur la platine, île givrée sur des rythmes cinglants, peuple enfoncé dans la guerre et la misère... Les références à 14-18 ne sont-elles pas des paraboles elliptiques de l'implication du Royaume Uni en Irak et en Afghanistan ? PJ Harvey à la guitare, au sax et à la cythare est accompagnée par une petite bande de polyinstrumentistes qui varie astucieusement les timbres selon les chansons.
Laurie Anderson n'avait pas enregistré d'album studio depuis dix ans. Avec Homeland elle retrouve son esprit expérimental et s'éloigne avec bonheur des projets conceptuels qui l'avaient enfermée dans la sécheresse du contrôle. Son approche sensible dessine une Amérique autocritique qui n'est pas prête pour autant à abandonner ses prérogatives. Tendance à la confondre avec la planète en danger. Mais aussi la sensibilité de New York, une île virtuelle dans un océan d'absurdité. Les éléments politiques sont comme des téléviseurs dans un magasin de hi-fi, derrière la vitrine muette les images s'effacent sous le son du quotidien. Dans le DVD The Story of the Lark qui accompagne l'album l'artiste avoue avoir gommé les références directes à la guerre. Elle s'est entourée de musiciens qui accostent au fur et à mesure du voyage vers son pays natal : alto d'Eyvind Kang, voix tuva d'Igil Koshkendey et Mongoun-ool Ondar, claviers orchestraux de Peter Scherer et Rob Burger, sax free de John Zorn, basse de Skúli Sverrisson, batterie aérienne de Joey Baron, voix de Aidysmaa Koshkendey et Antony, etc. Elle-même tient le violon (qu'elle présente également dans le DVD), les claviers, des percussions (mais elle n'est pas la seule), et Lou Reed, son compagnon depuis près de vingt ans, n'est jamais loin.
PJ Harvey et Laurie Anderson se servent de la poésie comme d'un diluant coloré, un édulcorant musical qui évite les affrontements directs. Mais attend-on de chanteuses qu'elles nous servent des harangues galvanisatrices ou des démonstrations philosophiques ? La transposition onirique s'insinue probablement plus efficacement qu'un mot d'ordre ou un slogan. Seule la musique nous entraîne. Libres de créer, PJ et Laurie entonnent des hymnes pacifistes sans marquer le pas, préférant marcher sur des œufs qui finiront par éclore l'ampli éteint.