70 Musique - juillet 2011 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mardi 5 juillet 2011

Un trio symphonique


Les meilleurs résultats s'acquièrent dans la simplicité. Je ne crois pas à la souffrance. Workaholic passionné, je ne voue un culte qu'au moindre effort pour un effet maximum. Bien préparée, avec un casting aux petits oignons, des musiciens cultivés et généreux, un réalisateur aux intentions claires, la séance s'annonçait prometteuse. Entendre que la préparation peut être laborieuse, mais l'acte de création doit préserver la fraîcheur de l'inspiration. Nous ne devons être freinés ni par la technique ni par une insatisfaction forcément justifiée. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire nous nous installons et nous jouons, comme des enfants. On s'amuse à prendre les tons les plus variés, à changer de rôle, et nos maladresses provoquent l'hilarité générale. À la pause nous nous offrons le luxe de regarder quelques morceaux de Spike Jones sur le petit écran du salon et nous pleurons quand le rire nous submerge. Il y a des évidences dans l'alchimie humaine. Vincent Segal me dit qu'il était certain qu'Antonin-Tri Hoang nous épaterait du haut de ses 22 ans. Nous formons un trio symphonique qui ne me fait pas regretter l'orchestre d'Europe de l'Est évoqué initialement pour enregistrer la musique de ce long métrage. Le violoncelliste et le souffleur sont tantôt les solistes d'un concerto, tantôt ils s'intègrent à la masse orchestrale. Les instruments d'aujourd'hui me permettent de réaliser mon rêve d'enfant, un ensemble virtuel aux bouts des doigts, une palette de timbres inouïs ou totalement référentiels.


En 48 heures nous mettons en boîte quantité de morceaux différents. À de rares exceptions la première prise est la bonne, parce que nous savons pourquoi nous l'exécutons. Le premier jour je m'emberlificote à vouloir délivrer des mixages différents pour chacun. La schizophrénie ne me distrait pas de la musique, mais j'opère quelques ratés comme ne pas avoir vérifié que la machine qui enregistre est lancée ! Cela n'arrive qu'une fois. J'ai si honte que je passerai la nuit à mixer pour vérifier que nous n'avons pas besoin de recommencer quoi que ce soit. Pour de multiples raisons, nous continuerons aux casques, pour mes camarades une oreille sur leur instrument l'autre dans le mix. Je n'ai plus à me préoccuper de technique : ce que j'entends est ce que vous entendrez. Du moins je crois l'entendre, car l'état second que suppose l'interprétation instantanée n'autorise l'écoute critique que plus tard.

Photos : Pierre Oscar Lévy

vendredi 1 juillet 2011

R.A.Z.


Chaque nouveau projet exige une remise à zéro du compteur. R.A.Z. est à l'opposé de R.A.S. (rien à signaler) ! Tout doit être pris en compte. Perdre ses habitudes, les bonnes comme les mauvaises. Ne conserver que la méthode, celle de la rigueur. Ne rien laisser au hasard qui ne soit décidé sciemment, ni le détail ni le hasard. Entendre que l'improvisation n'a rien à voir avec le flou artistique. Lorsque le modus operandi est approprié au sujet il ouvre la porte aux états de grâce. Commencer par les besoins de la commande, ses motivations, ses contraintes techniques et humaines, sa cible. Continuer avec les attentes. Que peut-on apporter ? Comment se rendre utile ?
Il s'agit cette fois de composer la musique d'un long métrage documentaire pour Arte. J'ai déjà travaillé avec son réalisateur, Pierre Oscar Lévy, pour le centenaire de L'Europe, un court institutionnel pour L'Oréal et surtout les 23 films d'art de la collection Révélations dont j'étais également le directeur artistique. J'ai proposé au violoncelliste Vincent Segal et à Antonin-Tri Hoang qui jouera clarinette, clarinette basse, saxophone alto et piano, de s'y associer pour créer les ambiances souhaitées. Je dirigerai au clavier un orchestre virtuel quasi symphonique et ajouterai de temps en temps trompette à anche, violon, guimbardes, etc. J'avais déjà enregistré quelques parties orchestrales avec lesquelles dialoguer.
Contrairement à ma démarche "complémentaire" qui rejette les illustrations musicales où l'on souligne au marker fluo les humeurs, nous devons composer avec un film bavard en insistant sur les quatre parties qui le structurent. C'est un portrait politique de la planète, donc bourré d'entretiens et de documents d'archives. La musique dans le mixage étant reléguée à l'arrière-plan, j'ai proposé d'emblée de réaliser du papier peint, musique d'ameublement découpée en lés de 1 à 7 minutes que le réalisateur pourra placer au montage selon ses besoins et en s'en inspirant. Le rythme, déterminant, devrait ajouter souplesse et respiration. Nous enregistrons sans voir le film, en nous basant sur des indications telles que conte de fées, tension, horreur, propositions... La nuit je mixe, ce qui ne me laisse pas beaucoup de temps pour raconter la magie des séances.